trois
Pendant quelques jours, rien ne s'était passé : le malaise que Jisung ressentait n'avait pas refait surface, la présence de Changbin l'ayant aidé à oublier cette sensation, ce regard pesant et invisible porté sur lui. Ce fut la première fois depuis sa sortie de l'hôpital que les garçons n'étaient pas venus les voir, et Jisung devait bien l'avouer, ça lui faisait du bien de se retrouver seulement avec Changbin, quelque chose dont il avait l'habitude. Ils avaient passé leur week-end comme avant : Changbin travaillant tranquillement sur le canapé avec Jisung, tous les deux regardant une série ou un animé, Changbin laissant de temps à autre son projet pour se concentrer sur une scène à l'écran, Jisung lui tapant quelques fois sur la cuisse ou le bras pour attirer son attention sur quelque chose qui se déroulait sous leurs yeux.
Ce week-end-là, Jisung avait eu l'impression de retrouver un semblant de normalité malgré son mutisme.
Mais ce matin-là, alors qu'il ne retrouvait plus ses écouteurs, ce moment de répit qu'avait été ce week-end sembla disparaître.
Il était pourtant persuadé de les avoir laissés sur sa table de nuit, comme chaque soir, mais il n'y avait rien. Et savoir qu'il devait sortir plus tard dans la journée ne l'aidait pas à se calmer et à réfléchir clairement ; il laissait la panique prendre le dessus malgré lui. Alors il avait retourné sa chambre, plusieurs fois, avant de regarder dans le salon et leur petite cuisine, tout en sachant qu'il n'y trouverait rien, mais il avait cet espoir un peu naïf de les retrouver rapidement. Ce n'était pas non plus quelque chose de si important, une simple paire d'écouteurs, mais il en avait besoin pour écouter de la musique et essayer de se détendre en sachant qu'il devait aller dehors. Il devait les retrouver. Et c'est ce qui le poussa à attraper le même bloc de post-it que Changbin laissait dans la cuisine et à griffonner quelque chose dessus avant d'aller vers la chambre du brun. Il avait rapidement tapé à la porte, n'entrant que lorsqu'un « Ouais » se fit entendre, et il ne perdit pas de temps avant de tendre le petit bout de papier jaune au brun qui était encore allongé dans son lit.
« « Mes écouteurs, ils sont où ? », ses sourcils se froncèrent à la lecture. J'en ai aucune idée ? Jisung lui jeta un nouveau post-it, son regard agité posé sur lui. « Table hier, rends-les stp ». Jisung, je ne les ai pas, et je ne sais pas où tu les as mis. »
Le blond n'avait pas réagi ; ses muscles étaient tendus et sa respiration était compliquée, mais il prenait sur lui pour ne pas montrer à son ami à quel point ça le touchait. Il ne voulait pas, encore une fois, surréagir pour quelque chose qui n'en valait pas la peine. Alors il tenta de se calmer, ses poings fermement serrés, ses ongles rentrant dans ses paumes pour le calmer et le faire garder les pieds sur terre. Changbin le regardait faire, une lueur d'inquiétude dans le regard alors que Jisung sortait silencieusement de sa chambre pour aller s'enfermer dans la sienne.
Changbin avait soupiré en voyant le plus jeune faire, ses yeux se fermant en entendant la porte de la chambre voisine se fermer. Et le silence qui en suivit lui déplut, trop inhabituel pour eux, trop étrange pour leur appartement. Il jeta un regard à son téléphone et soupire de nouveau en voyant l'heure assez tardive et le rendez-vous de Jisung qui était dans une bonne heure.
Le bruit de l'eau contre la fonte vint perturber le silence pesant de l'appartement, et Jisung essayait toujours de calmer le tremblement de ses mains ainsi que sa respiration un peu trop rapide, un peu trop paniqué.
Mais la panique était toujours présente lorsque Changbin vint doucement frapper à sa porte, ou bien lorsqu'ils s'étaient retrouvés dans l'ascenseur, les muscles crispés et les mains tremblantes. Changbin lui avait pris la main pour tenter de le rassurer, et sa main était restée dans la sienne jusqu'à ce qu'ils arrivent à la voiture du plus vieux, et là encore, elle l'avait rapidement retrouvé au-dessus de la console. Et il ne l'avait pas lâché jusqu'à ce qu'ils arrivent chez le médecin, sa main s'étant discrètement posée sur le genou du blond qui s'était mis à tressauter à cause du stress. Jisung lui avait jeté un petit regard larmoyant et Changbin avait souri étrangement pour le rassurer.
Et la peur était toujours là alors qu'il se trouvait face à son médecin qui examinait son câblage, posant de temps à autre des questions à Changbin qui y répondait calmement, ses yeux toujours rivés sur les mains de Jisung qui ne cessaient de bouger. L'examen en lui-même n'avait pas duré longtemps, une simple visite de contrôle pour ajuster son ordonnance, et le blond n'attendait qu'une seule chose : rentrer enfin chez eux, dans la sécurité de leur appartement et ne plus en ressortir.
Pourtant, avant de partir, Changbin s'était retourné vers le médecin, et Jisung le regardait faire avec ce même regard larmoyant qu'il lui avait adressé dans la salle d'attente.
« Euh, j'aurais une question, mais... il hésitait, et Jisung voulait partir, fuir.
— Dites-moi ?
— Vous pensez que sa gorge va bien ? demanda timidement Changbin. Jisung s'était tendu. Je- Depuis sa sortie de l'hôpital, il n'a pas essayé de parler ou juste de faire des bruits. Rien. Et je m'inquiète juste un peu...
— Difficile à dire, avoua le docteur Nam. Je ne sais pas si le docteur Choi vous a prévenu d'un possible mutisme post-traumatique ? Changbin hocha la tête. Combiné avec la douleur du traumatisme au niveau de sa gorge, il est normal que vous ne veuillez pas raviver une douleur qui est encore présente. Mais, Jisung, son regard bienveillant se posa sur le blond qui ne voulait pas le voir, lorsque vous vous sentirez prêt, je vous conseillerai tout de même d'essayer de la solliciter un minimum, un peu comme si vous essayez de chauffer votre voix ? »
Son petit sourire s'était voulu rassurant, mais Jisung était terrifié, et personne ne semblait le comprendre.
Le trajet du retour s'était fait dans le silence ; Jisung s'était complètement refermé sur lui-même et Changbin le connaissait assez bien pour ne pas tenter un quelconque rapprochement. Alors il l'avait laissé regarder silencieusement dehors, sa jambe tressautant toujours.
Et le silence avait continué lorsqu'ils étaient rentrés.
Jisung n'avait pas attendu son aîné et était rapidement sorti de la voiture, voulant au plus vite retrouver le confort de sa chambre tandis que Changbin garait la voiture dans le parking. Il avait appuyé frénétiquement sur le bouton d'appel de l'ascenseur, sa nervosité toujours aussi visible quand l'ainé le rejoint enfin. Et le silence avait perduré une fois la porte de leur appartement fermée.
Changbin l'avait vu aller s'enfermer dans la salle de bain et avait laissé échapper un soupir tout en se dirigeant vers sa chambre avec la ferme intention de continuer son projet de fin d'études et laisser ainsi du temps à Jisung pour se calmer.
Lorsque ce dernier était enfin sorti de la salle de bain, ses cheveux encore légèrement humides, il se sentait plus calme, plus apaisé, mais aussi nettement plus fatigué qu'à l'accoutumé. Il voulait simplement aller dormir, faire comme si cette journée n'avait jamais existé. Mais lorsqu'il entra dans sa chambre et qu'il vit la paire d'écouteurs posés sur son lit, ses sourcils se froncèrent.
D'une main encore légèrement tremblante, Jisung se saisit de ses écouteurs, prêt à aller voir Changbin pour s'excuser, mais quelque chose retint son attention. Du coin de l'oeil, il vit l'un des tiroirs de sa commode ouvert, et en s'approchant de plus près, il put voir le désordre dans ses affaires. Certes, Jisung n'était pas réputé pour être une personne très organisée, mais il avait toujours réussi à garder un minimum d'ordre dans ses vêtements, et voir plusieurs de ses t-shirts retournés, dépliés, et même, pour certains, reposant au sol, ne lui ressemblait pas.
