Scène VIII
Il y eut deux séances d'essayage avant de pouvoir finaliser le costume. Puis l'inspecteur Javert se vit dans le miroir et ne se reconnut pas. Ce qui l'agaça particulièrement.
Le tailleur le contemplait avec un petit sourire, amusé de voir ce grand policier, vêtu à la dernière mode et foudroyant du regard son double dans le miroir.
La demeure des Rominy était la plus belle de Montreuil-Sur-Mer. La plus riche aussi. Les Rominy mettaient un point d'honneur à organiser régulièrement des réceptions auxquelles ils invitaient les personnalités de Montreuil, donc monsieur le maire.
Même si monsieur Madeleine était un homme assez sauvage.
La réception pour la fête de Noël était la plus belle. Bal, banquet, jeux de table, musique... C'était parfait.
Des dames dansaient en longue robe colorée, un parterre de fleurs, tandis que des hommes discutaient, un verre d'alcool à la main. On attendait la messe de Minuit pour fêter dignement la Nativité.
La fête avait déjà commencé lorsque monsieur le maire se présenta. Costume sombre, épingle en perle, cravate de soie. Monsieur Madeleine avait fait des efforts. Dés son arrivée, monsieur de Rominy vint l'accueillir.
« Mon cher Madeleine ! Vous êtes magnifique !
- Une fois l'an nous pouvons nous permettre un petit péché de vanité, sourit humblement le maire.
- Cher Madeleine..., » rétorqua en riant le vénérable vieillard, monsieur de Rominy.
Monsieur le maire regardait de tous côtés, toute la ville était présente. Enfin, tout ce qui comptait en ville. Tout le conseil municipal.
La voix de M. de Rominy s'éleva, ironique :
« Il n'est pas là, monsieur le maire.
- Il s'est peut-être trouvé retenu à son bureau..., tenta maladroitement M. Madeleine.
- Le soir de Noël ?, répondit M. de Rominy, sceptique.
- Qui sait ? »
L'ironie ne disparut du regard de M. de Rominy que lorsqu'on annonça l'arrivée de l'inspecteur Javert...longtemps après celle de M. Madeleine.
Les deux hommes tournèrent la tête en même temps et furent saisis par ce qu'ils virent.
L'inspecteur Javert était magnifique. D'ailleurs son entrée provoqua un silence général...qui énerva prodigieusement le policier. Il ne put s'empêcher de claquer le talon de ses bottes d'officier sur le plancher bien ciré.
C'était la seule concession que Javert ne put se résoudre à faire : abandonner ses bottes pour des chaussures. Car cela signifiait perdre plusieurs centimètres de hauteur. Car cela signifiait perdre de sa prestance.
Émilie Javert savait très bien à quel point les bottes créaient le personnage de l'inspecteur Javert.
Pour le reste, Javert s'était plié aux ordres de M. Madeleine. Un pantalon et une veste de couleur bleu nuit, un gilet brodé de fines arabesques argentées dont la forme rappelait vaguement la fleur de lys, un chapeau de velours. A cela s'ajoutait la canne à pommeau de plomb de l'inspecteur.
L'inspecteur chercha du regard son hôte pour finalement apercevoir Monsieur de Rominy en compagnie de Monsieur Madeleine. L'homme se fendit d'un petit sourire vite disparu puis vint saluer les deux hommes en s'inclinant profondément.
« Il est bien tard inspecteur, fit M. de Rominy, très sec.
- Je m'en excuse, monsieur. Une affaire à régler.
- Un problème Javert ?, demanda M. Madeleine, soucieux.
- Rien que nous ne puissions gérer, monsieur. »
M. de Rominy hocha la tête, indifférent, mais M. Madeleine ne quittait pas l'inspecteur des yeux, attendant une explication qui ne vint jamais.
Un serviteur vint proposer des coupes de champagne aux trois hommes. Javert allait refuser mais en captant le regard appuyé de Madeleine, il accepta. Poli.
Ce verre fut suivi d'un autre. Javert restait silencieux, laissant le maire et le vieil aristocrate discuter sans les déranger.
Bientôt une nouvelle danse commença, le bal se poursuivait.
Mlle de Rominy vint chercher son père pour la faire danser. Le vieil homme s'excusa auprès des deux hommes et les laissa pour suivre sa fille.
Javert et Madeleine se sentaient un peu intimidés d'être tous les deux.
« Vous êtes superbe, Javert.
- Merci, monsieur le maire. Je vous retourne le compliment. »
Javert souriait, amusé puis il laissa sa main courir sur sa propre cravate de soie, maladroitement nouée à la Byron, surpris de ne pas trouver son col de cuir.
« Je crains d'avoir perdu de ma superbe justement.
- Vous êtes plus doux comme cela. Laissez-moi vous aider !
- Monsieur ?! », glapit Javert.
L'inspecteur gela en sentant les mains du maire retirer sa cravate puis lui refaire doucement son nœud. Javert rougit profondément et Valjean trouva cela adorable. Adorable ?
Javert s'en voulut atrocement de réagir ainsi.
« Voilà, vous êtes parfait !, murmura Valjean.
- Superbe, parfait... Vous connaissez beaucoup de vocabulaire, monsieur le maire, lança Javert, mais on notait l'essoufflement de sa voix avec étonnement.
- Je préférerais dire beau, séduisant..., charmeur...
- Vous êtes ivre, monsieur ! »
Mais cela fit sourire à nouveau l'inspecteur. Puis son sourire ironique disparut lorsque M. Madeleine s'empara de sa main.
« Voulez-vous m'accorder cette danse ?
- Il y a des femmes libres, monsieur !, expliqua rapidement Javert, essayant de calmer sa panique. On ne danse entre hommes que s'il n'y a aucune femme de disponible, monsieur.
- J'en vois une et j'aimerais danser avec elle.
- Monsieur, » fit Javert, blasé.
Valjean avait bu, c'était vrai, mais il trouvait réellement Javert séduisant dans ce costume. Cela révélait ses hanches fines, sa taille si serrée, ses jambes musclées... Valjean avait furieusement envie de tenir cette taille et de sentir le corps de l'inspecteur collé contre lui
Valjean ne relâcha pas la main de l'inspecteur, cela devenait une scène scandaleuse. Javert voulut se reculer mais le maire garda fermement ses doigts entre les siens.
« Monsieur !, répéta Javert, alarmé.
- Je me permets d'insister, inspecteur. »
Monsieur le maire ne voyait que le gris des yeux de Javert mais le policier, lui, était douloureusement conscient des regards posés sur eux.
« Inspecteur ?, demanda M. Madeleine, un soupçon d'autorité dans la voix.
- Fort bien monsieur le maire, capitula le policier.
- Merci Javert. »
M. Madeleine entraîna l'inspecteur au-milieu des danseurs. Il lâcha la main pour s'incliner avant de saisir son partenaire.
« Retirez vos gants, inspecteur. C'est plus respectueux. »
Javert hésita, fâché, puis se soumit, révélant ainsi la finesse de ses doigts. Valjean glissa sa main sur la taille de son compagnon et entremêla leurs doigts. Puis ils se mirent à doucement à valser.
« J'aurais préféré conduire, murmura Javert.
- Dans vos rêves inspecteur ! Jamais je ne me laisserais conduire. »
Et implicitement sa phrase continuait avec « par une femme ».
Javert secoua la tête, partagé entre la colère et l'amusement, avant de rétorquer :
« Vous oubliez qui je suis. Le danger que je représente. Pour vous.
- Le danger ? »
Les yeux de Javert étincelèrent un instant. Magnifiques.
« Oui, « monsieur Madeleine ». »
Ils étaient pressés l'un contre l'autre, ils tournoyaient. Javert se laissait mener. Soudain, Valjean le fit basculer en arrière durant la danse. Javert sursauta et laissa tomber sa tête en arrière. Ses mains se placèrent sur les épaules de Valjean et serrèrent. Un éclat de rire retentit. Surprenant tout le monde et ravissant le maire.
M. Madeleine eut follement envie d'embrasser la gorge de l'inspecteur, mais il résista à cette impulsion. Il fit remonter lentement le policier entre ses bras et fut saisi en apercevant les yeux brillants de Javert. Sauvages !
« Oui, vous avez raison Javert, vous êtes dangereuse.
- Dangereux !, rectifia le policier, cinglant.
- Il y a trois détails qui détonnent dans votre déguisement inspecteur.
- Vraiment ?, s'amusa Javert. Et il vous a fallu tous ces mois pour vous en rendre compte ? »
La danse arrivait à sa fin, ils avaient valsé avec entrain, ne remarquant aucun des regards posés sur eux, indifférents au scandale qu'ils provoquaient, seulement accaparés l'un par l'autre.
« Tout d'abord votre bouche. Trop belle, trop sensuelle pour être celle d'un homme.
- Allez dire cela à mes hommes lorsque je leur hurle dessus !
- Ensuite vos cheveux. Trop longs, trop soyeux pour appartenir à un homme.
- Je suis un homme soigné. J'ai une réputation de propreté et de probité.
- Enfin, vos mains. Trop fines, trop douces pour être les appendices d'un sexe fort.
- Une paire de gants de cuir noir bien épais corrige cette image.
- Quel dommage de cacher de si jolis doigts, la complimenta Valjean.
- Monsieur, sourit Javert en levant les yeux au Ciel. La danse est terminée. »
Il fallut quelques instants à M. Madeleine pour relâcher l'inspecteur. Les deux hommes s'inclinèrent et quittèrent ensemble la salle de danse.
Ils furent aussitôt rejoints par M. de Rominy et un autre homme, M. Desmarest. Javert s'inclina profondément tandis que monsieur le maire serrait vigoureusement des mains, tout sourire.
« Une belle danse, messieurs. Vous devriez faire des heureuses, lança M. de Rominy, amusé.
- Pourquoi pas ?, » rétorqua monsieur Madeleine.
On se tourna vers l'inspecteur Javert, mais il eut un sourire fugace et ironique avant de s'incliner à nouveau.
« Je dois décliner, monsieur. Je suis attendu au commissariat.
- A cette heure ? Aujourd'hui ? »
Monsieur le maire, surpris et atterré. Cela fit revenir le sourire de Javert.
« Je vous passerais l'expression du « crime ne dort jamais », mais le fait est qu'il y a une affaire à régler. Donc je vous remercie de m'avoir invité et vous souhaite une excellente soirée, messieurs. »
Javert allait s'incliner, encore, mais M. de Rominy le retint en posant une main sur son bras.
« Attendez inspecteur. Nous avons un présent pour vous.
- Un présent ?! »
Javert avait pâli, mais il conserva son impassibilité. Cette fois, ce fut M. Desmarest qui intervint pour expliquer la situation.
« Pour avoir sauvé la vie de ma fille. Et son honneur, inspecteur.
- Mais ce n'est que mon devoir, messieurs. Il n'y a pas à m'offrir de récompense.
- Il aurait été plus simple de le faire dans votre bureau, en effet. »
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