Les membres du bataillon rentrèrent à la nuit, portant le sapin sur leurs épaules. Ils durent le pousser par un bout et le tirer par l'autre pour lui faire passer la grande porte, et encore, l'arbre y laissa quelques branches. Puis les explorateurs tapèrent leurs bottes pleines de neige dans le couloir d'entrée, et, avec difficultés, ils parvinrent à hisser le sapin jusqu'à la pièce commune.

« Restez là, commencez à l'installer, dit Hanji, moi, je vais nous chercher de quoi nous réchauffer ! »

Livaï alluma un feu dans la cheminé tandis qu'Erwin donnait des ordres aux recrues pour positionner convenablement le sapin dans un coin de la pièce. Un reste de neige sur les branches dégoulinait sur le sol en fondant. Hanji revint quelques minutes plus tard, frottant entre ses mains un grand récipient contenant du vin chaud.

« Buvez-ça, ça nous remettra d'attaque pour décorer ce magnifique sapin ! »

Tout le monde prit un verre -même Livaï qui pensait silencieusement que le thé était quand même meilleur- et effectivement, l'arôme et la chaleur de la boisson les remirent de bonne humeur. Des picotements parcouraient leurs doigts gelés qui se réchauffaient lentement au grand feu de bois.

« Bon, on peut maintenant passer à l'étape suivante. On va commencer par sortir toutes les décorations pour savoir de quoi nous disposons, » ordonna Erwin.

Les recrues sortirent de la caisse qu'avait ramenée Hanji des guirlandes rouges et dorées, des pommes de pins peintes en blanc, des grosses boules brillantes, des petits paquets d'épices odorantes -cannelle, girofle, bâton de réglisse- attachés par de fins rubans rouges, des décorations de verre aux formes diverses, une pile de titans en papier -probablement un don d'Hanji au bataillon- des petites couronnes d'osier... et plus étonnant, tout au fond de la caisse, une série de mignonnes petites peluches, mesurant pas plus de quatre ou cinq centimètres, avec des petites capes vertes. Chacune avait un visage simple, mais différent, et assez reconnaissable. Hanji fut la première à mettre la main dessus, et elle en sortit une d'un air triomphant en s'exclamant : « Livaï ! Tu te souviens de ça ?

Le visage de la figurine en question avait une peau issue d'un tissu presque blanc, de la feutrine noire faisait office de cheveux et deux yeux à l'expression blasée avaient été brodés sur le visage. Pour dire la vérité, la figurine ressemblait trait pour trait à une version simplifiée du caporal-chef Livaï. L'inspiration était si flagrante que Connie, Eren et Sasha dissimulèrent leurs rires, et cela tira un sourire à Mikasa.

« C'est Petra qui les a faites, l'année dernière ou celle d'avant, répondit le brun sans cesser de déballer un paquet de bougies soigneusement rangées. Je pensais pas qu'on les avait gardées ici. »

Il y eut une petite seconde de flottement. Livaï n'avait pas l'air de se rendre compte qu'il avait brisé l'interdit tacite d'évoquer les morts. Ou, plus probablement, il se fichait de cette règle non-énoncée. Mais Eren, en particulier, sentit une sorte de culpabilité s'emparer de lui. L'année précédente, Petra était là, probablement avait-elle fêté Noël avec ses compagnons comme il le faisait désormais, sauf qu'elle était morte entre-temps sans avoir pu vivre un Noël supplémentaire. Et c'était, quelque part, sa faute.

Hanji sentit elle aussi le malaise que cette évocation avait jeté sur l'assemblée, aussi s'empara-t-elle de la boîte et sortit toutes les figurines aux effigies des membres principaux du bataillon en les commentant avec enthousiasme. Très vite, sa bonne humeur dissipa le malaise et les recrues s'efforcèrent de ne plus y penser.

« Tiens, Erwin, j'ai trouvé la tienne ! Regarde ! Elle avait vraiment de l'or dans les doigts !»

Hanji lança la figurine qu'Erwin attrapa au vol de sa main qui avait survécu, et il put admirer le travail de la petite rousse qui avait fait partie de l'escouade d'élite. Il était vrai que malgré leur apparence simple et naïve, les objets étaient d'une grande qualité.

Elles plaisaient aussi beaucoup aux nouvelles recrues, qui se les faisaient passer délicatement tout en commentant leurs ressemblances avec les vétérans auxquelles elles correspondaient. Enfin, toutes les décorations furent sorties de la caisse. Il ne restait plus, enveloppée dans du papier pour la protéger, que l'étoile du sapin, toute simple, dorée, avec pour seule fantaisie l'emblème du bataillon d'exploration frappée en son centre, comme un sceau.

« Commencez par les guirlandes », ordonna Erwin. Son bras en moins l'empêchait de s'investir plus activement dans la décoration, aussi, il assumait le rôle d'observateur avec une vue d'ensemble, prêt à organiser la disposition.

Jean et Armin se chargèrent de prendre la première guirlande dorée pour l'enrouler autour du sapin, et Mikasa vint leur prêter main-forte. Mais, Mais, alors qu'elle se baissait pour remettre en place un pan de guirlande qui baillait inélégamment sur les branches basses, quelque chose se posa sur son épaule. Elle se retourna, un peu surprise. Eren, une guirlande rouge à la main, lui souriait d'un air taquin. Il passa négligemment la guirlande autour du cou de la jeune fille, recouvrant à moitié son visage de brins rouges au passage, et jeta le dernier pan par-dessus son épaule.

« Je ne t'avais pas dit que pour l'écharpe, j'étais prêt à remettre ça ? »

Mikasa enfouit son visage légèrement rosissant sous sa vraie écharpe. « Merci, » murmura-t-elle.

« Enfin, si j'avais su à dix ans que tu me collerais comme ça, au point de t'inquiéter en permanence, j'y aurais peut-être réfléchi deux fois ! dit-il d'un ton riant.

- Ne dis pas ça...

- Tu sais, Mikasa, un jour, tu devras peut-être te détacher de moi... » dit Eren en retirant délicatement la guirlande qu'il avait enroulé autour de ses épaules.

Mikasa ne répondit rien. Elle se contenta de fermer un instant les yeux, en priant intérieurement « Faites que ce jour n'arrive jamais. »

Lorsque toutes les décorations furent suspendues, les bougies accrochées avec précautions, en prenant soin à ce qu'elles ne risquent pas de provoquer un incendie, et que le sapin scintillait de mille feux à la chaude lumière des flammes, il ne resta plus que l'étoile à poser. L'opération allait s'avérer délicate. Personne n'était suffisamment grand pour atteindre la cime. Ils avaient déjà dû avoir recours à des chaises pour décorer les hauteurs, et plusieurs centimètres avant la cime était restés vides, faute de pouvoir les atteindre. Ce sapin tenait décidément plus du titan que du respectable conifère, à bien des égards.

« Euh... comment va-t-on arranger ça... demanda tout haut Eren. Il va sans doute falloir qu'on se fasse la courte échelle. Peut-être que si je prends quelqu'un sur mes épaules...

- Pas moi, en tout cas, déclara Jean.

- Oh, t'inquiète pas, je n'y avais même pas pensé. Les humains montent sur les chevaux, pas l'inverse !

- Je peux te porter, si tu veux, Eren... » proposa Mikasa.

Mais le brun rougit devant le regard narquois de Jean. « Je pense que ça ira, merci. Euh... je peux prendre Connie. Tu es plus petit, mais tu es plus léger, et à nous deux on sera suffisamment grands.

- Arrêtez de vous foutre de ma taille ! Bon, j'accepte, mais uniquement parce qu'il faut un être d'exception comme moi pour accrocher cette étoile !

- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée... » bredouilla Armin. Mais personne ne l'entendit.

Eren se baissa un peu, et Connie parvint sans grâce à se hisser sur ses épaules. Le brun se releva, vacilla un peu, et prit fermement les jambes de Connie pour l'empêcher de tomber. Sasha se hissa sur la pointe des pieds pour passer l'étoile à son compagnon de toujours. Avec un air mal assuré, l'équipage se dirigea vers le sapin, escorté de Mikasa et Jean qui se préparaient à rattraper leurs camarades en cas de chute. Bringuebalant, Eren se mit au plus près du sapin, rentrant presque dans les branches, pendant que Connie lui donnait quelques directives. « Encore... encore un peu... encore un peu...

- Je peux plus, là ! Je suis à moitié enfoncé dans le sapin ! Aïe, je viens de me prendre une branche dans l'œil ! »

En réalité, il manquait quelques centimètres à Connie pour atteindre la plus haute branche de l'arbre. Mais il était absolument hors de question de l'avouer. Il envisagea quelques secondes de lancer l'étoile, pour la faire retomber tout en haut, mais l'idée lui parût mauvaise et il y renonça. Au lieu de cela, il se souleva légèrement sur les épaules d'Eren, se retrouvant dans une position particulièrement instable. Ses mains tremblaient sous l'effort fait pour se maintenir en place. Il y était presque... Presque... Au moment où il allait poser l'étoile, il glissa en arrière et tomba à la renverse. Eren fut entraîné dans sa chute et tout deux se ramassèrent au sol, secouru par les mains de Mikasa et Jean. Enfin, Mikasa, avait brillamment réceptionné Eren, mais Connie eut moins de chance. Jean, surpris, avait eu un recul instinctif et il étendit les mains en direction de Connie un poil trop tard. La chute de celui-ci fut légèrement moins violente qu'elle n'aurait dû l'être, mais il se retrouva quand même allongé sur le sol, bras en croix, sonné. Un mince filet de sang dégoulina entre ses yeux tandis qu'il retrouvait sa lucidité.

« Aïe... gémit-il.

- Connie, ça va ? s'alarma Armin.

- Désolé, je t'ai pas rattrapé à temps... s'excusa Jean, confus.

- Non, c'est ma faute, dit Eren, c'était une mauvaise idée... »

Connie s'appuya sur l'épaule de Mikasa pour aller se désinfecter, accompagné des autres recrues, qui sortirent de la pièce. Livaï donna un petit coup de pied à Hanji, qui le regarda d'un air étonné, et se décida finalement à les suivre.

Le major et son fidèle acolyte restèrent seuls dans la pièce.

« Les gamins ont laissé tomber l'étoile, fit remarquer Livaï, tout en la ramassant. Même pas cassée, » observa-t-il.

Il tapa son ongle sur une des branches qui produisit un petit tintement métallique.

« Bon, vu que c'est une tradition si importante, va bien falloir accrocher ce machin, non ? »

Erwin sourit. Il voyait où le caporal voulait en venir.

« Effectivement. Après tout, l'idée des jeunes n'était pas si mauvaise, Eren manquait simplement de force.

- Heureusement qu'Hanji est partie avec les mioches, elle se serait foutue de nous pendant des années si elle avait vu ça.

- C'est pour ça que tu l'as incitée à les suivre, non ?

- J'ai perdu en discrétion, apparemment. Ça ne t'a pas échappé.

- Trêve de bavardages, caporal. Allons-y ! »

Erwin se baissa pour permettre à Livaï de monter sur ses épaules, ce qu'il fit avec beaucoup plus d'aisance que Connie, l'étoile toujours en main.

« Tu ne risques pas de tomber, j'ai les épaules solides, plaisanta Erwin.

- J'vois ça. »

Erwin se redressa, et Livaï vit le sol s'éloigner. Il avait l'impression d'être en haut d'une tour de guet. Malgré son bras manquant, Erwin ne souffrait d'aucun déséquilibre. La cime du sapin était toute proche. Livaï étendit son bras pour l'atteindre, et y posa l'étoile, toute droite, le symbole du bataillon tourné vers le centre de la pièce.

Erwin le laissa descendre, et ils purent tous deux admirer le sapin rutilant, enfin achevé, dont l'étoile scintillait de mille feux à la lueur chaleureuse des flammes.