Chapitre 1 🎭
Est-ce que j'aime le silence ?
D'une manière, je le déteste, parce qu'il est tout ce qui m'a mené jusqu'ici. Mais d'une autre, je ne peux m'empêcher de l'aimer, parce qu'il a grandi avec moi. Comment détester un ami d'aussi longue date ? Un ami qui était le seul à nos côtés pendant longtemps ?
Trop longtemps.
À l'intérieur...
... je bouillonais.
Ma main se ressert inconsciemment sur le bord de ma feuille. Mes yeux voient sans trop voir, ce genre de vision flouttée par des pensées qui la recouvre. Mes exercices de mathématiques me paraissent si lointain.
Et le silence si proche.
Pourtant, dans cette classe, c'est le chaos. Des boulettes de papier, des chuchotements, des éclats de rire, des chaises qui raclent, des crayons qui grattent, des soufflements, à peine perceptible.
C'est étrange, de vivre dans le silence, et de tout entendre.
Le professeur essaie de rappeler à l'ordre ses élèves. Pas besoin de relever le menton pour imaginer ses traits contrariés. Si les élèves observaient plus en profondeur, ils auraient peut-être pu voir la détresse cachée dans la voix autoritaire de l'enseignant, qui n'en peux plus que personne ne s'intéresse à ce qui lui, le passionne profondément.
Mais ce genre de choses, il n'y a que le silence qui l'entend.
Mes yeux s'arrondissent devant ma feuille froissée. Mince, je l'ai serré trop fort.
J'aime les mathématiques. Ça me détend. Les problèmes de maths me paraissent tellement simple, et ça me plaît de pouvoir les régler en deux ou trois calculs. S'il suffisait de calculs dans la vie de tous les jours...
Malheureusement, tout est bien plus subtil que quelques chiffres ou qu'une équation. Il y a trop de questions sans réponse. Trop de silences sous les sonorités.
Aujourd'hui, impossible de prendre du plaisir devant mes suites arithmétiques. Le professeur élève beaucoup trop la voix pour surpasser celles des étudiants, et je me demande pourquoi ils ne se taisent pas tous. Qu'ont-ils à dire de si important ? Et pourquoi appuient-ils si fort avec la mine de leur crayon ? Ça en devient assourdissant.
Plus que dix minutes.
Mes doigts pressent la feuille un peu plus encore.
Plus que cinq minutes.
Les trousses se ferment déjà, malgré l'intonation qui se veut ferme de monsieur Wang.
Sa voix s'infiltre parmis tous ces cliquetis, ces froissements empressés, ne pouvant plus attendre et voulant être liberés pour aller enfin manger.
"Il nous reste cinq minutes, ne rangez pas vos affaires !" s'énerve t-il. "Et puis je n'ai pas fini. En tant que professeur principal, j'ai quelque chose à vous communiquer en fin de cours !"
"M'sieur ! Nous faites pas sortir en retard s'il vous plaît !"
Jennie. Mon regard est toujours scotché sur mon bout de papier qui ne ressemble plus à grand chose, mais je reconnais les voix.
"J'ai trop faim, m'sieur."
Junghwan.
"Ce ne sera pas long. Nous venons de commencer l'année -si vous voulez mon avis, vous la commencez très mal- et comme vous le savez, il est possible de s'inscrire à des options dès la troisième semaine."
Le silence se fait comme par magie. Il touche une corde sensible, j'entends le mouvement des têtes qui se relèvent, de l'intérêt qui s'éveille, des chuchotements qui tarissent.
Les options sont importantes dans notre lycée. Que ce soit une activité sportive, artistique, littéraire, il y en a pour tous les goûts, et c'est une manière de se démarquer, de se mettre en avant parmi les autres. Par les compétitions, les tournois, ou les expositions pour les créatifs. Tous les étudiants y voient une chance, une de ces chances qu'ils espèrent tous atrapper au vol, mais qui leur échappe du bout des doigts pour la plupart, les faisant tomber encore plus bas.
Ces options offrent matière à s'élever dans la hiérarchie floue d'un lycée pas plus original que les autres.
