19. Jun (2/3)
Elle pencha la tête en arrière, la bouche en o, sa franche en broussaille.
« Salut ! Oh non, ton œil !
— T'en fais pas pour ça. Attention ! »
Elle rejeta le menton droit dans l'axe et bloqua l'attaque de Tobio. Où avait-elle appris à se battre aussi bien ?
« Toi ! pesta Tobio alors que les deux lames glissaient l'une sur l'autre dans un grincement métallique. Comment ça se fait que tu sois encore en vie ? »
Question pertinente, lui concéda Jun.
« Pose ça, Tobio, ou je tire ! »
L'exorciste ne jeta qu'un bref regard à Kitashi, dont l'arme était braquée sur lui. Il força Itou à se défendre sur sa droite, l'obligeant à pivoter et donc à se retrouver dans l'axe de tir de l'inspecteur.
« Ne vous en faites pas pour moi, dit Itou d'une voix étrangement calme pour la situation. Je gère.
— Tu ne gères rien du tout, ma grande, rétorqua Jun. Éloigne-toi, que Kitashi lui explose la cervelle.
— Il n'y arrivera pas. Je vais m'occuper de lui. Il faut que vous alliez sauver le dernier descendant. Hana et Sasaki sont déjà en chemin. Elles sont plus lentes parce qu'elles doivent se faire discrètes, alors je pense que vous pouvez y arriver. »
Jun leva sa main libre en direction de Tobio. Pouvait-il l'atteindre sans blesser Itou ? Pas si sûr. Cependant, c'était toujours mieux que de la laisser face à un psychopathe pareil. Jun grogna. Sa blessure lui faisait un mal de chien et elle ne semblait pas encline à guérir. Saleté d'exorciste.
« Mais moi, je peux le cramer. Dégage, Itou.
— Il va esquiver, Jun, tout comme moi. Je ne te laisserai pas combattre un exorciste. Encore moins avec un œil en moins. Je gère. », répéta-t-elle d'une voix assurée.
Son bras tremblait sous l'effort, tout comme celui de son adversaire. La face ahurie de Tobio devait faire miroir à celle de Jun. Comment pouvait-elle tenir tête en force brute à un jeune homme en pleine possession de ses moyens ? Ce dernier relâcha la pression sur sa lame pour tenter une attaque sur le côté. Jun se tint prêt à riposter, mais les deux épéistes étaient trop près l'un de l'autre pour qu'il puisse tenter quoi que soit. Il crut mourir quand il vit le katana de Tobio fendre l'air vers les flancs d'Itou, mais la jeune fille bloqua encore une fois, sa lame vers le bas, la garde au-dessus de sa tête. Quelle vitesse !
« Qu'est-ce que vous attendez, punaise ? Aller sauver le dernier descendant ! Il ne faut pas qu'Hana et les autres parviennent à tous les réunir dans le tombeau du Roi ! »
Tobio bondit en arrière pour mettre de la distance avec ses adversaires. Kitashi profita de l'occasion pour le mettre en joue. Lorsque deux squelettes firent leur apparition dans la clairière, il braqua le canon de son arme sur eux et leur explosa la tête d'une balle chacun.
« On arrivera jamais à temps avec ces machins qui trainent partout, », cracha Jun en abattant un troisième démon.
Il manqua son premier tir. La douleur, mais surtout le sang qui coulait de son œil, ne lui rendait pas la tâche facile.
« C'est Mitsushi qui les contrôle, déclara Itou sans rompre le contact visuel avec Tobio, qui raffermit sa prise sur son katana. Si vous le trouvez et l'arrêtez, les autres squelettes mourront.
— Et il est où, ce Mitsushi ? demanda Kitashi qui arriva à leur hauteur.
— Je ne sais pas exactement. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il est parti avec Hirohito, l'enfant qui contrôle l'eau. Si j'ai raison, il est là pour protéger Mitsushi, qui est vulnérable quand il possède à distance autant de soldats.
— Près de la rivière alors ? en déduit Jun.
— On y va. »
Malgré son propre ordre, Kitashi, comme Jun, hésitèrent. Itou se tourna vers eux, dos à Tobio, et le bord de ses lèvres se souleva dans un doux sourire.
« Je suis contente que vous alliez bien. Ne vous faites pas tuer, d'accord ?
— Toi non plus, murmura Jun. On se retrouve après avoir mis fin à ce bordel, d'accord ?
— Ça marche !
— Itou, attention ! » hurla Kitashi.
D'un pivotement, l'adolescente esquiva tout juste l'attaque en traître de Tobio. Le gamin avait la bave aux lèvres, constata Jun. Une vraie bête enragée, mais Itou ne semblait pas inquiète. Au contraire. Elle tourna la tête vers Tobio. Accroupi à ses pieds, il s'était fait entraîner par le mouvement de son attaque. Le sourire de l'adolescente devint plus carnivore. Jun la regarda, bouche bée, envoyer valser l'exorciste contre un tronc d'un coup de pied dans le ventre.
« Pas de soucis, M. Minobe. J'ai des comptes à régler, de toute façon. Ne laissez surtout pas le Roi être ressuscité ! »
Itou se précipita sur un Tobio qui se relevait à peine, et Jun tira Kitashi par le bras pour le faire réagir.
« On ne devrait pas la laisser toute seule, marmonna ce dernier alors que la frêle silhouette de la jeune fille disparaissait entre les arbres à mesure qu'ils s'éloignaient.
— Elle m'a plutôt l'air de se débrouiller. »
En réalité, Jun était aussi soucieux que son coéquipier, seulement, contre un exorciste, son champ d'action était quasi nul. Un talisman qu'il n'esquivait pas et c'était la fin. Avec un œil en moins, il aurait risqué de brûler le mauvais gamin.
« Comment va ta blessure ? demanda Kitashi en écho à ses pensées.
— Je ne vois rien. Je crois qu'il a crevé mon œil. Merde, ça n'arrête pas de saigner. »
Jun prit une grande inspiration. La température dans la paume qui appuyait contre la coupure augmenta considérablement. Trop, jusqu'à produire des flammes. Il cria sous la propre torture qu'il s'infligeait. Plié en deux, il s'assura que la plaie se cautérisait. Il n'avait jamais connu une douleur pareille. Il ne pouvait pas se brûler, pas avec des flammes ordinaires, mais il ne s'était jamais blessé lui-même. Quelle idée ? La tête lui tourna. Il ne pouvait pas s'offrir le luxe de s'évanouir, cependant. Alors qu'il luttait pour rester éveillé, il sursauta au contact de la main de Kitashi sur son dos. Quand il ouvrit l'œil, ce sont ses yeux chocolat qu'il croisa. Kitashi s'était accroupi et le fixait avec une inquiétude qu'il ne dissimulait pas.
« Je vais bien, articula difficilement Jun d'une voix rauque. C'est comment ? »
Kitashi grimaça en guise de réponse. Jun baissa la tête.
« On continue », déclara-t-il tout de go.
Si Kitashi ne le considérait pas tout à fait comme un monstre, il avait à présent toutes les raisons de le faire.
Jun tenta de se relever, mais ses jambes tremblaient tant qu'il retomba à genoux.
« Promets-moi quelque chose avant, dit Kitashi, tout près.
— Quoi ?
— Toi aussi, promets-moi que tu ne mourras pas. »
Il n'y résista pas. Jun déposa ses lèvres sur celles de Kitashi, sans les bouger. Il voulait seulement sentir sa peau contre la sienne. Juste une seconde. Puis il se releva, un peu titubant, et se remit à courir en direction de la rivière.
Sur leur chemin, ils avaient croisé une poignée de squelettes. La plupart aux mains avec des hommes de Megumi. Jun repéra dans quelle direction les monstruosités venaient et courut à contre-courant. Il trouva un bosquet assez haut pour pouvoir les camoufler près de l'eau, si bien que Kitashi ne remarqua pas tout de suite où Jun s'était caché. Il le dépassa et son coéquipier fut obligé de le saisir par le dos de sa veste pour le tirer à l'abri. Kitashi retomba sur le derrière à côté de Jun. Il grimaça et cracha. La chute avait dû réveiller la douleur dans sa poitrine. Quelle équipe, songea Jun. Le teint cireux de Kitashi et les épais cernes qui ornaient ses yeux lui rappelaient un peu trop leur rendez-vous avec Megumi. Faites que sa blessure ne se soit pas rouverte, pria Jun. Il ne savait pas à qui il adressait exactement sa prière, mais quelqu'un l'entendrait peut-être et les prendrait en pitié, car, il n'en doutait pas, il ne devait pas avoir meilleure allure. Ne voir que d'un œil pour la première fois de sa vie, alors que la vue était l'un de ses atouts, remettait en cause l'appréhension de son environnement. Son angle mort le perturbait trop pour qu'il réussisse à calmer sa tachycardie et le moindre bruit le faisait sursauter. Comme lorsque les branches du buisson que Kitashi écarta bruissèrent. Son cœur s'arrêta une seconde, la main sur l'étui de son arme.
« Il est là », murmura Kitashi tout contre son oreille.
Il avait raison. Le squelette, qu'Itou avait appelé Mitsushi, portait la même veste de motardque lors de leur première rencontre. Il se tenait, immobile comme une pierre, assis en tailleur contre le tronc d'un immense chêne.
« Pourquoi il ne bouge pas ? demanda Kitashi tellement bas que même l'ouïe fine de Jun faillit ne pas l'entendre.
— Ça doit demander de la concentration de massacrer des dizaines d'hommes en même temps. Ça doit être pour ça que le gamin l'a accompagné. Il ne peut pas se défendre tout seul.
— Mais il ne pleut pas.
— Quoi ? »
Kitashi gigota, inconfortable dans sa position accroupie. Il n'était pas aussi souple que Jun et il faisait autant de bruit qu'un éléphant sur un parquet.
« À chaque fois que le gamin se sert de son pouvoir, il pleut. Tu n'as pas remarqué ?
— Tu crois que ça a un rapport avec le teru teru bōzu qu'il porte à la ceinture ? »
À l'expression perdue de Kitashi, il n'avait de toute évidence pas remarqué ce détail. Jun mima la ceinture du kimono que portait le dénommé Hirohito.
« La poupée flippante qu'il a toujours sur lui, sauf quand il attaque. Il l'a détachée de son kimono à l'hôpital psychiatrique avant de m'envoyer dans le décor.
— Il ne pourrait donc pas se servir de son eau avec cette poupée ? Mais pourquoi porter un handicap pareil ?
— Ben s'il pleut partout où il va, hasarda Jun avec un haussement d'épaules, ce n'est pas ce qu'il y a de plus pratique. Minute. »
Jun huma l'air. L'humidité ambiante augmenta tout d'un coup. Une goutte tomba sur son épaule, puis sur son nez. Il contempla Kitashi avec de grands yeux exorbités. Merde, articulèrent silencieusement ses lèvres.
« Je vous l'accorde, être un Amefurikozō n'a pas que des avantages. »
Jun ne l'avait même pas entendu arriver. Il pivota, le moindre de ses muscles prêts à attaquer, ou à fuir.
Le gamin les regardait du haut de sa petite taille, une main levée au niveau de son visage. Son poing s'ouvrit, laissant tomber une poupée de chiffon. L'averse prit de l'ampleur et ils furent bientôt tous trempés jusqu'aux os.
« Je vois que les soldats de Mitsushi ne vous ont pas laissés indemnes. »
Le corps de Kitashi contre celui de Jun, ce dernier devina que son coéquipier pivotait lentement vers Mitsushi. Ça pouvait marcher. Il fallait que Jun gagne du temps.
« Désolé de te décevoir, articula-t-il à travers le sourire nerveux qui étirait ses lèvres. Vos sbires ne nous ont même pas touchés. C'est un exorciste qui m'a fait ça. Il est encore dans le coin, d'ailleurs. Vous devriez faire gaffe à votre cul.
— Merci du conseil, mais nous n'avons rien à craindre. Itou est là pour s'en assurer. »
Le sourire de Jun fondit.
« Ça veut dire quoi, ça ?
— Ne t'inquiète pas. Rien de tout ça ne sera plus ton problème une fois que je t'aurai noyé. Ironique pour un Bakeneko, n'est-ce pas ?
— Sauf si on vous tue avant. Pas vrai, Kitashi ? »
Qui avait eu tout le temps de se préparer. Il ne visa même pas. Kitashi se contenta de lever son arme et de tirer. Hirohito hurla le nom de son complice au moment de la détonation. L'œil valide de Jun surprit l'expression paniquée du yōkai. On aurait presque pu croire qu'il craignait pour la vie du squelette autant que pour la sienne. Le coup partit. L'eau de la rivière se souleva dans un souffle. Jun crut un instant que la masse énorme allait s'abattre sur eux, mais elle entoura Mitsushi, le protégeant de la balle.
Maintenant.
Dans l'urgence, Jun et Kitashi se bousculèrent hors de leur cachette.
Tout se passa très vite. Jun profita de l'état de choc de Hirohito pour le faire basculer sur le dos. Il lui agrippa la cheville et tira de toutes ses forces. Le yōkai tomba en arrière. Lorsqu'il tomba au sol, Jun maintint les petits bras au-dessus de la tête de leur propriétaire. Hirohito toussa, cracha. Il se débattait avec une rage incroyable et Jun se fit un plaisir de faire cesser les coups de pied qui pleuvaient contre son ventre en lui brûlant les poignets. Hirohito hurla sa douleur.
« Alors, vieux crouton, tu ne peux plus faire de tour de magie sans tes mains, pas vrai ? »
Le yōkai cessa de se débattre. Il tourna la tête sur le côté et une gerbe d'eau fit rouler Jun sur quelques mètres.
« Ah bah, si, tu peux », pesta Jun en se relevant, encore plus trempé qu'il ne l'était déjà.
Il regarda autour de lui. Une sphère d'eau s'était formée autour de Mitsushi, ce qui le protégeait des balles que Kitashi tirait, et Hirohito était hors de vue. Où était-il passé ? Il ne restait de lui que sa vieille poupée, sale de boue. Jun se précipita pour s'en emparer. Le cri de Kitashi le fit se redresser en vitesse. Jun eut juste le temps de voir son coéquipier se faire propulser contre un arbre. Hirohito se tenait au bord de la rivière, le bras levé devant lui.
« Ça va ? » hurla Jun à l'intention de Kitashi.
Une toux sèche lui répondit. L'inspecteur se releva péniblement, mais parvint à rester debout. Bon, il n'allait pas mourir tout de suite. Jun esquiva une vague d'un bond sur le côté. Il lança la poupée à Kitashi. Si ce truc empêchait vraiment Hirohito d'utiliser son pouvoir, il allait lui-même s'assurer qu'il ne puisse plus jamais s'en séparer.
« Tu me feras la passe ? T'es bon au rugby, non ?
— Quoi ? s'étonna Kitashi.
— Couvre-moi. »
Jun s'élança vers Hirohito. Aussitôt, le petit être au visage déformé par la haine envoya une masse aqueuse droit sur lui. Kitashi tira trois coups. Surpris, Hirohito dut interrompre son attaque pour se protéger lui-même. Le yōkai décrivit vivement un arc de cercle avec ses bras et l'eau suivit son mouvement, si vite que les balles furent stoppées. Jun n'était à présent plus qu'à trois mètres de lui. Dans l'élan de sa précédente attaque, Hirohito relança la vague. Une grande gerbe de feu, aussi chaude que Jun fut capable de la produire, la rencontra. Les deux pouvoirs s'annulèrent et de la vapeur brouilla les alentours.
« La passe, Kitashi ! Maintenant ! »
La poupée vola vers lui aussi bien qu'un ballon grâce au papier mâché qui lui servait de tête. Jun l'attrapa et se jeta dans le nuage de vapeur. À l'aveugle, il percuta Hirohito. Le gamin poussa un cri étouffé en touchant terre, Jun au-dessus de lui. Le brouillard se dissipa assez pour qu'on voit à nouveau clair. Jun utilisa la main qui ne tenait pas le teru teru bōzu pour saisir la mâchoire du gamin et ainsi le forcer à ouvrir sa bouche. Sans hésiter, il enfonça le chiffon au plus profond de sa gorge et carbonisa le tissu et la chair. Les deux matières fondirent l'une dans l'autre autour des lèvres du yōkai. La pluie cessa immédiatement. Le voile d'eau qui entourait Mitsushi retrouva le lit de la rivière.
« Allez, avale ça, cracha Jun. S'il fait beau demain, je te donnerai un grelot d'argent, sale gosse. »
Hirohito étouffa sans réussir à hurler sa souffrance. Dès lors que l'objet était incrusté à même sa peau, il était inoffensif. Normalement.
« Kitashi ! l'incita Jun en tournant la tête pour apercevoir son coéquipier. Achève le squelette ! »
Kitashi leva son arme. Entre les griffes de Jun, Hirohito gesticula de plus belle. Il tenta de dire quelque chose, mais le chiffon l'en empêcha.
La balle explosa le crâne du squelette. Jun entendit son corps s'effondrer. Par-delà les arbres, les rafales de mitraillette et les cris d'agonie cessèrent. Mitsushi ne contrôlait plus ses monstres.
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