La sonnerie, pourtant calme, retentit abruptement contre les parois de la cabine. Embarrassé, je tente de me défaire de ses bras pour le laisser répondre.

Mais sa prise se resserre autour de mon corps, me coupant le souffle. Je cherche ses orbes dans la glace face à nous. Bien que nous ne soyons pas face à face à proprement parlé, celles ci me déstabilisent.

D'une main, il sort son téléphone de sa poche arrière, tandis que l'autre, toujours autour de mon corps, m'envoie un frisson le long de ma colonne vertébrale.

"C'est Jimin." annonce t-il.

Je déglutis, en ayant du mal à me concentrer sur autre chose que son avant bras contre mon ventre.

"Tu ne lui réponds pas ?" je demande.

"Si."

Alors il décroche, et apporte l'appareil à son oreille. Je n'ose pas bouger, ni me défaire de son emprise. Aussi près de lui, contre son corps, je me sens fondre et faiblir, une masse difforme et sereine qui s'abandonne à son moule.

"Taehyung ! T'es où ?"

Son visage est si proche que je peux entendre Jimin à l'autre bout du fil. Et lorsqu'il lui répond, je sens son souffle et la vibration de sa voix contre le bord de mon cou.

"En magasin, pourquoi ? Vous avez tous terminé ?"

"Oui, on vous attend à une table. Jungkook est bien avec toi ?"

À ces mots, Taehyung me jette un bref coup d'œil, et la prise de sa main se referme imperceptiblement contre ma hanche. Je saisis son avant bras sans tenter de l'éloigner, seulement par réflexe. Puis il se rapproche, plus près de mon oreille, et murmure d'une voix anormalement basse, juste assez pour que je sois le seul à en percevoir la tonalité :

"Oui, il est avec moi."

Je m'étouffe soudainement avec ma propre salive. J'apporte ma main à mes lèvres pour ne pas tousser trop fort.

Taehyung, lui, sourit amplement à ma réaction.

Merde, il se retient de rire en plus.

"Ok ! Dépêchez vous, on vous attend pour commander."

"Oui, on paye et on vous rejoint."

Taehyung raccroche, et se détache enfin de moi. Mes joues se teintent. Enfin, j'imagine. Je n'ose même pas me regarder dans le miroir pour vérifier.

Taehyung rassemble ses affaires et se retourne pour me laisser me changer. Rapidement, mes vêtements amples et confortables me recouvrent à nouveau.

"Tu es fou..." je ne peux m'empêcher de murmurer, faisant référence à ce qui vient de se passer, et je suis étonné de la facilité avec laquelle je m'exprime.

"Et ça ne te déplait pas."

Oh.

Je ne m'attendais pas à cette réponse.

"Non..." je réponds, plus bas que je ne l'aurais voulu.

Nous sortons de la cabine, et passons en caisse. Je prends le temps de réorganiser mes idées, et de chasser l'image des bras de Taehyung autour de ma taille.

Je ne fais que lui jeter des coups d'oeil, qu'il intercepte de temps en temps sans ne rien dire.

C'est quoi, cette atmosphère qui flotte autour de nous ?

Je suis parfaitement désorienté.

***

"Enfinnn !" s'exclame Jimin à notre arrivée.

Ils sont tous assis autour d'une longue table rectangulaire, dans un café-restaurant au coeur du centre commercial.

"Désolé, ça a pris plus de temps que prévu." s'excuse Taehyung en s'installant à un extrême de la table, là où il reste deux places l'une en face de l'autre. Je m'assois sur la chaise restante, près de Chaeyoung.

"Tout le monde a trouvé ce qu'il lui fallait ?"

La question de Taehyung est accueillie par des affirmations positives. Mina nous exhibe une robe magnifique, la faisant tournoyer, collée contre sa poitrine. Elle paraît satisfaite, virevoltant avec un grand sourire sur les lèvres.

"Magnifique..." laisse échapper Jackson.

"Ça aurait été une belle robe pour Juliette, vous trouvez pas ?" fait-elle en se rasseyant, les yeux rêveurs.

Sa remarque me met mal à l'aise, mais je ne laisse rien paraître. La conversation reprend sur un sujet différent, et je capte le regard discret de Mina sur ma personne. La culpabilité, bien qu'elle n'ait pas lieu d'habiter, je le sais, se fraie un chemin en moi.

Mais tout ça est bien vite oublié. Nous entamons nos boissons. Ce n'est pas encore l'heure, mais nous commendons aussi de la viande et des légumes à faire griller. Mon ventre gargouille malgré moi lorsque la nourriture arrive.

Hoseok se jette dessus, et se précipite pour faire griller des morceaux puis les empiler dans son assiette.

"Eh, tu nous en laisses hein !" se plaint Jimin.

"Il y en assez pour cinquante de toute façon." raisonne Namjoon, en enfournant un morceau bouillant dans sa bouche avec une grimace de douleur.

"Tu veux que je te fasse griller quelque chose, Jungkook ? Et Taehyung ?" demande Jimin.

Puisque nous sommes à l'opposé du grill, nous ne pouvons pas nous servir seuls.

"Donne moi un peu de tout." lui répond Taehyung.

"Pareil pour moi."

"Vous faîtes un truc pendant les vacances ?" s'intéresse Namjoon. "Moi je vais chez mes grands parents la semaine prochaine, ça va être l'ennui..."

"Perso je retourne à Busan avec ma famille." s'extasie Jimin. "Juste en face de la plage, ça va être incroyable !"

"La chance." rebondit Jackson. "J'ai été collé, je dois faire le ménage au lycée la semaine prochaine moi..."

"Pardon ?" s'étonne Hoseok, en l'interrogeant du regard.

"Comment t'as réussi à te coltiner un truc pareil ?" demande Soojin. "Quoi que, ça ne m'étonne même plus..."

"Ben... vous voyez l'alarme incendie de jeudi dernier...?"

Les yeux de Jimin s'écarquillent.

"Mais nann, c'était toi ! T'es mon sauveur mec, j'avais contrôle !"

Un rire traverse la tablée. Puis d'autres encore. Des rires à l'infini. Inéluctablement, je me laisse emporter par la mélodie de leurs éclats et de leur voix qui s'élèvent de toute part, me faisant tourner la tête dans tous les sens. Je mange distraitement quelques morceaux de porc grillé, et écoute le flot de leurs paroles.

"Et toi Jungkook, tu vas faire quoi ?" me questionne Namjoon.

Mes mains se rangent sous mes cuisses. L'attention se focalise sur moi.

"Moi.. ? Je ne- je sais pas trop encore." j'avoue.

Je panique légèrement. Tous ces yeux braqués sur moi, cet intérêt soudain pour ma personne, me rend plus faible et crispé.

C'est inconfortable.

Ça me prend d'un coup.

Comme souvent.

J'essaie de faire taire les voix, mais elles reviennent sans cesse. Elles s'incrustent par surprise, elles sont sinueuses, elles me font croire qu'elles disparaissent, mais elles reviennent toujours. Toujours.

Quand est-ce que ça passera, cette putain de sensation ?

Quand est-ce que je pourrai agir comme un humain normalement constitué, hein ?

Dîtes moi, putain, quand ?

Jungkook, ferme là.

"Moi non plus." s'impose Taehyung, me sauvant de mes pensées néfastes. "Ça vous dit qu'on se montre ce qu'on a acheté ? Pour que je me fasse une idée."

Toute la tablée sort alors des vêtements divers et variés, toujours dans le même esprit d'un siècle passé, avec un brin de modernité. C'est ce que Taehyung voulait retranscrire, et c'est réussi. Tout le monde y passe, et viens mon tour.

Avec des doigts tremblants, je sors la veste de son sac, ainsi que la chemise, et l'armure.

"Waw... !" s'exclame Hoseok. "La veste est super belle."

Les autres acquiescent, et je me sens rougir face à la fascination collective pour le vêtement. Je range les affaires à leur place, les repliant, et m'empresse de saisir mon verre d'eau pour faire quelque chose de mes mains.

"Elle l'est encore plus quand il la porte." ajoute Taehyung.

Mes yeux rencontrent les siens, et mes joues s'empourprent inévitablement. Je tente de masquer mon trouble en saisissant mes baguettes et en machant quelques légumes. Chaeyoung je crois, à mes côtés, est la seule à remarquer le jeu de regard entre Taehyung et moi. Je ne sais plus où me mettre.

La discussion reprend son cours. De manière sporadique, je réponds à une question ou deux. Plus le temps creuse l'après midi et plus je me sens bien, à l'aise.

Au bout d'un moment, c'est subtile, mais je remarque une discrétion de la part de Jimin. Il ne pipe plus un mot.

Et puis je comprends.

L'un de ses bras part sur la gauche, jusqu'à se faufiler sous la table. Et puis j'aperçois celui de Soojin, qui le rejoint discrètement. C'est évident, ils se tiennent la main, à l'abris des regards, et je crois être le seul à le noter. Il faut un oeil aiguisé et la capacité d'écouter le silence pour ça.

Jimin sens mon regard appuyé et relève la tête. Il voit que je vois, et il se met à rougir excessivement, comme pris sur le fait. J'esquisse un sourire en levant mon pouce dans sa direction, pour l'encourager. Ses épaules se relâchent alors et il me sourit en retour.

Je ris face à sa réaction.

En moi, c'est un remue-ménage sans pareil. C'est l'euphorie qui s'empare de mes neurones, des pulsations de mon coeur, du monde tout autour. Puisque j'arrive à rire.

Je ne fais pas semblant pour montrer un intérêt social comme on se doit de le faire. Je ne calcule pas. Plus.

Non, je ris.

Spontanément.

Je ris pour de vrai.

***

Les cours de philosophie ont tendance à m'ennuyer. Et pourtant, il y a une phrase qui m'a marqué, prononcée par mon professeur.

"L'excès d'effort pour se connaître et s'auto-analyser peut conduire à une hyper-intellectualisation de notre être, qui nous arrache notre spontanéité, notre élan, notre audace, notre ressenti et nos désirs. C'est assassiner sa spontanéité à grands coups de pourquoi."

C'est assassiner sa spontanéité à grands coups de pourquoi.

Pourquoi m'aimerait-on, m'écouterait-on ? Pourquoi prendre la parole ? Pourquoi ne pas se terrer dans le silence ? Pourquoi l'abilité sociale n'est pas, ou plus, innée en moi ? Pourquoi faut-il qu'il y ait des pourquoi, quand bien même remettre en question leur existence prouve qu'ils existent bien, et m'empêchent d'être dans le présent, de profiter de l'instant T ?

Je m'assassine.

Évidemment qu'il y a des influences extérieures à mon silence, que ce soit ma famille ou le harcèlement que je subis. Mais je crois qu'au final, tout ça vient principalement de moi, de ma manière de me défendre en cas de danger. Un problème ? La solution m'apparaît et elle est claire ; je n'ai qu'à me taire.

Je me tue à coups de pourquoi.

C'est étrange comme les mots résonnent. Ils sont comme des identités à part entière, ils se baladent, font leur bout de chemin, passent par un coeur, puis en traversent un autre, et finissent parfois par cogner le suivant. Ils passeront par plusieurs oreilles, disparaîtront de l'esprit de l'un la seconde suivante, et marqueront au fer l'autre jusqu'à sa mort.

On dirait presque que les mots ont leur cible.

Et Taehyung me manque.

C'est peut-être pour cela que je pense beaucoup aux mots.

J'aime lorsque je suis la cible de ses mots. Quand il parle pour moi, quand il m'adresse la parole, quand le but de son discours est de m'atteindre, et de m'atteindre seulement moi.

