Scène XIII
Javert était un bon acteur. Il joua juste bien la surprise légèrement désintéressée.
« Ha bon ?
- Oui ! Une femme brune avec des yeux gris et...
- Où en est-on de l'affaire Quémeneur ?
- Hé bien, il est introuvable et...
- Amenez-moi son dossier !, ordonna Javert.
- Bien, monsieur. »
Et ce fut tout. On laissa en paix Javert et la vie reprit son cours.
Il n'y eut plus de rumeur concernant les deux hommes. De toute façon, Javert n'alla plus dîner chez M. Madeleine que très rarement.
Le chef de la police en fut ouvertement satisfait, il en avait soupé de l'humeur versatile et des critiques acerbes de son supérieur. Et, franchement, il détestait jouer aux échecs.
Walle se chargeait des rapports.
Ainsi le maire et le chef de la police entretenaient une relation professionnelle, la plus amicale possible.
Parfait !
Mais régulièrement, au moins trois fois par semaine sinon plus, Émilie Mathieu venait dîner chez M. Madeleine. Elle ne vivait pas en ville mais arrivait par la route.
Elle devait prendre la diligence ou alors vivre dans une ferme des environs.
Au moins trois fois par semaine, ils se voyaient, M. Madeleine et sa maîtresse, et chacun espérait rencontrer Mlle Mathieu pour pouvoir s'en faire une idée.
Ils firent l'amour souvent.
Valjean était amoureux, amant, passionné. Il voulait pousser Javert dans ses derniers retranchements. Il rêvait de l'épouser !
Tandis qu'il l'aimait, la prenait, l'embrassait, il lui murmurait des mots d'amour, lui demandant encore et encore de l'épouser. De vivre avec lui. Heureux de la sentir trembler dans ses bras, se cambrer sous le plaisir tandis qu'il la pénétrait lentement. Puis il se montrait intraitable, accélérant les poussées, devenant plus dur.
Ravi de l'entendre gémir puis hurler son nom. Son vrai nom. Ses cris lui faisaient perdre la tête et il soufflait dans le creux de son oreille : « Je t'aime », sans fin, ajoutant : « Émilie »...
Elle était perdue dans les sensations de plaisir, dans la douceur de Jean Valjean, dans la profondeur de son amour.
Javert était une femme et elle tombait doucement amoureuse d'un homme...
Une nuit, elle avoua malgré elle :
« Je t'aime Jean.
- Alors épouse-moi ! »
Ils firent l'amour souvent.
Irresponsables au possible.
Les hommes de l'inspecteur remarquèrent le changement d'humeur du policier. Il devenait plus doux, moins concentré, plus fatigué aussi. On n'osa pas commenter devant lui, mais il était évident qu'il voyait quelqu'un. Il y avait des signes qui ne trompaient pas.
Et ce n'était pas le maire, vu qu'ils ne se voyaient quasiment plus. De plus, le maire avait une maîtresse.
Mais on eut beau chercher, on ne trouva pas de qui il pouvait bien s'agir. Javert était prudent !
Javert et Valjean se voyaient depuis trois mois, plusieurs nuits par semaine. Un dîner aux chandelles, des baisers puis une douce étreinte et des gémissements brûlants.
Cosette se prit d'amitié pour Mlle Mathieu, elle adorait lui poser des questions sur ses voyages et Javert lui racontait sa vie. Toulon, Marseille...
Une vie édulcorée.
M. Madeleine devenait un ami dans cette vie, tendre et affectueux, au lieu d'un forçat classé comme dangereux.
M. Madeleine commanda des robes pour Émilie chez son tailleur. Le maire gâtait la femme et voulait l'épouser.
Mais l'inspecteur Javert résistait ! Et la police dans tout ça ? Que devenait l'inspecteur de Première Classe dans ce projet ?
M. Madeleine, le digne maire de Montreuil-sur-Mer était amoureux de l'inspecteur Javert. Ils faisaient l'amour.
Ils s'aimaient depuis trois mois.
Chaque fois qu'ils se voyaient, Valjean demandait, suppliait, priait Javert de l'épouser.
« Tu partages mon lit, je veux que tu partages ma vie. »
Et à chaque fois, Émilie refusait.
Pour Javert ! Pour tout ce qu'elle avait obtenu en luttant !
Trois mois.
Javert était une femme. Il n'était pas stupide, il était candide.
Arrivèrent des matins nauséeux. Javert se sentait si mal. Il accusa le temps et prit son mal en patience.
Il n'arrivait plus à garder la nourriture et vomissait régulièrement.
Peut-être pas seulement le temps ?
Il se rendit compte que ses règles avaient disparu et la panique lui fit faire des crises d'angoisse. Il ne savait pas quoi faire.
Javert était si mal que ses hommes le remarquèrent. Tous. Sa pâleur, sa maigreur, son mal-être. Ils pensèrent à la boisson...mais personne ne prit Javert sous l'emprise de l'alcool.
En fait, ils s'inquiétèrent lorsque leur chef, d'habitude si composé et si impassible, vacilla en pleine rue avant de s'effondrer sur ses genoux.
Trop faible, il eut besoin de l'aide de ses hommes pour se relever, mortifié. Avant de retourner au poste en abandonnant sa patrouille.
Du jamais vu !
Et il vomit !
On appela aussitôt un docteur. Javert était si mal. Il ne s'en rendit même pas compte, assis à son bureau, luttant contre le vertige en soutenant sa tête.
Le docteur Vernet vint aussitôt, inquiet à son tour. Javert se fâcha à son arrivée puis un nouveau malaise le prit. Il vomit encore.
Le médecin se fit autoritaire. Javert se plia.
Le policier entra dans son bureau et se laissa ausculter.
Le maire arriva à ce moment-là, follement angoissé. On fut surpris mais on se rappela leur ancienne amitié, leurs tentatives de rapprochement.
Cela avait dû laisser des traces.
M. Madeleine bombarda de questions les policiers mais personne ne put lui répondre. Enfin, l'inspecteur sortit, le visage sombre, et quitta le commissariat malgré l'heure indue. Il le fit sans regarder personne en face.
On comprit qu'il repartait en patrouille mais personne n'osa le retenir.
Le médecin apparut à son tour, un éclair amusé ?, dans les yeux. Il vit ensuite le maire, sans afficher de surprise, et lui proposa de le raccompagner chez lui.
En chemin, Valjean ne put s'en empêcher, il interrogea le docteur Vernet :
« Qu'est-ce qu'elle a ? C'est grave ?
- Il va falloir vous calmer, monsieur le maire. Vous allez en avoir besoin pour encaisser ce que je vais vous dire.
- Dieu ! Elle est très malade ? »
Le visage du maire était d'une pâleur inquiétante, le médecin n'apprécia pas cela et mit fin à son jeu cruel.
« Elle est enceinte. De deux mois.
- Enceinte ?
- Vous allez devoir sérieusement réenvisager votre situation. À tous les deux !
- Enceinte ?
- Vous allez être père. Mes félicitations, monsieur le maire.
- Père ? »
Les mots avaient du mal à atteindre Valjean. Comme s'il avait du mal à bien comprendre le sens.
Puis M. Madeleine se reprit et demanda, un peu sèchement :
« Comment pouvez-vous insinuer que l'inspecteur et moi-même, nous... ?
- Je vous en prie, monsieur le maire. »
Le docteur se mit à rire et Valjean se tut, un peu vexé.
« Cela dit ! Je suis surpris que vous ayez réussi à faire la conquête de ce chat sauvage. »
Cette plaisanterie, un peu lourde, eut le don de faire sourire M. Madeleine, mais le sourire disparut lorsque le docteur lança en partant, le visage grave :
« Je viendrai la voir régulièrement. Assurez-vous qu'elle se repose et mange convenablement. Elle est trop maigre et trop nerveuse.
- Très bien docteur. »
La journée se passa trop lentement au gré du maire.
Il ne pouvait pas courir chez l'inspecteur Javert afin de vérifier comment ce dernier allait, il termina donc sa journée de façon habituelle.
Mairie, usine, réunion...
Le soir, il attendit avec impatience l'arrivée de Javert...d'Émilie et il ne fut pas déçu.
L'inspecteur arriva à huit heures du soir, une fois son travail terminé, l'uniforme poussiéreux et les yeux sombres.
Dès qu'il fut entré dans la bibliothèque, Valjean voulut le prendre dans ses bras mais Javert se recula, farouche.
« Nous devons parler !
- Pour sûr, ma douce, mon Émilie. Je t'aime tellement. »
Il la prit dans ses bras et usa de sa force pour la retenir.
« Jean ! Je suis sérieuse !
- Moi aussi ! Je t'aime ! Viens ! »
Il la serra contre lui, si fort. Elle voulut rétorquer sèchement quelque chose mais elle se mit à frissonner à la place.
« J'ai si peur Jean, avoua-t-elle d'une toute petite voix.
- Je suis là.
- Tu ne me laisseras pas ? Jamais ?
- Je t'aime, répéta-t-il inlassablement. Maintenant tu n'as plus d'excuse.
- D'excuse ?
- Epouse-moi ! Deviens ma femme et fais de moi le plus heureux des hommes.
- Jean...je t'aime... »
Il la sentit trembler encore plus fort.
« Et pour l'inspecteur Javert ?, » murmura-t-elle.
Valjean sut qu'il avait gagné et il sentit son cœur battre à tout rompre.
« Nous allons offrir à l'inspecteur Javert une sortie digne. Une nomination à Paris ?
- Et si je démissionnais ? Ce serait plus honnête. »
Valjean n'osa pas se laisser sourire, car il savait ce que cet abandon coûtait à la femme dans ses bras, si fière, si indépendante. Mais il aurait voulu rire, crier, chanter... Il était tellement heureux.
« Pour quelle raison, ma douce ?, demanda-t-il gentiment.
- Raison de santé ! Mes hommes le croiront sans problème vu l'état de faiblesse dans lequel ils m'ont vue aujourd'hui. »
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