FIN I
Et il s'effondra.
Un long cri de douleur sorti de sa bouche.
Émilie gisait sur le lit, les yeux fermés, on avait lavé ses mains, son visage. Elle était blanche.
Elle était morte.
Valjean se rapprocha et saisit ses doigts adorés.
Elle était morte.
Il se plaça à genoux à son chevet et pleura doucement.
Dieu du Ciel ! Elle était morte !
Sœur Simplice et le docteur Vernet ne savaient pas quoi faire.
L'enfant était vivant. En pleine forme. Une fille. Elle avait besoin de soins. Sœur Simplice décida, avec le médecin, de l'emporter au couvent.
On trouverait une nourrice le temps que monsieur Madeleine surmonte son chagrin.
L'enfant pris en charge, la sœur partie, le docteur s'approcha de Jean Valjean. Il avait tellement pitié, il était tellement désolé, il se sentait tellement coupable.
« Valjean. Il faut qu'on la prépare. Vous ne pouvez pas rester là et on ne peut pas la laisser comme ça. »
Les mots n'arrivaient pas jusqu'à Valjean. Il ne la lâcherait plus jamais.
Elle avait qu'elle serait là. Toujours. Javert était un homme d'honneur, une femme d'honneur. Il ne mentait pas !
La main revint sur son épaule, pour le soutenir, l'apaiser. Elle enflamma Jean-le-Cric. Valjean se releva, les yeux brûlants de haine.
« NE ME TOUCHEZ PAS ! »
Le docteur recula, inquiet tout à coup, Valjean était un ancien forçat après tout. Vernet leva les mains, bienveillant.
« Calmez-vous ! Nous ne pouvons pas la laisser comme ça ! Voulez-vous que tout le monde la voit dans cet état ? »
Les mots restaient difficiles à comprendre, Valjean se sentait devenir idiot mais la colère retombait.
« Regardez-la ! Valjean ! Il faut se charger d'elle ! »
Valjean la regarda. Elle était blanche, on aurait pu la croire endormie, si le sang ne maculait pas son lit, sa chemise de nuit.
Si ses yeux n'étaient pas fermés ainsi...
« Il faut nettoyer tout ça, l'habiller de propre et préparer la chambre pour la veiller.
- Je le ferai !
- Non Valjean ! Je ne vous laisserai pas faire cela ! Vous avez reçu un choc terrible ! Vous devez vous reprendre. Et la bienséance vous l'interdit.
- La bienséance... »
Valjean eut un rire nerveux, toute leur histoire était scandaleuse.
« Et il y a votre enfant, » asséna Vernet.
Cette fois, le coup porta et réveilla Valjean.
« Où est-il ?
- C'est une fille. Elle est au couvent avec Sœur Simplice.
- Pourquoi pas ici ? »
Valjean regardait le médecin, avec un air ahuri.
« Avec votre deuil et votre tristesse ?! Le voulez-vous ? »
Valjean réfléchit...
Pour l'instant, il était bouleversé, rempli de colère et de désespoir, l'enfant ne représentait rien... Pas encore... Peut-être demain...
Quand la colère sera retombée, sinon il risquait de le haïr.
« Plus tard, » admit-il.
Le médecin demanda doucement au père en deuil.
« Comment voulez-vous appeler l'enfant ? »
Et naturellement, Valjean répondit :
« Émilie... »
Le docteur Vernet acquiesça et parvint à faire sortir Valjean de la chambre. Puis il fit appeler madame Delacour.
Il fallait de nouveau de l'eau chaude et préparer la malheureuse. Il fallait préparer la maison pour un deuil.
Deux sœurs vinrent se charger de madame Madeleine, le maire fut chassé de la chambre, parqué dans ses propres pièces.
Le médecin insista lourdement jusqu'à ce que le maire se lave aussi et se change. Il était couvert de sang.
Enfin, tout s'agita autour de M. Madeleine, les êtres allaient et venaient, parfois lui parlaient et M. Madeleine se concentrait pour les comprendre.
On mit de la crêpe noire sur les miroirs, on assombrit les pièces, on ouvrit la porte d'entrée. On pouvait venir veiller la morte.
Le médecin s'échappa de la maison et de sa terrible atmosphère, il ne resta plus que Madeleine et son épouse.
M. Madeleine rejoignit Javert dès qu'il le put. Elle était si belle, étendue dans son sommeil. Bien sûr, on pouvait la trouver trop grande, trop maigre, trop musclée, on pouvait la trouver trop masculine, trop nerveuse, trop dure...
Ce n'était pas ça que voyait M. Madeleine... Lui voyait sa femme, son inspecteur de police, son gardien...
Son amour...
La veille dura une journée. On défila dans la chambre, c'était la femme du maire tout de même. On vit le maire, aussi, redevenu digne et impassible. Tout le monde était au courant de sa crise de larmes. On compatissait.
Plus personne n'avait envie de se moquer.
L'enterrement fut une danse de fantômes. Un cercueil, une procession, une messe, une tombe...
M. Madeleine avait pris un caveau pour les deux époux.
Ils seraient enterrés tous les deux sous un faux nom. L'inspecteur Javert devait grincer des dents !
Enfin ce fut fini...et M. Madeleine se retrouva seul. Il eut une terrible tentation lorsqu'il vit son fusil de chasse.
Mais Monsieur Madeleine tint bon. Il quitta sa maison pour retourner à l'usine. M. Madeleine se révéla infatigable, éternellement attaché à son bureau, soit à l'usine, soit à la mairie. Travaillant sans relâche.
Sœur Simplice attendit quelques jours, puis elle ramena l'enfant et sa nourrice chez M. Madeleine. Fantine et Cosette vinrent aussi s'installer chez monsieur le maire.
Il fallait de la compagnie pour le maire. N'importe laquelle !
Car le maire se noyait dans un fol désespoir. Il ne parlait plus que de son travail, et ce le moins possible. Il était admirable.
Il faisait tellement pitié.
On avait peur pour lui.
Il mangeait si peu et maigrissait à vue d'œil.
L'enfant n'existait pas encore aux yeux de son père, perdu dans son chagrin.
Et puis le temps passa.
Le temps guérit doucement le désespoir. La douleur devint supportable.
Valjean se mit à aimer la petite Émilie.
Sa fille ! Son amour !
Cela redonna un certain équilibre à sa vie...
Plusieurs semaines s'étaient passés, une réunion du conseil municipal avait lieu. Le maire la présidait, calme et efficace. Il avait l'air d'avoir surmonté son chagrin. On s'en félicitait.
Certaines femmes se mirent à espérer épouser ce veuf, riche et charmant.
Puis, tout à coup, la façade s'effondra, comme un château de cartes.
Un conseiller lança soudain :
« Au fait et Javert ? Comment va-t-il ?
- Il est mort, » répondit Madeleine.
Et chacun fut surpris de voir le maire, si imposant, se mettre à pleurer.
On pensa au contre-coup du deuil. On ne parla plus jamais de Javert.
Paris demanda des nouvelles de l'inspecteur. On transmit la lettre de démission puis la nouvelle de sa mort. Paris oublia l'inspecteur Javert.
Cinq ans passèrent avant que Paris ne s'en souvienne. M. Madeleine était toujours le maire. Il avait été élu, il avait retrouvé son poids normal, il gérait sa ville et son usine avec soin. Il était aimé. Il était seul.
Seules sa petite Émilie et la petite Cosette arrivaient à lui arracher des sourires. Des vrais sourires.
Fantine espérait qu'un jour elle réussirait à lui faire quitter sa mélancolie...peut-être était-elle un peu amoureuse de lui...
Cinq ans !
Un jour, on annonça un certain M. Chabouillet qui demandait à voir M. Madeleine. On fit entrer le vieil homme dans le bureau de monsieur le maire.
Chabouillet salua poliment et s'assit face au maire.
« Monsieur le secrétaire du préfet de Paris, énonça avec soin M. Madeleine.
- Je l'étais encore il y a un mois en effet, sourit le vieillard.
- Vous ne l'êtes plus ?!
- Je suis mis à la retraite.
- Bien. »
Monsieur Madeleine ne savait pas quoi dire d'autre. Était-ce ou non une bonne chose pour M. Chabouillet ? Donc le maire attendit d'apprendre la raison de la venue de M. Chabouillet.
Et il ne fut pas déçu.
M. Chabouillet sourit :
« Où est l'inspecteur Javert ?
- Il est mort, monsieur. Vous avez dû recevoir une lettre.
- Une lettre de votre part, en effet, expliquant le départ soudain de l'inspecteur Javert pour raisons de santé et une deuxième lettre pour annoncer sa mort quelques mois plus tard.
- En effet, affirma paisiblement le maire.
- Où est l'inspecteur Javert ? »
Plus de sourires.
« Pourquoi aujourd'hui ?, demanda Valjean sans aménité.
- Parce que je suis à la retraite et que je ne suis plus tenu par mon devoir. »
Le sourire revint. M. Chabouillet était si vieux.
« L'inspecteur Javert était mon protégé. Depuis Toulon. Je vous l'ai dit.
- Je vais vous montrer sa tombe. »
Les deux hommes se levèrent et quittèrent la mairie.
