Il y a certaines choses que je remarque de plus en plus.

Ces choses minimes et qui font tout. Ces choses si petites mais qui accumulées, créent l'immense. Ce sont des habitudes que j'ai prises tout au long de ma vie, qui ne semblent pas avoir d'impact, et qui pourtant en ont.

Peut-être que c'est ridicule.

Je me suis toujours fait le plus silencieux possible. Je passe mon doigt contre le bout du quatre couleurs pour qu'il ne claque pas quand je change de mine, je me place automatiquement dans les coins ou sur le bord d'une pièce, je fais attention à poser le goblet doucement sur le lavabo après m'être brossé les dents pour ne pas faire ce bruit désagréable contre la céramique, je porte la chaise pour la déplacer au lieu de la tirer, je n'active jamais le son de mes notifications, je contrôle ma respiration après un effort physique pour ne pas être trop bruyant, mes dents ne raclent jamais mes baguettes quand je mange, seulement mes lèvres, j'appréhende l'appel en classe, lorsque je vais devoir clamer présent haut et fort. Je m'efface.

Dur.

Tellement dur, de se défaire d'une habitude tellement ancrée qu'elle a pris possession des détails les plus infimes. Elle devient une partie intégrante de moi, comme une seconde peau. Je tente de l'arracher, mais elle est moi. Elle est le quotidien tout entier.

Alors comment faire ?

Ou défaire ?

Je peux peut-être la transformer, cette peau. La rendre plus vivable, la faire évoluer. Peut-être que je ne m'en débarasserai pas, mais il se passerait quoi si je l'acceptais, ou changeais sa composition un peu plus chaque jour ?

La peau, ça s'accroche peut-être, mais ça se renouvelle sans cesse avec le temps.

Mes jambes pendent dans le vide. La magnificence de l'or et du velour rouge aide à faire descendre mon rythme cardiaque.

Aujourd'hui, c'est deux minutes de retard.

Quand il entre, je détourne le regard. Mes jambes se balancent encore, encore, encore. Elles claquent les secondes, puis les demi-secondes, puis les quarts de seconde. Et je ne sais pas pourquoi je pense aux maths quand je suis stressé.

Tout le monde est déjà là. L'ambiance est bonne. Soojin s'exprime avec de grands gestes, et tous rebondissent d'exclamations à son récit. J'observe de loin. De temps en temps je capte un bout de conversation, et je laisse échapper un sourire ou un rire.

Et j'ai peur.

J'entends ses pas, les discussions qui se taisent à son arrivé. Il salue Jimin en lui sautant dessus, sur le dos. Il l'écrase sous son poids et Jimin s'en plaint en riant. Puis il fait rapidement le tour du groupe.

Je suis toujours assis sur le bord du plateau, en recul des autres. Il vient à moi, et je me crispe.

Je suis plein d'attente.

J'ose relever les yeux. Croiser les siens. Il s'attarde un peu devant moi. Il me fixe et j'ai l'impression que je vais fondre. Mes mains serrent le bord de la scène de chaque côté de mon corps. Ses cheveux sont retenus en arrière par un bandeau noir, et de légères cernes sous ses yeux me font tiquer.

"Salut Jungkook." sourit-il.

"Salut hyung."

Nous restons un moment l'un devant l'autre. Et il n'y a rien. Ça me fait mal.

Je sens qu'il va s'en aller. J'ai envie de le retenir.

"Ça va ?"

Il semble surpris que je lui pose la question. D'habitude je ne prends jamais les initiatives. Il marque un temps avant de répondre.

"Ça pourrait aller mieux." avoue t-il. "Mais ça va passer... et toi ?"

"Moi ça va."

Cette discussion me tend, elle ne devrait pas sonner si... peu naturelle. Dans l'émotion, je saisis mon colier. Je perçois un mouvement bref de sa part, à peine entamé et abandonné. Sa main allait prendre la mienne pour l'empêcher de me torturer, je le sais. Mais ça n'a pris l'espace que de quelques secondes.

J'aurais aimé qu'il le fasse.

Puis ça saute aux yeux. Il n'a pas l'air fatigué. Il est épuisé. Son ton est moins sautillant que d'habitude, ses mouvements plus lascifs. Cependant, s'il y a une chose qui ne change pas, c'est son regard. La fatigue n'est que physique, car il reflète une détermination hors norme, et tout à l'intérieur semble se remuer au vue de ses pupilles tréssautantes.

Il me laisse, nous demande de nous réunir sur la scène. Il l'enfourche pour se placer au milieu. Ses yeux passent sur moi comme ils passeraient sur n'importe qui. Et ce n'est pas dérangeant, si ? Je suis comme les autres, après tout.

Il clape des mains, envoie ses ordres, revoit nos placements, la scène qu'on va travailler aujourd'hui. Il nous ordonne d'au moins avoir appris nos répliques du premier acte par coeur pour avant les vacances.

La séance commence, et il ne nous donne pas une seule seconde. On dirait qu'il fume, ses directives s'élèvent ici et là, il perfectionne tout sans aucun scrupule, avec la parole d'un ambitieux. Je n'ai presque pas le temps de penser à lui, à ce qu'il s'est passé, puisque je suis trop concentré à ne rien faire de travers.

"Hobi, tu devrais plutôt te mettre là. Même si on a pas encore le décor, il faut que tu l'imagines."

Hoseok acquiesce, se replace. Taehyung continue, il observe le moindre détail, marmonne dans sa barbe. Pendant une scène dans laquelle je ne joue pas, je me réfugie dans les coulisses. En voyant mon air concentré et un peu anxieux, Namjoon me murmure.

"Ne t'en fais pas, il est toujours comme ça, c'est un perfectionniste. Il ne nous lâchera pas tant que ce sera pas parfait."

Je ne sais qu'en penser. L'attention de Taehyung est portée entièrement dans son travail. C'est presque comme si le monde disparaissait autour de lui.

Il reprend beaucoup Mina, et je sens que l'atmosphère devient un peu pesante. Elle le fusille du regard, mais Taehyung ne voit rien, bien trop absorbé. Il se projette déjà ; entre deux remarques sur le ton qu'il faudrait arborer, il lance des tiens, je verrais bien ça en vêtement pour ton personnage ou des pour le décor ici ça serait faisable ? Ça rentre dans notre budget ?. Ce sont des questions qu'il se pose à lui même, puisque personne ne répond.

Je n'aurais jamais imaginé qu'il y ait besoin d'autant d'organisation et de travail au théâtre. Je réalise les préjugés stupides que je pouvais avoir auparavant, prenant cette activité pour un passe temps ridicule et sans intérêt. Un passe temps que je méprisais parce qu'il me faisait peur, en réalité.

J'entre à nouveau en jeu. Une scène où Roméo est en quelque sorte rassuré par ses amis avant de se rendre à une soirée mondaine chez les Capulet.

Jimin et Hoseok jouent leur rôle, j'essaie de suivre tant bien que mal. Lorsque j'ouvre la bouche, je sens le regard de Taehyung partout sur mon corps, sur le moindre de mes mouvements, et la moindre de mes syllabes.

"Jimin, essaie d'être un poil plus convaincant. Il faut qu'on ressente ton envie de tirer vers le haut ton ami, et tout ton discours sur l'amour est hyper important pour la pièce."

Cette scène là, je l'ai vu avec Taehyung samedi dernier. J'y arrive sans trop de mal. Je sais qu'il y a des choses à perfectionner, mais je sais aussi que je me débrouille. Je tente d'avoir confiance en ma voix, de ne pas perdre le fil et trop penser. Car trop penser est synonyme d'échec, il suffit que je pense trop fort à putain de quoi j'ai l'air, et tout est foutu. Car à partir de ce moment là, je remarquerais chaque défaut en mon jeu, chaque mauvais ton de voix et alors je sais que je deviendrais muet comme une carpe.

Se lancer, oser sans penser.

Taehyung s'approche de nous. Il prend Hoseok par le poignet délicatement, le décale sur le côté.

"Ne jamais tourner le dos au publique." énonce t-il. "Aussi, il faut concevoir que vous aurez des masques sur le visage pour la soirée dans cette scène, alors veillez à parler bien fort pour qu'on puisse vous entendre même au travers."

Puis il se tourne vers moi. Comme avec Hoseok, il prend mon poignet doucement pour me rediriger où il le souhaite. Ses doigts s'enroulent autour de celui ci et le contact me fait vriller. Alors qu'il me tire à sa suite, sa voix s'élève.

"Jungkook, ce serait mieux si tu étais au milieu de tes deux amis, et pas sur le côté."

Il me positionne entre Jimin et Hoseok sur la scène, et ses doigts fins me quittent. Ses pupilles s'attardent sur moi un instant. Un instant qui commence à devenir long. Je retiens ma respiration, alors qu'il semble m'étudier. Puis ce sourire en coin qu'il maîtrise si bien s'invite en lui. Déstabilisé, je sens mes mains devenir flageolantes, pendantes, comme si soudain, elles ne savaient plus où se mettre.

"C'est bien Jungkook comment tu joues. T'as retenu mes conseils de notre dernière fois, on dirait."

Pourquoi l'avoir dit de manière aussi... appuyée ? J'analyse toutes les possibilités, mais l'évocation est claire, il fait référence à notre baiser.

Il a prononcé cette dernière phrase plus bas, pas de façon à ce que les autres n'entendent pas, mais de façon à ce que je sois le seul à la comprendre vraiment, avant de s'émanciper et de nous laisser reprendre. Je tente de faire abstraction de cette sensation qui me parcourt, ainsi que du rougissement apparant sur mes joues.

Les répliques s'envolent de nouveau, et prennent forme sous les conseils de Taehyung. Rien ne change, et en même temps tout change. Le compliment de Taehyung m'a apporté plus de confiance encore.

À un moment, je dois passer d'une coulisse à l'autre pour entrer en jeu par l'autre côté lors de la prochaine scène. Chaeyoung me chuchote un hwaiting que je lui rends accompagné de mon poing fermé en encouragement, avant que je ne m'éclipse. Pour passer d'une coulisse à l'autre, on emprunte l'espace derrière le rideau de fond de scène. Je m'y engouffre, écoutant distraitement les répliques qui se jouent actuellement sur scène. Mais plus je me rapproche des coulisses côté jardin, plus j'entends d'autres voix. Des chuchotements, qui, je le crois, veulent se faire discrets. À l'aurée des coulisses, je reste derrière le rideau, avec l'impression de ne pas avoir à être là.

C'est souvent n'empêche, cette impression de ne pas avoir à être là où je suis.

Je reconnais la voix grave et enrouée de Jackson, puis celle plus fluette de Mina.

"T'as vu comment il jouait en plus ? Taehyung délire complètement, il le complimente juste parce que c'est son petit favori, alors qu'il n'a aucun talent !"

Je me fige, la main portant immédiatement à mon pendantif. Les battements de mon coeur s'accélèrent, avec la désagréable impression que le sang a du mal à pomper.

"Calme toi, Mina..." chuchote Jackson. "Je suis d'accord avec toi, mais ça ne sert à rien de te mettre dans tous tes états, on ne peut rien changer."

"Et alors ? Tu te rends compte ? On aurait pu être au devant de la scène. J'étais persuadée qu'il allait nous choisir pour jouer Roméo et Juliette, vu l'alchimie qu'on a toujours ensemble sur scène. Fin je veux dire, on est un vrai couple, ça aurait été l'occasion parfaite et y aurait pas eu de soucis pour les scènes de baiser. Mais à la place, il donne le rôle le plus important à l'autre nouveau qui n'y connaît rien..."

Des froissements. Je suis assez expérimenté dans le domaine de l'ouïe pour savoir que Jackson caresse le dos de Mina affectivement, comme il a souvent l'habitude de le faire.

"Moi aussi je pensais qu'on allait les jouer... C'est frustrant, t'as raison. Mais en réalité c'est pas ce qui m'énerve le plus, tu sais. Ce qui me fout encore plus la rage c'est qu'il ait choisi Jungkook juste pour l'avoir dans sa poche. On sait tous de quel bord il est... et comme par hasard il se met lui même en Julian. C'est dégueulasse de faire passer le personnel avant."

J'entendrais presque Mina acquiescer. Inconsciemment, ma tête s'est baissée pour piquer vers le sol, comme le bon coupable que je suis.

"On est bien d'accord. Et puis ça me rend folle qu'il est remplacé Juliette. C'est un personnage clef, c'est l'héroine, la fameuse, quel gâchis..."

Il y a toujours le chahutement provenant de la scène, mais il n'en ai plus rien face à ces chuchotements qui claquent contre mes tympans.

Je patiente. Je n'ose plus esquisser un geste.

"Arrête de ruminer." soupire Jackson, et je peux entendre un baiser bref. "Tu vas te faire du mal."

"Hm."

Il y a un temps de latence, durant lequel j'hésite à m'avancer. Je vais bientôt devoir revenir sur scène, il faut que j'entre dans ces coulisses.

Je suis sur le point de débarquer, et faire comme si je n'avais rien entendu, mais Jackson s'apprête à dire quelque chose, alors je me retiens. Je le sais, parce que j'ai entendu cette petite respiration que l'on a avant de prendre la parole.

Je crois qu'à ce moment là, mon cerveau se déconnecte complètement.

Je me sens me dérober sur moi même, comme un château de carte. Le souffle de leurs murmures me percute et ébranle les cartes une par une, dans un fracas assourdissant.

"De toute façon, il va vite déchanter quand il sera au courant des scores sur le compte insta, et qu'il verra Taehyung tout en haut."

Merde, il va falloir encore tout reconstruire... C'est sans fin.

Je me fige, paralysé. Je suis couvert de l'illusion d'un monde qui n'existe plus. Autour de moi, il n'y a plus rien que les fourmis dans ma tête qui la font désagréablement chauffer. Les mains tremblantes, je sors mon téléphone de ma poche.

Ce n'est pas possible. Il faut juste que je vérifie.

Je veux m'assurer que j'ai mal entendu, ou mal compris.

Parce que de toute façon, c'est d'une évidence troublante, ça ne peut pas être vrai. Ça ne peut tout simplement pas l'être.

Caché par le lourd tissu noir du fond de la scène, j'ouvre instagram. Malgré mes doigts et ma vision embrouillés, je réussis à taper le fameux compte.

Ce que je recherche se révèle sous un post épinglé qui ressasse les scores des participants dans la description. Je ne perds pas mon temps avant de faire glisser mes yeux dessus, parce que je sais ce que je vais y trouver. Ou plutôt ne pas y trouver. Taehyung ne peut pas y être.

Je souffle de soulagement. Le premier joueur est Heechul, avec un score de 876 mots. Autant que ça ? Ah, c'est peut-être l'exposé qu'il m'a fait faire devant toute la classe la première semaine de cours, ou encore la fois où il m'a enfermé dans les toilettes jusqu'à ce que je lise à voix haute un texte entier qu'il m'avait filé.

Je souffle, rassuré.

Mais le soulagement est de courte durée. Il suffit que je regarde un peu plus bas. Juste en dessous.

Fièrement, en deuxième position, il y a ce prénom aux sonorités que je commençais à apprécier plus que de nécessaire...

Taehyung - 745 mots.

... et maintenant, il n'en est plus rien.

＊*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚　˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚＊

Hahaha... haha.. ha...

Nan tranquille faites moi confiance :)

Ça sent l'embrouille🕴

Qu'en pensez vous ? Taehyung aurait vraiment fait ça ? Il déteste perdre... mais à ce point ? 🤔

Merci à Maeva qui m'a redonné confiance en mon scénario 😭 (ça te pardonne d'appeler h24 ma ff le silence de tes morts 👹)

Les updates s'espacent je suis désolée mais c'est dur avec les cours, mais ça devrait bien revenir en novembre parce que je vais tenter le nanowrimo (oui on est fou ici)

-Elise-