Chapitre 46
‹ Magnus ›
J'entends les portes du carrosse se refermer et des bras me redressent fermement, afin que je me retrouve appuyé contre la paroi. J'avise le garde d'un regard noir, mon épaule me fait encore mal et du sang coule de la plaie. En face de moi est assise la reine Camille qui me regarde de la tête aux pieds, j'ai l'impression d'être un animal qu'elle vient d'acquérir. Elle pense sans doute être parvenue à ses fins en ayant obtenu mon accord ? En quoi a-t-elle autant confiance ? En ses charmes ou en ce poison qu'elle m'a fait injecter ? Celui-ci m'empêche de bouger, j'ai l'impression que mon corps est lourd. Si c'est ça, pour elle, être docile, elle regrettera vite sa naïveté.
— La vitesse à laquelle vous nous avez rattrapé est impressionnante, finit-elle par souffler en détournant enfin le regard. Je m'attendais à pouvoir faire le trajet jusqu'aux montagnes sans que les soldats d'Elunore ne nous trouvent. Comment ai-je pu oublier cette maudite licorne ? Cependant, le cheval du prince était aussi très rapide...
— Je l'ai ensorcelé pour qu'il puisse suivre Solstice, réponds-je.
— J'aurais dû m'en douter ! Refais-le ! Ce carrosse est trop lent, utilise ta magie !
Je fronce les sourcils et m'apprête à secouer la tête pour refuser quand elle fait signe à son mercenaire. Il attrape un carreau couvert de liquide doré et le pointe sous ma gorge.
— Cette substance n'est pas létale, m'informe la reine. Je peux t'en inoculer autant que je veux, ça te rendra passif jusqu'à ce que tu t'abandonnes complètement à ma volonté.
Je claque des doigts en me concentrant, les étincelles sortent de la voiture qui se met à aller plus vite. Beaucoup plus vite. Je retiens un sourire en voyant la reine légèrement déstabilisée, mais elle se reprend rapidement.
La fin du trajet se fait en à peine plus longtemps qu'il n'a dû leur en falloir pour arriver à notre point de rencontre, la reine s'en montre incroyablement contente. Quand elle sort du carrosse, sans même attendre qu'un garde ne lui ouvre la porte, elle pousse une exclamation impressionnée. L'homme sort à son tour et m'attrape brutalement le poignet pour me tirer dehors. Les effets du poison n'ont pas encore disparu et je n'arrive pas à suivre le mouvement, si bien que je tombe par terre, dans la poussière, devant les deux gardes qui éclatent de rire.
En regardant l'endroit où nous sommes, c'est sans surprise que je découvre un lieu presque sauvage, loin de la route, qui a été aménagée pour rejoindre Aratis plus facilement.
— Laissons là le carrosse, dit la reine sans se soucier de ce qui se passe. Il est trop large pour ce sentier.
— Alors pourquoi ne sommes-nous pas passés par la Porte de Clasir ?
— Parce qu'il nous aurait fallu plus d'une demi-heure de plus pour nous y rendre et que c'était bien trop évident.
— Mais puisqu'ils ne nous suivent plus !
— Abruti !
Elle lui assène une violente gifle et s'approche des chevaux qu'elle commence à détacher.
— Tu penses qu'ils vont nous laisser disparaître avec lui ? continue-t-elle. La reine Maryse m'a peut-être cru mais je doute que le prince abandonne son jouet si facilement. Nous allons rester dans les montagnes durant quelques jours, le temps d'être certains que nous pouvons repartir.
Je m'assois par terre après avoir essayé, en vain, de me relever. Je regarde la reine faire signe à l'un des hommes de prendre les sangles des chevaux. Contrairement à elle, je suis certain qu'Alexander dira à son frère de ne pas nous chercher. Cela exposerait le royaume à une nouvelle guerre si quelque chose arrivait à la reine avant que l'on puisse prouver ses méfaits. Et puis, ce n'est pas comme si j'étais sans défense...
L'un des gardes revient vers moi, je vois que la reine est montée sur l'un des deux chevaux qui tiraient le carrosse mais que l'autre n'est plus ici. L'homme tient les sangles en cuir dans ses mains. Je recule quand il tend une main pour m'attraper.
— Tant que tu ne m'obéis pas, tu seras attaché, m'explique la reine. Allez, laisse-toi faire qu'on avance...