Était-ce une bonne idée ? Non, hurlait le bon sens de Jean Valjean. Mais le cœur de Valjean était sa faiblesse.
Au cimetière, Valjean entraîna M. Chabouillet jusqu'à la tombe de son épouse.
Mme Émilie Madeleine.
La tombe était blanche, couverte de fleurs, bien entretenue.
Valjean s'attendait à des exclamations de surprise, des dénis outrés. Il n'y eut rien.
« Cela ne vous surprend pas ?, fit Valjean, malgré lui.
- Je m'en doutais depuis longtemps...
- Comment est-ce possible ?
- A Paris, un jour, j'ai vu Javert rentrer d'une nuit de veille à la poursuite d'un criminel. Il ne savait pas que j'étais là. Il était dans mon antichambre, attendant mon bon vouloir. Il suivait mes ordres. Comme toujours. Un homme dévoué !
- Oui, » murmura Valjean, sentant les larmes revenir.
Cinq ans !
Le deuil n'était pas terminé, il ne le serait jamais.
« Personne ne savait que j'étais là. Javert encore moins. La porte de mon bureau était entrouverte et je l'ai vu entrer. Il a examiné les lieux rapidement puis il a défait son ruban, libérant ses cheveux. Son soupir était si fatigué. Puis il a retiré son col de cuir. Mais tous ses mouvements étaient si gracieux, j'ai cru voir une femme un instant. Je me suis longtemps posé la question après cela. »
M. Chabouillet serra les mains dans son dos.
« Je me suis longtemps traité de jobard, dit-il.
- C'était une femme exceptionnelle, murmura Valjean.
- C'était un policier exceptionnel... N'est-ce pas monsieur Madeleine ?
- En effet.
- C'était aussi un policier avec du flair. Un ancien garde-chiourme. N'est-ce pas monsieur Valjean ?
- En effet. »
La conversation avait changé. Un peu plus solennelle tout à coup.
« Et maintenant ?, demanda Valjean, fatigué.
- Je suis à la retraite. J'ai attendu cinq ans avant de venir vous voir.
- Voulez-vous... »
Un cri d'enfant appelant son papa coupa la parole à Jean Madeleine et une petite fille se jeta dans ses bras.
« Émilie ?, demanda Madeleine, surpris.
- Cosette a dit que tu serais là ! Papa ! Viens ! C'est l'heure du goûter !
- Oui, ma chérie. »
Puis la petite fille vit le vieil homme à côté de son père et sourit, un peu craintive.
M. Chabouillet sourit aussi, il avait reconnu les yeux de l'inspecteur Javert.
« Qui c'est ?, demanda la petite Émilie.
- Un ami de ta maman, » répondit Valjean.
Un merveilleux sourire illumina les traits de la petite fille.
« Alors il doit venir goûter avec nous. Papa !
- Je ne sais pas si..., commença Madeleine.
- Je suis désolé. Je dois repartir à Paris. Je quitte Montreuil par la prochaine diligence.
- Non ! Il faut venir ! Papa ! »
Le ton autoritaire rappelait aussi Javert. Cela fit rire les deux hommes, un rire triste. Émilie était en colère, les mains croisées sur la poitrine et le menton dressé. Javert !
« Va à la maison, ma douce. J'arrive ! Et préviens Fantine pour le thé.
- Mais..., commença la petite fille.
- Pas de mais ! Obéis ! »
Un éclair de colère illumina le regard clair puis elle disparut enfin.
Laissant les deux hommes seuls, devant la tombe.
Ce fut la main sur l'épaule de Valjean qui le tira de sa peine. Sa vie était ainsi maintenant, entre larmes et joie, Émilie était une source de bonheur intense mais chacun de ses regards était douloureux.
« Racontez-moi, » fit doucement M. Chabouillet.
Et Valjean raconta.
Son passé de forçat sous les ordres de l'adjudant Javert, l'arrivée à Montreuil de ce dernier, la surveillance constante de l'inspecteur à son égard, la blessure au couteau qui changea tout, la dénonciation, l'amour, le mariage, l'enfant, la mort...
« Je ne pensais pas que Javert avait une petite santé.
- Il y a tellement de choses qu'on ne sait pas d'elle, murmura Valjean.
- Je suis désolé, Valjean. Je vais vous laisser en paix. »
La main quitta son épaule et le vieux forçat vit cela comme une perte.
Chabouillet lança, avant de partir :
« Merci d'avoir pris soin de mon inspecteur. »
Valjean ne put répondre, il s'assit sur la tombe de madame Madeleine et pria pour elle...pour la revoir...
Sinon, la vie ne valait vraiment rien...
Si l'espoir était vain...
Et les prières restaient muettes...
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