Armin cherchait silencieusement des livres dans la bibliothèque personnelle du major. Il ne savait pas trop s'il avait le droit d'être là, à cette heure matinale, aussi prenait-il d'infinies précautions pour ne pas faire trop de bruit et être remarqué. Il avait frappé à la porte avant d'entrer, mais personne ne lui avait répondu. La serrure n'était pas verrouillée, le major avait dû sortir et oublier de la refermer. Armin n'avait pas envie d'attendre potentiellement des heures pour pouvoir se servir en livres, il choisit donc, avec un peu d'appréhension, de tourner silencieusement la poignée et de se glisser dans le bureau qui jouxtait la chambre du major. La bibliothèque était grande et bien fournie, mais Armin n'était pas sûr d'y trouver ce qu'il cherchait. Des livres autour de l'origine de Noël, voilà ce qui l'intéressait. Après tout, tout le monde fêtait Noël, mais personne ne se demandait pourquoi. Toutes ces traditions bien précises devaient pourtant venir de quelque part, porter un symbole, avoir une origine commune ! Que quelqu'un ait un jour déclaré qu'à partir de ce moment, à la fin de l'année, à une date précise, tout le monde mettrait un sapin décoré avec une étoile au sommet dans son salon, s'offrirait des cadeaux, et qu'on raconterait aux enfants une histoire d'homme barbu vêtu de rouge et de blanc passant par la cheminée pour apporter les leurs, c'était assez peu vraisemblable. Il y avait indéniablement une histoire derrière Noël, et tout le monde avait oublié laquelle.

Après quelques recherches, Armin jeta son dévolu sur « L'origine des traditions », « La culture, lointain héritage » et « Nos ancêtres : mythes et réalités ». Celui-ci était placé tout en haut de l'étagère, et Armin se mit sur la pointe des pieds pour l'atteindre. Il parvint à mettre le doigt dessus et tenta de le tirer à lui, mais le livre était tellement serré entre les autres qu'il rechignait à se laisser prendre. Armin était sur le point d'y parvenir quand une voix derrière lui le fit sursauter.

« Qu'est-ce que tu fous là ? »

La surprise fut telle qu'il lâcha le livre presque entièrement sorti, en équilibre instable sur le rebord de l'étagère, et celui-ci lui tomba sur la tête.

« C...Caporal ! s'écria Armin en faisant immédiatement le salut militaire, et en parlant beaucoup trop fort sous l'effet du stress. Je m'excuse de m'être introduit ici ! Je suis entièrement en faute, je ne voulais pas aller déranger le major ! Croyez bien que je suis confus et...

- C'est bon, c'est bon. Maintenant, répond à ma question : qu'est-ce que tu fous là ?

- Je... je venais chercher des livres... sur Noël... »

Au même moment, Erwin entra dans la pièce. Il venait de sa chambre.

« Livaï, qu'est-ce qui se... Oh, Armin.

- Il s'est introduit dans ton bureau pour venir chercher des bouquins.

- La porte était restée ouverte ? s'étonna Erwin, l'air vaguement inquiet.

- Désolé, j'pense que j'ai oublié de la refermer hier soir. Bref, qu'est-ce qu'on fait de lui ? demanda Livaï en désignant le blond d'un signe de tête.

- Armin, quels livres étais-tu venu chercher ?

- Je... je voulais essayer de trouver quelque chose sur l'origine de Noël. Je trouve cela intriguant que tout le monde le fête sans que personne ne se demande pourquoi.

- Hum... je ne pense pas que tu trouveras beaucoup de choses ici. Pourquoi ne vas-tu pas tout simplement à la bibliothèque ? »

Armin sentit sa nuque rougir. Il n'y avait tout simplement pas pensé.

« Bon, puisque le bataillon n'est pas vraiment en activité en cette période, je passe l'éponge. Mais à l'avenir, si tu veux te servir dans ma bibliothèque, parle m'en auparavant.

- Merci beaucoup major ! Je vais suggérer aux autres de venir avec moi. Ca leur fera du bien de se plonger un peu dans des livres !

- Oh, propose à Hanji de venir, suggéra Livaï. Ca lui plaira.

- J'y penserai ! Merci beaucoup ! »

Armin refit le salut militaire aux deux hommes et quitta la pièce, les joues un peu rouges.

Après son départ, Livaï referma la porte et Erwin lui jeta un regard amusé.

« Pourquoi as-tu fait ça ?

- Pourquoi je leur ai envoyé Hanji, tu veux dire ? » Livaï croisa les bras et dit d'un ton de reproche : « Tu ne t'es pas montré assez ferme avec ce gamin. Imagine s'il m'avait vu sortir de ta chambre, il se serait imaginé des tas de trucs. J'ai eu la peur de ma vie quand je l'ai vu dans le bureau, heureusement qu'il ne m'a pas remarqué tout de suite. Si tu décides de ne pas le sanctionner, je peux pas m'y opposer. Alors au lieu de pourrir son après-midi en lui faisant récurer la cour, je remplace ça par Hanji.

- Quelle mesquinerie... Je découvre de nouvelles facettes de ta personnalité, là.

- Et puis, c'est aussi pour pas avoir la bigleuse dans les pattes aujourd'hui. Ca nous reposera de pas la voir courir partout. Bon, j'nous fais du thé ? »

***

« La plus grande bibliothèque de Trost, le temple du livre ! s'exclama fièrement Armin. N'est-elle pas magnifique ? »

Ses camarades regardèrent, plus ou moins impressionnés, le grand bâtiment qui s'élevait devant eux. Avec sa façade noble, sa série de marches blanches, les deux colonnes qui encadraient la porte, il détonnait avec le reste des habitations. Des gens portant des paquets ou des piles de livres jetaient des regards étonnés au groupe de sept personnes restées en arrêt devant le majestueux bâtiment.

« Tiens, ils l'ont rénovée, depuis la dernière fois que je suis venue ! Qu'est-ce qu'elle est belle ! Vous n'êtes jamais venu ici, en dehors d'Armin ? »

Les recrues secouèrent négativement la tête. Hanji avait accepté avec enthousiasme la proposition d'Armin de se joindre à eux, et ils étaient contents d'avoir quelqu'un pour les guider.

Ils montèrent les marches et poussèrent les grandes portes de la bibliothèque.

« Waouh ! s'exclama Hanji. Ils ont tellement amélioré l'endroit ! C'est beaucoup plus lumineux qu'avant ! »

Les personnes présentes dans la bibliothèque se tournèrent vers elle, et les bibliothécaires, assis derrière le long guichet à l'entrée, lui jetèrent des regards peu amènes. Mais elle ne s'en préoccupa pas et conduisit ses recrues à l'intérieur en baissant à peine la voix, désignant les rayonnages interminables et les nombreux couloirs. A plusieurs endroits, des commis remplissaient les rayonnages de livres qu'ils tiraient derrière eux sur des chariots.

« Sa Majesté a ordonné que tous les livres illégaux ou censurés par l'ancien régime soit remis à disposition de tous. C'est pour ça qu'on voit autant de nouveautés, les manuscrits affluent de tous le royaume, et sont répartis entre les diverses bibliothèques ou imprimés en de plus grand exemplaire, pour les plus rares. C'est vraiment une bonne reine, votre copine !

- C'est merveilleux de voir qu'enfin, les gens se décident à être un peu curieux, répondit Armin. Je suis tellement heureux qu'Historia y ait pensé...

- Elle y a pensé toute elle-même ? J'étais convaincu que tu lui avais envoyé des tonnes de lettre pour la convaincre ! s'étonna Eren.

- Eh bien... Une seule, en fait. Mais elle était ravie d'accepter !

- Mesdemoiselles, messieurs, leur lança une bibliothécaire à l'air agacé, pourriez-vous s'il vous plait faire moins de bruit dans une bibliothèque ? »

Les recrues baissèrent le nez d'un air un peu gêné, mais Hanji sembla ne même pas avoir remarqué le rappel à l'ordre et continua sa route.

Au milieu de la bibliothèque, un grand espace était réservé à la lecture, pourvu de fauteuils et de chaises, ainsi que de tables réparties un peu partout. Dans un coin, à voix basse, une jeune femme à l'air sérieux enseignait la lecture à un petit groupe d'enfants. Des réfugiés du Mur Maria, sans doute. C'était possiblement une autre initiative d'Historia, de les éduquer. Elle s'intéressait beaucoup au sort de ses sujets, notamment aux plus défavorisés, dont le nombre avait considérablement crû depuis la chute du Mur datant de plus de cinq ans désormais.

