Scène XI
De nombreux jours passèrent et les deux hommes ne se virent plus. Malgré son besoin si fort de le voir, Valjean ne chercha plus à rencontrer Javert. Il ne le convoqua plus dans son bureau.
Ce fut par l'inspecteur Walle que Valjean apprit l'absence de l'inspecteur Javert. Sans qu'il ne l'interroge.
« Parti en congé ?, demanda Valjean, étonné.
- Cela nous a surpris aussi mais l'inspecteur a parlé d'un problème personnel à régler.
- Un problème personnel ?
- On a du mal à imaginer l'inspecteur Javert avoir des problèmes personnels, n'est-ce pas ?
- C'est vrai. »
Valjean se joignit au rire mais son inquiétude était déjà là. Où était l'inspecteur Javert ?
Cela faisait à peine deux mois de passés depuis l'affaire Champmathieu, est-ce qu'il avait décidé de démissionner quand même ? Valjean eut furieusement envie de demander qu'on enquête après lui, de se lancer à sa poursuite, encore, mais il n'oublia pas la rumeur...et il décida de faire confiance à Émilie...
Quelques jours passèrent. Tout le monde remarqua l'humeur sombre du maire. Cela ne fit qu'alimenter encore plus furieusement la rumeur.
Puis un soir, tout changea.
On sonna à la demeure de monsieur le maire. Il était tard. Mme Delacour alla ouvrir et fut surprise de voir une femme, seule, devant elle, un sac à la main.
Très froide, Mme Delacour demanda à l'inconnue :
« Vous désirez ?
- Pourrai-je voir monsieur Madeleine ? »
La voix était sèche, cela déplut à Mme Delacour qui rétorqua :
« Je dois connaître votre nom, madame, et la raison de votre venue avant de vous permettre d'entrer. »
La femme dans la rue eut l'air atterré, elle se reprit et dit plus calmement :
« Pardonnez-moi, madame. Dites simplement à M. Madeleine qu'une amie demande à le voir. S'il vous plaît ! »
La logeuse regarda quelques instants la femme dans les yeux puis soupira en s'écartant :
« Très bien, madame. Attendez ici, je vais prévenir monsieur le maire de votre venue. »
Mme Delacour partit, laissant la femme seule dans l'entrée.
La logeuse se disait que, sans doute, il s'agissait d'une malheureuse venue quémander de l'aide ou un travail à l'usine. Cette femme devait espérer faire plier monsieur le maire en se faisant outrageusement appeler « son amie ». M. Madeleine n'aurait pas apprécié qu'elle la renvoie sans le prévenir...mais Mme Delacour en avait vraiment envie.
La logeuse espéra que le maire serait raisonnable pour une fois et qu'il allait lui demander de la renvoyer.
Renvoyer cette inconnue à la rue pour ce soir, quitte à la recevoir dans son bureau à la mairie le lendemain.
L'heure était vraiment scandaleuse.
En plus, le maire n'avait pas encore dîné, il rentrait d'une réunion tardive et il était fatigué. Cela faisait des soirs que cela durait. Le maire était épuisé depuis longtemps.
Vraiment le maire était trop bon !
Monsieur Madeleine fut surpris de cette visite, mais il accepta de rencontrer cette femme se faisant passer pour son amie.
Il était notoire que monsieur le maire n'avait pas d'amie.
La logeuse retourna dans l'entrée, agacée, et demanda à la femme de la suivre. Elle la mena dans la bibliothèque où le maire attendait, avec un sourire bienveillant.
« Bonsoir, madame. Si vous avez besoin d'aide, je peux... »
Et M. Madeleine se tut, abasourdi. Il avait reconnu la femme.
Émilie Javert se mit à sourire, amusée. Il ne lui fallut qu'un instant pour se précipiter sur elle, lui saisir les mains et demander, un peu bêtement :
« Émilie, c'est toi ? »
Elle rit doucement avant de lui répondre :
« À votre avis, monsieur le maire ?
- Dieu du Ciel ! »
Et il l'embrassa, la prenant dans ses bras. Elle se laissa faire, lui rendant son baiser avec passion. Oubliant tous les deux la présence de la logeuse, passablement choquée.
Voilà pour les ragots et la rumeur !
« Mais que..., commença le maire, se reprenant difficilement.
- Je meurs de faim. Tu m'invites à ta table ?
- Oui ! Oui, avec plaisir ! Mme Delacour ! Un couvert de plus ! »
Ce fut bientôt fait.
La logeuse préparait la table et contemplait avec stupeur monsieur le maire, si pondéré, assis à côté de cette femme inconnue, lui tenant la main, se penchant pour l'embrasser, lui parler à l'oreille, avec un sourire heureux sur les lèvres.
« Tu m'expliques ?, s'enquit à un moment donné Valjean.
- Plus tard Jean... »
À cette mention de son prénom, Valjean sentit son cœur s'emballer...et son aine se réveiller.
« Tu restes cette nuit ?
- Si tu le désires...sinon je peux repartir.
- Idiote ! »
Un baiser la fit taire. C'était scandaleux ! Une femme sans aucune notion de bienséance. Mme Delacour était tellement choquée qu'elle, normalement si appliquée, bâcla le service, pressée de quitter la maison du maire.
Le repas fut doux. M. Madeleine servait la femme et la regardait avec adoration. Il hésita puis posa sa main sur celle de la femme, tout à coup intimidé, entremêlant leurs doigts.
Émilie Javert était devant lui, habillée d'une jolie robe, simple, de couleur verte, ses longs cheveux noirs étaient remontés en chignon, libérant sa nuque. Valjean rêvait de l'embrasser, de la goûter.
Enfin, la logeuse prit son congé ; ce soir elle se sentait vraiment de trop...et peut-être que sa voisine, Mme Peguet, n'était pas encore couchée...
La logeuse partie, les bouches se retrouvèrent. Oublié le dîner.
« Explique-moi !, fit Valjean, pressant.
- L'inspecteur est en congé ! »
Puis ce fut tout, elle souriait, le taquinant, amusée et surprise de découvrir l'étendue de son pouvoir sur lui.
« Pour des problèmes personnels, je sais ! »
Un peu bourru, Valjean serra les doigts de la femme entre les siens, forts. Elle accentua son sourire, moqueuse.
« Il devait se faire tailler une robe. Il ne pouvait décemment pas le faire à Montreuil, chez le tailleur de monsieur Madeleine.
- Donc tu es partie pour cela ?
- J'ai voyagé jusqu'à...peu importe... J'ai pris une chambre dans une auberge sous un autre nom. Puis je suis parti me promener dans les rues, un sac sous le bras. À la recherche d'un coin tranquille pour me changer. »
Valjean était suspendu aux lèvres d'Émilie. Si pleines, si rouges, si attirantes.
« Où t'es-tu cachée pour te changer ?
- Dans un établissement de bains publics. Je suis entrée en tant que monsieur Dubois et c'est une madame Dubois qui en est sortie. Je portais un simple pantalon et une chemise. Je faisais négligée mais avec les cheveux détachés, j'espérais passer pour une femme.
« Pourquoi n'as-tu pas emprunté une robe ?
- À qui, monsieur le maire ? À vous ? À mes hommes ? Et sous quel prétexte ?
- Très bien, céda Valjean, tendrement. Je comprends. Continue !
- Le tailleur a été surpris de me voir. Il a dû me prendre pour une prostituée fraîchement arrivée en ville. »
Javert n'était pas près d'oublier le regard suspicieux de l'homme, mais devant l'argent de Javert, il n'avait rien dit. Il avait pris les mesures, testé des étoffes, des couleurs.
Le policier a dû subir deux essayages alors qu'il perdait son temps en ville.
L'homme devait imiter les femmes, voyant toutes les lacunes dans sa façon de se comporter. Javert regardait les boutiques à la recherche de sous-vêtements, de parfum, d'accessoires de mode...et il désespérait...
Le tailleur fut de moins en moins dur et méfiant.
Il dut comprendre que cette cliente n'avait pas l'habitude de s'habiller en femme et il lui donna des conseils sur la coiffure, les bottines...
Bref, il transforma l'inspecteur Javert en une Émilie Javert tout à fait présentable.
À la fin, lorsqu'il ne restait plus qu'à payer et à se quitter définitivement, le tailleur ne put s'en empêcher. Il demanda, furieusement intéressé :
« C'est pour quelle occasion ?
- Je viens de sortir de prison. »
Javert apprécia à sa juste valeur le regard vide que posa sur elle le tailleur puis la montée du mépris.
Il profita de ce silence atterré pour partir.
Un nouveau voyage dans un établissement de bains et M. Dubois réapparut.
Voici maintenant Émilie Javert, assise à la table du maire, portant une robe verte, les cheveux coiffés en chignon, un léger parfum se glissait dans son sillage. Affolant les sens de Jean Valjean.
Il fallait dîner !
« Tu es magnifique, ma douce, souffla Valjean.
- Flatteur !
- Je ne flatte pas !, se défendit le maire.
-Je ne coucherai pas avec toi... »
Ils rirent puis Valjean murmura dans le creux de l'oreille d'Émilie :
« Non. Tu vas faire l'amour avec moi.
- Jean... »
Il l'embrassa.
Il fallait dîner ! Ils dînèrent sans y penser, oubliant le dessert, pressés de s'aimer enfin.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro