Chapitre II : Banquet et Retrouvailles
[*Vice d'Italie : homosexualité]
Quand leurs noms furent annoncés, de nombreux visages étonnés se retournèrent vers eux. Charles pouvait presque deviner ce qu'il se passait dans leurs têtes. Il n'y avait pas pensé, mais c'était pourtant évident que leur arrivée se ferait tant remarquer. La dernière fois qu'ils l'avaient vu, il était souffrant et le comte n'avait pas tardé à être parmi les absents lorsque le duc avait décidé de rester à Saint-Cloud. Les deux amants firent comme si de rien n'était et traversèrent la salle en direction du buffet, heureusement pour eux, les autres invités reprirent vite le cours de leurs occupations. Charles prit un verre de vin et observa la pièce dans laquelle il se trouvait.
Cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas mis les pieds et la détaillait des yeux comme s'il la découvrait. Cette belle salle du siècle dernier était magnifique. Le sol était composé de carrelage dont les losanges étaient une fois sur deux blancs ou marrons, qui donnait de la couleur à la salle dont les murs étaient blancs. Son regard s'attarda ensuite sur les nombreuses colonnes inspirées de l'Antiquité sur les côtés de la pièce, qui évoluaient en voûtes sculptées qui rejoignaient les colonnes d'en face. A droite, à l'opposé du buffet, se trouvaient de nombreuses fenêtres qui laissaient voir la cour Carrée. À l'entrée de la salle se tenaient les Caryatides. Surélevées, ces beautés d'apparence antique soutenaient la tribune des musiciens qui jouaient le Premier Air pour les Braves et les Coquettes, guidés par Lully lui-même dont les mouvements traduisaient les notes. Derrière eux se trouvait un demi-cercle de pierre noire représentant une femme dénudée sculptée à l'intérieur, à sa droite comme à sa gauche étaient sculptés deux anges sur le mur blanc.
— Détend-toi, lui souffla Henri à l'oreille avant de l'embrasser.
— Mais je le suis, rit le duc.
— Ah oui ? Alors ce n'était pas toi la personne que je voyais détailler chaque recoin de cette pièce sans avoir touché à son verre ? rétorqua le comte sur le même ton.
Le brun rit une fois de plus avant de se tourner vers le buffet et de prendre une pâte de fruits.
— Te voilà donc de retour mon frère, je suis heureux de te voir ici, fit une voix qu'il connaissait bien.
— Philippe ! Comment vas-tu ? lui répondit Charles en se retournant.
Le duc était heureux de revoir son petit frère. Philippe avait beau avoir fêté son trente-et-unième anniversaire au début du mois précédent, il avait le visage plus fin que ceux de ses frères, qui avaient un visage dur et les traits légèrement marqués. Leurs sourcils épais leur donnaient même un air sévère. Philippe, lui, avait la légèreté imprégnée en lui, légèreté qui avait disparu lorsque son amant, le chevalier de Lorraine, avait dû partir en exil en Italie. Charles était soulagé de voir que son frère ait retrouvé cet air qui lui était propre.
— Je vais bien. Je ne m'attendais pas à te voir ici ! s'exclama-t-il.
— À vrai dire, je ne m'y attendais pas non plus, pouffa le duc, mais que veux-tu, on ne peut rien refuser au roi ! continua-t-il sur le même ton. Et puis Henri est à son aise à la Cour, il voulut se tourner vers lui mais se rendit compte que celui-ci était parti converser avec une courtisane que le brun ne connaissait pas.
Une nouvelle personne fut annoncée, mais Charles n'y prêta aucune attention, il préférait demeurer avec ceux qu'il connaissait, plutôt que de jouer le jeu de la Cour. Le duc discuta avec son jeune frère jusqu'à ce que l'un de ses mignons n'entraîne ce dernier un peu plus loin. Charles se retourna donc vers le buffet qui était rempli de nourriture, le brun ne put s'empêcher de se demander si les tables ne risquaient de s'effondrer sous le poids de tout cela. Sur celles-ci, étaient présentés de nombreux mets : pâtisseries, confiseries, fruits exotiques, ou encore du vin, par exemple. Il y avait également des aliments venus d'Amérique. Entre autres, étaient présentés du chocolat ou encore du café contenus dans des pichets dont le verre était travaillé. Le duc ne put se retenir d'esquisser une grimace à la vue de cela, il ne voyait pas en quoi ces boissons si amères pouvaient être agréables à boire, et leurs origines exotiques ne lui donnaient pas plus envie d'essayer de les ingurgiter. Il prit donc deux macarons en se délectant de la prodigieuse musique de Lully jusqu'à ce qu'une courtisane vienne monopoliser son attention, certainement pour essayer d'obtenir les faveurs du roi par le biais de son frère, en parlant de choses futiles et sans intérêt aux yeux de Charles qui n'écoutait que d'une oreille. Madame parlait de ragots propres à la Cour, ses phrases étaient rythmées par des expressions telles que "on dit que", "il paraîtrait que", "madame une telle m'a dit que".
— Pardonnez-moi, madame, mais je ne me sens point à mon aise, peut être pourrions-nous reprendre cette conversation plus tard ?
— Assurément, Monsieur, fit la courtisane en souriant.
Le duc se dirigea donc une nouvelle fois vers le buffet et se servit un demi-verre de vin blanc. Il ne voulait pas finir saoul, mais avait néanmoins besoin d'un remontant. Il ne souhaitait que rentrer à Saint-Cloud. Il n'aimait pas les manières de la Cour et encore moins l'hypocrisie des courtisans. Mais son royal jumeau n'était pas encore arrivé et ce serait une preuve d'immense irrespect de partir maintenant, il ne devait pas oublier que ce dernier était plus que son aîné : il était également son roi.
Alors qu'il finissait de manger une datte, il remarqua que Philippe n'était pas loin, et discutait avec une femme dont l'âge devait environner celui de son petit frère. Celui-ci était souriant et semblait à l'aise jusqu'à ce que la courtisane dise "Il est donc vrai que vous avez le vice d'Italie*". Il vit le visage de Philippe se décomposer. Charles décida alors d'intervenir, il savait que le prince réagissait très mal à ce genre de paroles et ce qu'il risquait de répliquer pouvait provoquer un scandale et par la même occasion attirer la colère de Louis.
— Ce serait donc un mal de famille, fit le duc en souriant, se plaçant à côté de son frère, ce dernier se préparant à répondre.
— Votre Majesté... balbutia l'interlocutrice, ébahie, faisant une révérence à celui qu'elle pensait être son souverain.
— Me voilà flatté, madame ! lui répondit le duc, amusé. Je suis Charles-Henri d'Orléans, ravi de vous connaître, continua-t-il sur le même ton en la saluant. Et vous ?
— Clémence de Bourbon-Condé, tout le plaisir est pour moi, Monsieur, se présenta-t-elle en esquissant un sourire.
Cette fois, ce fut au tour de Philippe et de Charles d'être surpris. Ils évoquaient souvent leur petite enfance à Saint-Germain-en-Laye en compagnie de la princesse de sang, avant qu'éclate la Fronde. Quand ses parents prirent le parti des frondeurs à cause de la rivalité entre Louis II de Bourbon-Condé et Mazarin, la petite Clémence dut retourner à Chantilly. Comment la Régente aurait-elle pu garder une enfant de frondeurs près des princes et du jeune roi ?
— Veuillez nous pardonner de ne pas vous avoir reconnue, madame. Nous sommes enchantés de vous revoir ! répondit Philippe.
— Ce n'est rien, je le suis également. Cela fait tellement de temps que nous ne nous sommes pas vu !
Après avoir conversé un moment, Clémence ne put contenir sa curiosité plus longtemps. Cette question lui brûlait les lèvres depuis que le duc d'Orléans était arrivé.
— Donc, vous êtes également attiré par...
— Eh oui ! la coupa Henri qui venait d'arriver.
— Je vous présente Henri de Clermont-Tonnerre, sourit Charles, Henri, je te présente Clémence de Bourbon-Condé, une amie d'enfance de mes frères et moi-même.
— Enchanté, Madame, répondit courtoisement Henri à la princesse.
— Je suis ravie de faire votre connaissance.
Il était évident pour Clémence que le duc d'Orléans et le comte de Clermont étaient amants, bien qu'il soit moins facile de le voir pour eux que pour Philippe et ses mignons. La princesse l'avait deviné en voyant la lueur dans le regard de Charles quand le comte était arrivé. Si elle ne comprenait pas les personnes entachées du vice d'Italie, elle ne comprenait encore moins ce que le duc pouvait trouver à cet homme qu'elle trouvait laid : son nez long et quelque peu imposant et son grand front contrastaient avec ses pommettes timides et ses petits yeux verts. Mais l'amour rend aveugle, n'est-ce pas ?
Ils continuèrent à converser jusqu'à ce qu'une autre personne se fasse annoncer :
"Le roi"
Plus personne n'osa parler. Seule la musique continuait de jouer. Toute l'assemblée fit une révérence au souverain puis, comme pour Charles, les invités reprirent leur occupation.
Louis s'avança vers ses frères, Clémence et Henri, et les salua.
— Je suis ravi de te revoir, mon frère. Je pensais que mon invitation serait vaine, sourit le roi.
— Je suis ravi aussi. Depuis le temps que nous ne nous sommes pas vus, je ne pouvais refuser, lui répondit Charles, souriant également.
Le reste de la soirée s'était bien passée, pris dans leur conversation, les jumeaux discutèrent ensemble après avoir conversé longuement avec Philippe et Clémence. Henri s'était éloigné, il savait que le roi ne l'appréciait pas.
Quand le banquet toucha à sa fin, Louis avait invité Charles à chasser le lendemain matin et à rester au Louvre l'après-midi afin de rattraper le temps perdu.
Le duc et son amant étaient dans leur carrosse sur le chemin du retour à Saint-Cloud. Il faisait nuit noire et Henri dormait, la tête appuyée sur l'épaule du brun qui l'enlaçait. Il regardait le chemin par la fenêtre d'en face, pensif. Toute la soirée, il s'était senti oppressé par la Cour et en ce moment-même il se sentait comme prisonnier de l'emprise de son frère aîné.
⚜ ⚜ ⚜
NDA : Ce chapitre est super long, je sais, mais je pensais nécessaire d'essayer d'introduire les autres personnages :)
Je tiens en premier lieu à préciser quelque chose d'important pour moi : je ne suis pas du tout homophobe, j'ai juste dû respecter les opinions de l'époque pour que ce soit cohérent. Je suis en total désaccord avec l'opinion de personnages comme Clémence, par exemple. Je n'ai également pas inventé l'expression du "vice d'Italie"
Pour les parents de Clémence frondeurs et la rivalité entre Louis II de Bourbon-Condé et Mazarin sont vrais, ainsi que le Chevalier de Lorraine et son exil.
Voilà, en espérant que ce chapitre vous a plu :D
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