CHAPITRE III
Pygmalion s'acharnait sur chaque détail avec parcimonie. La réception devait être parfaite, à l'image de sa femme. Les invités ne tardèrent pas à se présenter. Ils répondirent unanimement pour la première fois à son invitation. Toutes les chaises étaient occupées.
Tous les visages rivés vers lui.
Pygmalion sentit son cœur battre la chamade. Le stress et l'appréhension n'y étaient guère pour quelque chose. Non, il espérait innocemment qu'ils trouverez sa femme jolie.
— Mes chers amis, je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à ma famille. Ma femme et mon fils ont hâte de vous rencontrer. Ainsi pourquoi vous faire languir davantage ?
Tous suivirent son mouvement. Certains regards trahissaient de la curiosité légitime tandis que d'autres étaient aux aguets du premier commentaire railleur. Avec un sourire jubilatoire sur les lèvres, il retira d'un coup sec le drap pour dévoiler une sublime statue ostentatoire.
D'abord le calme. La stupéfaction.
Puis le calme suivit d'un rire narquois.
Quelques-uns osèrent alors s'esclaffer.
— Ah tu nous as bien eu, mon ami ! s'exclama un plébéien. On se demandait ce qui te prenait tellement de temps au point de ne plus apparaître en public.
— Tu aurais dû nous dire que " Ta femme " était le nom de ta nouvelle oeuvre, ajouta une autre.
Les invités noyèrent la salle dans un échos de voix assourdissant. Ils s'amusent mais Pygmalion soudain se tétanise. Il dévisagea la statue qui continuait de sourire. Il avait peur. Peur de ce rictus, peur de cet amour qui pour la première fois ne lui semblait plus si réel. Avait-il rêvé ? Une voix étrange lui susurra :
" Mais l'amour n'était jamais qu'une invention.
Mais la douleur n'était jamais qu'une illusion.
Mais la solitude n'est jamais qu'une vérité. "
Un homme un peu plus âgé se leva.
— Je suis déçu. Où est donc ta famille ? Celle que tu nous a promis ? Tu as l'air de croire à ton propre mensonge, Pygmalion. J'avais pourtant la certitude qu'il s'agissait bien d'un mortel. Mais que vois-je ? Tu nous as trompé avec cette statue d'ivoire ?
— Ne vous méprenez point mon cher ami, tenta le plébéien. La surprise est d'autant plus grande ! Voyez comme cette œuvre est splendide et met en valeur le talent de notre cher sculpteur. Tu es toi-même dans le métier, tu n'es point capable de reconnaître le talent quand il est sous tes yeux ?
— Hm… Je trouve qu'elle a un problème cette statue, trancha t-il bouillonnant de jalousie.
— Oui, renchérit avec amusement une invitée. J'ai l'impression qu'elle nous regarde.
L'homme se rapprocha dans un mouvement subreptice.
Il poussa sa femme en arrière.
Le cœur du sculpteur s'arrêta de battre. Ses yeux béants fixaient sa moitié défigurée qui gisait sur le sol. Un instant plus tôt elle lui souriait tendrement et il avait eu peur. Son visage était brisé, ses membres démantelés comme des morceaux de verre tachés d'un liquide rouge, – dégoulinant de la table garnit. Le vin se répandit jusqu'à ses pieds. Son sourire fendu en deux ne souriait plus.
Pygmalion déchira ses vêtements en poussant un hurlement qui aurait fait pleurer un dieu.
Non. Pas un dieu.
Une déesse.
De l'Olympe la ravissante Aphrodite réceptionna la prière affligeante du mortel qui s'était mit à implorer le monde. Sa statue, sa femme, sa bien aimée était déjà morte d'avant d'avoir pu respirer.
— Pygmalion ! s'éleva tout à coup une voix depuis la chambre.
Une très belle femme apparue alors devant eux. Un regard soucieux encadrait son visage laiteux. Pygmalion la regardait avec des yeux si étonnés que ses prunelles ne ressemblaient plus qu'à deux orbes minuscules. Il avait cessé de pleurer. Bientôt, un petit garçon rejoignit la femme et se cacha derrière elle.
— Tout va bien, chéri ? insista t-elle.
— Papa ?
La femme s'accroupit devant son mari qui tendait une main tremblante. Elle l'a saisit avec douceur. Il pleura à chaudes larmes.
— Chéri, tu vas inquiétez Paphos. Si nous dînions ? Les invités s'impatientent.
Tous rejoignirent la table un peu déboussolés par les évènements. La famille sût se faire aimer des invités. Le sculpteur était enfin dans la plénitude de sa vie.
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