FIN II
Émilie était pâle mais vivante, si faible. Il se jeta à son chevet, une fois de plus.
« Ma douce... Tu es là...
- Je te l'ai dit... Toujours... »
Si fragile, sa voix n'était qu'un murmure. Le docteur prit les choses en main.
D'abord se charger de l'enfant.
On le donna à son père pour qu'il aide la mère à le tenir.
Valjean reçut sa fille et la regarda, émerveillé. Le nourrisson était aussi épuisé que sa mère et dormait à l'abri des bras si forts de son père.
Valjean ne savait pas quoi dire. Il n'avait jamais cru qu'un jour, il serait père.
Javert l'appela doucement et Valjean s'assit à ses côtés sur le lit, puis il l'aida à prendre l'enfant dans ses bras et Javert sourit de bonheur.
« Elle est si petite, souffla le policier.
- Oui, et si belle, » ajouta le forçat.
Ils se regardèrent, perdus dans leur rêve.
Pendant ce temps, on put préparer le bain pour laver l'enfant et les langes pour l'envelopper.
C'était le rôle de Sœur Simplice.
Le docteur envoya madame Delacour chercher la nourrice.
Madame Madeleine était trop faible pour l'instant pour nourrir son enfant. Sa vie était encore en danger.
La ville gardait son souffle, dans l'attente et l'inquiétude.
Puis, on s'apprêta à laver la femme elle-même, à la vêtir de propre et à changer les draps...voire le matelas.
Toute cette agitation ne troublait pas Émilie et Jean. Elle tenait son enfant dans ses bras et Valjean soutenait ses bras, maintenait l'enfant.
Une fille !
L'enfant était toujours endormie, cher petit ange !
« Comment va-t-on l'appeler ?, demanda Valjean en embrassant la chevelure de sa femme, encore collée par le sang et la sueur.
- Jeanne, répondit aussitôt Javert.
- Ma douce, mon amour... »
Il posa doucement ses lèvres sur les siennes puis colla son front contre le sien.
« Mes amours, je vais vous protéger.
- Ha les hommes !, » s'écria en souriant Javert.
Lentement, sœur Simplice prit l'enfant. Il fallait s'en occuper.
« Attendez !, » murmura Javert.
Elle essayait maladroitement de défaire sa chemise, Valjean l'aida. Un sein gonflé de lait apparut.
La sœur avait compris.
Elle oublia volontairement la nourrice que le médecin avait fait chercher. Et le docteur Vernet ne s'opposa pas à la volonté de la mère.
On aida la mère à placer l'enfant à son sein et le miracle eut lieu.
Un miracle millénaire !
L'enfant s'éveilla pour trouver le mamelon et téta. Cela dura quelques minutes puis l'enfant s'endormit. Cela épuisa Émilie.
Sœur Simplice prit l'enfant cette fois et le lava. Le docteur n'eut pas besoin de parler. Valjean saisit sa femme et la prit dans ses bras, ignorant le sang maculant sa chemise de nuit.
Elle posa sa tête dans le creux de l'épaule, si massive, du forçat. Elle était une femme. Jamais elle ne l'avait autant été.
Madame Delacour revint.
On renvoya la nourrice qui fut contente de savoir madame Madeleine assez en forme pour nourrir son enfant.
La ville put enfin respirer.
Puis la servante se chargea du lit, changer les draps. Le matelas était taché aussi. Il fallut le changer.
Le docteur aida la logeuse à tout remettre en ordre.
Pendant ce temps, Valjean tenait sa femme dans ses bras, douloureusement conscient de sa faiblesse, de son poids trop léger.
Elle s'endormait contre lui.
Et le maire était furieusement inquiet.
Le lit prêt, madame Delacour prépara à nouveau de l'eau chaude pour laver et changer madame Madeleine.
Le docteur sortit enfin de la chambre, il voulait examiner l'enfant avant de partir. L'accouchement avait été dur.
Valjean se retrouva seul avec Émilie.
« Je vais te laver, ma douce, souffla le forçat.
- Jean ! Ce n'est pas à toi de...
- Laisse-moi faire ! »
Il la déposa sur le sol, la soutenant contre lui, tout en lui retirant la chemise de nuit. Madame Delacour revint et assista à la scène, estomaquée.
Une fois de plus, elle fut choquée puis elle se reprit et vint à leur aide.
« Tenez-la fermement, monsieur. »
Valjean obéit et madame Delacour plongea l'éponge dans l'eau chaude. Le visage neutre, la logeuse lava les cuisses de madame Madeleine puis l'entrejambe.
L'eau se teintait de rouge.
On la changea.
Enfin, elle lava le visage, les cheveux, les mains...et ce fut tout...
Lorsque le sang fut retiré, madame Delacour aida le maire à passer un nouveau vêtement à son épouse.
Mme Madeleine était incapable d'agir elle-même.
Valjean saisit doucement son épouse et la coucha.
Mme Delacour glissa une serviette sous la femme, puis entre ses cuisses.
Le jour se levait.
La nuit avait été longue.
« Voulez-vous dîner, monsieur ?
- Non, merci madame. Je vais dormir. Vous avez été merveilleuse. Merci pour tout. »
Cela fit sourire la logeuse qui secoua la tête, amusée.
« Le docteur va venir l'examiner puis cela ira mieux.
- Dieu en soit remercié. »
Mme Delacour murmura « amen » et se retira. Le docteur arriva bientôt. L'enfant allait bien et dormait du sommeil du juste. Il vit Valjean, toujours habillé de pied en cap et cela l'agaça un peu.
« M. Madeleine ! Vous êtes vieux et fatigué ! Allez dormir !
- Pas avant que vous ne l'ayez auscultée !
- Irresponsable ! »
Mais le docteur Vernet examina, soulevant les draps, écartant les cuisses puis il remit tout en ordre. Il semblait soulagé.
Elle ne s'était même pas réveillée.
« Cela ne saigne plus. Maintenant, elle doit se reposer et reprendre des forces.
- Merci docteur.
- Un forçat avec un inspecteur de police ! Qui aurait cru que le monde pouvait tourner plus étrangement ? »
Un sourire, petit, mais tellement soulagé apparut.
La grossesse s'était mal passée mais l'accouchement aurait pu être bien pire.
Le médecin quitta la maison des Madeleine.
Et tout le monde arbora le même sourire soulagé.
Valjean se prépara pour prendre quelques heures de repos puis, sans hésiter, il s'étendit auprès de sa femme, glissant ses mains sur sa taille, posant sa tête dans sa chevelure, respirant l'odeur de sang, de sueur, de savon... Écoutant le bruit de sa respiration...
Quelques heures...
On excusa l'absence de M. Madeleine, on était content pour lui...pour elle...
Quelques heures et ce fut un rire doux qui le réveilla. Il ouvrit les yeux et vit des yeux gris, amusés, posés sur lui.
« Bonjour toi, murmura-t-il.
- Bonjour. »
Elle leva la main et caressa sa joue, les doigts se perdant dans la barbe grisonnante, si soyeuse. Il ferma les yeux, ravi de cette tendresse.
Qui aurait cru l'inspecteur Javert capable de douceur ?
« Comment vas-tu ?, » demanda-t-il, fébrilement.
L'inquiétude n'était pas partie, toujours au creux de son cœur.
« Je vais bien... Fatiguée...
- Tu as mal ? »
Une question posée précautionneusement par un homme qui avait passé dix-neuf ans de sa vie sous le fouet. Cela fit sourire le garde-chiourme.
« Rien d'insurmontable.
- Ma douce !
- Je voudrais Jeanne. »
Jeanne !
Jeanne Madeleine !
Jeanne Valjean !
Valjean était heureux. Il embrassa sa femme et se leva. Il ne lui fallut pas longtemps pour bousculer la maisonnée.
Préparer un plateau pour le petit-déjeuner de madame Madeleine, faire venir la petite Jeanne dans la chambre des maîtres, déplacer le berceau près de madame... Monsieur le maire bousculait tout le monde.
Bientôt, Émilie se retrouva assise contre une montagne d'oreillers, sa fille dans ses bras en train de téter.
La montée de lait était douloureuse mais la logeuse avait des feuilles de chou et prenait plaisir à aider la jeune mère.
Monsieur le maire contemplait sa femme et sa fille, l'une contre l'autre et souriait. Ses trésors, ses amours...
L'ancien forçat remercia Dieu, humblement.
Javert aperçut son regard, un peu rêveur, et lui demanda :
« A quoi penses-tu mon tendre ?
- A Toulon... A l'adjudant Javert...
- Je pense pour ma part à un beau forçat, fort comme un roc...
- Je remercie Dieu de nous avoir réunis.
- Viens Jean. Je t'aime ! »
Valjean obéit et s'assit contre son épouse. Son épouse, son inspecteur, son gardien...
Elle le força à se nourrir et lui donna du pain, le grondant de ne rien avoir mangé. Il ne put répondre, le cœur gonflé par l'émotion. Il pria pour eux, pour elle, pour Jean..., pour lui.. Vivre une vie avec ses amours !
Car la vie en vaut vraiment la peine...
Lorsque l'espoir est fort...
Et que les prières sont entendues...
FIN
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