Chapitre 24
‹ Magnus ›
Je pose mes mains sur les épaules d'Isabelle pour la regarder. J'ai forcément mal entendu, n'est-ce pas ? Je la fixe, la suppliant silencieusement de me dire qu'elle s'est mal exprimée. Mais elle secoue juste la tête.
— Que s'est-il passé ? demandé-je aussitôt. Comment a-t-il pu disparaître à son propre mariage ?
— La lumière. On a vu la lumière et il était persuadé que c'était toi.
Je la lâche, sentant la culpabilité me tomber sur les épaules. Il ne m'était pas venu à l'esprit qu'eux aussi, ils avaient vu. Pourtant, c'est bien cette lumière qui a attiré les elfes au lac, non ? Quelque chose me dit que c'est le cas. Et qu'ils savent ce qui m'est arrivé. Malheureusement, je n'ai ni la capacité ni le temps de leur poser des questions. Alors je me reconcentre sur la princesse.
Elle m'explique qu'après avoir vu la lumière, Alexander a pris un cheval pour me rejoindre. Il est sans doute arrivé plus tard que les elfes. Jace et ses soldats ont retrouvé le cheval d'Alec et, dans le lac, la cape de fourrure que je portais. Mais aucune trace du prince. Ils ont fini par retourner au lieu du mariage pour signaler notre disparition. Et, bien sûr, pendant qu'ils rangeaient, Izzy a enfourché Solstice pour mener ses propres recherches.
— Je savais que Solstice te trouverait, me dit-elle. Il fallait que je te trouve avant les soldats.
— Pourquoi ?
— J'ai entendu des serviteurs... Certains ont évoqué la possibilité que vous seriez partis ensemble, ou que... tu l'aurais enlevé pour qu'il ne se marie pas.
— Mais, ils... ils sont déjà mariés, non ?
— C'est ça qui t'importe ? crie-t-elle.
Je cligne des yeux. Oui, entre savoir si le mariage a déjà eu lieu et la possibilité qu'on me prenne pour un criminel, je m'intéresse davantage à la première information, évidemment !
— Non, ils ne sont pas mariés ! Pas encore... La disparition du marié n'a fait que retarder l'inévitable.
— Bien sûr.
Et pourtant, je me sens soulagé qu'il ne soit pas encore lié à la princesse Clarissa. Même si, pour le moment, le plus important c'est de le retrouver. Je ne l'imagine pas se perdre dans Lenora, mais alors que s'est-il passé ?
— Il faut que tu le trouves ! Tu connais Lenora bien mieux que nos soldats, et j'ai peur. Il pourrait lui être arrivé quelque chose, il pourrait s'être blessé ! Magnus, je t'en prie !
Je hoche vivement la tête et reprends Isabelle dans mes bras pour calmer ses sanglots qui repartent de plus belle. Je lui donne quelques instants avant de l'écarter à nouveau de moi :
— Je vais te ramener à tes parents et partir avec Solstice, d'accord ?
— Mais tu n'as pas entendu ce que j'ai dit ? s'écrie-t-elle encore. S'ils te voient, ils vont t'empêcher de repartir !
— On va se débrouiller, mais je ne peux quand même pas te laisser là ! Je ne sais pas où on est, je ne sais pas si je pourrais revenir te chercher !
Elle ouvre la bouche pour rétorquer, mais les elfes se tendent tous à nouveau et je me tourne vers l'entrée à quelques mètres de nous, alors qu'Isabelle me demande ce qui se passe. Et ce qui se passe, c'est Simon qui arrive à son tour. En découvrant la princesse au milieu d'elfes à l'attitude hostile, il porte aussitôt sa main à son épée.
— Non, du calme ! lui dis-je en m'approchant. Il n'y a aucun danger !
— Vous plaisantez, ils... Magnus ? Clary m'a dit que tu étais consigné au château.
Je soupire et hausse les épaules.
— Longue histoire.
Il descend de cheval et va vers Isabelle pour s'assurer qu'elle va bien. Elle lui explique qu'elle est venue me chercher.
— Vous saviez où il était ?
— Non, mais Solstice savait !
— La licorne... évidemment. Et votre frère, il est là, lui aussi ?
— Non, réponds-je à la place d'Izzy. Je ne l'ai pas vu. Mais votre présence tombe à point, Votre Altesse, vous allez pouvoir repartir ensemble et moi je pars à la recherche du prince.
Je me tourne vers Solstice qui hoche sa grande tête comme si elle avait compris ce que je viens de dire.
— Et comment vas-tu le trouver ? me demande le prince.
— Il trouvera un moyen, lui dit Izzy. Le lien qu'ils ont est puissant.
— Ma chambre n'est pas assez loin de celle de votre frère pour que je n'en sache rien, grogne-t-il.
Je sens mes joues devenir brusquement cramoisies alors que la princesse pouffe de rire. Je n'aurais pas imaginé qu'il puisse nous entendre, j'avoue que je m'étais soucié des autres, mais pas de... lui. J'ai presque de la peine pour le prince, mais je suis quand même beaucoup plus embarrassé.
Une main se pose soudain sur mon épaule, quand je me tourne, je vois Iefyr. Il a les sourcils légèrement froncés, plus d'inquiétude que de colère.
— Je dois partir...
Ce disant, je désigne l'entrée du village. Il attrape l'un des colliers qui pendent à son cou et me le tend. Je refuse d'un geste de la main, mais il prend mon poignet entre ses doigts pour me forcer à l'accepter malgré tout. Il me dit quelque chose et, encore une fois, le seul mot que je comprends c'est « maison ». Il m'a dit que l'elfe dont il m'a montré le portrait était ma mère, mais je ne suis pas certain que ce village soit ma maison. Aucun d'entre eux ne m'a cherché quand elle est morte, quand je ne suis pas rentré. Soit ils n'en avaient rien à faire, soit nous vivions déjà ailleurs. Peut-être à cause de mes yeux.
Je m'écarte et serre les doigts sur le collier. J'ai envie de lui rendre mais il ne comprendrait sûrement pas pourquoi je suis soudain en colère. Je le passe autour de mon cou et il attrape alors la pierre qui y est accrochée. Sa main libre pointe alors le portail du village. Est-ce que ce collier est censé me permettre de revenir ? Je hoche la tête et le remercie.
— On devrait y aller, dis-je à Izzy et Simon.
Ils montent sur le cheval du prince et je me hisse sur Solstice. Je range le collier à l'intérieur de ma chemise et entend alors mon nom. C'est Naexi qui m'appelle, je la vois arriver en courant. Je n'avais même pas remarqué qu'elle était partie. Elle tient quelque chose dans ses bras. Une fois près de moi, elle déplie ce qui s'avère être une cape épaisse, doublée de ce qui semble être de la laine.
— Froid dehors, dit-elle en me la tendant.
— Merci, Naexi.
Je prends la cape et la passe sur mes épaules avant de l'attacher. Je me tourne ensuite vers Simon qui se dirige déjà vers le portail. Je salue Naexi et Iefyr et suis le cheval jusqu'à l'extérieur du village. Quand je me retourne, alors, il n'y a plus rien. L'entrée a disparu, ce n'est plus qu'un mur près d'une source. Je soupire, j'ai l'impression de sortir d'un rêve. Je me dépêche de rattraper le cheval de Simon et l'interpelle :
— Simon, Votre Altesse, puis-je vous demander une faveur ?
— Bien sûr.
— Je voudrais que vous ne parliez pas de cet endroit. Je crois qu'ils ne veulent pas qu'on les trouve.
— Sauf toi, remarque-t-il en désignant le collier. Mais je comprends. Je n'en parlerai à personne.
— Moi non plus, je ne dirai rien, dit Isabelle. Maintenant, ramène Alexander. Mère serait inconsolable s'il lui arrivait quelque chose.
— Ton frère est fort, je ne suis pas inquiet.
Je lui souris pour cacher le fait que je suis, effectivement, terrifié et me mets finalement en route, dans l'espoir de retrouver le lac, et de ne pas décevoir la confiance de mon amie.
Il me faut environ une demi-heure pour y retourner, je crois que je peux remercier Solstice pour ça. Encore. Le lac est évidemment magique, si c'est ce qui l'attire à moi, le lac doit aussi l'attirer. Je descends en espérant trouver des traces, mais tout ce que je vois ce sont des symboles brûlés par terre. Les mêmes symboles qui apparaissent sur moi quand... disons quand Alexander me fait perdre mes moyens.
Je m'assois près de la licorne qui vient de se coucher sur le sable, tendant le cou pour boire l'eau du lac. Il fait nuit noire maintenant, mais nous sommes toujours dans Lenora alors l'obscurité est relative, avec toutes les fleurs brillantes. Je prends enfin le temps de réfléchir et j'essaie de me focaliser sur ce que m'a dit Isabelle. Alexander m'a cherché et il est arrivé jusqu'ici. Comme il ne m'a pas trouvé, où est-il allé ?
— Mais quel idiot !
Il est allé au même endroit que moi, celui indiqué par le plan de la reine. Je me relève et Solstice fait de même, je remonte sur son dos et la conduis jusqu'à la clairière. Le chemin est moins long, surtout parce que cette fois je sais où je me rends.
Je fais le tour de la clairière sans descendre de ma monture, à la recherche de la moindre trace de l'amour de ma vie. Finalement, un peu plus loin, je vois des marques de sabots dans la terre. Beaucoup. Il n'y avait personne quand j'y suis venu, plus tôt dans la journée, et je doute que les soldats conduisent des chevaux qui ne sont pas ferrés. Comme c'est mon seul indice, je décide de suivre les pas qui s'enfoncent dans la forêt.
Je suis la piste, rapidement, jusqu'à ce qu'elle sorte de Lenora et je m'arrête. Si je fais un pas de plus, je serai dans le royaume de Valmore. Je ne suis jamais allé aussi loin, mais mon instinct me pousse à continuer, Alexander est quelque part au bout de cette piste, j'en suis certain.
Je fais quelques pas de plus, sur le dos de Solstice et la piste s'arrête à un chemin sur lequel les sabots ne laissent plus de trace. Je me mets alors à la recherche d'un point en hauteur pour observer les environs. J'aperçois une colline à moins d'une demi-lieue, j'y lance Solstice et pose les pieds par terre. Les villes sont encore loin, je doute qu'ils aient eu le temps d'arriver jusqu'à la plus proche avant la nuit. Ils se sont donc sûrement arrêtés pour la nuit et ont fait un feu de camp pour ne pas mourir de froid. La traque de nuit est définitivement plus aisée, je trouve rapidement ce que je cherche et remonte sur la licorne après l'avoir laissé brouter quelques minutes. Il va falloir qu'elle nous ramène ensuite, je n'ai pas envie qu'elle s'épuise.
La nuit est terriblement silencieuse et je m'approche lentement du feu de camp que j'ai aperçu, au pied d'une falaise. Je crois qu'ils ont trouvé à s'abriter dans une alcôve rocheuse, où ils ne pourront pas être pris par surprise. Je lance Solstice au trot et essaie de rester le plus discret possible.
Je ne suis pas naïf, il y a longtemps que j'ai abandonné l'idée que quelqu'un ait pu décider d'emmener Alexander pour prendre soin de lui s'il s'est blessé, comme l'ont fait les elfes avec moi. Partir à Valmore avec le prince héritier d'Hazelrune, c'est une décision prise par des malfrats, j'en mettrais ma main à couper. D'ailleurs, plus je m'approche et plus leurs paroles me confortent dans mes craintes. J'entends les trois hommes à l'extérieur parler de demande de rançon et évoquer une femme dont ils ne prononcent pas le nom. Alexander doit être éveillé, sinon ils ne prendraient pas de précautions.
Alors que je ne suis plus qu'à quelques mètres, caché derrière des arbres, je prends le temps de réfléchir. Je ne suis pas un grand stratège, pas plus que je suis un soldat. Autant dire que je manie mieux ma magie que mes poings, ce qui ne me donne pas beaucoup de chance ni avec l'une ni avec les autres. En revanche, j'ai ma dague avec moi, mais eux, ils ont des épées. Je dois d'abord me préparer et miser sur mon agilité, c'est mon meilleur atout.
Je décide finalement de libérer les chevaux qui sont attachés à des arbres. Je me concentre pour le faire grâce à ma magie, histoire de ne pas me retrouver dans leurs pattes quand ils vont courir à la poursuite des canassons. Les liens se défont et j'envoie une pierre derrière l'un des chevaux. Il se cabre aussitôt et ils détalent tous. Les trois hommes à l'entrée se lèvent brusquement et crient :
— Les chevaux s'enfuient !
Ils se mettent tous les trois à courir alors que deux autres sortent. Je m'approche un peu plus et m'apprête à agir quand j'entends du bruit à l'intérieur. Des voix et des bruits de coups. Je me tends aussitôt, ce qui déplaît à Solstice qui se met à trépigner. Ils sont en train de le frapper ? Ils frappent mon prince ? Un éclat de rire me fait voir rouge et je fais avancer la licorne de quelques pas, de sorte à me placer dans le champ de vision des hommes. L'un d'eux échappe un cri et s'accroche à l'autre :
— T-t-tu vois ce que je vois ? balbutie-t-il. U-un démon ! C'est un démon !
L'autre homme l'attrape par le col pour le secouer.
— Les démons n'existent pas, reprends-toi !
Un autre coup me fait frémir et des étincelles se mettent à luire autour de mes mains. Je vais les tuer. S'ils le touchent encore, je les tue.
Je claque des doigts pour envoyer valser le deuxième. Le premier crie à nouveau et part en hurlant. Je descends de Solstice, prêt à affronter les hommes qui ont enlevé Alexander. Ma colère s'intensifie de seconde en seconde et je m'attends à, rapidement, voir mon faible contrôle emporté par mes émotions, comme j'en ai trop l'habitude. Mais non. Ça n'arrive pas.
— Bordel, c'est quoi ça ? s'exclame l'un des cinq hommes qui restent.
— C'est rien qu'un elfe, fais-lui sa fête !
Rien qu'un elfe ? Je vais lui faire regretter. Le malfrat dégaine son épée et s'approche de moi mais je ne le laisse pas faire et l'assomme d'une boule d'énergie. Le bruit alerte les autres et trois d'entre eux sortent, n'en laissant plus qu'un avec mon prince. Malgré ma colère, je n'arrive à me débarrasser que de l'un d'eux avant que les deux autres ne m'attrapent. Je baisse aussitôt la tête pour qu'ils ne voient pas mes yeux.
— Magnus ! crie Alexander depuis l'intérieur.
— Ah ! lance celui qui me semble être le chef. C'est pour lui que tu es venu ? Je vais pas te laisser partir avec ! Ses parents vont débourser une somme astronomique pour le récupérer !
Il part dans un rire gras et est vite suivi par les deux autres.
— D'ailleurs, je vais sans doute pas te laisser partir tout court, ton prince sera peut-être plus coopératif si je te torture devant lui, hein ?
— Non ! s'écrie mon amour. Non, tout mais pas ça !
— La ferme !
Il le frappe d'un revers de poing, et quand je vois le sang couler le long de la bouche de l'homme de ma vie, ma colère se change en fureur. Je relève enfin les yeux vers l'homme à ma droite, qui m'a frappé derrière les jambes pour que je tombe à genoux. Quand il croise mon regard, je le vois blêmir instantanément. J'avais raison. Pour les valmoriens, je suis vraiment un démon. Je n'ai même pas besoin de bouger mes mains pour contrôler mon pouvoir. C'est différent d'avant, ma magie a changé et je crois que c'est à cause de ce qui s'est passé au lac. Elle est plus puissante mais je la contrôle tellement mieux. Des volutes bleues se mettent à tourner autour de son cou et l'étranglent soudain. Il s'écroule, inconscient. Choqué, l'homme qui me tenait me lâche et s'écarte de moi. Je le retiens d'un mouvement vif et l'attire vers moi pour cogner sa tête contre mon autre poing.
Je me relève et, quand je me retourne vers le dernier, il tremble. Déterminé à attiser ma colère, il attrape Alexander pour s'en servir de bouclier, son épée tendue entre nous.
— Bouge encore et je le tue, c'est compris ?
J'obéis mais ma magie vibre encore autour de moi. Je la contrôle. C'est insensé, j'ai l'impression de la découvrir pour la première fois. En fait, c'est la première fois qu'elle me rend à ce point euphorique. Et je me sens puissant.
L'homme avance en me tenant à distance avec son épée. Il marche sans cesser de me faire face jusqu'à se retrouver dos à Solstice dont il n'avait pas remarqué la présence. Quand l'animal souffle derrière lui, il se retourne, soulagé d'avoir une monture à voler pour fuir. Cependant, il se fige en voyant les yeux luisants braqués sur lui.
Je profite de ce moment de flottement pour claquer des doigts et lui arracher l'épée des mains. Quand il reporte son attention sur moi, il est trop tard. Ma magie s'enroule autour de son cou et, de rage, je l'envoie valser contre la paroi rocheuse. Quand il tombe, il a perdu connaissance.
Je me jette alors sur mon amour pour le détacher et ses bras passent aussitôt autour de moi.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu es complètement fou !
Il enfouit son visage contre mon cou, je sens son souffle chaud contre ma peau. Je l'enlace à mon tour, et me mets à trembler violemment alors que je réalise ce qui s'est passé et ce qui aurait pu arriver. J'ai peut-être l'habitude des coups, mais c'est la première fois que je me bats.
— Oui, je suis fou, soufflé-je. Mais j'ai eu tellement peur pour toi.
Solstice hennit soudain et tape des sabots pour attirer mon attention. Elle a raison, il faut partir avant que les autres ne reviennent ou qu'ils reprennent conscience. Je m'écarte de mon prince, un peu à contrecœur, et regarde son visage. J'essuie délicatement sa bouche avant d'y déposer un baiser.
— Ça te dit de rentrer à la maison ?
Il esquisse un sourire malgré la douleur et je l'aide à monter sur Solstice. Je grimpe à mon tour, devant lui, et sens ses bras entourer ma taille avant qu'il n'appuie sa tête sur mon épaule. De mes pieds, je tapote les flancs de Solstice pour qu'elle se mette en marche. Je secoue la tête pour dissiper la fatigue. C'est éreintant, la magie.
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