Chapitre 8
‹ Magnus ›
Je ne sais pas combien de temps je reste seul, ici. Mais ce n'est pas comme si je m'attendais à ce que qui que ce soit vienne me trouver. Ma magie ne s'est pas calmée, parce que mon esprit est toujours en ébullition. La neige tourbillonne autour de moi, comme pour m'isoler un peu plus. Je voudrais me calmer, ne serait-ce que pour pouvoir retourner à l'intérieur et ne plus geler sur place. Comment faire ? J'ai l'impression que tout s'écroule autour de moi, qu'on m'a dépossédé de la seule chose que j'étais certain d'avoir et de ne jamais perdre. Pourquoi est-ce qu'il m'a fait ça ? Pourquoi n'a-t-il rien dit ? Il pensait que je ne l'apprendrais pas ? Ou est-il tellement lâche qu'il préférait que je l'apprenne par une tierce personne ? On s'est toujours tout dit depuis que nous sommes enfants. Est-ce qu'Iris a raison ? Est-ce qu'il a seulement profité du fait que je sois amoureux pour m'avoir ? Ne suis-je rien d'autre qu'un garçon facile à ses yeux ?
Mes larmes ont fini par cesser et l'air froid sur mes joues mouillées est douloureux. Je m'essuie et relève les yeux vers le château quand un bruit attire mon attention. Je remarque alors que quelqu'un m'observe, à quelques mètres de là, loin du vent qui s'agite toujours. C'est un jeune garçon qui ne doit pas avoir dix ans, il est caché derrière un buisson. Je souffle, agacé par sa présence, mais je ne veux pas non plus l'effrayer. Je fais le vide dans mon esprit pour cesser de penser à Alexander et le vent cesse enfin.
— Que fais-tu là ? demandé-je d'une voix forte pour qu'il m'entende.
Il sursaute et sort de sa cachette pour s'approcher un peu. On dirait qu'il est sur le point de se mettre à pleurer. Il a tellement peur de moi, c'est ridicule. Je passe à nouveau mes mains sur mon visage et le regarde dans les yeux. Il s'arrête de bouger quand ses yeux bleus croisent mes yeux maudits.
— C'est l'intendant, balbutie-t-il. Il te demande.
Je soupire encore et me lève. Le gamin part en courant. Malgré ma colère qui s'étend même à lui, je le plains. Le pauvre, il est arrivé au début de l'hiver, c'est le dernier venu. Tant qu'aucun autre serviteur n'entrera ici, il sera celui chargé de la sale besogne. C'est-à-dire venir me voir quand les autres ont trop peur de le faire eux-mêmes.
Je retourne au château, n'en ayant pas trop le choix. Si je n'obéis pas, l'intendant enverra des gardes pour me ramener. Je rentre par la porte du personnel. La cuisine et notre salle à manger ont été désertées et tout a été rangé. Comme si ma crise n'était qu'un mirage. Mais la tête de l'intendant me confirme que je n'ai rien imaginé. Ses sourcils sont tellement froncés que je me demande si ça ne lui fait pas mal. Je me place devant lui et il me regarde, dégoûté. Je le comprends, je suis dans un état lamentable. Avec toute la neige qui m'est tombée dessus, je suis trempé et frigorifié. Pourtant, je ne ressens rien de tout ça. Enfin, je sens bien le froid et je sens mes vêtements qui collent à ma peau mais je n'en ai rien à faire. Intérieurement, je dois continuer de lutter pour ne pas perdre le contrôle à nouveau.
— Le prince Alexander t'a fait demandé. Quatre fois déjà. Je te conseille de te changer et de te rendre dans ses appartements si tu ne veux pas empirer ton cas.
— Bien, je...
— Tais-toi, je ne veux pas t'entendre. Ce que tu as fait à madame Iris est innommable, Magnus. Crois-moi, la punition sera exemplaire.
La gorge nouée, je hoche la tête et pars en direction de ma chambre. J'échange mes loques trempées contre une chemise et un pantalon propres avant de repartir vers les appartements d'Alexander. J'aurais préféré qu'on m'interdise de rester à son service, j'aurais accepté la punition sans rechigner. Pour l'instant, je n'ai pas envie de le voir, l'idée de devoir lui faire face m'écartèle. Mon cœur brisé a des désirs contradictoires. Il veut à la fois le retrouver et le fuir. Se blottir dans le réconfort de ses bras et le frapper pour m'avoir humilié. Je me sens tellement idiot et je voudrais tellement le détester pour m'avoir mis dans cette situation. Pour m'avoir fait espérer un avenir heureux.
Arrivé devant sa porte, je frappe presque timidement. Je tremble quand sa voix me dit d'entrer mais j'obéis en restant impassible. Du moins, autant que je le peux. Il est assis sur le canapé, mon cœur se serre à la vue du sourire qu'il m'offre alors je détourne la tête. Il se lève comme si de rien n'était et s'approche de moi, mais je l'évite pour aller dans la chambre. Je commence à préparer le nécessaire. Une femme de chambre a déjà emmener de l'eau. J'attrape le savon pour le faire mousser alors qu'Alec me rejoint et s'assoit sur le fauteuil à côté. Il effleure ma taille du bout des doigts et je prends sur moi pour ne pas m'enfuir.
— Désolé d'avoir mis du temps à venir, dis-je en évitant ses yeux.
— Ce n'est rien, j'imagine qu'ils t'ont retenu en bas.
Je hausse les sourcils en lui accordant enfin un regard. L'espace d'une seconde, je me demande de quoi il parle. Je vois qu'il se retient de rire.
— Pour ce qui s'est passé avec Iris.
— Ce que j'ai fait à Iris, rectifié-je aussitôt.
— Il faut que j'arrive à la voir, continue-t-il sans m'écouter. On m'a dit que ça ressemble à des cornes de bouc, c'est vrai ?
Cette fois, il rit. Je déglutis difficilement et observe la mousse sur mes mains. Je me tourne ensuite vers lui et croise son regard. Il est heureux. Pourquoi est-il heureux alors que je suis en train de mourir de l'intérieur ? Je repense à la princesse qui doit arriver. Je repense à sa demande soudaine de le raser et je sens une pierre me tomber sur le cœur. J'imagine qu'il s'apprête pour son arrivée.
— Magnus, tout va bien ?
Je voudrais lui dire de se taire mais je hoche simplement la tête. Je ne suis que son serviteur, je dois apprendre où est ma place. Et je dois le rendre présentable pour sa fiancée. C'est mon devoir, c'est tout ce que j'ai à faire. Je tends les mains vers son visage mais elles tremblent et je m'arrête. La tempête dans ma tête recommence à se déchaîner. Je ferme les yeux et, rapidement, j'entends Alexander hoqueter.
— Mon cœur, calme-toi, s'il te plaît.
Je rouvre les yeux et m'aperçois que sa barbe est en train de pousser. Il sourit et sa main se pose sur la mienne. Il veut me rassurer.
— Dis-moi ce qui ne va pas, s'il te plaît.
— Tout va bien, réponds-je aussitôt.
— C'est à cause de tout à l'heure, tu es inquiet pour ta punition ? N'aie pas peur, Magnus, ne t'en fais pas. Je suis là, je ne les laisserai pas te faire du mal. Je te protègerai toujours.
Mon geste est instinctif, je repousse brusquement sa main et me recule. Il ouvre des yeux ronds, surpris par mon comportement soudain. Il se lève pour s'approcher de moi alors que des étincelles enrobent mes mains. Je recule jusqu'au mur pour garder mes distances.
— Tu te moques de moi ? m'écrié-je. Tu ne laisseras pas les autres me faire du mal, et toi alors ? Qui va me protéger de toi ?
— De quoi tu parles ?
Ma gorge se noue, mon cœur se serre. Adossé au mur, je peine à respirer et mes larmes dévalent à nouveau mes joues. Je pensais pourtant les avoir déjà épuisées.
— Quand est-ce que tu comptais me dire que tu vas te marier avec la princesse Clarissa ?
Son visage se décompose instantanément. Ma rage redouble, une infime partie de moi espérait encore que ce soit un malentendu, qu'Iris n'ait dit ça que pour me blesser. Mais non. Non. C'est la vérité.
— Qui t'en a parlé ?
— C'est tout ce que tu as à répondre à ma question ? rétorqué-je aussitôt.
Il lève ses mains devant lui dans un geste d'apaisement qui ne fait que m'énerver encore plus. Et on sursaute en même temps en entendant les livres qui tombent de leurs étagères. J'ai tellement mal que j'ai envie de hurler. Je mords l'intérieur de ma bouche pour m'en empêcher, la douleur irradie dès que ma dent perce ma peau, répandant quelques gouttes de sang sur ma langue.
‹ Alexander ›
À la question de Magnus, je reste muet. Il me crache sa haine, alors que nos disputes n'ont jamais fait de vagues. Je me décompose devant cet inconnu qui me fait face. Ses yeux s'éclairent si puissamment que je tente de le calmer avec des gestes de soumission. Je n'ai pas le temps de me justifier sur le fait que je n'ai jamais voulu ce mariage et que je l'aime toujours, qu'il envoie valser, par sa simple volonté, les livres de ma bibliothèque.
Je me fige de stupeur, priant pour ne pas que l'un d'entre eux me percute. Je ne mériterais que cela puisque je fais souffrir mon amour. Pourquoi ai-je attendu qu'il l'apprenne par d'autres au lieu de faire un homme de ma personne ? La réponse, je l'ai en face de moi. Je ne voulais pas voir dans quel état cela le mettrait.
Par Natë ! C'est encore pire que tout ce que j'ai pu imaginer.
Quand le dernier livre me frôle pour se fracasser au mur derrière lui, je peux enfin espérer lui faire entendre mon point de vue.
— Mon cœur...
— Je t'interdis de m'appeler encore ainsi, me répond-il abruptement. Ton cœur ! Tu n'en as pas, de cœur.
— Mais laisse-moi t'expliquer.
— M'expliquer que tu as choisi un bon parti au lieu d'un simple serviteur sans le sou.
— Mais pas du tout ! Tu ne me laisses pas placer un mot depuis que tu as fait ce truc à ma barbe, réponds-je beaucoup plus fort que je ne le devrais.
Cette technique a le mérite de le secouer puisque je n'ai jamais levé le ton contre lui. Cependant, je me sens encore plus cruel, en le voyant reculer d'un pas. Je ferme les yeux pour retenir mes larmes. Ce n'est pas ce que je veux. Il croit certainement que je suis fâché contre lui pour avoir osé me défier, mais je veux juste qu'il arrête de me prêter des intentions malsaines. Je voulais éviter qu'il souffre et maintenant, je me rends compte que j'ai fait exactement le contraire.
Je respire un bon coup et ouvre à nouveau les yeux. Il est acculé au mur avec son regard braqué sur les bouquins éparpillés au sol. Il attend mes représailles, comme si je n'étais plus que son maître et que jamais rien de plus n'était arrivé entre nous. Je sais qu'il ne me regardera pas, mais j'ai besoin qu'il entende ce que j'ai à dire.
— Cette princesse... Je ne veux pas l'épouser. C'est toi que je veux pour régner à mes côtés.
Magnus renifle légèrement sans pour autant changer de position. Il reste droit et impassible, écoutant sans m'interrompre. Je sens que je le perds davantage puisqu'il ne fait que tenir son rôle de serviteur. Écouter et ne rien dire sont normalement les premiers commandements qu'on apprend aux valets et femmes de chambre. Mon amour reste impassible devant son prince en ne répliquant rien.
— Je t'aime, Magnus, tenté-je en levant une main pour toucher son visage.
— Si Son Altesse n'a plus besoin de mes services, j'aimerais me retirer, finit-il par souffler du bout des lèvres.
Je retiens mon geste en sa direction. Il ne me pardonnera pas. Que dois-je faire, maintenant ? Je veux me mettre à genoux devant lui et lui crier qu'il n'y aura jamais aucune autre personne que lui, mais un froid horrible s'installe. Est-ce sa magie qui se dérègle encore ou simplement son cœur qui s'est gelé ? Cette fois-ci, la seconde option me semble la plus plausible. Ses yeux ne brillent plus, ils se sont éteints en même temps que mon espoir de pouvoir le récupérer. Comprenant enfin qu'il n'y a plus rien à faire, j'abdique et recule d'un pas pour le laisser passer. Toujours sans me regarder, il fait une petite courbette d'usage et se faufile à l'extérieur de mes appartements.
Il est parti !
Trop faible pour tenter de me rendre jusqu'au canapé, je m'écroule au sol, laissant enfin couler mes larmes abondamment. Des hoquets de tristesse se mêlent à celles-ci, accompagnés de gémissements de désespoir. J'ai tout perdu aujourd'hui.
Tout.
Cela fait à peine quelques minutes qu'il m'a quitté quand j'entends la porte s'ouvrir derrière moi. Magnus est revenu ! Je me lève précipitamment et m'apprête à courir vers lui avec bonheur, mais mon espoir se fane aussitôt. Ce n'est qu'Izzy. Mon cœur se brise à nouveau et je me jette lamentablement dans les bras de ma sœur qui peine à soutenir mon poids. Tranquillement, elle me traîne jusqu'au canapé alors que mes larmes m'empêchent de voir correctement. Elle souffle bruyamment puis s'installe à mes côtés. Son regard est compatissant, ce qui ne m'aide pas du tout. Je suis étonné qu'elle ne me pose aucune question sur l'état de mes quartiers. Elle change peu à peu d'expression, reléguant sa compassion en second plan pour revêtir son masque de peur. Quelques secondes plus tard, je reçois ses paroles avec angoisse alors qu'Isabelle m'explique la raison de sa venue :
— Alec, tu dois te reprendre immédiatement ! Je sais que tu as de la peine. Il aurait été difficile de ne pas vous entendre vous disputer. Mais tu dois empêcher l'intendant de punir Magnus pour ce qu'il a fait à Iris.
— Je ne peux pas !
— Il va être battu et peut-être mis aux cachots si tu ne fais rien ! Tu sais très bien que je n'ai pas ton autorité. Toi, ils t'obéiront.
— Bien sûr que je vais y aller, c'est juste que je ne peux pas me présenter devant eux avec une barbe aussi longue qu'une coudée.
— Je t'explique brièvement la situation. Si tu n'y vas pas maintenant, il sera trop tard. Tu n'es pas à plaindre comparé à Iris. C'est ta dignité ou le salut de Magnus. Il me semble que le choix ne devrait pas être très difficile à faire !
— Tu as raison ! J'y vais de ce pas et tu m'accompagnes. Nos serviteurs ont bien besoin que je les rappelle à l'ordre. Tu ne devrais pas avoir à me quérir pour obtenir leur obéissance.
— Ha ! Je te reconnais bien là !
J'essuie mes yeux et passe une main dans les longs poils qui ont assiégé mes joues. J'hésite. Isabelle soupire et me tire par le bras. Elle ne me dit qu'un seul mot, mais il a le mérite de me secouer :
— Magnus !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro