Scène III
Javert s'écarta devant l'insistance du maire, trop abasourdi pour réagir. Il le contempla avec stupeur.
« Que faites-vous debout ? Où est la fille ?
- Chez moi..., » répondit distraitement Valjean.
Il avait eu raison ! Dieu du Ciel ! Il avait pris la bonne décision !
Javert était en chemise et pantalon. Sur son lit se trouvaient une pile de vêtements, assez maigre, et quelques livres. Sur le sol, il y avait une malle ouverte. Ce n'était pas difficile de comprendre ce que Javert se préparait à faire.
Il avait pris la bonne décision !
Valjean était partagé entre le soulagement et la colère.
« Que pensez-vous faire inspecteur ? »
Surpris par ce ton autoritaire, Javert se redressa puis se fâcha.
« Mon devoir, monsieur. Je dois partir !
- Non ! Votre devoir est à Montreuil !
- Vous m'avez suivi jusqu'à Paris, je suppose ?, demanda Javert, d'une voix lasse.
- En effet et...
- Vous devez donc avoir appris mon renvoi, monsieur, poursuivit le policier, en coupant sans vergogne la parole à son supérieur.
- Oui, lâcha sèchement M. Madeleine.
- Alors il n'y a pas à discuter. Veuillez m'excuser, la diligence part tôt demain et je suis fatigué.
- Et j'ai obtenu votre réaffectation dans le service, compléta sobrement Valjean. Vous restez inspecteur de Première Classe, nommé à Montreuil pour y occuper le poste de chef de la police.
- Quelle est cette blague ? »
M. Madeleine ne prit pas la peine de répondre et tendit la lettre du préfet à Javert. Le policier la prit et la lut. Il blêmit et dut s'asseoir pour se reprendre. Valjean se porta à son aide, ignorant le regard sombre que lui jeta l'inspecteur.
« Comment... ?, murmura Javert. M. d'Anglès a été clair. J'ai failli... Je...
- Le préfet a revu sa position quant à vous. Il a écouté mes arguments. Montreuil a besoin de vous !
- Montreuil ou vous ? »
La question était posée sans aménité. Valjean se mit à rougir, embarrassé.
« Cela dépend de vous... Montreuil seule importe...
- Walle m'a parlé de vous. De votre inquiétude à mon égard. De votre harcèlement.
- Mon harcèlement ?
- Je ne coucherai pas avec vous !, asséna vigoureusement le policier.
- Je sais ! Vous me l'avez déjà dit ! »
Le sourire amusé de monsieur le maire agaça positivement l'inspecteur de police.
« Vous êtes exaspérant !, jeta sèchement Javert. Et stupide ! »
Javert s'était relevé et s'approchait de Valjean, les yeux brillants de colère. Tellement fatigué. Il n'arrivait plus à se contenir. Monsieur le maire avait le don de le faire sortir de ses gonds.
« Stupide ?
- Vous montrer à la préfecture de Paris ?! Chez le préfet ?! Chabouillet a été à Toulon, il aurait pu vous reconnaître ! Ils avaient ma lettre ! Mes soupçons ! Merde Valjean ! Et s'ils m'avaient pris au sérieux ? S'ils... »
Javert ne put continuer à parler. Il baissa les yeux, furieusement gêné et furieusement énervé de l'être.
« Pardonnez-moi, monsieur, réussit à prononcer le policier d'une voix à peu près stable. Il faut que je prépare mes affaires. Cela ne change rien ! »
Valjean sourit, incapable de s'en empêcher. Il reconnaissait les signaux que lui envoyait la malheureuse femme affolée devant lui...malgré elle... Il avait plus d'expérience qu'elle. Il voulait la rassurer.
Il se porta à la rencontre de Javert.
« Pourquoi ne pas m'avoir dénoncé ?, murmura-t-il la voix soyeuse.
- Dieu monsieur !, glapit Javert, alarmé de le voir si proche de lui...d'elle...
- Pourquoi m'avoir protégé ?
- Je... »
Javert recula et se retrouva coincé contre le mur. Il voulut se dégager mais Valjean était devant lui.
« Pourquoi ?, insista Valjean.
- Je ne pouvais pas, avoua Javert.
- Que suis-je pour vous ?
- Un homme bon et exaspérant...
- Émilie..., » souffla Valjean.
Et le maire se pencha doucement pour prendre les lèvres de l'inspecteur. Il en avait rêvé...depuis la dernière fois. Combien de jours ? Il n'en dormait plus.
« Traite-moi d'imbécile, mais je ne pouvais pas te laisser partir, chuchota Valjean.
- Valjean, rétorqua-t-elle, puis plus doucement, Jean. »
Les lèvres se touchèrent enfin.
Le baiser, d'abord doux, devint vite affamé. Cette fois, Javert s'attendait à sa réaction, il se crispa avant de se soumettre.
Un homme et une femme.
Javert devait en convenir, il était une femme...
Ils s'embrassaient, avec vigueur, passion, puis, tout à coup, ils se rendirent compte de l'heure et de l'endroit. Ils étaient seuls, c'était la nuit, dans l'appartement de l'inspecteur, tout était calme et silencieux.
Seuls !
Et Javert s'affola ! Il se mit à repousser Valjean.
« N'aie pas peur de moi, murmura monsieur le maire. Je ne te forcerai à rien. Jamais !
- Je ne coucherai pas avec toi !, répéta encore Javert, incertain.
- Rien de ce que tu ne veuilles ! Mais je t'en prie, ne pars pas !
- Pourquoi ?
- Je crois que je suis amoureux de toi, » avoua Valjean.
Émilie Javert fut surprise d'entendre ces mots, elle s'était toujours dit que jamais elle ne les entendrait et surtout pas pour sa propre personne.
Cela la laissa abasourdie.
« Exaspérant, stupide..., séduisant...
- Séduisant ?, reprit Valjean étonné.
- Tu me tentes... »
Un sourire suffisant, tellement réjoui. Javert posa ses lèvres sur celles du forçat pour l'effacer.
« Ne pars pas, je t'en prie !, supplia M. Madeleine. Tu m'as sauvé...
- Très bien, fit Javert, vaincu. Je reste à Montreuil.
- Merci. »
S'en suivit un baiser plein de tendresse que Javert brisa.
« Maintenant partez monsieur le maire ! Si quelqu'un vous a vu...
- J'ai été prudent !, asséna Valjean.
- Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi imprudent !
- Demain, tu viendras me donner ton rapport ?
- Tu veux que nos rencontres deviennent quotidiennes ? »
Javert sourit, amusée et Valjean la prit dans ses bras, la serrant fort contre lui, la rapprochant au plus près de son corps.
« Oui ! Je veux des rapports quotidiens ! Et ne m'envoie plus Walle ! C'est toi que je veux !
- Et tu me donneras aussi une tasse de thé ?
- Tout ce que tu veux !
- Demain, dans votre bureau, monsieur le maire !
- Inspecteur ! »
Ils rirent, un peu grisés par cette situation puis, après un dernier baiser, ils se séparèrent.
Valjean ne fit attention à rien. Il était heureux ! Les soucis disparaissaient. Arras, Champmathieu, Fantine, Cosette, la peur du bagne...et ses lèvres gardaient le souvenir des lèvres de Javert. Il était amoureux !
La nuit fut pleine de rêves un peu trop sensuels. Valjean dut se prendre vigoureusement en main pour apaiser son corps et calmer la fièvre. Une nuit de fièvre ! Cela ne lui était pas arrivé depuis des lustres ! Depuis Toulon !
Puis une journée, longue et morne, succéda à la tension des derniers jours. Le seul rayon de soleil fut la petite Cosette, bavardant gaiement, questionnant sans fin, appelant pour sa maman, s'apprivoisant doucement.
Valjean l'accompagna à l'hôpital. Fantine n'était pas sauvée, toujours malade et faible qu'elle était, mais sa fille la soignait mieux que les drogues. Qui sait ? Le docteur parlait de possible rémission !
Valjean pria le Ciel !
Plus l'heure du rapport de l'inspecteur approchait, plus la nervosité de monsieur le maire se voyait. A tel point que son secrétaire s'en inquiéta.
« Vous êtes fatigué, monsieur. Votre voyage ne vous a pas fait de bien. Voulez-vous que j'aille chercher M. Dubois, votre premier adjoint ? Il saura gérer le rapport de l'inspecteur !
- Non, je vous remercie. Je saurai faire face ! »
Un sourire bienveillant pour soulager et pour renvoyer ce diable de curieux. Puis monsieur le maire attendit son chef de la police.
Enfin, on annonça l'inspecteur Javert et Valjean dut lutter pour rester neutre à cette annonce.
Valjean fut saisi par l'apparition.
L'inspecteur avait fait un effort avec son uniforme, les boutons avaient été soigneusement polis, les bottes étaient bien cirées, les favoris avaient été taillés. Habituellement, l'inspecteur était impeccable, aussi strict avec ses boutons qu'avec sa vie. Mais il avait toujours une fine couche de poussière ou un peu de boue sur ses bottes ou sur son uniforme, ses mains étaient souvent tachées d'encre ou de graisse de pistolet. C'était ainsi.
C'était la fin de la journée, Javert avait patrouillé, travaillé, rédigé des rapports...
Mais là ! Il était magnifique !
Ce qui surprit profondément Valjean ! Il fut impressionné par l'homme pour une fois, sans chercher à retrouver la femme cachée derrière lui.
Le secrétaire fit entrer l'inspecteur puis disparut.
Valjean se levait en souriant mais avant qu'il ne commette quelque imprudence, Javert avait posé un doigt impératif sur sa bouche.
Puis le policier s'écria :
« Monsieur le maire, à votre service. Voulez-vous entendre mon rapport tout de suite ?
- Fort bien inspecteur, je vous écoute !
- Je ne serais pas long... »
Et Javert commença à raconter comment ses hommes s'étaient chargés d'un souci sur les remparts. Il restait au garde-à-vous.
Valjean s'approcha et doucement, il défit le ruban retenant les cheveux de l'inspecteur. Il les caressa, admirant leur douceur une fois encore. Ensuite, il se pencha et embrassa une joue avant de prendre les lèvres.
Faisant cesser le verbiage incessant du policier.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro