Scène X
M. Madeleine reprit sa marche et s'approcha lentement de Javert, il aperçut les yeux gris de l'inspecteur. Il arrivait enfin à les capter et fut alarmé par le désespoir qui s'y reflétait.
« Qu'allez-vous devenir Javert ?
- Je suis toujours un homme. Je peux travailler en tant que tel...ou alors je peux redevenir une femme si le besoin s'en fait sentir.
- NON !, » glapit M. Madeleine.
Il saisit les mains du policier, stupéfait par leur tremblement.
« Je ne resterai pas à Montreuil, monsieur. Ne vous inquiétez pas ! Personne n'assistera à ma déchéance.
- Javert ! Je vous l'interdis !
- Et sinon, il y a toujours un moyen définitif de faire face à tout. »
Manipulation ou vérité ? En tout cas, cela fit réagir violemment M. Madeleine qui serra fort les doigts de Javert entremêlés dans les siens.
« Vous en useriez ?
- C'est une question d'honneur ! »
Valjean fut estomaqué. Il n'arriva pas à empêcher les doigts de le quitter et ne bougea pas davantage lorsqu'il vit Javert se diriger vers la porte. Il n'entendit les paroles de l'inspecteur qu'au moment où ce dernier répéta pour la troisième fois son titre :
« Monsieur le maire, je pars ce soir pour Arras. Je reviens demain pour reprendre mon poste en attendant mon renvoi. Nous réglerons cette affaire définitivement. »
Ce mot, « définitivement », ramena M. Madeleine à la vie. Il se précipita sur Javert et le retint en attrapant son bras. Il sentit le muscle se durcir sous son toucher, mais M. Madeleine n'en eut cure. Javert se rebella et voulut se libérer. Le maire retint Javert en usant de sa force.
« Non ! Je ne peux pas te laisser partir ainsi ! »
Aucun des deux ne nota l'utilisation du tutoiement. Javert se mit à trembler et il hurla :
« Lâchez-moi !
- Non, je ne te laisserai pas partir dans un état aussi bouleversé. Il faut qu'on discute !
- Je ne veux pas..., murmura Javert, paniqué.
- Calmez-vous Javert ! Je ne vous veux pas de mal, mais je ne vous laisserai pas partir sans que vous ne m'ayez écouté. »
Le vouvoiement était revenu tandis que Valjean lâchait doucement le bras de Javert. Puis, lentement, il se recula. La soudaine crise de panique de l'inspecteur l'avait surpris, il ne voulait pas lui faire peur davantage.
« Bien. Maintenant écoutez-moi ! Je ne veux pas vous renvoyer et je ne veux pas de votre démission. Vous êtes un homme d'honneur ! Vous m'aviez prévenu que vous êtes dangereux, vous aviez raison. »
Valjean se tut pour reprendre son souffle. Il vit les yeux brillants de Javert posés sur lui, perplexes.
« Vous aviez raison à plus d'un titre, murmura le maire, un peu amer.
- Monsieur ?, fit Javert, d'une voix troublée, plus proche de la sienne que de celle de l'inspecteur.
- Regardez-moi Javert ! »
Doucement, M. Madeleine retira sa veste, puis son veston. Enfin, il hésita un instant avant d'ouvrir sa chemise et de la faire glisser sur ses épaules. Le maire se retourna alors pour dévoiler son dos, couvert de traces de coups de fouet.
Javert l'avait regardé faire, hypnotisé. Tout à coup, la femme se sentit troublée par cet homme. Un homme magnifique qui s'était intéressé à elle et non à Javert. Le premier homme à le faire. Et cet homme était Jean Valjean !
Elle s'approcha lentement de lui et tendit la main pour toucher les cicatrices. Valjean se retourna pour lui faire face, elle rougit de sa caresse. C'était le même geste que dans le couloir chez les Rominy mais sans la même signification. La main hésita, restant suspendue en l'air, puis les doigts caressèrent la poitrine de M. Madeleine, doucement, retraçant quelques cicatrices présentes ici aussi. La dure vie d'un forçat. Valjean se crispa sous le toucher.
Javert leva les yeux et regarda Valjean. Et non Madeleine. Elle avait peur...pour la première fois elle avait peur de l'homme...en tant que femme...
Valjean, lui, sentait monter l'envie de l'embrasser, poindre le désir. Il ne bougea pas, alors que maintenant la main caressait le torse, les muscles tendus, se perdant dans les poils grisonnants de la poitrine. Grisonnant comme les cheveux de Valjean. Le forçat avait plus de cinquante ans, le corps encore formé par le bagne et les travaux de force. Valjean frissonnait.
Un homme et une femme.
« Si vous ne vous arrêtez pas, je vais devoir vous embrasser, » souffla Valjean.
Javert tremblait, indécis, angoissé, terrifié.
Et Valjean agit enfin. Il laissa sa main caresser la joue de Javert puis défaire le ruban, libérant les cheveux de l'inspecteur. Une vague de cheveux, doux, d'un noir profond, cascada sur des épaules.
« Puis-je... ?, murmura Valjean, ravi de caresser la chevelure de l'inspecteur.
- Je n'ai jamais... Je...
- Jamais ? »
Javert baissa les yeux, honteux, les joues rougissantes. Comment Valjean avait-il pu voir un homme dans cette femme ? Comment personne ne s'en était-il rendu compte ?
Valjean se pencha et embrassa Javert, posant ses lèvres doucement sur celles de l'inspecteur. Les lèvres de Javert étaient pleines, douces. C'était vrai qu'elles n'allaient pas avec la froideur du visage. Puis Valjean prouva qu'il était un homme. Il prit la bouche de Javert en conquérant, forçant les lèvres à s'écarter pour lui laisser le passage, glissant sa langue. Ce ne fut pas une douce danse, enivrante, entre les deux langues mais une lutte, un combat. Javert se rebellait.
Valjean saisit les mains de l'inspecteur et les plaqua contre le mur, repoussant le corps pour le coincer sous sa force. Javert était épinglé, incapable de bouger, soumis à la puissance du forçat, incapable de penser. Valjean l'embrassait encore et encore. Enfin, il abandonna les lèvres de Javert, ravi de les voir rouges et gonflées. Sa bouche descendit ensuite dans le cou, la mâchoire, remontant vers l'oreille. Mais ce ne fut que lorsqu'il embrassa et suça le lobe de l'oreille que Javert se mit à gémir, perdant de la force dans les genoux.
Un homme et une femme !
Jean Valjean avait connu quelques femmes, il était déjà un adulte lorsqu'il avait été envoyé au bagne. Et le bagne l'avait frustré.
Il reprit les lèvres et relâcha les mains de l'inspecteur. Docilement, elles vinrent se placer sur ses épaules, pour le rapprocher, le retenir, le serrer. Valjean était satisfait.
Puis on frappa à la porte du bureau de monsieur le maire. Valjean et Javert sursautèrent. Ils se regardèrent et furent saisis.
Valjean était débraillé, disparu monsieur Madeleine et sa correction, ses yeux étincelaient de désir, il haletait fort et sa chemise avait disparu. Et Javert ! Dieu Javert ne pouvait plus mentir sur son sexe. Il était décoiffé, ses cheveux retombaient sur ses épaules, emmêlés. Valjean connaissait maintenant leur douceur. Ses lèvres brillaient, rouges, tentatrices, elles attiraient celles de Valjean. Ses yeux gris, si froids habituellement, brûlaient d'un feu profond.
Elle était belle !
On frappa à nouveau à la porte, avec une certaine impatience. Valjean hurla :
« UNE MINUTE ! »
Puis s'empressa de se rhabiller. Javert était encore sous le choc et il réagit à son tour avec vigueur, remettant de l'ordre dans sa tenue.
Enfin, le policier se plaça contre la fenêtre, tournant le dos à la pièce, se recomposant un visage. M. Madeleine ouvrit la porte et laissa entrer son secrétaire, vibrant de curiosité.
On nota les yeux brillants.
On pensa que le maire et son chef de la police avaient encore eu un de leurs débats houleux.
« Monsieur le maire, expliqua le secrétaire, c'est l'hôpital qui vous fait demander pour la femme Fantine.
- Je vais aller la voir. »
Le secrétaire resta à attendre son supérieur. Ostensiblement. Il cherchait à comprendre la scène qui venait de se produire entre les deux hommes.
Javert se retourna enfin, impassible, décevant le secrétaire à l'affût du moindre regard.
« Monsieur le maire, je vais prendre mon congé. »
Leurs yeux se rencontrèrent, le maire et le policier, un dialogue sans mots.
« Nous n'en avons pas terminé, inspecteur ! Je vous demande de venir chez moi ce soir pour que nous puissions régler cette affaire au mieux.
- Monsieur..., commença Javert, agacé.
- Non, inspecteur, coupa le maire. Vous ne faites rien sans mon assentiment ! Et je vous interdis de partir ce soir. Est-ce clair ?
- Oui, monsieur, claqua Javert. Très clair ! »
Le désir avait disparu, le désespoir aussi. Maintenant, c'était à nouveau la colère qui illuminait les vitraux de glace formant les yeux de l'inspecteur. Valjean dut combattre l'envie de l'embrasser pour se faire pardonner.
« A ce soir inspecteur.
- A votre service, monsieur le maire. »
Un titre jeté comme une insulte. Cela fit sourire de façon méprisante le secrétaire de monsieur Madeleine. Javert s'inclina et disparut du bureau en claquant fermement ses bottes sur le sol.
Le secrétaire leva les yeux au ciel mais ne rencontra pas de sourire sur les lèvres du maire.
Fantine se mourait, elle voulait sa fille, Cosette. Les gens tenant l'auberge de Montfermeil, les Thénardier, refusaient de la libérer. Valjean devait s'en charger lui-même.
Et puis Javert ! Dieu Javert ! Des mois que les deux hommes se tournaient autour, dansant sans fin. Valjean pensait à elle, bien sûr, mais il ne s'était pas rendu compte que ses sentiments étaient si profonds pour elle...pour lui...
Enfin, le plus urgent : Champmathieu et Arras. Il fallait régler cela, partir pour Arras et avouer la vérité ? Partir pour Arras et sauver cet homme ! Avouer la vérité ? Trouver une solution sans se compromettre ?
Valjean était pris dans ce dilemme.
Dès que Valjean put sortir de l'hôpital, après avoir vu et rassuré Fantine. Le cœur lourd en voyant l'état critique dans lequel se trouvait la malheureuse. Le maire fila à son domicile. Il espérait voir Javert, piaffant d'impatience, le regard mauvais et prêt au combat.
L'inspecteur n'était pas là !
Mécontent, le maire se dirigea vers le poste de police. Il réclama de voir l'inspecteur Javert immédiatement, sans aucune aménité dans la voix.
L'inspecteur n'était pas là !
On ignorait où se trouvait Javert. Sa patrouille était terminée depuis longtemps. Puis on se souvint d'Arras et de la convocation à témoigner reçue par le policier. Peut-être était-il parti pour Arras ?
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