Je serre les dents et me dégage quand l'homme prend mon bras. Il est hors de question que je les laisse m'attacher ! J'arrive à le faire tomber et remonte mon genou pour lui donner un coup dans la mâchoire. Il pousse un râle de douleur et attrape ma gorge pour me plaquer au sol.
— Ne le blesse pas ! s'écrie la reine.
— Il m'a frappé ! se lamente-t-il.
La seconde suivante, je reçois une nouvelle dose de poison qui m'ôte le peu d'énergie que j'avais réussi à rassembler. Je cesse de bouger en réfléchissant alors qu'une lanière de cuir est enroulée autour de mes poignets.
— Ça suffit, grogné-je.
— C'est ça, laisse-toi faire ! Tu dois avoir l'habitude, non ?
Des étincelles apparaissent autour de mes mains et l'homme se retrouve projeté à plusieurs pieds de moi, puis la lanière glisse au sol, me libérant.
— Arrête ça ! m'ordonne ma « maîtresse ».
Cette fois, je vois arriver le carreau et je dévie sa trajectoire. J'arrache celui qui m'a atteint à la jambe et me relève en m'aidant de la paroi derrière moi. La reine ordonne à son autre garde de m'immobiliser mais il subit le même sort que le premier.
— Je t'ordonne d'arrêter ! Tu dois m'obéir !
— Mais que croyiez-vous ? Que j'allais vous laisser abuser de moi sans me défendre ?
Je vois qu'elle hésite à descendre de son cheval. Qu'elle hésite, cette fois, à croire que je vais gentiment me plier à ses ordres.
Un hennissement nous interrompt et, quelques secondes plus tard, je vois arriver Solstice. Elle s'approche de moi et frotte sa tête contre la mienne. Je me mets à rire, soulagé de la voir.
— Moi aussi, je suis content de te voir, ma belle. Tu es la meilleure !
Elle hennit de joie et se tourne vers la reine pour la vriller de son regard. La Reine Noire donne un coup de talon dans les flancs de sa monture pour partir mais je tends le bras en disant à l'animal de venir à moi. Ce qu'il fait sans attendre. La reine écarquille les yeux et s'échine à le faire changer de direction, mais il ne lui obéit plus.
— Nous allons rentrer à Elunore, lui dis-je.
— Certainement pas ! Comment penses-tu m'y obliger ?
Les lanières de cuir se soulèvent dans les airs et s'enroulent autour de sa taille, retenant ses bras contre son corps. J'empêche ses mains de lâcher les rênes et m'assure qu'elle ne tombera pas durant la course.
— J'ai dit : on rentre !
Comprenant mon état, la licorne se couche pour me permettre de monter sur son dos. Je jette un œil aux deux mercenaires, ils sont toujours évanouis. Une partie de moi espère ne pas les avoir trop gravement blessé, mais je la fais taire. Ils s'en sont pris à mon bébé puis à moi, ils devraient s'estimer heureux que je ne les aie pas tués.
Je donne de mon énergie au cheval et nous partons. Solstice va, cependant, moins vite, pour ne pas risquer de me faire tomber. La reine s'égosille pendant une bonne dizaine de minutes avant d'arrêter, puisque ça ne sert à rien. Je ne l'écoute même pas, sa voix n'est qu'un bruit de fond. Tout ce que j'ai en tête, c'est de rentrer, prendre mon bébé et mon époux dans mes bras. Et mettre fin aux manigances de cette femme. J'espère que ce dernier coup d'éclat permettra d'ouvrir les yeux du roi Valentin.
Alors que nous approchons du château, elle se remet à crier et à me menacer.
— Je vais dire à Valentin ce que tu m'as fait ! Il te tuera !
Encore une fois, je l'ignore, mais nous attirons grandement l'attention en arrivant dans la cour. Je descends de Solstice et fais descendre la reine grâce à ma magie. Elle résiste mais je la force à me suivre quand je passe les grandes portes.
— Magnus ! s'écrie Lydia en m'apercevant dans le hall.
— Où est Alexander ?
Elle blêmit légèrement en m'entendant parler du prince aussi familièrement, mais je suis trop empoisonné pour m'inquiéter de ce genre de détail. Et elle n'ajoute rien, parce que son attention est attirée par la reine à quelques pieds de moi qui se débat contre ma magie en se remettant encore à crier.
— Lâche-moi, sauvage ! Au secours ! À moi !
— Lydia, s'il te plaît, soupiré-je. Dis-moi où il est.
— D-dans le grand salon, mais... Que fais-tu avec...
— Promis, Izzy t'expliquera.
La blonde tique à nouveau mais me laisse prendre le chemin du couloir alors que la reine appelle au secours, encore et encore, sans que personne ne vienne l'aider.
‹ Alexander ›
Les bruits s'intensifient grandement nous laissant enfin distinguer la voix éraillée de la Reine Noire. Le roi Valentin accourt jusqu'à la porte mais est repoussé par les jupes de sa femmes qui flottent devant lui. La reine Camille hurle toujours à quelques pieds au-dessus du sol, étirant ses bras vers son mari afin qu'il la fasse descendre. Certes, nous sommes tous sous le choc de la voir ainsi, mais Magnus entre ensuite, des étincelles volant entre lui et la femme qui n'a pas reçu l'aide escomptée de son époux.
— Laisse-moi descendre, petit sauvage, continue de crier la reine contre Magnus. Tu seras châtié pour tes agissements. VALENTIN ! Faîtes quelque chose !
Dès que Magnus est complètement entré dans la pièce, il redescend sa main et la reine cesse immédiatement de léviter pour retomber bruyamment contre le parquet de bois ciré.
— Rustre ! Tu n'es qu'un mal élevé, s'époumone-t-elle alors qu'elle se relève sans grâce en se débarrassant des liens de cuir qui la retenaient.
Je suis toujours subjugué par la facilité avec laquelle Magnus utilise maintenant sa magie. Si nous n'étions que tous les deux, je me ruerais immédiatement dans ses bras afin de soulager la crainte qui m'étreignait depuis que j'ai dû le quitter sur le chemin. Puisque je n'ai aucune idée de ce qui s'est passé, j'inspecte son corps à commencer par sa jambe, laquelle arbore une blessure similaire à celle de son épaule et me laisse penser qu'elle est due à un carreau du sbire de la reine. Le saignement semble s'être arrêté. Je remonte mon regard et me fige en voyant le cou violacé de mon mari. Cette fois, je n'hésite pas et le rejoins pour m'assurer qu'il va bien.
— Magnus, que s'est-il passé ? Que t'ont-ils fait ?
— Ce n'est rien, mon prince. Sa Majesté croyait que deux gardes seraient suffisants pour me garder en laisse. Crois-moi, ils sont bien plus mal en point que moi.
— C'est vrai ! hurle Camille. Il a osé contredire mes ordres.
Son mari s'approche et vérifie qu'elle n'a pas de lésion qui pourrait lui donner le loisir de s'en prendre à mon époux. Heureusement, Magnus est beaucoup trop gentleman pour blesser une femme. Ce doit être la raison pour laquelle elle flottait au-dessus de sa tête. De cette manière, elle ne pouvait pas l'atteindre et lui non plus.
— Très chère, je ne vous ai jamais vu aussi échevelée. On dirait presque que vous avez réellement tenté de vous enfuir avec ce domestique.
— Au grand jamais, cher époux. Je tentais simplement de faire mon devoir en éloignant le démon de cet endroit. La reine Maryse sait très bien que le monstre ainsi que son enfant doivent quitter ce lieu.
— À cet effet, mon amie, réplique mon père, pourriez-vous nous expliquer pourquoi ma fille ainsi que votre belle-fille se sont toutes les deux endormies en buvant votre thé ?
— Très simple, elles n'auraient jamais laissé l'enfant à ma garde. Leur excitation en apprenant la venue de l'enfant m'a convaincue que c'était nécessaire afin de les éloigner.
— Et pourquoi avoir décidé de faire tout cela sans en aviser qui que ce soit ?
— Pensez-vous sincèrement que votre fils aurait accepté de s'éloigner de ce démon ? Il est déjà complètement sous le charme du plus vieux. Dites-moi qu'il aurait accepté et je fais mes excuses sur le champ.
— Camille, commence le roi Valentin, vous auriez pu m'aviser de votre dessein. Je vous aurais immédiatement demandé de ne rien faire. Tout ceci est du ressort des Lightwood. Vous avez agi sans respect envers les habitants de ce château.
Je me rends compte que tout est en train de tourner à l'avantage de la Reine Noire qui sera, au pire, chassée de notre château sans autre pénitence.
— Cela suffit, la reine a fait tuer votre première épouse, grondé-je en m'approchant de Magnus pour le protéger.
— Quel infamie, s'offusque Camille, de plus en plus nerveuse. Ce ne sont que des mensonges éhontés.
— Voyons alors ce qu'en pensent vos propres sbires, annoncé-je en pointant les deux prisonniers qui attendaient sagement que le calme revienne. Messieurs, afin de réduire votre peine, je vous suggère fortement de tout raconter sans rien garder pour vous. Il en va de votre vie.
— Et que croyez-vous qu'ils vont dire si vous les menacez d'être pendus ? Ils n'hésiteront pas à dire ce que vous désirez afin de survivre.
J'avoue sincèrement que je n'avais pas pensé à cela. Il est vrai que nous n'avons aucune preuve concrète que la reine les a engagé, des années auparavant, afin de tuer la mère de Simon et Clarissa.
— M'sieur, débute l'un des deux hommes, je peux prouver qu'elle a requis nos services afin d'endormir la reine. Elle m'a remis une substance dorée qui devait la rendre inanimée. Avec la potion que nous avons vidé dans son thé, elle avait laissé des instructions que nous devions suivre à la lettre. Cela ne l'a pas tué, mais la dame a été retrouvée sans vie au même endroit que nous l'avons laissée s'endormir. Quelqu'un savait où elle serait.
— Que de pauvres mensonges ! clame haut et fort la Reine Noire.
— Permettez-moi de vous remettre le parchemin sur lequel la dame nous a indiqué, de sa main, les instructions à respecter, réplique le plus vieux des deux en cherchant dans sa chaussure le bout de papier en question.
Je m'approche du prisonnier et tends la main vers le torchon qui pendouille tant il est vieux et sale. Du bout des doigts, je le déplie et découvre une écriture raffinée qui n'a aucune chance d'avoir été écrite par un simple villageois. La finesse de la plume démontre la certaine richesse de son propriétaire. Tout comme le mercenaire le décrit, des instructions précises sont indiquées afin que le somnifère face rapidement effet.
Plus que convaincu que la preuve est recevable, je tends à mon tour le parchemin au roi Valentin, mais la Reine Noire tente de le lui arracher.
— Vous n'allez pas croire ces hommes qui sont ici depuis on ne sait quand, s'indigne de plus belle la femme au chignon ballottant. Ils ne sont que des vauriens venus des cachots.
— Justement, ma chère, ce sont des gredins, ils doivent être à cet endroit pour de bonnes raisons.
— Valentin ! Cessez cela ! Vous préférez croire vos ennemis de toujours à votre épouse.
— Je n'ai pas besoin de les croire, je reconnaîtrais cette écriture entre mille. Vous savez pertinemment que j'ai toujours ri de vos "C" beaucoup trop prononcés et vos "A" encore plus facétieux. Je vois votre écriture, Camille. Pourquoi auriez-vous donné ce parchemin à des hommes malveillants, si ce n'est pour approfondir vos desseins ignobles.
Comme Valentin accuse sa femme, je vois Isabelle et Clarissa qui entrent dans le grand salon suivies de près par Jace qui supporte sa bien aimée afin qu'elle ne s'effondre pas. Simon vient rejoindre ma sœur qui se laisse choir sur le premier canapé.
— Ils ont seulement pris avantage de vieux papiers que j'ai probablement jeter aux ordures, il y a belle lurette, se défend la reine. Probablement que c'était la recette de ma mère. Vous vous souvenez que je vous aie souvent dit qu'elle avait le sommeil léger, tout de même ?
— Bien sûr ma chérie, je cherche juste à découvrir la vérité, tout semble si réel que j'ai bien failli les croire. Veuillez pardonner mon inclination à vouloir découvrir qui a effectivement assassiné Jocelyne.
Le couple se rapproche. La femme me regarde de son air mauvais sans que son mari ne puisse la voir. Je crois bien avoir épuisé mes ressources, cette femme a encore gagnée. Avec un soupir, Magnus s'appuie légèrement contre moi, épuisé. Comment peut-on ne pas réussir à prouver que cette femme est une manipulatrice après ce qu'elle vient de lui faire ?
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