38.
Réunir tous les ingrédients fut plutôt facile. Ça ne prit que trois heures à Louis pour aller à Rosding et tout récupérer. Il avait refusé net d'aller à l'épicerie de Bloomingdale pour ne pas qu'on le remarque. Iris avait paru surprise qu'il décide de perdre autant de temps à monter dans la plus proche grande ville plutôt que d'aller à l'épicerie du village.
Je comprenais parfaitement et je soutenais sa décision. Si quiconque le voyait acheter des bougies, de la sauge, de la craie... Ils allaient se poser des questions. Ils l'arrêteraient pour lui parler, verraient combien il était pressé et anxieux... Ils le connaissaient tous et s'inquiéteraient de son comportement. Surtout avec l'assassinat de Lila et les soupçons de la police. Soupçons qu'ils ne devaient pas avoir gardés secrets.
Mieux valait que Louis aille à Rosding pour acheter le nécessaire plutôt que de prendre des risques inutiles. Je ne tenais pas à ce que quiconque du village s'en mêle.
Iris pouvait s'impatienter tout ce qu'elle voulait.
En une forme de vengeance vicieuse, elle décida de poser ses valises dans la chambre d'amis. Je ne dis rien, la laissant faire. Si elle allait en ville chercher un logement, elle tomberait forcément sur quelqu'un qui la ferait parler.
Pour me changer les idées, je m'occupai de préparer le déjeuner. Je ne pouvais pas rester assise en attendant le retour de Louis. J'allais devenir folle. Chaque minute sans pouvoir exorciser le démon en Carter était une minute qui nous rapprochait de morts sanglantes. Ça me rendait folle d'angoisse et d'impuissance.
Je m'étais décidée à agir, à être sur le premier front mais je demeurais aussi impuissante qu'au début. Je ne pourrais pas faire l'exorcisme. Iris avait été intraitable sur ce sujet. C'était elle qui devrait le faire. Tout d'abord, pour venger sa petite fille. Ensuite, parce que le démon tirerait sur le lien de la malédiction. Selon elle, ça m'empêcherait forcément de mener le rituel à son terme. Or, si le rituel venait à être interrompu avant sa fin, beaucoup de monde en pâtirait et nous ferions plus de mal que de bien.
C'était quitte ou double.
Elle ne cessait de répéter cela comme pour tenter de me dissuader d'aller jusqu'au bout. Dommage pour elle, ça ne risquait pas d'arriver. Il fallait débarrasser Carter de ce démon, quoi qu'il arrive. J'en mourrais peut-être. J'en doutais. Il me disait sienne. Je doutais que cela fasse de moi une cible de prédilection à sa colère. Au contraire. Ça serait sûrement tout le contraire.
Il préférerait s'en prendre à Carter pour se venger.
Il se vengerait sur son hôte qui, lui, ne pourrait pas mourir.
Je me brûlai et me coupai un nombre incalculable de fois avant de parvenir à quoi que ce soit. Lorsque Louis revint, il haussa un sourcil à la vue de mes mains pleines de pansements. Il ne dit rien – ce dont je lui fus reconnaissante. Il posa simplement les sachets sur la table de la salle à manger et vint s'attabler dans la cuisine.
Iris descendit peu après et regarda dans les sachets. Elle sortit tout, paru même compter et examiner chaque chose. Comme si Louis pouvait avoir fait une erreur alors qu'elle avait tout écrit en détail sur une liste. S'il le vit, il ne parut même pas perturbé.
Nous commençâmes à manger sans l'attendre.
- Ça a été ?
- La sauge a été un peu compliquée à trouver mais le reste, ça a été. Le prêtre qui officiait à l'église m'a regardé étrangement quand je lui ai demandé une bouteille d'eau bénite. J'ai eu l'impression d'avoir assassiné une famille entière.
J'éclatai de rire. L'expression sur son visage était incroyable. Il avait l'air si innocemment abasourdi qu'il me fit rire.
- Il doit rarement voir des inconnus venir lui demander de l'eau bénite, il faut dire.
- C'est vrai mais ce n'est pas une raison pour me donner l'impression d'être un sataniste ! Je suis un athée pacifiste, moi !
Je ris d'autant plus. Il me jeta un regard noir ; ce qui ne changea rien. Au contraire.
Iris arriva comme un cheveu sur la soupe. Elle prit place à côté de Louis, s'installa droite comme un i dans la banquette qui couina sous son poids. J'échangeai un regard en biais avec Louis, me mordant la lèvre pour ne pas rire. Nous étions si mal à l'aise de l'avoir avec nous que c'en était risible. Sans compter que personne n'avait envie de parler de l'exorcisme que nous allions bientôt devoir faire.
Nous nous figeâmes lorsqu'on frappa à la porte. Je reposai ma fourchette, regardant vers Louis. Il s'était penché pour pouvoir observer ce qu'il se passait dans la cour.
- C'est les flics.
- Génial... pestai-je.
Je me levai et allai ouvrir. Linger me salua sobrement alors que Vults arborait son éternel sourire narquois qui découvrait des dents quelque peu jaunes. Une odeur de cigarette me parvint et je toussai, ma gorge se mettant à brûler instantanément.
- Qu'est-ce que je peux pour vous ?
- Nous inviter à entrer, peut-être ? répondit Vults.
- J'ai des invités et nous étions en train de déjeuner, répliquai-je sèchement. Que me voulez-vous encore ? Vous avez arrêté Carter ! Ça ne vous suffit pas ? Vous voulez m'arrêter aussi ?
Linger jeta un regard impatient à son jeune collègue et m'offrit un sourire cajoleur que j'ignorais. Je décelais ses plans dans ses yeux noirs. « Calmons-la, elle nous dira ce qu'on veut savoir ». Sauf que non. Je n'avais pas la patience de les supporter.
- Nous n'avons aucune intention de vous arrêter, mademoiselle London. À moins que vous ne soyez coupable de quelque chose.
- Pitié... J'ai l'impression de regarder Les Experts ! Dites-moi simplement pourquoi vous êtes là plutôt que de me faire perdre mon temps. Mon repas va être froid.
Vults se redressa et Linger mit un bras en travers pour l'empêcher de s'avancer vers moi pour m'intimider. Je faillis lever les yeux au ciel. Je préférais croiser les bras et attendre. Je regardai la pluie leur dégouliner dessus avec une joie mauvaise. Je ne leur offrirai aucun abri.
- Nous aurions quelques questions sur la mort de Holly Stillwater. Il est connu qu'elle vous détestait car elle aimait Carter James.
Je levai une main, comprenant déjà où ils voulaient en venir.
- Vous insinuez que, lorsque je ne suis pas en train de m'envoyer en l'air avec le petit ami de ma meilleure amie – que j'assassine ensuite, sinon, ça ne serait pas un bon épisode des Experts –, j'aurais aussi tué Holly parce qu'elle voulait Carter pour elle ? Parce que, je vous corrige tout de suite, elle n'aimait pas Carter. C'était un caprice d'adolescente en mal d'attention. En tout cas, selon vous, j'aurais tué ma meilleure amie pour avoir son petit ami et j'aurais tué Holly parce qu'elle était jalouse de ma relation avec Carter ? Et c'est lui que vous avez arrêté ? Vous avez un esprit sacrément tordu, vous les flics.
Sur ce coup, ils restèrent silencieux. Je comptais exactement sept secondes avant que Vults ne se décide à me gratifier de toute son érudition.
- Nous aurions plutôt tendance à penser que vous les poussez au meurtre pour vous. Vous avez convaincu Louis Trinkett de tuer Lila Dawson pour vous. Vous avez convaincu Carter de tuer Holly pour qu'elle vous laisse tranquille.
J'éclatai de rire. Ce fut un rire froid, grinçant, cynique. Loin de celui que j'avais eu une demi-heure auparavant avec Louis.
- Je suis incapable de vous convaincre de me foutre la paix alors convaincre mon petit ami et mon meilleur ami d'assassiner des gens pour moi ? Vous vous foutez de moi, c'est pas possible ! On vous paie vraiment pour raconter des conneries pareilles ? Je comprends maintenant pourquoi il y a tant d'innocents en prison !
- Modérez vos paroles, mademoiselle London, dit doucement Linger.
- Pourquoi ? Quand quelqu'un raconte un tissu de conneries, il faut le lui dire. Et c'est ce que vous faites. Vous vous acharnez sur moi alors que je perds ma meilleure amie et une collègue. Vous n'avez rien d'autre et vous vous accrochez à ça plutôt que de chercher des vraies pistes parce que c'est plus facile !
Et puis je compris quelque chose.
- En fait, vous n'avez rien contre Carter. Vous l'avez arrêté pour me provoquer. Vous pensiez quoi ? Que je tuerais quelqu'un en retour ? Que je hurlerais dans les rues « non, c'est moi ! » ?
Des pas se firent entendre derrière moi. Louis. Je connaissais sa façon prudente d'avancer.
- Vous exagérez ! cria Vults. Cette fois, c'est bon ! Vous venez avec nous au poste !
Il tenta de m'attraper le bras mais je lui échappai.
Louis s'interposa.
- Hé là ! Vous n'avez pas le droit de l'arrêter sans motif valable !
- Il a raison, John, dit Linger en saisissant le bras de son coéquipier.
- Si ça continue, on va porter plainte pour harcèlement ! continua Louis, insensible.
- Faites donc ! tonna Vults, furieux comme un taureau dans une arène.
- Avec plaisir !
Quelque chose derrière lesp oliciers attira mon attention. Un mouvement fluide, rapide. Mon cœur loupa un battement. C'était impossible...
Au murmure choqué de Louis, je compris qu'il voyait comme moi. La silhouette noire au bord de la route, qui s'avançait d'un pas de prédateur vers nous. Je reculai, entraînant mon meilleur ami avec moi.
- Que se passe-t... ?
Linger n'eut pas le temps de finir sa question qu'il s'effondrait sur mon perron, la gorge tranchée.
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