Chapitre 35
‹ Magnus ›
À mon réveil, je n'ai pas osé bouger. Alexander dort toujours près de moi, une main posée sur mon ventre. J'ai peur de le réveiller si je bouge... Mais ce n'est pas comme si j'avais une impérieuse envie de me lever. Donc je reste là, à le regarder, à effleurer sa peau du bout des doigts. Mon regard ne cesse d'être attiré par les dessins noirs sur sa peau, il m'a expliqué ce qu'ils signifient et qu'ils seront là aussi longtemps que son amour pour moi. Cette pensée met mon coeur à mal, il bat si fort contre mes côtes. Et ces dessins sont aussi... étrangement séduisants, non ? Ils tranchent si vivement avec la pâleur de sa peau... Il a réussi à devenir encore plus beau qu'avant, pourtant je ne pensais pas cela possible.
Je caresse lentement le Z dans son cou et, en remontant vers sa mâchoire, je réalise que son menton, et même ses lèvres, sont légèrement dorés. Je dois me mordre la bouche pour ne pas me mettre à rire. Je l'admire encore pour constater que chaque parcelle de peau qui s'est frottée contre moi cette nuit a pris de cette poudre que j'ai mise sur mon corps. Probablement même son dos auquel je me suis férocement accroché.
Je pense pouvoir dire que mon embellissement lui a fait de l'effet, mais j'espère qu'il ne sera pas déçu de retrouver mon ancien moi... Terne et sans couleur. Je soupire, mais un bruit me sort de mes pensées, un bruit près de notre hutte. Je me lève et attrape une couverture pour m'enrouler dedans, avant de sortir.
Le soleil semble déjà haut et la température ambiante est plus qu'agréable.
— Oh, tu es réveillé, s'étonne Naexi en me voyant.
Elle tient un paquet dans ses mains, ainsi qu'une feuille pliée. Je hausse les sourcils, la questionnant du regard, alors qu'elle me donne le tout.
— Je vous ai apporté des vêtements et je voulais aussi vous prévenir qu'il y a une cascade, par-là, si vous désirez aller vous laver.
Je tourne la tête pour regarder la direction qu'elle me montre. Des plateformes semblent, en effet, se diriger à l'écart du village.
— Même si, j'imagine que tu n'as pas besoin de ça pour te laver, avec ta magie.
Je la regarde à nouveau, surpris. Me laver avec ma magie ? L'idée ne m'est jamais venue, je dois l'avouer. Et en même temps, avant de la contrôler, je n'aurais pas osé. Qui sait les catastrophes dont j'aurais pu être à l'origine.
— J'aime bien me baigner, réponds-je simplement, avec un sourire amusé. Je te remercie, Naexi.
— Je t'en prie. N'hésitez pas, aujourd'hui il n'y aura plus personne à cet endroit, tout le monde s'est déjà préparé depuis longtemps.
— Oh... Il est si tard que ça ?
— Disons que vous avez raté le petit-déjeuner. Et le déjeuner.
Elle rit et je me mords la lèvre. En effet, il est très tard.
— Ne t'en fais pas, nous sommes habitués à ne pas voir les jeunes mariés pendant plusieurs jours après les noces. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont toujours mis très à l'écart... Pour qu'ils aient un peu d'intimité.
— Je vois.
Mes joues deviennent probablement cramoisies, mais l'elfe ne fait aucune remarque. Je la remercie encore une fois et elle repart d'où elle est venue. Je retourne dans la cabane, Alexander dort toujours. Je m'assois sur un coussin, à même le sol, et ouvre le paquet pour en sortir les vêtements. J'attrape ceux qui me sont clairement destinés, car légèrement plus petits que les autres. Je laisse la lettre de Naexi sur la petite table, bien en évidence pour qu'Alexander la trouve, et décide finalement d'aller à la cascade.
Je reste enroulé dans ma couverture, décidant de faire confiance à ma nouvelle amie. Il me faut de longues minutes pour rejoindre l'endroit, mais le chemin est assez simple, même s'il faut redescendre presque jusqu'en bas.
Je finis par atteindre la cascade et reste quelques instants à observer, subjugué. C'est magnifique. La petite étendue d'eau, de laquelle s'échappe un ruisseau, est entourée de végétation luxuriante, merveilleusement colorée. La cascade tombe dans un bruit doux et se divise en tombant sur certains rochers saillants, à plusieurs mètres de hauteur. J'entends des oiseaux qui chantent, et c'est tout. Rien d'autre que les oiseaux et le bruit de l'eau. C'est enchanteur.
Bien que je sois seul, il me faut quelques instants pour réussir à trouver le courage de lâcher ma couverture et avancer, nu, dans l'eau. J'ai posé les vêtements sur une grosse pierre après m'être assuré qu'ils ne tomberaient pas et ne seraient pas mouillés. L'eau est un peu fraîche, juste assez pour que le contraste avec l'extérieur soit délicieux. J'avance jusqu'à me retrouver sous l'eau de la cascade, la laissant me tremper entièrement. Je claque des doigts pour faire apparaître du savon et je frotte doucement ma peau pour enlever la poudre, la sueur et autres fluides qui me recouvrent.
Une fois propre et sec, j'enfile le pantalon et roule le bas pour pouvoir mettre les pieds dans l'eau, puis je commence à tresser mes cheveux. Je sais que mon époux me rejoindra à son réveil, alors je n'ai pas besoin de me précipiter. Je me perds un peu dans mes pensées et c'est ainsi que je n'entends pas Iefyr arriver. Je sursaute en entendant une exclamation choquée derrière moi et me retourne brusquement.
— Par Natë ! Nelaeryn, qu'est-ce que c'est que ça ?
Je me fige. Les cicatrices dans mon dos, il les a vues ! Je tends rapidement le bras vers la tunique que m'a donné Naexi, mais Iefyr l'attrape avant moi et la balance plus loin, puis c'est mon bras qu'il attrape pour me rapprocher de lui. J'ai à peine le temps de me rendre compte de ce qui se passe. Je n'ai pas l'habitude de croiser des gens aussi, voire plus, rapides que moi.
Les doigts de mon père glissent sur ma peau abîmée. Avec le temps, beaucoup ont fini par s'estomper, et maintenant que je maîtrise ma magie, je devrais les faire disparaître. J'aurais sans doute dû y penser... J'ai pourtant pensé à les cacher, c'est pour ça que j'ai détaché mes cheveux hier, pour que Naexi et Corym ne les voient pas ! Je ne suis qu'un idiot...
— Ce sont des marques de... Des marques de fouet, finis-je par avouer, sachant qu'il saurait certainement si je mens.
Il me lâche et s'écarte, furieux. Je n'ai aucune idée de ce à quoi mon dos peut ressembler, je n'ai jamais osé regarder. Les savoir là est suffisant.
— Les humains te frappent ? s'écrie-t-il. C'est ce que tu es en train de me dire ?
— Non, ce n'est... Ce n'est pas comme s'ils le faisaient sans raison !
Je me détourne, surpris que des mots pareils soient sortis de ma bouche. Je viens vraiment de cautionner les punitions horribles qui m'ont été infligées depuis des années ?
— Je suis un domestique, tu l'as compris, non ?
— Alec m'a dit que tu étais son valet. Mais il m'a laissé entendre que tu étais bien traité, avec lui ! Et maintenant je découvre que tu es battu ?
— Alexander n'y est pour rien ! Ce n'est pas lui qui a fait ça, il n'a rien fait, je te le jure !
J'attrape le chef du village par le bras pour l'empêcher de se rendre à notre cabane. Je ne veux pas qu'il soit en colère contre mon prince. Iefyr me repousse brusquement, presque brutalement, je manque de peu de perdre l'équilibre. La rage déforme les traits de cet elfe qui semblait si doux.
— Il ne t'a même pas défendu ! hurle-t-il.
— Bien sûr que si ! Il a toujours essayé de me protéger mais...
— Mais quoi ? Pourquoi as-tu ces marques ?
— Parce que les parents n'écoutent pas leurs enfants ! réponds-je sur le même ton que lui. Exactement comme tu le fais maintenant !
Je ne sais pas si ce sont mes paroles ou ma colère qui le calme, mais je vois qu'il essaie de prendre sur lui pour ne pas continuer à s'égosiller. Je souffle et passe une main dans mes cheveux.
— Je ne suis qu'un domestique, Iefyr. La plupart des habitants du château me traitent comme tel, sauf Alexander et sa fratrie. Je t'interdis de lui reprocher les coups que j'ai pris, tu m'entends ?
Je m'en veux bien assez de l'avoir déjà fait. Et Alexander s'en veut, lui aussi, bien assez de ne pas avoir su retenir les mains de mes bourreaux.
Des larmes se mettent soudain à strier le visage de Iefyr et il se laisse tomber à genoux. Il lève la tête vers moi, sans rien cacher des supplications de son regard.
— N'y retourne pas. Ne rentre pas à Elunore, Nelaeryn, je t'en prie.
— Quoi ? Mais... Je n'ai pas le choix. Alexander ne peut pas rester ici et je... Je ne le quitterai pas, tu le sais.
— Reste ici, avec ton père. S'il te plaît. Ici, tu seras en sécurité, plus personne ne lèvera la main sur toi.
Je pose une main sur son épaule et, encore une fois, il m'attire à lui. Mes genoux heurtent lourdement le sol et mon père me prend dans ses bras, me serrant comme s'il avait peur que je disparaisse à tout moment.
— Je ne peux pas, je suis désolé.
Il resserre un peu plus son étreinte, je pose ma tête sur son épaule et ferme les yeux. C'est étrange de me sentir en sécurité ailleurs que dans les bras de mon prince, pourtant la sensation me rappelle de très vieux souvenirs que j'avais perdus.
‹ Alexander ›
J'ai dormi si longtemps que Magnus a déjà quitté notre lit. Par contre, je peux dire qu'il est sorti depuis peu puisque la place est encore chaude et douillette. Je soupire longuement, me remémorant notre nuit en détails. Magnus n'a plus aucune difficulté à produire sa magie. Déjà que lui faire l'amour est un moment incomparable, il réussit à rendre nos ébats encore plus fabuleux rien qu'en laissant ses doigts me transmettre des ondes proches de l'orgasme. S'il croit que je vais un jour me débarrasser de lui, maintenant qu'il me rend encore plus fou de lui, c'est qu'il n'a pas encore compris le pouvoir qu'il a sur moi. C'est simple, il me rend complètement dépendant de son amour.
Un de mes symptômes est cet état qui m'empêche de penser à autre chose que mon amour. Je pense à lui à chaque seconde qu'il est avec moi ou loin de moi. La preuve en est que je rêvasse encore de sa perfection. Mon bel ange est maintenant mon époux pour l'éternité.
Malheureusement, il faut bien que je me lève. J'ouvre donc le simple drap soyeux qu'il me reste et pose mes pieds au sol. Les forment noires qui ont été peintes sur mon corps semblent encore plus éclatantes que la veille. Est-ce donc dire que mon amour pour Magnus est plus fort qu'hier ? Il n'est pas difficile de répondre à cette question. Oui, je l'aime plus, je l'aime sans condition, je l'aime à l'infini. La marque de l'ange me démange un peu, ce qui me fait croire que mon amour évolue encore, à l'instant même.
Je me décide à me lever pour partir à la recherche de mon amour quand mes yeux croisent le fameux manuscrit que nous avons reçu en cadeau de mariage. Il est superbe ! Évidemment, s'il a été créé par un être aussi parfait que Magnus, il ne pouvait qu'être un chef-d'œuvre artistique. Hier, je n'y ai pas trop porté attention, mais le cuir blanc qui tient lieu de couverture me rappelle celui que j'ai trouvé en présence de la princesse Clarissa. Peut-être qu'il était tenu par un proche d'un eon. Cela serait surprenant que l'éloge de leur magie en temps de sécheresse a été écrit par l'un d'entre eux. Si les manciens étaient semblables à Magnus, ils n'auraient jamais osé faire leur propre apologie.
J'ouvre le livre et, bien que j'apprécie la finesse des pages et les superbes fioritures qui parent les marges, je suis obligé d'admettre que mon mari sera le seul à pouvoir en décrypter le sens. Et parlant de Magnus, je l'entends qui discute avec Iefyr. Leur conversation est sourde, mais je comprends finalement qu'ils se sont séparés. Quelques secondes plus tard, Magnus entre en s'essuyant les yeux. Aussitôt, je le rejoins, incapable de voir le moindre chagrin dans le regard félin de mon amour.
— Amour, est-ce que tout va bien ? Qu'est qui s'est passé ?
— Ce n'est rien, j'ai parlé avec mon père. Il voulait que je reste ici, mais c'est impossible. Je serais incapable d'être à plus de cent chevaux de toi.
— Je suis désolé de t'imposer l'endroit de ta demeure. Mais, tu sais que Eriel était roi de notre royaume il y a un millénaire de cela ? Le château est ta maison. Tu peux facilement revendiquer le trône, si tu le désires.
— On me traiterait d'imposteur, répond-il de sa voix catégorique. Et puis c'est à toi que revient le titre.
— Nous étions définitivement des âmes sœurs. Peu importe lequel d'entre nous deviendra roi, l'autre sera à ses côtés pour le soutenir.
— Tu seras roi, confirme mon mari. Moi, je vais me contenter de te regarder faire ce pour quoi tu es né.
— Magnus, ce sera ta vie aussi. Nous sommes mariés, personne ne peut nous séparer à moins de désirer un cataclysme.
— Je ne suis pas certain de mériter cet honneur. Tu as été élevé pour ça, mais moi, j'ai traîné dans les cuisines et les écuries la majorité de ma vie.
— N'est-ce pas exactement ce que la reine Camille a mentionné ? Et pourtant, elle est l'épouse d'un puissant roi.
— Tu as peut-être raison, répond mon amour en se frottant l'arrière du cou.
— Enfin, maintenant que tu es revenu de ta sortie, j'ai besoin de tes services de lecteur.
Je lui présente le manuscrit et l'ouvre sur la première page.
— Je veux tout savoir, dis-je de ma voix d'enfant devant le plus beau des cadeaux.
— Tu ne renonceras jamais, n'est-ce pas ?
Je lui souris avec malice puis je secoue la tête. Il n'a aucune idée à quel point j'attends des réponses sur les manciens. J'ai consacré toute ma vie à faire des recherches sur les demi-dieux et maintenant que j'ai la possibilité de découvrir un tas de choses, plus rien ne m'arrêtera. Magnus roule des yeux, mais il rit aussi de bon cœur. Je savais qu'il ne me refuserait pas cela. Il se penche pour étudier la première page et quand il a terminé, il me jette un regard incrédule.
Il reste fixé à mon regard, la bouche ouverte, incapable de prononcer une parole. Qu'a-t-il bien pu découvrir en une seule page ?
— Magnus ? Tu dois me répéter ce que tu as lu. Je ne lis pas dans tes pensées, m'amusé-je de son comportement.
Il sursaute légèrement en revenant à la réalité, puis il pose son index sur les arabesques.
— L'auteure offre ses sympathies à Ryséphore, tendre époux du roi Eriel et fils de l'agriculteur Perséus.
— Peux-tu répéter ?
— Le mari du roi Eriel était fils d'agriculteur, répète Magnus de sa voix incrédule. Les eons épousaient les gens du peuple.
— Alors moi qui croyais avoir révolutionné les mariages royaux en me liant à toi, m'étonné-je autant que mon amour. Mère ne pourra plus jamais venir à l'encontre des us de nos ancêtres. Cet ouvrage est la preuve que je cherchais depuis toujours afin de convaincre la reine que nous pouvions être un couple. Tu vois ce qui se passe, mon amour ? Il n'y a plus rien qu'elle pourra dire pour nous séparer.
Je le prends dans mes bras et le fais tourner tout en l'embrassant.
— De toute manière, il était trop tard pour qu'elle nous arrête, terminé-je en reprenant le livre. Si ce livre est déjà si intéressant après seulement une page, j'ai hâte de connaître ce qu'il y a dans les deux cents autres.
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