Taehyung ne m'a pas trahi.

Le soulagement est là, mais il n'est pas prédominant. À vrai dire, je suis surtout inquiet. Si ce n'est pas lui, alors qui ? Et pourquoi ?

Ces questions sans réponse accompagnent mon début de vacances. Je passe mon temps à voguer entre les quatre murs de ma chambre, seul, ou devant mon ordinateur, en appel avec Yoongi. Je descends à midi pile pour manger, puis à dix neuf heures sonnantes. Cette routine silencieuse et sinueuse s'infiltre en moi, me prive de mes journées.

Vivre ici, c'est comme être mort.

Mais moi, je veux vivre.

Lorsque j'appelle Yoongi, je me fais toujours un peu discret. Il manque tant de son dans cette maison que chacun de mes gestes me paraissent démesurément excessifs, déclenchant un boucan pas possible.

Souvent, je m'imagine une forme noire et compacte devant moi, elle représente toutes les habitudes de ma famille, et les miennes avec. Dans cette vision, je donne un violent coup de poing dedans. Alors tout explose, les particules qui s'éparpillent brusquement s'effritent et se mettent à prendre feu. C'est beau. L'image me soulage.

Je la visualise, alors que je progresse dans les rues de Gwangju. Mes mains fourrées dans les poches de mon manteau, je sens le vent glacé fouetter mon cou et mon visage. Mon nez doit être rouge dû à la basse température. Le temps s'assombrit ces jours ci.

J'ai toujours préféré l'hiver.

Les passants marchent la tête baissée, tandis que moi, je peux la relever sans me sentir trop important. Le ciel se confond à la terre dans un mélange de couleurs grisâtres, dans lesquelles je peux me fondre plus facilement. En hiver, il est plus simple de disparaître.

Je contemple ce ciel à ma teinte, puis ces grands bâtiments blottis les uns contre les autres sur le bord des rues, comme pour se tenir chaud.

Mon téléphone vibre. Un message me parvient du groupe instagram théâtre, dans lequel j'ai été convié il y a quelques jours.

P4rkJ1min : On est quasiment tous là, vous faites quoi ? On se les pèle, mes couilles ont commencé à geler

Soojin_seo : Classe...

Je souris d'exaspération, avançant dans cette rue trop grande et trop bondée pour moi.

Rkive : Je suis quasiment arrivé

Jjk_1 : Moi aussi.

Nous avons convenu de nous rejoindre sur une place du centre, près de la grande fontaine.

Kim_Taehyung : J'aurai un peu de retard.

Hobi : Pour changer

Kim_Taehyung : Comment ça, j'ai jamais de retard !

P4rkJ1min : 🤨

Rkive : 🤨

Soojin_seo : 🤨

MinaMyoui : 🤨

Je retiens un rire de m'échapper.

Kim_Taehyung : C'est bon les gars j'ai compris... Je suis là dans cinq minutes.

L'appréhension augmente d'un cran dans ma poitrine à ses mots. Ce n'est pas un sentiment désagréable, c'est juste... nouveau.

Au détour d'une rue, je me retrouve face à la fameuse place. Près de l'imposante statue reposant dans un bassin d'eau, le petit groupe attend. Hoseok m'aperçoit de loin, prévient les autres en faisant de grands gestes dans ma direction.

Je lève la main à mon tour, un peu maladroit, avant d'arriver à leur hauteur.

"Salut Roméo !" me lance Hoseok, jovial.

"Salut Benvolio." je lui rends son sourire.

Je salue rapidement tout le monde. Et c'est étrange cette sensation... celle de ne pas être totalement à part, d'avoir une place, même infime, au sein de ce groupe. Ce sentiment me ferait presque tourner la tête, tant c'est vertigineux. Je maltraite mon pendentif malgré moi. Ils n'ont pas l'air de tenir compte de ma crise de la dernière fois, et tant mieux. Taehyung a dû les tenir au courant.

Chaeyoung s'avance à moi, et je suis heureux de la voir. Soojin, elle, a modelé ses cheveux rouges flamboyants en deux tresses rebelles. Je la vois se diriger vers la fontaine et recueillir de l'eau en joignant ses mains pour en faire un récipient. Puis elle s'approche de Jimin... et l'asperge.

"AAAH C'EST GELÉ !! T'ES FOLLE !"

Soojin éclate d'un grand rire. Jimin, furieux, se lance dans une course poursuite pour lui faire payer son geste. Dans leur coin, Mina et Jackson les regardent avec amusement.

"Nous aussi on était comme ça au début, ça va leur passer." nous confie Mina, ce qui fait rire les autres.

Moi, j'ai du mal à rire. Surtout après ce que j'ai entendu la dernière fois au théâtre. J'ai du mal à accepter la présence de ce couple, à avoir la volonté de m'intégrer au groupe alors que Mina et Jackson en font partie. Je les identifie immédiatement comme une zone de danger.

Peut-être que je ne devrais pas.

Namjoon arrive à son tour. Il sépare Jimin et Soojin, qui s'apprêtaient à se jetter l'un sur l'autre. Maintenant éloignés, la rousse et le blond se défient du regard. C'est Jimin qui se détourne en premier, et je crois apercevoir un brin de rouge sur ses joues.

L'atmosphère est aérienne. Leurs taquineries réchauffent cet après midi hivernal. Je ne quitte plus un léger sourire qui apaise mon coeur.

Puis j'aperçois une silhouette au loin, et ce sourire fane.

Taehyung est là.

Immédiatement, je ne peux m'empêcher de concentrer mon attention en ce point précis.

Sa désinvolture sous ses mèches brunes et blondes se marie au teint sombre du ciel. Il porte un simple t-shirt noir, serré à la taille par une ceinture ferme, sous un long manteau de la même couleur, qui lui donne une aura subjugante. Entre son cou et la jointure de son haut, pendent deux colliers d'argent qui se suivent en cascade. Ses pas sont rythmés. Je me surprends à contempler chaque détail, son regard qui suit ses pieds au sol, un minuscule caillou dans lequel il butte, avant qu'il n'arrive devant nous et relève enfin la tête.

Ses yeux percutent les miens en premier, c'est court, mais pas assez pour que je ne le remarque pas. Aujourd'hui, il a osé le maquillage. C'est léger, je le vois à ses paupières finement plus sombres, pigment brun qui fond sur son teint hâlé. Son oeillade me fige, et inconsciemment, mes membres se tendent alors que lui, il me sourit simplement.

Jimin, à son habitude, ne peut pas s'empêcher de lui sauter dessus pour le saluer. Ces deux là sont à la fois drastiquement différents et particulièrement compatibles. Je les observe, attendri.

"Alors, vous êtes prêts pour cette journée shopping ?" nous sollicite Taehyung. "Il faut qu'on soit efficace, on a des tonnes de trucs à dégoter. Mais cette année le lycée nous a donné plus de budget que la dernière fois, sur ce point pas de soucis à se faire."

Malgré l'amusement sur ses traits face à ses amis, il ne manque pas d'assurance et de rigueur pour son travail. Les pièces qu'il monte, il y tient, et je l'ai bien compris.

"On y va ?" demande Jimin, à la limite de sauter sur place.

Il semble être le plus investi. De ce que j'ai compris, assembler des vêtements pour en faire des déguisements ou des tenues en général, c'est quelque chose qui le réjouit.

Notre groupe se dirige vers le centre commercial, l'entrée se trouvant sur ladite place, dans un immense bâtiment blanc à l'architecture moderne. Sur le chemin, Hoseok, Jimin et Soojin ne cessent de parler avec véhémence sur un sujet que j'ignore. Et bientôt, Chaeyoung les rejoint. Je souris, elle s'accorde bien avec eux.

Mina et Jackson sont toujours à l'écart, dans leur monde, amoureux, se suffisant à eux même, et ce n'est pas pour me déplaire.

Je suis seul, à l'arrière, regardant ce groupe avec autant de personnalités différentes que de points communs, et je tente de réguler la panique qui se réveille.

Après avoir échangé avec Namjoon, Taehyung décide de se ranger à côté de moi. Je le vois bien. Mais je ne dis rien. Quel est cet embarras soudain ? Celui de ne pas trop savoir comment agir avec lui.

"Salut Jungkook."

Sa voix me parvient. Nous marchons côte à côte, derrière tout le monde, et ça m'aide à relativiser, à m'enfermer dans cette bulle où il n'y a que nous, où le monde n'est plus qu'une illusion. C'est moins effrayant.

"Salut hyung."

"Comment tu vas ?"

Je veux lui mentir, autant qu'à moi même, mais étrangement, je n'y arrive pas.

Je n'y arrive plus.

Plus avec lui.

"Ça va bien. Mais... je suis nerveux. Parce que je fais jamais ce genre de sortie d'habitude. Je ne sais pas comment agir, et ce n'est pas comme les cours de théâtre... Là, il faut que j'ai un statut d'ami, que je me comporte comme tel avec vous tous, mais je sais pas comment on fait... j'ai peur d'être hm... trop ennuyant. J'ai l'impression de détonner... de faire tâche."

Pendant mon discours, Taehyung s'est rapproché imperceptiblement, et je me demande s'il l'a remarqué. Nos bras se touchent presque. Ma main droite, dans ma poche, joue avec ma carte de bus.

Taehyung met un temps à répondre. Si bien que je lève les yeux de mes chaussures, et réalise qu'il me fixe, tout en marchant. Il passe une main dans ses cheveux. Ses doigts fins sont blanchis par le temps glacé.

Ils doivent être gelés.

Si je ne réfléchissais pas autant à mes actions, je les aurais pris entre les miens pour les réchauffer.

Son regard se porte à nouveau devant lui.

"Tu te mets beaucoup trop la pression, Jungkook. Tu n'as pas à agir comme ceci ou comme cela, tu as juste à être toi. La clef c'est de ne pas se poser de question."

Nous entrons dans le gigantesque hall du centre commercial, et la chaleur du lieu se répand aussitôt sous mes vêtements.

"Tu as raison, je pense trop."

Il acquiesce.

"De toute façon, tu n'auras pas à être constamment avec tout le monde aujourd'hui, ne t'inquiète pas. Je gère."

Son regard happe le mien encore une fois pour me faire un clin d'oeil. Je tente de lui soutirer plus d'information, mais il m'échappe pour rejoindre le devant du groupe, et leur exiger de s'arrêter ici pour décider de ce qui va suivre.

J'ai souvent cette impression. De tendre la main vers lui, mais de ne pas être à la hauteur. Un peu comme une ombre qui chercherait la lumière, mais qui ne peut jamais l'atteindre puisqu'elles sont fondamentalement et physiquement opposées.

Pour me confondre à lui, il faudrait que je m'éclaire.

Notre groupe s'arrête, et Taehyung prend la parole. Tous l'écoutent, attentifs.

"On a beaucoup à acheter, et ce serait bien de tout faire en une fois. Je propose qu'on fasse des groupes, de deux ou trois, sinon on aura pas le temps. Et ensuite on se rejoint pour aller boire un verre et manger quelque chose comme on avait dit sur le groupe insta. Ça vous va ?"

Je crois comprendre ce qu'il a en tête.

Jackson et Mina se rapprochent l'un de l'autre, pour souligner l'absurdité de les séparer. Je les aurais trouvés mignons, s'ils n'avaient pas échangé dans mon dos, ni anéanti une part de ma confiance en mon rôle et mes répliques.

"Jimin et moi on peut s'occuper de nos tenues respectives. On est les deux amis de Roméo, alors il faut qu'on se concerte pour prendre des tenues ressemblantes." propose Hoseok.

"Et on peut aussi s'occuper des accessoires qui nous manquent." ajoute Jimin.

Alors les groupes se forment naturellement. Nous avons déjà parlé de nos tenues distinctes pour nos personnages sur le groupe instagram. Il ne reste plus qu'à les acheter en plus d'autres détails, comme des accessoires, du maquillage, du faux sang pour les scènes de querelle, etc...

Soojin et Chaeyoung décident de partir de leur côté, se dirigeant toutes les deux vers une customerie pour dénicher des robes dignes du dix-septième siècle.

Namjoon, lui, rejoint Jimin et Hoseok dans leur chasse aux accessoires.

C'est là que je rencontre le sourire satisfait de Taehyung. Il ne me quitte pas des yeux en s'approchant.

Il savait, je crois. Il l'a fait exprès. Et rien qu'en l'envisageant, mon coeur se met à battre un peu plus vite. Je tente de masquer mon trouble. Les autres sont tous partis dans des directions opposées, et Chaeyoung m'a lancé un clin d'oeil avant de s'éclipser au bras de Soojin. Je m'agite, je me rembrunis sûrement aussi.

"On dirait qu'il ne reste que nous."

En disant ça, Taehyung affiche ce sourire en coin que je commence à bien connaître. Je triture toujours la carte de bus entre mes doigts anxieux. Je détaille le minuscule épi dans ses cheveux en bataille. J'ai envie de passer ma main dedans pour l'abaisser.

"Ça ne te dérange pas, j'espère ?"

Sans intégrer ses paroles, concentré sur ses cheveux, je m'avance. Je fais exactement ce qu'il m'a dit. Ne pas me poser de question. C'est pourquoi je passe ma main dans ses cheveux, abaissant la mèche que je toisais depuis un bon moment. Dans le mouvement, mon visage s'est rapproché du sien, mais je relâche mon bras rapidement, me rendant compte de mon geste.

"T'avais... un épi dans les cheveux. Ça me stressait."

Cette discussion me rappelle celle que nous avions eu à la soirée, chez Jimin. Mais j'aime ça. J'aime ces habitudes qui se créent entre nous, cette familiarité à laquelle je tente de m'habituer, de m'accrocher. C'est comme si le silence avec lui n'avait plus aucun intérêt. Il n'est plus une notion. Il devient insignifiant. Je crois savoir pourquoi. Parce qu'en plus d'écouter mes mots, Taehyung a la capacité étrange d'écouter ma part de vide.

Pourtant, dans le vide, il ne devrait y avoir rien à lire, n'est-ce pas ?

En vérité, c'est là où tout se cache.

Puisque je garde mes pieds ancrés sur le béton poli, mon regard rivé au sol et mes mains dans mes poches, Taehyung s'approche un peu plus. Je sens le contact de son index sous mon menton. Doucement, il relève mon visage face au sien. Je soutiens la collision avec la lueur joueuse dans ses yeux.

"Tu me suis ?"

J'acquiesce sans même répondre, comme dans un autre monde, enivré par sa voix.

Bordel, j'aime bien trop ses mots.

Les lettres qu'il assemble et me fait parvenir, de sa tessiture suave et douce à la fois, les sons qui s'échappent de ses lèvres, enjolivant et cajolant mon âme. Dès qu'il ouvre la bouche, c'est l'attention de son auditoire qu'il aspire à lui, fascine et à laquelle on ne peut se refuser.

Très bien, je veux bien la lui donner, mon attention.

Il se retourne et s'éloigne. Je mets un temps, pour enregistrer toutes les informations, ses yeux, son doigt sous mon menton, son sourire amusé. Une fois cela fait, je secoue la tête, essayant de faire disparaître ce stupide sourire sur mon visage.

Et je me hâte de le rejoindre.

***

"Fais moi voir !"

Taehyung s'exclame à travers la cabine. J'en sors, vêtu d'une veste vieille comme le monde, qui pèse sur mes épaules. Taehyung m'observe de haut en bas, consciencieux, un doigt sur son philtrum. J'attends son verdict. Puis il secoue la tête.

"Trop grand. Trop vieillot." affirme t-il. "Et pas assez majestueux. Je veux que Roméo ressorte sur scène."

Je m'enfonce à nouveau dans la cabine, avec un sourire au coin des lèvres. Ça fait bien une heure que nous déambulons de magasin en magasin, de costumerie en costumerie. Taehyung a déjà trouvé tous ses vêtements. Des pièces qui semblent sortir tout droit d'un film de royauté. Un manteau mi-long majestueux, rouge bordeau et rayonnant de détails en or et un bas excessivement classe. Le tout donne un résultat délicat, presque efféminé. Pour moi, nous n'avons déniché pour l'instant qu'une fausse armure, achetée dans une boutique de déguisement -puisque Roméo, dans certaines scènes, est vêtu ainsi.

Taehyung est assidu. Il me fait essayer tout et n'importe quoi sans jamais être satisfait. Chaque fois que je sors de cabine, je suis un brin intimidé. Son regard passe sur tout mon corps, l'analyse dans le moindre nanomètre cube, comme passé au scanner. Ce n'est pas tant cela qui me déstabilise, mais c'est l'intensité avec laquelle il y procède.

Taehyung ne me fait essayer que des pièces rouges et or, en accord avec son propre costume. C'est son but premier ; trouver quelque chose qui nous mettra en valeur sur scène, ensemble, par rapport aux autres.

"C'est important pour le public, la représentation visuelle. Il ne faut absolument pas la laisser de côté. L'esthétisme a une plus grande place dans le théâtre qu'on ne le pense."

Nous sortons à nouveau d'un énième magasin. Je me laisse emporter dans le gigantesque centre commercial qui ne manque de rien. Taehyung se tourne à demi pour m'informer :

"C'est toi, le personnage le plus important de ma pièce. Tu es le plus important. Il faut qu'on le comprenne à l'instant même où tu entreras sur scène. Je vais te faire rayonner."

Je déglutis. C'est beaucoup de pression. Alors que je me plaisais à m'effacer, tout à coup, on me pousse au bord du vide en me murmurant vas y, brille, brille de toutes tes forces. Ça me tétanise, mais je réponds à l'affirmative.

"Il est quelle heure ?" me demande t-il, en levant la tête pour lire les enseignes des différents magasins.

Je sors mon téléphone.

"Quinze heures et quart." je réponds.

"Faut qu'on se dépêche, merde... on a toujours rien pour toi alors qu'on a rendez vous avec les autres dans moins d'une heure."

Taehyung est toujours agité dès qu'il s'agit de théâtre. Ou plutôt dès qu'il s'agit de responsabilité. C'est ce que j'ai remarqué. Il prend les choses à coeur, porte tout sur ses épaules, et vise la perfection, la poussant dans ses retranchements. La passion s'échappe de toutes ses pores, ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

Il me traîne dans une autre boutique, spécialisée dans la vente d'un style vintage, mais délicat. On se croirait dans la garde robe d'un roi de l'époque, et mes yeux capturent chaque bout de tissu lourd ou volant, chaque fioriture ou accessoire décalé.

Taehyung cherche entre les rayons.

Moi, près de l'entrée, je me fige.

Mon regard ne quitte plus cette pièce textile, au fond, sur un mannequin.

Quittant Taehyung, je m'en approche, et passe mes doigts contre l'étoffe. C'est une veste. Elle dégage quelque chose de particulier, d'envoûtant, d'original.

En réalité, elle dégage surtout la lumière, elle capte l'attention. Elle attire l'oeil comme un aimant et rend sombre et insignifiant tout ce qu'il y a autour. Ça m'effraie un instant.

Sa colorimétrie entre le noir et le rouge très foncé inspire un charme singulier. Ses détails dorés à l'avant partent du pan du col et s'échappent fluidement, pour finir leur course majestueuse sur le tissu repassé. Elle me nargue, me défie presque, c'en est assomant. Elle se tient droite, bien ancrée sur le manequin, imposante, mais semble à la fois flexible, fluide et d'une délicatesse infinie.

Mes yeux ne la quittent plus.

Elle est douloureusement magnifique.

Est-ce vraiment fait pour moi ?

Suis-je capable de revêtir l'éclat ?

Je suis égaré dans ma contemplation, si bien que la voix chaude de Taehyung à mes côtés me fait sursauter.

"Essaie celle là." ordonne t-il.

Il fixe aussi l'habit, sublime, inspirant la beauté comme la fascination. Et je comprends au fond de ses pupilles que son choix est déjà fait, même si je ne l'ai pas encore portée.

Nous demandons à la vendeuse afin de pouvoir la saisir. Avec l'autorisation, je l'enfile un bras après l'autre, scotché devant un des grands miroirs de la pièce. Taehyung, à ma droite, affiche une expression concentrée.

Moi, je retiens ma respiration.

Enfin, la veste coule sur moi comme de la soi, épousant parfaitement les courbes de mon corps. De toute façon, je le savais à la seconde où je l'ai vu. Mais me voir là dedans, c'est... c'est étrange. Ça me change et me met en valeur. C'est comme extraire mes atouts, mes défauts, ma personne entière, pour l'exposer au monde entier.

Je me contemple, transporté ailleurs. Mis en avant de la sorte, il y a tant de choses qui ressortent de moi. Ça me perturbe. Ordinairement, j'ai l'habitude de me fondre dans les vêtements les plus noirs et amples possibles, qui fanent mon corps et le font confondre à la foule. Alors que là, soudain, je raconte une histoire, des émotions, de la clarté. C'est comme se mettre à nu.

Taehyung brise le silence.

"C'est... parfait. Vraiment parfait."

Je me tourne vers lui pour afficher un sourire. Mais je doute si obtenir cette veste pour mon personnage est une bonne ou mauvaise nouvelle pour moi ; ça y est, cette fois ci, c'est sûr, plus aucun moyen de m'effacer. Mais j'ai du mal à me faire à l'idée que je peux détonner.

"Et putain, tu es magnifique là dedans..." rajoute t-il, plus bas, comme pour lui même.

Mais je l'entends, et détourne le regard vivement pour ne pas avoir à traverser le sien. Ça me fait quelque chose, une chaleur qui amolit mon angoisse et fait crépiter mon âme. J'aime beaucoup trop cette sensation, mais je n'ai aucune évaluation de sa dangerosité. L'injure, le compliment, sa sincérité, le ton de sa voix, ça me dépasse, et ça fait vriller ma raison.

"Très bien, on la prend." conclut-il. "Maintenant, il ne reste plus qu'à te trouver une chemise qui va avec. Il faut aussi que j'en prenne une pour moi."

Nous passons à la caisse. Une fois cela fait, Taehyung me tend le sac en papier, dans lequel repose ce que je vais porter sur scène. Je le saisis, et dans le mouvement, nos doigts de frôlent. C'est infime mais c'est comme si mon être entier se centrait soudain sur ce contact. Comme à chaque fois, bordel.

Je serre le bout des manches de mon manteau et reprends mes esprits. Après avoir marché en long et en travers du large bâtiment, nous terminons notre aventure-shopping dans un magasin quelconque. Il y a pas mal de monde. On se sépare un moment, puis Taehyung revient vers moi avec deux chemises sous les bras. Il m'en tend une. C'est un modèle typique à volants, blanc, sans trop d'extravagance. La sienne arbore ce rouge sombre et captivant, qui inspire le désir de plonger dedans.

On se dirige vers les cabines d'essayage. Taehyung prend les devants. L'endroit est organisé comme un petit couloir, avec au moins quatre compartiments de chaque côté. Nous avançons entre les cabines. Une d'elles se libère alors que nous passons devant. Taehyung s'y engouffre.

J'attends qu'une autre cabine soit libre, mais Taehyung me fixe patiemment, comme s'il attendait quelque chose.

Il ne ferme pas le rideau.

"Les cabines sont grandes, tu peux venir tu sais. Je me tournerai."

Je m'oriente à nouveau vers lui, et acquiesce, soudain maladroit. C'est vrai que les cabines sont spacieuses, assez pour contenir deux personnes. J'entre, chemise sur le bras. Taehyung tire le rideau d'un coup sec derrière moi.

Je suis face au miroir, et je vois dans celui ci qu'il s'est tourné pour me laisser de l'intimité. J'ôte alors mon pull, mon t-shirt et enfile la chemise. J'ai l'impression de me découvrir, de porter un regard sur mon corps. C'est nouveau.

Du coin de l'oeil, dans le miroir, je perçois Taehyung se changer. Son dos nu est bientôt recouvert du tissu raffiné. Je n'ai pas eu l'intention de l'observer, mais c'est qu'il est indéniablement dans mon champ de vision.

Je rentre la chemise dans mon pantalon, en faisant attention à la clore jusqu'au dernier bouton, tout prêt du col. Ça serre ma nuque, et ce n'est pas confortable du tout. Je n'ai pas l'habitude de porter ce genre d'accoutrement.

Voyant que Taehyung poiraute de l'autre côté de la cabine, je prends la parole.

"Euh... j'ai fini. Tu peux te retourner."

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Son regard percute le mien dans la surface réfléchie. Le silence recouvre tout pendant un moment. Des bribes de discussion venant d'autres cabines me parviennent, ainsi que la musique ambiante du magasin et le remou du monde au dehors, dans les grands halls du centre commercial. J'ajuste mon col face au miroir.

Ce foutu col m'empêche de respirer.

Ou peut-être que c'est le regard bouillant de Taehyung.

Il est derrière moi, ses yeux plongent sur mon corps à travers le miroir. Je ne m'abstiens pas de le contempler à mon tour. Le rouge foncé lui va bien. C'est une couleur qu'il n'a pas l'habitude de porter, pourtant. Mais ça fait ressortir ses yeux, son visage entier qui devient plus troublant encore.

Dans un geste lent, je saisis entre mes doigts la chaîne fine et argentée de mon colier pour la faire sortir du col, et la laisser retomber sur le devant de ma chemise.

Les pas de Taehyung le mènent jusqu'à moi. Être dans ces vêtements délicats, face à lui, c'est particulier. Je suis à la fois nerveux et extatique, bien que je tente de ne rien en montrer.

Il se place tout juste derrière moi et ses orbes dans le miroir ne veulent pas me lâcher, comme s'il ne voulait pas me laisser partir. Pourquoi ai-je toujours le sentiment qu'il craint de me faire fuir à chaque seconde ?

Je n'ai aucune envie de fuir.

Je détecte le mouvement de ses bras qui se lèvent à l'instant même où il entame le geste. Les battements de mon coeur augmentent drastiquement sans que je ne puisse rien y faire. Ses mains s'élèvent jusqu'à m'entourer et se poser tout près de mon col, là où je me sens à l'étroit, étranger dans ce vêtement trop brillant.

Mon souffle se bloque dans ma gorge, et je sens mes mains devenir moites. Mais curieux, je le laisse faire.

Mon cerveau comprend avec un temps de retard. Ses doigts, graciles, manipulent le bouton le plus haut de ma chemise. Je réalise qu'il le défait lorsque je sens la pression autour de mon cou se desserrer.

"Hyung... ?"

Des points d'interrogation sur mes traits, je fais basculer à nouveau mon regard dans les deux billes qui me fixent sur la matière réfléchie.

Je n'aurais pas dû.

Parce que soudain, ça me traverse, ça me transcende. Ses yeux... oh seigneur ses yeux. Il y a une lueur si profonde et confondante que j'entrouvre les lèvres, afin de mieux faire circuler l'air ambiant.

Je me concentre de nouveau sur les mains effilées de Taehyung, et ces dernières, opalines, hypnotisantes, descendent quelques centimètres plus bas. La pulpe de ses doigts déboutonne encore une fois le haut de ma chemise.

Le vêtement me serre moins, mais je respire tout sauf correctement. Je pense qu'il en a terminé, mais sous mes yeux écarquillés, il descend encore. Un sourire en coin se forme sur le bord de ses lèvres. Incontestablement, mon attention se focalise sur celles ci. Son souffle se répercute sur mon cou. Un petit rire amusé s'échappe et vient résonner contre ma peau.

C'est grisant.

"Je ne veux pas d'un Roméo aussi coincé... Desserre-moi ça." chuchote t-il contre ma peau, déclenchant un millier de frissons sur mon épiderme.

C'est là que je saisis son intention. Celle aussi simple que d'ouvrir légèrement ma chemise pour ajuster ma tenue à sa perception du personnage de Roméo.

J'avale ma salive. Ça a du mal à passer. L'ambiance change. Taehyung lâche le haut de ma chemise, et laisse ses bras m'entourer au niveau du ventre, me serrant contre lui.

Silencieux, j'observe chacun de ses mouvements avec minutie, en sentant mon corps entier s'embraser.

Sa tête s'abaisse sur mes épaules, son menton contre ma clavicule, et ses épaules s'afaisent. Cette position, surprenante, me laisse entrevoir une part de lui que je soupçonnais déjà d'exister. Cette part un peu plus délicate, un peu plus fragile, à découvert. Celle qui fatigue, se sent plus perdue qu'autre chose. Ça me fait quelque chose au fond de moi, ces yeux qui m'observent avec autant d'intensité que de profondeur.

C'est la première fois que j'ai envie de réparer quelqu'un.

Son souffle se fait plus brûlant contre mon cou. On dirait qu'il respire enfin. Ou plutôt qu'il respire pour de vrai. Le vrai Taehyung.

J'ai du mal à saisir l'entièreté de ce qui se passe ou de ce qu'il me laisse distinguer de lui. Mais j'accepte tout. Ses bras autour de ma taille sont fermes mais doux. Ils se rejoignent pour m'encercler. Je me laisse emporter par de petits détails ; le chemin de ses veines, qui sillonnent de ses avants bras à ses mains, ou les quelques bagues entourant ses doigts.

Ma bouche s'assèche, et je passe ma langue sur mes lèvres pour les humidifier. Taehyung suit le mouvement dans la glace, puis reste focalisé sur le bas de mon visage même après.

Alors je fais de même. Mes pupilles s'intéressent à ses lèvres, au détail du grain de beauté sous celles ci. Ça me fait l'effet de planer, d'être capable de tout.

L'effet de m'incendier.

Putain, je vais me retourner, et finir par l'embrasser.

J'en ai tellement envie.

Tellement.

J'y pense, mais je reste figé.

Et puis, comme un morceau de verre percuté qui se brise en éclat, une sonnerie de téléphone retentit et fracture mon état incendiaire.

Quelqu'un appelle Taehyung.

＊*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚　˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚＊

Désolé de couper là aaaaahkdndidhsis

Il faut savoir que je suis une grande fan de slow burn, donc j'espère que ça vous dérange pas mais les coco prennent leur temps mdr, et évidemment il fallait qu'ils se fassent couper sinon c'est pas drôle... 😔 Mais don't worry ça va avancer me tapez paaas

Je reviens de ma pause !! C'était nécessaire et je me sens beaucoup mieux, merci d'avoir attendu :)

Que pensez vous de ce chap ?

Merci pour les 5k wtf ?! Waw ?! Waw waw waw ?! Je suis toujours extrêmement motivée par vos messages et vos retours, c'est un truc qui ne tarit pas, merci <3

-Elise-