Chapitre 42
Il fallut une heure au Traître pour obtenir de Brycen tout ce qu'il savait. Comme je l'avais prévu, Nahl était furieux lorsqu'il débarqua dans les donjons. Il eut la décence de se contenir devant l'assemblée.
Par contre, dès qu'il ne resta que lui et moi, il se mit à me hurler dessus. Je ne cherchai pas à l'écouter. Je pouvais deviner ses griefs. Je le faisais passer pour un idiot. Je lui sapais son autorité. Je l'écrasais et prenais le dessus. Entre autres.
Il n'avait pas totalement tort. Oui, je prenais le dessus. Évidemment que je le prenais quand il était incapable d'obtenir de simples aveux après des heures de torture !
- Tu n'écoutes même pas ce que je suis en train de te dire ! soupira-t-il, vaincu.
- Non, parce que tu agis comme un enfant. Nous sommes en guerre, Nahl. Tu as eu la nuit entière pour obtenir des aveux. Tu ne les as pas eus.
- Arrête d'agir comme si tu étais la seule à régner sur la Faerie, Sixtine ! Au fond, tu n'es qu'une humaine qui se croit suffisamment forte pour endosser un rôle qui n'aurait jamais dû être le sien ! Oui, tu as les connaissances de ton père mais cela ne fait pas de toi une bonne reine. Au contraire. Tu deviens comme lui !
- Dis celui qui est sûr que brûler quelqu'un me guérira de mon trauma, répliquai-je froidement. Lequel d'entre nous est tombé le plus près de l'arbre ? Je ne pense pas que ça soit moi.
- Tu n'aurais jamais dû accepter de faire cette cérémonie du savoir. Il est en train de te pervertir de l'intérieur. Tu te transformes en parfaite petite Seelie. Manipulatrice et froide avec un ego hors du commun. Je croyais en toi, Sixtine. Mais tu n'es plus ma sœur. Tu devrais demander à ton ami le Traître de réparer ça.
Il tourna les talons et partit avec un air blessé et déçu. Ses mots me blessaient. Je m'étais doutée qu'il serait en colère mais ce qu'il avait dit... Ça ne provenait pas de ça. C'était sincère. Il pensait honnêtement que je changeais. Que je devenais ce qu'avait été Weethe avant moi.
Si cela avait été le cas, Naseok me l'aurait dit. Quoi que... Ce n'était pas pour le peu que l'on s'était vus, ces derniers temps. Il était toujours fourré à la Cour Noire. Il ne pouvait pas savoir ce qui se passait dans ma Cour. Chez moi.
Nahl avait frappé là où ça faisait mal. Dans l'une des peurs que j'avais eues lorsque Weethe m'avait parlé de la cérémonie du savoir. Je n'avais pas l'impression d'avoir changé mais... C'était possible. Je ne pouvais pas en nier la possibilité puisque je l'avais redoutée.
Je tressaillis lorsqu'un bruit de semelle frottant le sol se fit entendre derrière moi. Je pivotai pour découvrir Roscoe, appuyé contre le mur, les yeux fermés, changeant d'appui.
- Je déteste ta façon de toujours rôder, sifflai-je. Tu es toujours là où tu n'es pas supposé être.
- Vraiment ? En êtes-vous sûre ?
Son ton amusé m'énerva plus que raison. J'eus envie de le frapper. Ce qui n'était que rarement arrivé durant nos entraînements. Mon niveau avait beau augmenter, il était toujours plus fort que moi. Si je l'attaquais tout de suite, ça serait inutile. Il parerait et me maîtriserait en quelques secondes.
- Je pense qu'il n'a pas totalement tort, reprit-il calmement. Vous avez changé. Ce n'est pas immensément flagrant mais c'est réel.
Je haussai un sourcil. Il se détacha du mur et s'approcha de moi. Il posa les mains sur mes épaules.
- Ne le laissez pas prendre le contrôle. Utiliser ce qu'il sait est une chose, agir comme lui en est une autre. Et rappelez-vous que vous avez besoin de votre frère. Sans son soutien et son appui, la Faerie ne changera jamais.
Son ton posé et raisonnable me laissa prise entre deux feux. D'un côté, j'avais envie de lui mettre un coup de tête en plein nez et, de l'autre, je voulais cesser la lutte et aller discuter avec Nahl. Mettre les choses à plat et repartir sur de bonnes bases. Je ne tenais pas à ce que nous soyons en froid pour faire face à l'armée de Brycen.
Parce qu'il avait réussi à lever une armée de centaines de personnes. Des Faes, des Demi-Sangs et des humains. Ça allait être un massacre. Parce qu'il les avait si bien manipulés qu'ils croyaient en lui aveuglément. Ils feraient ce qu'il disait, peu importe ce que c'était. Ils allaient attaquer. Où, quand, comment... Nous l'ignorions. Brycen lui-même ne savait pas. Il nous avait donné des options mais ignorait laquelle ses lieutenants allaient choisir.
Roscoe avait raison. J'avais besoin de mon frère pour faire changer les choses. Il fallait unir les deux Cours et si mon frère et moi étions en froid, notre objectif deviendrait inatteignable. Cependant, il avait ses torts aussi. Je ne niais pas les miens. Il allait juste devoir accepter le fait qu'il en avait aussi.
- Sortons d'ici, dis-je simplement.
Il me suivit sans rien dire, marchant quelques pas derrière moi. Sa présence me mettait sur les nerfs. Le jugement qu'il posait sur moi, encore plus. Il attendait de moi que je fasse le premier pas vers Nahl. J'étais l'aînée alors c'était mon devoir. Être la plus adulte des deux, la plus réfléchie. Sauf que j'étais toujours en colère après lui. Il ne m'avait pas demandé mon avis lorsqu'il avait brûlé Brycen pour me « soigner ». Il n'avait pas cherché à savoir comment j'allais depuis. Tout ce qu'il avait fait, c'était me hurler dessus parce que j'avais pris les devants avec Brycen.
Nahl et Naseok étaient dehors, dans un combat à celui qui crierait le plus fort entre les deux. Je pouvais voir mon meilleur ami trembler. De rage, d'exaspération, de peine ? Je n'eus pas à m'approcher beaucoup pour pouvoir entendre ce qu'ils se hurlaient dessus.
- Si vous voulez que tout le monde sache le moindre de vos secrets, criez un peu plus fort. Ryker n'a pas dû tout entendre.
Ils se tournèrent tous les deux vers moi. La fatigue sur le visage de mon ami était égale à la fureur sur celui de mon frère.
- Tu vas encore me faire la leçon parce que je me comporte comme un enfant ? siffla Nahl.
- Elle n'aurait pas entièrement tort, murmura Naseok.
Le regard noir de Nahl se tourna vers lui pour quelques secondes avant de revenir sur moi. Il ne chercha pas à répondre. Ça, c'était étonnant.
- Disons que si tu me donnes des armes, je n'hésiterai pas à m'en servir. Alors secoue-toi un peu et réagis comme un roi ! Parce que c'est ce que tu es ! Et, au cas où tu l'aurais oublié depuis les dix dernières minutes, nous sommes en guerre !
- Je sais, merci bien. Que l'on soit en guerre ou non, ça ne te donne pas le droit de me ridiculiser et de saper mon autorité ! Ce n'est pas parce que tu as obtenu tout ce qu'il y avait dans la tête de ton père que ça fait de toi la parfaite reine. Le parfait exemple de ce qu'il y a de plus détestable chez les Seelies par contre...
Naseok ne dit rien et je me retrouvais à reculer d'un pas. Ses mots me blessaient. C'était encore pire parce que Naseok, qui me connaissait mieux de Nahl, ne disait rien. Je cherchai son regard, espérant une réaction.
- Tu es du genre à tout gérer par toi-même et ça se ressent beaucoup plus depuis que as été couronnée, finit-il par dire. Tu dois apprendre à travailler avec lui, que tu le veuilles ou non. D'accord, c'est encore un gamin et, avec les circonstances actuelles, tu n'as pas énormément de temps, mais tu restes l'aînée. C'est ton rôle de le guider.
- Il a vécu toute sa vie à la Cour Noire, il a réussi à devenir le Chasseur que tout le monde craint et pourtant, ça serait à moi de tout lui apprendre ?
- Tu as été élevée pour survivre dans une cour royale, pour comprendre comment fonctionnent les jeux des nobles. Pas lui. Sans oublier tout ce que tu as reçu de Weethe. Tu as l'avantage, entre vous deux.
Ce n'était pas ce que j'avais espéré entendre. Surtout que c'était vrai. Nahl était certes le Chasseur mais ça ne faisait pas de lui quelqu'un capable de gérer une cour de nobles égocentriques et manipulateurs. Il était doué pour chasser les réfractaires mais pas pour garder un troupeau en ordre. Il pouvait trouver n'importe qui mais pas obtenir n'importe quoi de n'importe qui. Il n'avait aucune idée de la façon de penser des riches et influents.
Je relâchai un long soupir en me laissant tomber dans l'herbe. Elle était glacée et craqua sous moi. L'humidité commença aussitôt à pénétrer le tissu de mon pantalon. Je frémis mais ne me relevai pas pour autant. Un petit éclat de pouvoir et le sol s'était réchauffé sous moi.
- Pourquoi ne rien avoir dit ? Pourquoi avoir attendu la confrontation ? Je ne peux pas penser à tout. Et j'ai pensé à tout sauf à ça.
- Pour l'instant, occupons-nous de Brycen et de son armée, répondit simplement Nahl. On se chargera du reste plus tard. Le plus important, c'est de protéger le peuple.
Je sondai son expression et réalisai qu'il était dans le même état que moi : épuisé, perdu et terrifié. La bataille, nous connaissions tous les deux. C'était le seul terrain sur lequel nous étions égaux. Pour le reste, nous étions tous les deux incertains. Le peu de confiance que j'avais acquis s'était évaporée avec ce retour à la réalité que Nahl et Naseok m'avaient infligé.
Je redressai la tête en entendant quelqu'un courir droit vers nous. Un jeune garçon aux cheveux d'un rose si vif qu'il me faisait mal aux yeux dérapa dans la boue en s'arrêtant à quelques mètres de moi. Il me tendit un papier, luttant pour reprendre sa respiration.
- Le con...seiller... Harsa... m'a de... mandé de... vous donner... ça, haleta-t-il. Majesté.
Je récupérai le papier et le dépliai.
- Qu'est-ce que ça dit ? questionna Nahl.
- Que Brycen n'a pas menti au Traître. Son armée a commencé son travail en attaquant toutes les villes et les villages qu'ils croisent sur leur route. Selon Harsa, ils viennent droit vers les Cours.
J'échangeai un regard avec les deux hommes.
- Il faut les bloquer, décréta Nahl. Envoyer des troupes pour s'occuper d'eux. Ne serait-ce que pour les disperser.
- Il faut déjà savoir exactement combien ils sont et où ils sont, objectai-je. On ne doit pas les attaquer de front sans savoir exactement ce qu'il se passe. Envoie tes vautours en repérage et on agit dès qu'ils seront de retour.
- Ça leur donne du temps pour détruire d'autres villages !
- Il faut choisir entre les éliminer en une seule fois ou en plusieurs fois avec les dommages collatéraux que ça implique. Soit on est prêts et on gère le problème en une fois, soit on fonce dans le tas et on se fait massacrer parce que nous n'avions pas assez de renseignements. Ton choix.
Il tourna son regard vers Naseok, cherchant un indice, un soutien. Que mon ami se garda bien de donner. Il resta impassible. Nahl m'apparut soudain comme un chiot à qui l'on vient de donner un coup de pied sous la pluie.
- D'accord, finit-il par soupirer. On suit ton plan.
Dans un murmure, il envoya son ordre à Birn et ses collègues. Pendant ce temps, j'ordonnai la préparation des troupes de la Cour Blanche. J'espérais que les vautours ne mettraient pas trop de temps à revenir pour que l'on sache où il fallait aller. D'après le message de Harsa, ils traversaient la Faerie depuis Wringden. C'était probablement l'endroit où tous les escadrons s'étaient réunis dans l'espoir d'étouffer les Démons. Un échec sévère. J'ignorais combien de membres Brycen avait perdu mais il était certain que le compte devait être lourd, connaissant les Démons.
- On ferait mieux d'aller superviser les préparatifs, finis-je par dire. Il faut que l'on soit prêts dès que tes vautours seront de retour.
- Il faut réunir nos deux armées au même endroit. Si on se prépare chacun de notre côté, on va se rentrer dedans et perdre du temps. Il va falloir que nos capitaines travaillent ensemble.
Je hochai la tête et pris sa main pour me relever. Il avait les paumes moites et glissantes. Un coup d'œil me confirma qu'il était angoissé comme jamais.
- Ça va aller, soufflai-je. On va trouver un moyen de gérer ça. Ensemble. Et avec les vieux capitaines qui savent de quoi ils parlent.
Enfin, j'obtins un sourire. La hache était enterrée entre nous et nous étions à nouveau unis face à l'adversité. Nos problèmes personnels n'étaient pas réglés, loin de là, toutefois, ils étaient hors du chemin. Face à l'ouragan qui s'approchait, ils n'avaient aucun poids et mieux valait les oublier jusqu'à ce que le calme revienne.
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NdlA : voilà, voilà ! Qu'est-ce que vous en avez pensé ? De quel côté vont vos folles théories ?
NdlA2 : les votes sont toujours ouverts ! N'oubliez pas d'y aller ! Le lien est toujours dans les conversations sur mon profil !
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