21.
Un grincement. Subtil, à peine audible. Il me sortit de la torpeur dans laquelle j'étais tombée vers minuit. Ce n'était pas vraiment du sommeil, plutôt une forme de somnolence. J'étais perdue entre conscience et inconscience, mes sens fonctionnant toujours dans le monde réel, mon cerveau embrumé par un demi-rêve.
Je battis des paupières, revenant pleinement dans le monde sensible, concret. Il y avait un bruit récurrent, inhabituel. Comme une goutte d'eau tombant sur un seau en fer. Je ne parvenais à savoir d'où il venait.
Le plancher grinça dans le couloir. Je me raidis. Le bruit de goutte se répéta, plus clair, plus fort. Plus proche. Je me penchai hors de mon lit pour allumer la lampe de chevet.
L'ampoule explosa sous l'abat-jour.
Je retins un cri, le ravalant du mieux que je pus. Ce n'était rien. Un court-circuit ou quelque chose du genre. Rien de grave. Rien de surnaturel. Tout allait bien. L'interrupteur du plafonnier était juste à côté de la porte. En face de mon lit. Il suffisait que je fasse ces quelques pas dans le noir avant que je puisse y voir clair.
Je me redressai, repoussai mes couvertures. Après une profonde inspiration, j'avançai sur mon matelas. Il n'y avait pas de monstre sous mon lit. Il y avait plus de chance qu'il soit dans ma tête.
Un pied après l'autre sur le plancher glacé, les mains tendues, je cherchai ma porte. Mon cœur fit un bond lorsque le bois rêche apparut sous mes doigts.
Je tâtonnai à la recherche de l'interrupteur. Le plastique était gelé. Je frémis tout en appuyant sur le bouton. Les ampoules grésillèrent, diffusant de brefs éclats de lumière. Je parvins à distinguer ma chambre dans ces flashs lumineux, n'y trouvant rien de suspect mais à la fois, angoissée par toutes ces ombres.
Le hurlement de Louis résonna dans tout le cottage.
Mon sang se glaça, les ampoules explosèrent, faisant pleuvoir le verre acéré sur mon visage et mes bras. Je poussai un cri, mon dos percutant violemment la porte. La poignée s'enfonça entre mes côtes.
Le battant se mit à vibrer alors qu'une véritable cavalcade résonnait dans le couloir. Un troupeau de chevaux galopait derrière le mur, faisant un bruit assourdissant, me paralysant de terreur.
Louis cria à nouveau depuis sa chambre. Cette fois, de douleur. Ce n'était pas normal. Ça n'était jamais arrivé. La souffrance n'avait jamais fait partie des phénomènes. Était-il tombé ? Les lumières avaient-elles explosé dans sa chambre aussi, le blessant ?
Mon cœur battait trop vite. Mon souffle se fit laborieux. Mes jambes flageolantes cédèrent. Je m'effondrai sur le parquet, tentant de me calmer, de me raisonner juste assez pour faire passer la crise.
J'ignorai combien de temps je demeurai ainsi sur le sol, en position fœtale. Le vacarme derrière ma porte était assourdi par le coton que j'avais dans la tête.
Des images commencèrent à danser devant mes yeux. La même colline que la dernière fois, sous l'orage, cette fois. La terre était boueuse. Le sentier était plus profond, longue ligne marron, humide au milieu de vastes étendues verdoyantes.
Pas encore... Je ne voulais pas revoir la mort de l'amant d'Elizabeth. La différence dans la météo me porta à croire que je n'assisterai pas à la même scène que la dernière fois.
Je me levai, surprise de sentir la terre humide sous mes doigts. Dans le dernier rêve, je n'avais pas senti la chaleur du soleil, la fraîcheur de la brise. Pourquoi, dans celui-ci, je sentais la pluie dans mes cheveux, le sol sous mes genoux ?
Regardant autour de moi, je distinguai au loin une ville en pleine évolution. Le paysage avait changé. L'arbre sous lequel s'étaient retrouvés Elizabeth et son amant n'existait plus. Il était couché dans l'herbe, débarrassé de ses branches.
Une silhouette s'approcha du tronc abandonné et s'agenouilla. Je me pressai pour voir ce qu'il se passait. Je reconnus aussitôt Elizabeth. Sous son vaste chapeau vert orné de fleurs et de rubans, elle portait une tenue d'équitation flambant neuve dans les tons émeraude et noir. Elle serait quelque chose entre ses mains, murmurant tout bas et à toute vitesse dans ce qui semblait être du latin.
Je continuai de m'approcher d'elle, tentant de saisir ce qu'elle disait. Elle avait les yeux fermés, son buste se balançait d'avant en arrière. Elle se figea alors que je m'arrêtai juste à côté d'elle. Je m'accroupis, tremblante de froid dans mon pyjama.
- Je sais que tu es là, dit Elizabeth en rouvrant les yeux. Que tu me regardes.
Me parlait-elle ? Comment aurait-elle pu être consciente de ma présence ? Je n'étais pas un fantôme ! J'étais en train de rêver !
Elle leva son visage et se tourna vers moi. Ses yeux me transpercèrent, ne me voyant pas le moins du monde. Je me retournai, espérant voir ce qu'elle regardait.
Je tombai les fesses dans la boue, prise au dépourvu. L'amant d'Elizabeth, que je n'avais pas bien perçu la fois précédente, m'apparut clairement cette fois. Il se tenait droit, habillé dans son habit d'équitation. Son épaule était percée d'un trou dont s'écoulait un filet de sang. Un autre trou béait dans son torse. Mais ce n'était pas ce qui me choquait.
Ce visage, je le connaissais. Je l'avais vu quelques heures plus tôt. Les cheveux noir corbeau, les yeux bleus, la mâchoire volontaire, le nez aquilin, la bouche fine... Seules les pommettes hautes et la coupe de cheveux stricte qui donnait un côté carré à son faciès différaient. Le corps était plus fin, plus efflanqué. Les épaules demeuraient larges, le cou long, les jambes puissantes.
J'avais devant moi une réplique presque exacte de Carter.
Paralysée, je regardai Elizabeth rejoindre son amant, sa silhouette gracile paraissant vibrer d'émotion.
- Je le savais. Je savais que je pouvais te faire revenir.
- Tu n'aurais pas dû faire cela, répondit le double de Carter. Tu n'aurais pas dû utiliser tes dons, Lizzie.
- Comment ne pas le faire ? Il t'a tué ! Je ne pouvais pas laisser cela impuni ! Pas quand j'ai le pouvoir de réparer le mal qu'il t'a fait. Qu'il nous a fait !
- Tu sais que tu n'aurais pas dû faire ça, Lizzie. Tu sais ce qui va arriver.
- Je le sais mais ça ne change rien. Nous avons l'éternité devant nous, désormais. Nous sommes éternels.
- C'est faux. Ni toi ni moi ne sommes éternels. Nous mourrons. Peut-être pas dans dix ans. Peut-être un siècle. Mais nous mourrons. Tous les deux. Rien ne pourra changer cela. Tes pouvoirs ne changeront pas le fait que nous mourrons, Elizabeth. Tu m'as damné, ma chérie.
- Non, je t'ai donné une seconde vie, un second souffle ! Nous échapperons à la mort, ensemble. Tu me l'as promis. Ce sera toi et moi à jamais.
L'ancêtre de Carter parut fatigué, las. Comme s'il voulait lui dire non mais n'en était pas capable. Il l'attira dans ses bras, repoussa ses cheveux derrière ses épaules. Les longues boucles sombres d'Elizabeth cascadèrent dans son dos, chatoyantes malgré qu'elles furent mouillées. Ce n'était pas naturel.
- Oh, ma chérie... Qu'as-tu fait ?
- Je t'ai ramené à moi. Parce que c'est ainsi que c'est censé se passer. Cet idiot de Gerald n'aurait jamais dû tenter de s'interposer entre toi et moi. Aussi puissant qu'il ait été, il ne faisait pas le poids. Il était trop confiant.
Les yeux de l'homme fixèrent l'horizon, son menton s'enfonçant dans les cheveux de son amante.
- Tu peux venir vivre chez moi, désormais. Tout ira bien. Nous allons être heureux, pour l'éternité. Nous déménagerons au besoin, découvrirons le monde.
Elizabeth continua à élaborer des plans et l'homme demeura silencieux. Il soupira, la laissant parler sans répondre. Au bout d'un moment, Elizabeth se recula. Elle embrassa son amant avant de faire deux pas en arrière.
- Je dois y aller. Je dois me préparer pour les funérailles de Gerald. Tout le monde doit penser que sa mort m'affecte, n'est-ce pas ? Sinon, cela paraîtrait trop étrange.
Il lui sourit et, après un dernier baiser, elle partit en agitant la main. L'homme resta seul. Il se passa les mains dans les cheveux, prêt à se les arracher.
- Ça ne peut pas continuer comme ça, murmura-t-il. Je ne peux pas laisser cela arriver...
Il se mit à aller et venir, agité. Il commença à descendre le sentier, ses bottes s'enfonçant dans la boue. Je le suivis, serrant mes bras autour de moi. Je ne sentais plus la pluie et le froid. J'étais si engourdie que je n'avais plus aucune sensation.
Il continua de marmonner sans que je sois capable de comprendre ce qu'il disait. Il parlait vite, mâchonnant ses mots, toujours plus agité. Je me rapprochai autant que je l'osai, ayant toujours la crainte qu'il me remarque. Je rêvais et c'était impossible mais je ne pouvais m'en empêcher. C'était une sensation étrange et désagréable.
Yvana...
- Un siècle... Je n'ai qu'un siècle pour trouver une solution. Et il faut que je trouve une solution. Pour défaire cette abomination. Je ne peux pas vivre cette vie.
Yvana !
Cette voix qui résonnait dans mon crâne. Je la connaissais. Elle m'était familière. C'était celle de Louis. Pourquoi entendais-je la voix de Louis dans mon rêve ?
Réveille-toi, Yvana ! Allez !
Il avait peur. Bien plus peur que moi. Je me sentais étrangement calme et posée. Je ne faisais face à aucune menace. Ça n'était pas dans les parages. Ce n'était qu'un rêve inoffensif. Il m'en apprenait un peu plus sur l'histoire d'Elizabeth et de son amant mais je ne voyais toujours pas pourquoi je faisais ces rêves.
- Je ne veux pas devenir un démon. Il faut que je meure. À nouveau.
Je sursautai en entendant la voix claire de l'amant d'Elizabeth. Il s'était arrêté et j'étais à deux doigts de lui rentrer dedans. Il s'était retourné et me regardait en pleine face.
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