Je me rappellerais éternellement ces journées où, hanter par le désespoir mon seul rayon de soleil se résumait à ta présence, enivrante, renforcée par les mots en coton que tu me soufflais.

Cette bonté-là, je la devais surement à monsieur – votre père - qui par sa miséricorde m'a recueilli de ces immondes trottoirs dont je faisais partie. Dans lesquelles les rats dansaient à l'affut du moindre reliquat et où les vents les plus abjects se disputaient dominance.

Aujourd'hui encore je t'épie, t'observe dans la plus grande des confidences, car comme tu le sais tu es mon soleil. Tes rayons atténuent les ardeurs les plus sévères et les esprits les plus troublés. Si notre association n'avait pas été aussi malveillante aux yeux de madame, j'aurais pu t'extirper de ce manoir qui te faisait tant suffoquer.

Te conserver l'espace d'un instant...

Aujourd'hui encore sans que tu ne le sache : je t'étudie de près, lors de ma pause. Te détaillant de la tête aux pieds tandis que tu te mouvais avec grâce accompagner de ta rapière, qui a chaque entaille semblait peindre tes yeux : fins et radieux.

C'est alors que j'ai traversé le barrage en cuir qui recouvrait mon « cœur » pour concocter une mélodie à l'aide de mon piano improvisé, où jouait mes doigts arides.

Cette mélodie fut malheureusement interrompue par l'appel, qui signalait le retour au travail.

Et c'est d'un dernier coup d'œil à l'arracher, que j'ai pu te souffler au revoir.

...............

Avachi sur mon lit après une dure journée de travail, je contemplais mon « cœur » inerte sur la petite table en bois.

Si fragile, si tourmenté, il se sauvegardait au sein de sa muraille de cuir. Pensant qu'il aurait pu faire face à vent et marée, tempête et tourbillon.

Pourtant il possédait assez d'amour pour toute une vie, pour une seule personne qui lui était chère.

Cependant l'implosion était proche.

Ses émois ne pouvaient plus se contenir. Ils avaient fermenté pendant beaucoup trop longtemps et leur patience arrivait à terme.

Toutefois cette substance brute était beaucoup trop intense pour l'être aimé qui était si distingué et sensible.

Je l'ai donc raffiné, de jour en jour, avec une obstination presque religieuse. Détaillant chacune de tes qualités dans un rapport exhaustif, ce qui a transformé cette substance brute en un magnifique nectar.

Cette nuit, après une journée de dur labeur, j'ai laissé ce nectar s'exprimer avec élégance et passion sur le papier : une valse enflammée de tendresse se jouait sur lui. Brûlant doute et incertitude ; je pensais avoir composé la combinaison qui me mènerait à ton cœur.

Après l'avoir recouvert des plus fines parures que je pouvais m'offrir je l'entreposai avec délicatesse au sein de mon « cœur ».

J'étais fin prêt.

J'espérais te faire mien, pensant que tu serais le remède aux maux de mon esprit.

Je savais que tu l'étais, tu devais forcement l'être.

Sauras-tu atténuer cette bestiole qui me ronge de l'intérieur, entre les voiles bienveillants de mon amour ?

Me laisseras-tu respirer ces airs de liberté que tu convoites ?