Ça fait une semaine que je n'ai pas de nouvelles. Ce qui est normal, je ne vois pas pourquoi il m'aurait contacté. Les cours reprennent dans quatre jours. Je suis étalé sur mon lit, et j'essaie de mémoriser les répliques de Roméo, surlignées et annotées dans mon portfolio. Je récite à voix basse, le plus discrètement possible. Le P ou le S sont les lettres les plus bruyantes, surtout en chuchotant, alors je m'éfforce de baisser le ton quand un mot les contient.

"Voilà donc bien comment l'amour passe les bornes. Mes propres peines pèsent sur un coeur déjà lourd, et tu les multiplies en le chargeant des tiennes. L'amour que tu m'as montré... Non. Que tu m'as témoigné... Merde, je me souviens plus."

Les mots de Roméo ne s'impriment pas dans ma mémoire. Je n'y arrive pas.

Il me manque quelque chose.

Je me tourne et me retourne dans mon lit.

Et puis je ne tiens plus.

Jjk_1 : Hyung ?

Une seule minute passe avant qu'il ne réponde, si bien que je n'ai pas le temps de prendre conscience de mon initiative, ni de consumer ma volonté.

Kim_Taehyung : Qu'est-ce qu'il y a, Jungkook ?

Jjk_1 : Je n'arrive pas à mémoriser mes répliques.

Je referme le portfolio, faisant disparaître les mots entachés de fluo orange.

Kim_Taehyung : Tu veux que je vienne t'aider ?

Je fixe le message, les yeux arrondis. Je crois... je crois que oui, que c'est la raison pour laquelle je l'ai contacté. Et pourtant, maintenant qu'il me le propose, aussi vite, mon estomac se retourne. De peur, peut-être.

Jjk_1 : ...maintenant ?

Kim_Taehyung : Oui, maintenant.

Je vérifie l'heure sur le cadran de mon réveil. Dix sept heures quarante cinq.

Jjk_1 : Il est tard...

Kim_Taehyung : Si tu ne veux pas, ça peut attendre. J'ai proposé ça comme ça mais t'es pas obligé d'accepter. Je peux t'aider par message.

Jjk_1 : Non !

Je me rends compte de l'agressivité de mon message, et en tape un nouveau, plaquant la paume de ma main sur mon front.

Jjk_1 : Non, viens.

Kim_Taehyung : Tu es chez toi ?

Jjk_1 : Oui.

Kim_Taehyung : Ok, tu seras sûrement plus à l'aise alors. À tout de suite :)

Plus à l'aise... Je cogite, ferme les yeux et assimile les émotions dans mon corps. J'essaie de me souvenir, comment je me sentais chez Taehyung. Puis chez moi. Non, définitivement, c'est encore pire chez moi. Chez eux.

Je laisse son message en vue, et fixe les imperfections de mon plafond pendant de longues minutes. Indéniablement, l'angoisse me prend aux tripes. Elle grignote les coins de mon esprit. Je ne crois pas que ce soit voir Taehyung qui me mette dans un état pareil, c'est le fait qu'il vienne ici.

Je ne sais pas ce qui m'a pris de l'inviter. Putain, qu'est-ce que je viens de faire ? Je ne fais jamais ça.

Je n'ai même pas prévenu mes parents.

Tant pis.

Relativise, Jungkook.

De quoi as tu si peur ?

Sûrement qu'ici, il est encore plus dur pour moi d'être quelqu'un, de m'exprimer. Je ne sais pas ce que je fais. Je ne sais pas si je serai capable de l'accueillir comme il se doit. J'ai peur que les mots entravent ma gorge, que je devienne incapable.

J'écoute attentivement le silence de ma maison en patientant. Le lave vaisselle qui tourne, les touches de clavier de mon père, les pages du livre de ma mère, je crois même déceler le clipotis d'un robinet mal vissé.

Des coups à la porte éclatent le calme. Je saute sur mes deux jambes, et m'empresse de dévaler les escaliers. Je veux lui ouvrir avant que mes parents ne puissent le faire. Lorsque je déboule en bas, mon père s'apprête à aller dans le haul, mais je le dépasse pour rejoindre la poignée avant lui.

Je sens mon sang pulser dans chacunes de mes veines.

Je sais, ou plutôt j'entends, mon père faire demi-tour, sans me poser de question.

Alors j'ouvre la porte.

Taehyung affiche un sourire radieux.

"Bonjour Jungkook. Vous avez besoin d'un cours particulier, est-ce bien ça ?"

Je le laisse entrer, amusé. Puis je tente de le saluer en retour, de lui lancer une réplique tout aussi drôle, enjouée, mais soudain, c'est la page blanche. Dans mon cerveau, il n'y a plus aucun mot. C'est effrayant. Il n'y a plus rien. J'ai beau essayer de chercher dans tous les recoins, il n'y a pas un mot.

Merde, rien ne sort.

Il n'y a plus de mots.

Où sont-ils passés ?

Je le fixe seulement, la bouche entrouverte, sans ne rien répondre. Taehyung se débarasse de ses chaussures et de son manteau.

Il se redresse, et attend quelque chose de ma part. Je réalise qu'il est chez moi, et que je suis censé le guider. Je tente de reprendre mes esprits, et le guide sans un mot à travers le haul pour déboucher sur le salon.

Arrivé dans celui ci, Taehyung s'incline.

"Bonjour !" s'annonce t-il. "Je suis Taehyung, un ami de Jungkook. Je m'excuse du dérangement."

Je me mords l'intérieur des joues. Parce que mon père a à peine tourné le visage, et que ma mère n'a fait que murmurer un simple bonjour, si bas que je me demande si Taehyung, lui qui n'est pas habitué, l'a entendu. Ils semblent un brin surpris que j'amène un invité, mais c'est la seule trace d'émotion sur leur visage. Je me mords l'intérieur des joues parce qu'ils ont l'air morts.

Je traverse le salon afin d'atteindre les escaliers, et Taehyung me suit. Il a l'air perdu, un peu déstabilisé par ce vide de réponse. Pas même un "enchanté", pas même une question. Moi, ça me paraît si naturel, pourtant.

En avançant, je perçois l'eau qui éclate contre l'acrylique de la baignoire. Ma soeur est en train de prendre une douche. Ça me rassure. Le bruit rend l'ambiance un peu moins morbide. Un peu plus normale.

J'indique ma chambre à Taehyung, au bout du couloir. Nous y entrons, et je l'observe en faire le tour du regard. Un moment s'écoule, durant lequel il ne fait que ça. Puis il rejoint le bureau. Sa main se lève. Plus il se rapproche de mon carnet rouge, plus mon coeur se tord violemment, mais ce dernier se détend lorsqu'il ne fait qu'effleurer Les Étoiles, tout en haut de ma petite pile.

Puis son regard capte ma pièce, étalée sur mon lit.

"Comment tu t'y prends, pour mémoriser ?"

Je crois qu'il a compris que cela ne servirait à rien d'éterniser une conversation. De me demander comment ça va, par exemple. Et je n'arrive pas à savoir si mon incapacité à lui parler, ici, l'inconforte ou non. Je sais qu'il l'a remarquée.

"Je lis... et j'essaie de répéter ensuite. Mais ça ne marche pas."

Taehyung s'approche de mon lit, saisit mon exemplaire de Roméo et Julian, le feuillette.

"Je peux m'assoir ?"

Il désigne le lit du menton. J'acquiesce, et alors il s'installe en tailleur sur mes draps. Je reste figé, debout, jusqu'à ce que je ne sois trop mal à l'aise et décide de m'assoir face à lui, en tailleur également.

"Tu en étais à où ?"

"La première scène..." je chuchote presque, honteux de ne pas être arrivé plus loin. "Je crois que j'ai réussi à mémoriser vaguement les premières répliques."

"Et tu as pensé à changer de méthode ?"

Oui, j'y ai pensé. C'est pour ça que j'ai voulu que tu viennes, mais les mots ne sortent toujours pas. Bordel.

Face à mon silence, Taehyung abaisse légèrement ses épaules. Merde, ça veut dire quoi, ça ? La peur de le décevoir me prend, m'arrache toute rationalité. Est-ce que je le déçois ? Je n'arrive pas à parler, à peine à répondre, j'ai tellement peur de le décevoir.

"Dis moi, comment tu apprends tes cours généralement ?"

Mon regard fait des allers-retours entre Taehyung et mon bureau, derrière lui. Il arrive que je reste un peu trop concentré sur la rougeur de mon carnet, qui me raille. Il faut que je réponde à sa question. Il le faut. Je vais aligner les mots, et lui répondre, c'est pas bien compliqué. Même s'il y a ce putain de flash immonde qui aveugle tout. Pourquoi c'est si dur soudainement ? Pourquoi c'est si vide ?

Il n'y a que du vide.

J'ai peur.

Pourquoi il n'y a rien ?

Je cherche, merde, je cherche, mais il n'y a plus rien.

Rien, rien, rien, ri-

"Eh Jungkook."

Je me focalise à nouveau sur lui, comme extirpé d'un cauchemar éveillé.

"Explique-moi."

Je l'interroge du regard, ne comprenant pas sa requête.

"Explique-moi, Jungkook. Je ne te comprends pas. Tu ne fais que me fuir et ça m'énerve. Je fais tous les efforts du monde pour t'atteindre mais tu es si loin. On dirait que tu t'ennuies quand on est ensemble, que je t'embête, et tu peux me le dire, je me vexerais pas. Mais j'ai quand même l'impression que c'est pas totalement ça le problème. Alors explique-moi."

Je joue distraitement avec les pans de mon pantalon au niveau de mes chevilles, médusé.

"Je ne te fuis pas." je réponds difficilement. "C'est juste que-"

Je lutte pour ne pas me faire envahir à nouveau, je tente de toutes mes forces de repousser la forme effrayante qui a pris part de ma vision il y a quelques secondes. Je veux tellement faire des efforts. Je veux tellement y arriver.

"C'est juste plus dur de parler... ici. C'est comme si tout à coup, il- il y avait une grande page blanche dans mon cerveau. C'est vide, hyung. Souvent, quand je parle aux autres, c'est vide. Les mots disparaissent mais c'est contre ma volonté."

Taehyung fronce les sourcils.

"J'ai du mal à te comprendre, Jungkook. Moi, dans mon cerveau, c'est comme s'il y avait un géant tableau noir et que les mots apparaissaient sans cesse, dans tous les ordres, dans tous les sens, me faisant perdre la tête tant il y en a."

Je hausse les épaules.

Il fait de plus en plus noir dans la pièce. La faible lueur de la nuit tombante fait scintiller ses bijoux et ses pupilles comme des perles.

"Moi, c'est l'inverse. Et... et je ne m'ennuie pas avec toi. J'aime quand tu es là. J'aime te parler."

En vérité, j'aime bien trop ça. Et ça me crève que tu puisses penser le contraire.

Le silence me vole mes véritables sentiments, c'est un enfer.

"Si je t'ai envoyé un message, c'est parce que tu me manquais." j'avoue dans la semi-pénombre qui s'installe.

Pour la première fois, il ne répond rien. Mais il y a un éclat dansant au fond de ses orbes.

Je ne sais pas ce que je dis. Je crois que je tente de le retenir, de lui faire comprendre à tout prix que mon silence ne veut pas seulement signifier mon désintérêt, mais qu'il peut renfermer les mille douleurs du monde comme les mille joies.

Et ce qu'il ne sait pas, c'est que son aparté m'a aidé à revenir à la réalité, à relâcher. C'est plus aussi vide. Ça l'est toujours, évidemment, mais un peu moins.

Taehyung m'observe sous toutes les coutures. On dirait qu'il essaie de lire en moi, et que ça le frustre.

"Tu n'aimes pas le fait de ne pas arriver à me décrypter, pas vrai ?"

Il laisse tomber son attention sur mon portfolio, l'ouvrant à la première scène.

"Non. Je crois que j'aime ça." répond-il, plus bas. "C'est ennuyant au bout d'un moment, de savoir décoder tout le monde. J'aime ne pas te comprendre. Ça me donne envie de creuser."

Il passe une main dans ses cheveux, et change de sujet comme s'il ne m'avait pas fait vibrer. C'est étrange, quoi qu'il dise, ça me marque.

"Bon. On va essayer plusieurs techniques. On va commencer par l'écriture. Il y a certaines personnes qui mémorisent mieux en écrivant."

Sans prendre conscience de mon geste, je pose ma main sur son poignet.

"Non. Non en fait je crois... Je crois que j'ai besoin de t'entendre réciter mes répliques pour les retenir."

Parce que je retiens tout ce que tu dis.

Je retire ma main, comme brûlé au contact.

"D'accord. Si tu penses que ça marche on peut essayer."

Alors Taehyung se met à interpréter mes répliques. Je les répète, imitant son intonation. Ça marche plutôt bien, si bien que j'ai retenu la bonne moitié du premier acte avant que nous nous fassions couper.

Décidement, c'est toujours une sonnerie de téléphone qui nous coupe.

"Mon frère m'appelle. Ça te dérange si je décroche ?"

Je secoue la tête. Je me demande quel frère, mais c'est évident. Taehyung est tendu au possible. C'est discret, mais je le vois faire. Je le vois appuyer sur le bouton latéral, afin de baisser le son au maximum.

Je saisis l'exemplaire de la pièce, et fais semblant de travailler ma mémorisation. En réalité, tout mon corps est aux aguets, chaques cellules ciliées de mes oreilles se tendent, prêtes à capter la moindre information.

"Pourquoi tu m'appelles, Junghyun ?"

J'ai beau y mettre tout ce que j'ai, je ne distingue aucun mot à l'autre bout du fil. Seulement l'intonation. Une intonation pressée. Taehyung se lève, et s'éloigne. Debout dans le décor de ma chambre, je ne vois que son dos, son t-shirt ample et ses épaules larges.

"C'est toi qui lui a dit de venir ? Ah putain... t'aurais pas pu me prévenir avant ? ... Tu sais très bien que Jimin n'est pas là, ni Namjoon."

Taehyung est calme, mais ce n'est que d'apparence. Je l'entends brûler, hurler, se débattre contre je ne sais quoi.

"Non. C'est hors de question. Je ne rentrerai pas. Tu le sais autant que moi, je ne peux pas faire ça. ... Non c'est bon, je vais trouver une alternative. Salut."

Alors qu'il raccroche, Taehyung se retourne pour me faire face. C'est bien la première fois que je le vois aussi embarrassé. Sa main ne fait que passer entre ses mèches. Il les emmêle, les fout en désordre, les torture.

Il s'avance vers le lit, sur lequel je suis toujours assis. Je lève la tête pour ancrer mes yeux dans les siens.

"Jungkook... ça va peut-être te paraître bizarre mais..."

Il mets un temps. La fatigue transparaît entre ses mots.

"Est-ce que je peux rester dormir ici ce soir ?"

＊*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚　˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚＊

😀

Suspens suspens

J'espère que ce chapitre vous plaît, ça se concentre à fond sur le Taekook :)

Que pensez vous des sentiments de Jungkook, et de Taehyung ? Et Junghyun, cet appel ? À votre avis, qu'est-ce qu'il en est ? Et vous pensez que le prochain chap se passera comment, Jungkook va accepter ? Voilà vous avez deux heures mdr. (Vive les questions je vous assaille carrément)

Merci pour les 6k, et... pour les 1k de vote... wtf... j'men remets pas ꨄ

J'ai hâte de vous publier le prochain chapitre 🕴

-Elise-