Il s'avança rapidement jusqu'à son bureau où il attrapa une feuille et écrit rapidement dessus avant d'en faire une boule et de sortir de sa chambre pour rejoindre celle de son colocataire dont la porte entrouverte lui permit de voir le brun assit à son bureau, travaillant sur un quelconque projet. A peine le seuil de la porte franchit, le blond jeta méchamment la boule de papier dans la direction du brun qui se la prit à l'arrière du crâne.
Changbin avait sursauté, son regard sombre et légèrement énervé se posant sur Jisung qui le regardait depuis la porte, un air contrarié sur le visage.
« Aïe, mais ça va pas ? » râla le brun les sourcils froncés.
Le blond lui fit un signe de tête en direction de la petite boule de papier sur son bureau, lui intimant de l'ouvrir. Lorsque ce fut fait, Changbin lu à voix basse :
« « Arrête de fouiller dans mes affaires sans me le dire. » Jisung, prévint-il, arrête, j'ai rien fait. »
Le blond sortit son téléphone, et quelques secondes plus tard le « ting » aiguë et caractéristique d'une notification se fit entendre, et Changbin ne retint pas son soupir lorsqu'il attrapa son téléphone.
[Jisung - 7:17 PM] t'as pris quoi ?
« Je te l'ai déjà dit : je n'ai rien fait, » dit-il les dents serrées.
Ting.
Nouvelle notification, froncement de sourcil.
[Jisung - 7:18PM] mens pas
Nouveau soupir, plus fort, plus énervé.
« Jisung, arrête j'ai rien fait ! Depuis ce matin, tu me prends la tête avec tes affaires et tu me fais la gueule, mais je sais même pas de quoi tu me parles », s'agace le brun.
[Jisung - 7:19 PM] TIROIR OUVERT ARRÊTE
« Tu m'emmerdes avec ça ! explosa-t-il en se redressant, son siège reculant sous la force du coup. Jisung vraiment tu me gonfles. Puisque je te dis que c'est pas moi, tu cherches quoi là ? A ce qu'on s'engueule ?! »
Alors que sa voix s'éleva, véhémente, un bruit contre la cloison se fit entendre.
Jisung s'était crispé, toute trace de colère ayant disparu de son visage pour laisser place à la peur, et Changbin s'était tout de suite affolé. Il ouvrit la bouche, prêt à parler lorsqu'un nouveau bruit se fit entendre, plus fort, moins étouffé. D'où ils étaient, ce bruit semblait être celui d'un corps tombant au sol, mais les seuls habitants de l'appartement se faisaient face dans la soudaine quiétude de cette chambre.
Un instant passa, le silence se fit de plus en plus pesant, plus dérangeant.
Jisung était figé, ses pieds fermement ancrés dans le sol, son regard apeuré rivé dans celui de Changbin qui n'avait pas bougé. Le brun avait pincé les lèvres, gardant le silence, lorsqu'il s'approcha du plus jeune, une de ses mains venant attraper celle tremblante du blond qui se laissa faire, ses doigts exerçant une petite pression qui se voulait rassurante. Mais le silence, lui, ne l'était pas. Alors le brun se rapprocha doucement de Jisung dont la main s'était agrippée à la sienne, son regard terrorisé s'ancrant de celui de Changbin dont le coeur se serra à cette image. Jamais il ne l'avait vu aussi perdu, aussi apeuré par un simple bruit.
« Reste là, souffla doucement Changbin, je reviens tout de suite, d'accord ? »
Le regard noisette du blond s'était affolé, mais il avait hoché la tête, doucement, et ses doigts s'étaient desserrés, lâchant doucement prise.
Changbin avait souri, timidement, avant de sortir, s'engageant dans le couloir. Mais sans Changbin avec lui, Jisung se sentit mal à l'aise, encore une fois, et cette sensation de ne pas être seul, de sentir une présence qui lui était étrangère revint de plus belle, tout comme le poids de ce regard qui n'était pas réel était de nouveau posé sur lui.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro