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L'incendie


Guillaume est préoccupé.

Cet incendie, à Bondy, il n'aime pas ça.

Ça l'avait d'abord fait marrer – pas les morts, non, évidemment, Guillaume n'a rien d'un cynique. Mais sur l'écran de la télé perpétuellement allumée dans un coin de son bureau, le jeune conseiller du ministre de l'Education nationale n'avait d'abord capté qu'une cocasse collision entre le texte du bandeau – « le mystère du Groslay résolu » - et l'image d'un obèse rougeaud aux yeux porcins, menotté, devant un pavillon éventré par le feu. Il avait mis le son.

Guillaume avait tout de suite su que cela ne sentait pas bon. Ça puait l'odeur rance de l'instrumentalisation, celle qui transforme les bourreaux en victimes et les cadavres en coupables. Un bref coup d'œil aux réseaux sociaux lui avait confirmé ce qu'il pressentait : les corps des jeunes brûlés n'étaient pas encore refroidis que déjà refluait la vague d'indignation qui avait saisi Twitter à l'annonce du feu, sans nul doute criminel, qui avait ravagé un squat de la banlieue parisienne. Le bâtiment insalubre qui abritait une dizaine de gamins réfugiés s'était embrasé en quelques minutes. Trois d'entre eux, pris au piège des flammes alimentées par l'essence répandue le long des murs, avaient péri. Le juste courroux contre l'ordure responsable du drame et l'indignité du gouvernement/de la mairie/de tous ceux qui avaient laissé « faire cela » avait été aussi intense qu'éphémère. Quelques heures seulement avaient suffit pour que surgissent, dont ne sait où, photos et témoignages qui changeaient tout.

Des « enfants » ? C'était vite dit. On doutait même qu'ils soient mineurs, ils auraient – ils le font tous, non ? – menti sur leur âge pour profiter de la mansuétude des autorités. Déjà qu'à 17 ans, on n'est plus un enfant, à 19, pensez vous, dans leurs pays, ils ont déjà 4, des enfants... Des « innocents » ? Vite dit aussi, disait le « voisin » sans nom ni visage dont les déclarations, partagées et retweettées des centaines de fois, faisaient le bonheur de la fachosphère. Une bande plutôt, qui terrorisait le quartier. On n'osait plus sortir depuis qu'ils avaient débarqué, on rentrait chez soi en rasant les murs. Des vélos disparaissaient des arrière-cours, on ne retrouvait plus le lapin de la petite Choiseul – ils l'avaient sans doute bouffé, ces cannibales. Alors que Marcel, le proprio, l'obèse menotté, il avait tout perdu. C'était un peu sa vie, à lui aussi, à lui d'abord, qui était partie en fumée. C'est sûr, il a déconné Marcel, disait maintenant, face à la caméra de la chaîne info, son vieux pote d'enfance. Mais c'est pas un mauvais gars, vraiment. Puis faut le comprendre : des mois que ça durait cette affaire, des mois qu'il bataillait pour recouvrer la jouissance légitime de son bien... Il avait eu peur, Marcel, il osait pas leur demander de décaniller, c'était des costauds ces gars là, des gars qui n'auraient pas hésité à lui cogner dessus en gueulant allahou akbar – on avait quand même retrouvé des bouts de tapis de prière, dans les cendres.

L'esprit de Guillaume ne parvient pas à quitter Bondy. Chemin du Groslay. Ni l'horreur des faits, ni son dégoût de l'inconstance de l'opinion publique ne justifie pourtant qu'il s'y attarde. Guillaume a du travail – beaucoup – et cette affaire sordide n'a rien à voir avec son travail. Aucune raison qu'il y passe du temps. Mais après avoir éteint la télé et pris une grande inspiration, il n'ouvre pas le parapheur contenant les vingt-six réponses aux questions écrites des parlementaires qui attendent d'être corrigées et validées depuis huit jours. Au lieu de cela, il cherche sur Google Maps l'image satellite du Chemin du Groslay. C'est laid et triste, sans excès – pavillons, jardinets, entrepôt, friche, pavillons encore. C'est surtout à même pas deux bornes du collège où enseigne sa sœur Marie. En passant sous l'Autoroute et en traversant la Nationale, à peine vingt minutes à pied. Des gamins qui habiteraient là pourraient y être scolarisés. Enfin, des gamins normaux, avec au moins un parent, un toit pas trop percé sur la tête et de la bouffe, la plupart du temps, dans leur assiette. Ceux du squat, il ne fallait pas y compter. Guillaume ne sait pas trop d'où ils viennent mais il se doute que les fonds de culotte de ces mômes se sont davantage usés sur les sols à nu des cales et des camions qui les ont emmené là que sur les bancs des écoles. Ils sont où, d'ailleurs, ces gosses, les survivants, ceux qui ont échappé aux flammes, par instinct de survie ou par chance ? En repensant aux clichés pris le soir de l'incendie, il en revoit une poignée, au pied de l'ambulance, enroulés dans leur couverture de survie. Gueules ravagées, regards de vieux qui n'éclairent pas leurs visages pourtant juvéniles – bien sûr que ce sont des enfants ! Sur les photos, ils sont quatre, cinq, tout au plus. L'ASE a du les prendre en charge, depuis. Mais les autres ? BFM a parlé d'une dizaine : ont-ils échappé à l'œil des photographes ? Ou se sont-ils échappé tout court, évanouis dans la nature ?

— Ils sont devenus quoi, tu crois, les mômes du squat de Bondy ? demande-t-il à la conseillère budgétaire qui vient de passer une tête dans l'entrebâillement de sa porte.

— Hein ? De quoi tu parles ?

— Des réfugiés. L'incendie il y a quelques jours, t'as pas vu ?

— Ah ça ? Si, si, j'ai vu. Aucune idée. Karaoké ?

Guillaume pointe du menton les parapheurs qui forment une pile sur son bureau – encore du taf, et du sommeil à rattraper. La prochaine fois, sans faute. Il ne dit pas que, l'esprit encombré des cendres du squat, l'idée d'aller beugler du Nino Ferrer dans un bouge coréen lui paraît parfaitement incongrue.

Guillaume prend une décision. Il ne laissera pas tomber. Ces gamins auraient dû être à l'école quand l'incendie s'est déclenché. C'est suffisant pour que ce soit son problème, finalement. De retour à son bureau, il compose le numéro de permanence de la Préfecture de Seine-Saint-Denis et tombe, à sa grande satisfaction, sur le directeur de cabinet du Préfet. Les deux hommes ont eu l'occasion de se croiser à plusieurs occasions, lors de déplacements du ministre dans le 9-3. Le conseiller apprécie le type, un certain Bertrand, qui lui fait davantage penser à un flic sur le retour qu'à un rejeton de la bourgeoisie frais émoulu de l'ENA. Grande gueule, d'une finesse que ne masquent pas ses manières un peu brusques et sa grossièreté assumée, il donne l'impression d'avoir un pied solidement planté dans la terre meuble de son Perche natal et l'autre coulé dans le bitume de la cité. Son sourire de brigand et ses mains épaisses aux ongles rongés jusqu'à la racine inspirent une confiance irrationnelle à Guillaume.

« Tu bosses encore ? lui demande-t-il un peu bêtement.

— Non, je fais du poney, là, tu crois quoi ? Avec le bordel qu'on a en ce moment, les migrants qui débarquent de partout, je suis sur le pont toutes les nuits... Et toi, qu'est-ce que tu fous, scribouillard ? T'es pas encore couché ?

— C'est pour ça que je t'appelle justement. Les migrants. L'incendie de Bondy plus précisément. T'aurais des billes pour moi ?

— Qué, des billes ? Tu regardes pas les infos, t'as pas entendu le proc' ? Si oui, tu sais tout ce qu'il y a à savoir : un abruti a mis le feu à son pavillon pourri, résultat, trois squatteurs sur le carreau. Rien d'autre. Y a même pas eu besoin d'enquête, ce connard a été chopé en moins de deux... Avec l'arnaque à l'assurance et le fait qu'il extorquait du pognon aux gamins, il va prendre cher. Il n'est pas prêt de revoir la lumière du jour si tu veux mon avis.

— Oui, oui, je sais tout ça. Mais les mômes ?

— Les mômes ?

— Ils sont devenus quoi ?

— Pourquoi tu veux savoir ? »

Guillaume perçoit l'once de suspicion dans la voix de Bertrand. Pour couper court, il s'empresse de répondre : « C'est le Ministre qui demande.

— Ah ouais ? Je ne comprends pas bien ce qu'il y a pour vous, là dedans... Mais si c'est le ministre qui demande... Attends, je retrouve le dossier. Voilà. Ils étaient une dizaine à squatter là. Le plus petit ne devait guère avoir plus de 12, 13 ans, et le plus vieux, on ne saura jamais s'il était mineur ou majeur, vu qu'il est mort, et qu'on va pas aller lui regarder les os ou les dents maintenant.... »

Les premiers MIE* étaient arrivés il y a quelques mois. On les connaissait, ils étaient repérés. Mais faute de place dans les centres d'accueil, ils n'avaient pas encore pu être mis à l'abri. Ils avaient dormi un peu partout, dans les parcs, sous les ponts, avant de trouver cette bicoque à moitié abandonnée et de s'y installer – Bertrand soupçonnait le directeur du SAUO** de leur avoir lui-même fourni le tuyau : il pensait sans doute bien faire, le con. Le proprio les avait découvert, et plutôt que de chercher à les virer, il avait choisi de les taxer... Comment les gamins se procuraient l'argent du « loyer », le dircab du Préfet préférait ne pas le savoir. Bref, aux six gamins initiaux, dont deux figuraient parmi les victimes, s'était agrégée une poignée de jeunes inconnus au bataillon. A ce stade, difficile de savoir combien exactement, ni d'où ils venaient. Plusieurs rescapés avaient essayé de se planquer juste après l'incendie, par peur des flics, des autorités, dieu sait ce qu'ils avaient vécu pour avoir peur comme ça. On avait remis la main dessus assez vite, et tout ce petit monde avait été mis dans un car pour les Pyrénées-Orientales, ou apparemment, on avait trouvé à les accueillir. Pas impossible qu'on en ait loupé quelques uns dans l'opération : il y en avait sans doute encore un ou deux dans la nature. C'était plus que probable, même.

— Aucun n'était scolarisé ?

— Pas à ma connaissance, non. Redis moi ce que tu vas faire avec ces infos ?

— Je ne sais pas, Bertrand. Pour tout te dire, je ne sais vraiment pas... »


* Mineur Isolé Etranger


**  Service d'accueil d'urgence et d'orientation




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