Mes deux premières années de lycée ont été vides d'option pour moi, et ma terminale ne compte pas être l'exception. Je sais déjà que lorsque les étudiants se lèveront pour inscrire leur nom sous les différentes disciplines, je resterai les fesses enfoncées sur le bois rêche de ma chaise.
Parce que ces options ne sont pas obligatoires.
Et disons que je suis un oportuniste.
Mais pas un oportuniste qui prend tout ce qu'on lui donne pour gravir les échelons. Un de ceux qui profitent de toutes les occasions pour mieux s'effacer.
L'art d'être transparent en étant physiquement présent, ce n'est pas aussi facile qu'on le croit.
"Les inscriptions se font aujourd'hui. Je vais disposer les feuilles au tableau, et vous viendrez vous inscrire sous l'option que vous voulez intégrer."
"On peut intégrer n'importe quelle option, juste comme ça ?" demande une fille. Son timbre de voix est peu assuré et doux ; Chaeyoung, une nouvelle élève aux cheveux blonds arrivée seulement cette année.
"Oui, il suffit juste de s'y inscrire. Évidemment, certaines options sont plus prisées que d'autres, et il y a quand même des places restreintes. Les premiers arrivés seront les premiers servis."
Je peux deviner la grimace du professeur. Il se rend compte que sa phrase va faire des dégats. Et en effet, la tension se fait dans la salle. Les étudiants semblent prêts à sauter sur les feuilles dès qu'elles apparaîtront au tableau.
Le professeur aimante doucement les fiches sur la grande surface blanche, sans réaliser que sa lenteur accentue l'esprit de compétition des élèves.
"Vous pouvez vous insc-" Sa déclaration est coupée par un vacarme de voix, de chaises, de pas précipités.
"Dépêche toi putain, viens ! On aura plus de place pour le basket !"
Junghwan traîne son copain derrière lui, alors que ce dernier bougonne.
"J'veux même pas faire basket, c'est toi qui m'oblige... "
Hors du temps, c'est exactement ce que je dirais de moi même en cet instant. Je me retrouve au milieu de ce chaos, du professeur qui hurle à ses élèves de se calmer, des élèves qui se poussent pour accéder aux fiches, des fiches qui crachent les avantages sociaux que tous vont pouvoir en tirer, des avantages qui ne m'intéressent pas le moins du monde.
Parce qu'au milieu du chaos,
Je suis le silence.
J'ose relever la tête une seule fois. Une fois de trop. Une tête aux yeux d'ambre et aux cheveux courts et si bruns qu'ils en paraissent noirs attire mon regard. Parce que j'ai senti le sien déjà posé sur ma personne.
Un sourire éclate sur son doux visage, et sa main bat dans ma direction, comme signe de salutation. Il mime des lèvres. "Ça va ?"
Je décide alors de m'occuper à nouveau de ma feuille d'exercice ; elle n'a pas encore assez souffert à mon goût.
***
Il peut être sur que toute la liste de la terminale 2 se retrouve calée sous une option. Toute, ou presque. Je n'y figure pas. S'effacer, toujours s'effacer. Souvent, je m'imagine fusionner avec mon bureau, à ma place, près d'une vieille affiche où il est inscrit "La logique vous ménera de A à B. L'imagination vous emmènera partout."
Monsieur Wang est un littéraire caché, j'en suis persuadé. Car ce genre de proverbes recouvrent les quatre murs de sa salle personnelle, ne laissant quasiment plus voir le papier peint défraîchi.
Mon sac sur une épaule, une de mes mains dans ma poche et la mine absente, je m'apprête à sortir.
Passer cette porte puis m'éclipser.
"Jungkook."
Mon pas entamé s'arrête en suspension, puis je repose le pied à terre, puis fais demi-tour. Une seule seconde, je me suis vue fuir, courir, échapper à l'interpellation de mon enseignant. Ces élans de liberté me prenaient souvent, mais ils ne s'ancraient jamais dans la réalité et ne restaient qu'une brève étoile filante dans le ciel sombre de mon monde.
Mon monde était mes pensées. Ma personne, et mes idées. Les autres ne faisaient pas partie de l'équation.
"Tu peux rester un instant, s'il te plaît ? J'aimerais te parler."
Le coeur au bord des lèvres, je reste alors immobile devant son bureau, torturant mon collier autour du cou ; une fine chaîne en argent portant en cascade un anneau à son extrémité. J'ai pour habitude de jouer avec et de passer mes doigts dessus pour faire quelque chose de mes mains.
Je ne sais jamais quoi faire de mes mains.
Pourquoi me retient-il ? Est-ce pour mes notes ? Pourtant, elles sont plus que satisfaisantes, et j'ai l'une des meilleures moyennes de la terminale 2. Est-ce pour mon incapacité à travailler en groupe ? Il est vrai que pour le dernier travail de groupe, j'avais fait le boulot tout seul car les autres ne semblaient pas motivés et je n'osais pas les relancer.
Je n'osais jamais.
Et si c'était pour-
"Ne te tends pas ainsi. Je n'ai aucun repproche à te faire, bien au contraire."
J'entends plus que je ne vois le léger sourire sur ses lèvres. Ses mots ne suffisent pas à me détendre. De manière général, les mots ne m'aident pas.
Ils m'angoissent.
Monsieur Wang attend que tous les élèves soient sortis, laissant planer derrière eux un délicat chahutement de plus en plus lointain.
On pourrait croire que je suis à nouveau dans ma zone de confort, avec ce silence récent. Mais vous vous trompez. Aucun silence n'a lieu ici. J'entends le coeur de monsieur Wang hurler. Son autorité déficiente sur ses élèves lui pèse sur le coeur. Les mots qui veulent sortir de sa bouche pour me féliciter de je ne sais quoi débordent de fierté mal placée. Tout en lui hurle, tous chez les autres hurle tant.
Je ne supporte plus cette cacophonie.
"Je suis fier de ta décision."
Mes mains lâchent mon collier, sous la surprise.
"Quelle décision ?"
Monsieur Wang ramasse en vitesse ses affaires. Il a l'air pressé. Le monde entier est en course contre le temps, en compétition sur un terrain d'athlétisme, tandis que je suis un simple spectateur. Mais le deux cent mètres ne m'intéresse vraiment pas.
"Ton choix d'option. Je ne pensais pas que tu allais t'inscrire, à vrai dire... "
"Comment ça ?" je m'emporte, pris en étau par une panique brusque.
"Tu sais, tu n'es pas obligé de le cacher. Je pense que le théâtre te ferait le plus grand bien."
Les mots se perdent quelque part dans un coin de ma gorge. Celle ci me brûle comme pour empêcher les lettres de se liées et de former quelque chose de cohérent.
Les mots se perdent toujours.
"Mais je- je n'ai pas-"
"Jungkook." me coupe t-il. "Sincèrement, ne reviens pas sur ta décision. Même si tu regrettes maintenant, je ne te désinscrirai pas. Tu as bien fait d'écrire ton nom. Ça pourrait t'aider à te reconnecter... aux autres."
Une sensation désagréable s'invite dans le creux de mon ventre. Comme un monstre qui se nourrit, qui grandit, et qui se fait de plus en plus dur d'ignorer. En dix sept années d'existence, ce monstre grandissait de jour en jour, mais j'arrivais toujours à le retenir prisonnier. Ces temps ci, il devient de plus en plus difficile de le calmer.
J'ai envie de hurler. Comment osez vous ? Se reconnecter aux autres ? Impossible, puisque jamais je n'ai été connecté aux autres. Alors comment me reconnecter ?
Comment osez vous ?
Votre discours me dégoute.
"Et puis, tu n'as pas choisi n'importe quelle option ! Le théâtre est assuré par un de mes élèves les plus sérieux. Enfin, il n'est pas très doué pour les maths... mais en revanche, tout ce qui touche à la langue, il sait s'y faire. Tu verras."
Plus il parle, et plus je m'enfonce dans son monologue. Je sens consciemment chaque aiguille d'effroi qui me traversent. Je les laisse passer sous la chair et s'incruster sous ma peau. J'invite le mal sans ne rien faire pour le repousser.
Mon silence ne repousse pas la douleur.
L'enseignant s'approche un peu plus, les coudes sur le bureau, comme pour me dire un secret. Ses traits deviennent soudain sérieux, comme entièrement consterné par ma situation, par ma personne.
Il me donne l'impression de m'étudier comme un sujet de laboratoire.
"Tu sais, Jungkook, j'en ai eu pleins des élèves comme toi, je sais de quoi je parle. C'est mon travail, je m'y connais. Et la plupart s'en sortent."
"Qu'est-ce que vous insinuez ?" j'ose discrètement, malgré ma soudaine envie de lui mettre mon poing à la figure.
"Eh bien, tu n'es pas seul. Être timide, ce n'est pas un déli, et s'ouvrir aux autres, ça s'apprend."
Je ne suis pas timide, je veux murmurer.
Réctification.
Je veux hurler.
Mais les mots ne sortent pas.
Soudain, le professeur s'éloigne à nouveau et me fait le plaisir de me donner son plus grand sourire, fièr de sa petite démonstration, pensant que son discours a eu un impact quelconque.
Mais à l'intérieur, outre la haine, son discours n'a rien ravivé. Il n'a touché aucune corde sensible.
"C'est le mardi et le jeudi, juste après les cours. Mais vous recevrez toutes les informations sur le site du lycée."
Alors que je suis tétanisé, il laisse une exclamation s'échapper de ses lèvres alors que les aiguilles de sa montre semblent l'appeller.
La course reprend.
"C'est pas tout, mais je vais être en retard si je continue de papoter ! On se retrouve vendredi. Je te félicite encore une fois. Ce n'est pas facile de s'affirmer parfois, mais je sens que la scène t'aidera."
Et sans plus de cérémonie, il quitte la pièce en même temps que moi, ferme la porte à clef derrière lui, et s'enfonce dans le couloir à une vitesse folle.
Les informations ont du mal à intégrer mon système nerveux. Moi, inscrit à une option ? Qui plus est du théâtre, tout ce que j'ai toujours détesté ? Je repasse la fin de ce cours en boucle dans ma tête, comme la bande d'un film qu'on rembobine sans cesse. Comme si j'avais été pris d'une folie et que j'aurais pu effectivement être allé inscrire mon nom comme l'enseignant me l'assurait.
Même somnambule ou inconscient, je ne serais jamais allé écrire ces précieuses lettres sur un papier aussi futil.
Et puis, le théâtre, c'est si... ridicule.
Et soudain, je comprends.
Mon coeur se serre. Au bout du couloir, un groupe d'ami m'attend. Le garçon aux yeux d'ambre me sourit dès qu'il m'aperçoit.
"Eh ! Jungkook ! Ça te dit de manger avec nous ?"
Ses amis se retournent aussi, tout sourires. Je reconnais Junghwa et Jennie parmi eux.
Celui qui a pris la parole me tend la main, en guise d'invitation, un sourire sincère recouvrant son visage d'un accueil sans danger et d'une bienveillance maladroite.
Ma mâchoire se contracte, et mes dents se pressent les unes contre les autres. Le monstre grandit, et mes poings soudain me démangent.
Lorsque j'arrive à sa hauteur, je prends sa main dans la mienne, pour la repousser violemment sur le côté. Son expression se peint de choc, alors que sous la pression, son corps se retrouve décalé pour me faire un passage.
C'est ça, joue la victime.
Lâchant sa main, en passant, je murmure :
"Dégage, Heechul."
Tandis que mes pas martèlent le sol pour faire taire mes cris intérieurs, j'entends un chuchotement derrière moi, à peine audible.
"2 points" disent-ils, avec satisfaction.
**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*
Coucou !
Jungkook ce bad boy. (Je voulais absolument pas faire un personnage hyper bottom sans trop de caractère et qui se laisse marcher dessus. Malgré la soumission de Jungkook face aux autres, il reste réactif.)
C'est normal si pour l'instant vous ne comprenez pas grand chose ; cet élève souriant envers Jungkook, son chuchotement "2 points", et la raison pour laquelle Jungkook est soudainement inscrit au théâtre... Mais ne vous en faites pas, vous le découvrirez bien rapidement :)
Je vous autorise même à faire des théories, à ce stade tout est possible mdr
-Elise-
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