« Bon, les jeunes, je vous laisse aller chercher vos livres ! Moi, je vais voir ce que je trouve de mon côté ! »

Elle s'en alla d'une démarche joyeuse, toujours sans la moindre discrétion. Puis chacun partit de son côté, à la recherche de livres qui pourraient lui convenir.

Connie suivit Sasha, qui fonça directement aux livres de recettes. Après en avoir ouvert plusieurs, ils tombèrent sur un épais recueil, illustré de magnifiques dessins de plats ayant l'air tous plus savoureux les uns que les autres. Ils salivèrent devant les images des desserts à la mousse de fraise, les plats en sauces, les plats automnaux avec crème ou fromage, les flancs, les saumons aux herbes, les pâtisseries, les pains fourrés, et tandis que leurs estomacs s'éveillaient, ils faisaient des listes d'ingrédients qui leur seraient nécessaires pour préparer ces merveilles.

Eren, de son côté, s'aventura en direction des romans d'aventure. Il regarda la tranche de plusieurs livres, et en tira un pas très épais, à la couverture rouge. Chroniques des héros, s'intitulait le roman. Il l'ouvrit à la première page, qui présentait un résumé de l'histoire. Elle décrivait un monde fantastique, peuplé de monstres effrayants et grotesques, qu'affrontaient une troupe de héros vaillants. Eren lut les premières lignes du roman, et, à peine plongé dedans, se laissa captiver par l'action. Il alla s'asseoir sur un fauteuil et ne décrocha plus de sa lecture, malgré son agaçante manie de ponctuellement commenter à voix haute les décisions des protagonistes – « Mais pourquoi tu abandonnes de sitôt, abruti ! » ou « On dirait Jean, ce type ! Rien dans le crâne ! » ou encore « Putain, mais pourquoi vous ne l'avez pas tué directement, ce sale traître ! ». Attitude qui lui valait à chaque fois un regard sévère d'un monsieur avec une barbichette et des lunettes assis non loin, qu'il ne remarquait même pas.

Mikasa, pour sa part, après s'être égarée au rayon des romans à l'eau de rose qu'elle avait fui dés qu'elle avait compris quelles horreurs la cernaient, fut attirée par un beau livre de contes illustrés qui lui rappelait son enfance. Elle l'ouvrit, curieuse de savoir si elle reconnaîtrait ces histoires. En effet, quelques-unes lui étaient familières, et pourtant lui semblaient étrangement différentes de lorsqu'elle était petite. Elle ne s'en rendit pas vraiment compte, mais quelque part dans son subconscient, c'était parce qu'elle s'assimilait désormais plus au prince charmant qui sauvait la princesse qu'à ladite héroïne de son enfance.

Jean, lui, ne lisait rien. Une jolie jeune femme qui devait l'avoir confondu avec un bibliothécaire lui avait demandé s'il savait où trouver le troisième tome d'une série intitulée Le Royaume des Trois Déesses*. Incapable de lui refuser, il écumait toute la bibliothèque à la recherche dudit bouquin, tout en s'excusant mentalement à Mikasa - sans se rendre compte qu'échanger trois mots à une femme et lui rendre un service n'était pas trahir son amour, d'autant plus si l'objet de l'amour en question n'en avait rien à faire de vous.

S'il y en avait une qui s'amusait bien, en revanche, c'était Hanji. Elle sautillait quasiment d'étagères en étagères, chargeant ses bras de piles de livres concernant les titans, s'exclamant bruyamment à chaque découverte, voir, comble de la gêne, commentait les livres des personnes qu'elle croisait, parfois en les surprenant en plein dans leur lecture. « C'est du Herbert Schnabel que vous lisez ? Peuh, il n'y connaît rien ! Le professeur Ehrlich maîtrise bien mieux son sujet ! Tenez, je dois avoir un de ses bouquins juste là... »

Et elle repartait aussitôt remplacer le livre qu'elle avait cédé au lecteur abasourdi, sa pile grossissant toujours plus et la faisant tituber sous son poids, jusqu'à ce qu'une main se pose sur son épaule. Elle sursauta un peu et fit face à la même bibliothécaire que la première fois, l'air bien plus revêche cependant, qui lui dit d'un ton excédé : « Excusez-moi, j'aimerai vraiment que vous cessiez d'importuner nos lecteurs. Nous sommes dans une bibliothèque, ici ! On parle doucement ! »

Hanji s'excusa du bout des lèvres et ne s'approcha plus des paisibles lecteurs. Mais, décidément intenable, elle ne put suivre bien longtemps les directives de la jeune femme. Encore moins lorsqu'elle remarqua qu'un coin de la bibliothèque était consacré à une exposition informative sur les titans. Des croquis représentant leurs corps difformes, les textures de leur peau, des images mettant en scène des titans debout, à quatre pattes, des comparatifs de tailles entre titans et humains, des explications sur les différences entre déviants et normaux, des informations sur leur mode de vie, la manière de les tuer... Et chaque document était marqué du symbole du bataillon. Et tout en bas de chaque document, une petite signature modeste indiquait le nom du créateur de ces documents : « Moblit Berner ».

Hanji resta en arrêt quelques secondes devant la pancarte, et s'exclama : « Moblit ! C'est génial ! Dire qu'il m'a même pas raconté ce qu'il faisait ! »

Puis, en se dirigeant sans aucune discrétion vers les membres du bataillon, elle les interpellait en s'exclamant : « Moblit participe à la promotion de notre travail ! Dire qu'il ne m'en avait rien dit... Je suis quand même son chef d'escouade ! » Et, retournant voir les dessins : « Qu'est ce qu'il est doué, quand même ! Je me souviens quand il avait dessiné celui-là, c'était en plein expédition... »

Tout le monde regardait désormais Hanji et fixait d'un air accusateur les recrues qu'elle s'était empressée d'aller voir qui se sentaient rougir de honte. Il fallait bien se l'avouer, depuis qu'Hanji était rentrée dans ces lieux, elle n'avait cessé d'attirer l'attention sur eux, et pas pour le meilleur. C'était indéniable, le chef d'escouade Hanji Zoe ne savait pas se tenir dans une bibliothèque.

« Hum hum... » toussota quelqu'un derrière elle. Elle se retourna. La bibliothécaire qui n'avait cessé de la rappeler à l'ordre depuis le début la regardait avec une expression de fureur contenue. « Madame, ou Monsieur, ou peu m'importe ce que vous êtes tant que vous sortez d'ici, je vais vous raccompagner à l'accueil. Je n'ai jamais vu personne se tenir de cette façon dans la bibliothèque.

- Oh, dit Hanji sans rien trouver pour se défendre, se rendant compte qu'elle était allée un peu loin. Très bien, tant pis. » Elle mit alors ses mains en porte-voix pour interpeller tout fort : « Armin ! Eren ! Jean ! Mikasa ! Sasha et Connie ! On y va ! »

L'expression de la jeune femme se fit si outrée qu'aucun mot n'aurait pu précisément la décrire. « Dehors ! s'écria-t-elle d'un ton suraigu. De-hors ! Et ne remettez plus jamais un pied ici ! »

Hanji s'en alla avec mauvaise humeur. Les recrues, sortant des différents endroits de la bibliothèque, commençaient à se regrouper prudemment en se jetant des regards interrogatifs qui signifiaient « On la suit ou on fait comme si on ne la connaissait pas ? » Finalement, les joues enflammées, ils sortirent à la suite d'Hanji en essayant de ne pas faire attention aux regards de reproches que tout le monde, se retournant sur leur passage, leur jetait. Armin et ses compagnons avaient rarement été plus embarrassés de se trouver en la compagnie que quelqu'un que ce jour-là, en celle d'Hanji.

***

« Livaï ? Tu as une drôle d'expression... fit remarquer Erwin, assit sur son canapé en face de son subordonné.

- Une drôle d'expression ?

- Comme si... tu te retenais de rire, s'inquiéta Erwin. Tu es sûr que tu te sens bien ?

- T'occupe, répondit le brun en buvant une gorgée de thé qui faillit passer de travers. J'étais juste en train de penser à... quelque chose de très amusant. »

Erwin se tut en regardant avec insistance son ami qui tentait de réprimer son hilarité, visiblement en proie à des pensées terriblement drôles.

Puis, Erwin ajouta pensivement : « Tu sais, parfois, ton sourire me fait vraiment peur. »

(* Le Royaume des Trois Déesses est une série de romans fictifs qui est fréquemment évoquée dans les histoires autour de l'univers de SNK écrites par GemminyRcitdeScience, notamment dans son histoire Les Chroniques de Livaï, et je me suis permis d'en emprunter le titre.

D'ailleurs, n'hésitez pas à aller voir ses écrits, ils sont très intéressants et vraiment agréables à lire. Je vous les conseille vivement !)