Chapitre 20
La Cour Blanche était immense, sûrement plus étendue que sa jumelle. Elle était un enchevêtrement de bâtiments reliés par des chemins couverts qui traversaient les jardins et les bosquets. Je comptais trois galeries remplies de peintures de tous les genres, six bibliothèques, chacune possédant ses catégories propres de livres référencés, et des dizaines de salons.
Les salons variaient en tailles et en mobilier. Aucun ne ressemblait aux autres mais tous étaient fréquentés. Les derniers étages, ceux qui s'élevaient dans les cimes des arbres sur lesquels les tours prenaient appui, étaient purement résidentiels.
Tous les Seelies que nous croisâmes adoptèrent la même attitude posée et distante, ne nous accordant qu'un bref signe de tête. C'était l'opposé complet de la Cour Noire où le respect du roi devait être plein et entier. Je me souvenais des longues minutes où un invité s'était retrouvé coincé, les yeux rivés au sol parce que le Roi Noir était dans le même espace que lui et qu'il ne pouvait pas partir à moins d'être prêt à subir une punition bien sentie.
Le Roi Blanc s'arrêta devant une porte blanche ornée de feuilles de bronze. Elle était à l'écart des autres, isolée et détonnant des autres portes de l'étage.
- C'est ici que se trouvent tes quartiers personnels, révéla le Roi Blanc. Normalement, ils sont réservés à la femme du Roi mais puisque tu vas être Reine, ils seront tiens. Vas-y. Entre.
Méfiante, je poussai la porte et pénétrai dans un large petit salon aux couleurs vives et lumineuses. Des fleurs épanouies dépassaient de vases blancs, dispersées sur toutes les surfaces. L'air embaumait le printemps. Le mobilier avait l'air confortable et accueillant.
Le petit salon s'ouvrait sur un balcon qui donnait sur les jardins. La vue était dégagée et paisible. Pleine de nature sauvage et parfaite. Je sentis que j'allais passer beaucoup de temps installée dans la balancelle de bois installée dans le coin. C'était l'endroit rêvé pour me relaxer et trouver un minimum de calme et de repos.
Ma suite royale comportait encore trois autres pièces en plus de la chambre qui était assez grande pour y loger avec aisance toute la population de Pit's End. La salle de bains était un faite de carrelage immaculé et d'eau tombant du plafond.
Et partout, cette douce odeur de printemps qui calmait mes nerfs et me rendait plus apte à réfléchir.
- Tu as vu toute l'étendue de la Cour Blanche, dit posément le Roi Blanc. Dès demain, tout cela sera à toi et tu devras en prendre soin.
- Parce que vous m'en croyez capable, désormais ?
- Tu vas faire des erreurs, comme tout le monde. Mais si tu y mets l'effort, tu y arriveras. Tu seras sûrement capable de faire ce qu'aucun de nos ancêtres n'a su faire. Unir les deux Cours.
Je le rejoignis sur le sofa qui faisait face à une cheminée discrète. Ses mots étaient surprenants. Je n'aurais pas cru qu'il soit pour une union des Cours.
- Ne sois pas aussi surprise. J'ai bien vu le lien qui s'est tissé entre toi et Nahl. Je sais que, en dépit de la réelle filiation, vous vous verrez toujours comme frère et sœur. Et c'est ce qui est important. Vous êtes unis comme aucun duo de Rois ou de Reines ne l'a jamais été avant vous.
- Comment est-ce possible que tous les Rois et Reines de la Faerie aient toujours été ennemis ? Comment cela peut-il arriver dans autant de fratries sans jamais manquer ?
- Simplement parce que nous sommes élevés dans ce contexte de combat et de dualité. Lorsque nous naissons, nous sommes, certes, élevés ensemble, mais tout le monde s'emploie à nous faire savoir que l'autre est mauvais, plus mauvais que nous-mêmes. Nos propres parents ont encouragé la séparation entre mon frère et moi. Je n'ai jamais connu de moment complice avec Kaiser. Dès nos premiers pas, c'était à celui qui tiendrait le plus vite sur ses jambes.
- C'est idiot. Pourquoi personne ne voudrait-il unir les Cours ? Vous êtes un même peuple, une même famille. Entretenir une telle césure est sûrement ce que vous a assez affaibli pour rendre possible la Cage.
Je n'y avais jamais songé sous cet aspect mais maintenant que les mots avaient été prononcés, ils paraissaient si nets et définis que c'était comme si je l'avais toujours su.
- C'est exactement ce que je pense. C'est pour ça que je suis ravi de voir ton entente avec Nahl. J'espère que tu l'entretiendras jusqu'à ce que l'un de vous ait des enfants. Parce que, cette fois, il ne sera pas question de bâtards si vous voulez que le trône reste dans la famille.
Je me mordis la langue pour ne pas admettre que je serais sûrement celle qui devrait poursuivre la lignée. Nahl montrait un peu trop d'intérêt pour Naseok pour un jour faire des enfants à une Fae.
- Prendras-tu ton déjeuner ici ? Il serait sûrement utile que tu rencontres le conseil.
- D'accord, m'entendis-je accepter.
Naseok n'allait pas aimer cela mais tant pis. Étrangement, je n'avais pas envie de retourner à la Cour Noire. J'étais... bien, ici. Tout me convenait. La décoration, le lieu, l'attitude des Seelies... Ils n'avaient rien des monstres auxquels je m'étais attendue. J'étais plus détendue et à l'aise que je ne l'avais été depuis que j'avais quitté Pit's End pour gagner Phyre et la cour des Madsen.
- Pourquoi ne m'avez-vous pas fait tuer ? demandai-je soudain. Vous saviez que Miléna était enceinte lorsqu'elle est partie. Pourquoi n'avoir rien fait ? Vous auriez pu la prendre en chasse et la faire avorter.
Le Roi Blanc demeura silencieux un long moment. Son regard pâle se perdit au loin. Comptait-il me répondre ou m'ignorer ?
Ses yeux pâles revinrent sur moi, songeurs.
- C'est vrai qu'il était de mon devoir de le faire. De me débarrasser de toi. Toutefois, tu n'étais pas censée survivre. Tu n'es pas de sang pur. Personne n'est en mesure d'expliquer pour quelle raison tu as survécu. Les trônes t'ont protégée pour une raison quelconque. Cependant, je dois admettre que, même lorsque j'ai su que Miléna n'avait pas fait de fausse couche, je n'ai pas songé à donner l'ordre de te faire éliminer.
- Pourquoi ?
- Parce que je voulais un enfant. Je voulais être le premier à avoir une descendance. Bien sûr, j'ai dupé Miléna pour atteindre mon frère qui a toujours tant tenu à elle. Malgré tout, lorsque j'ai appris qu'elle était enceinte, ma première pensée n'a pas été qu'il fallait que je t'élimine. Non, j'ai pensé que j'avais enfin battu Kaiser sur un terrain.
- J'étais un trophée, pour vous.
- Quelque chose comme ça.
Pour sûr, je n'avais pas eu le moindre espoir d'amour paternel mais tout de même... Un trophée ? Je n'étais qu'une victoire contre son frère. C'était peut-être pire que s'il avait voulu me tuer comme ça avait été le cas du Roi Noir. Au lieu de ça, j'étais née pour qu'il puisse se vanter. Si ce n'était pas pathétique...
Au moins était-il honnête...
- Mon frère et moi sommes nés pour rivaliser dans tous les domaines, reprit le Roi Blanc. Il en a toujours été ainsi. Dès notre plus tendre enfance, nos parents ont entretenu l'inimitié entre nous pour marquer la séparation des Cours, exactement comme tous nos ancêtres avant eux. Kaiser a toujours été le plus fort de nous deux. T'engendrer a été ma seule victoire sur lui. Tu es mon seul accomplissement à la lumière de ceux de mon jumeau. Et je pense que ton destin est encore plus grand qu'aucun de nous ne peut l'imaginer.
- Pourquoi dites-vous ça ?
- Parce que je pense que ton destin est d'unir les deux Cours. Ça expliquerait de nombreuses choses.
- Telles que ?
Je ne voyais pas comment il pouvait être aussi sûr de lui. Comment quelqu'un comme moi, qui ignorait tout de la Faerie, pourrait unir les deux Cours ? La haine des Unseelies pour les Seelies étaient ancrée si profondément que je doutais de pouvoir faire quoi que ce soit pour l'apaiser.
- Il est évident que les trônes t'ont choisie. Leur magie est pure et ne voit que l'avenir de la Faerie. Si tu es en vie, c'est parce qu'ils l'ont décidé. J'en suis sûr. Peu importe ce que l'on peut dire au sujet du sang, je suis certain que les trônes ont fait un choix aussi conscient que possible.
« Ce qui veut dire que tu dois apporter quelque chose à la Faerie, aux Cours. Quelque chose qu'ils n'auraient pu obtenir nulle part ailleurs. Ton affinité avec le feu. Aucun Seelie n'a jamais possédé une telle affinité auparavant. De même qu'aucun Unseelie n'a jamais eu d'affinité avec l'air, comme ton frère. Les éléments Seelies sont l'air et l'eau. Les Unseelies ont les éléments plus bruts, la terre et le feu. Or, vous deux dérogeaient à la règle. Si ce n'est pas un signe, j'ignore ce que c'est. C'est encore plus flagrant au vu de votre amitié.
« La dernière chose qui tend à me faire croire que votre rôle est plus grand encore, c'est BarrenLand.
Je me redressai. Je me souvenais des terres rocailleuses et arides de BarrenLand qui formaient un anneau autour de la Faerie. Naseok et Miach, son amant Demi-Sang, un ami de Ryker, mort l'année précédente, y avaient passé du temps. Le chef de BarrenLand avait cherché à unir toutes les races, humains, Faes, Demi-Sangs, sous une même bannière, sous un déguisement d'union et d'égalité. Tout ce qu'il avait réellement désiré, c'était d'apprendre les forces et les faiblesses de chaque race pour pouvoir les assujettir.
Ce que je ne voyais pas, c'était le rapport entre mon affinité et ce territoire qui dénaturait la Faerie depuis la libération de la Cage de Fer où Quinten Madsen l'avait enfermée durant de longues décennies. Pour ce que j'en savais, l'apparition de BarrenLand avait été causée par la Cage. Que pouvais-je faire contre cette cicatrice ?
Le Roi Blanc dut lire la question sur mon visage.
- Tu comprendras mieux lorsque tu seras sur le trône mais il se trouve que nous sommes liés à la terre de la Faerie. En tant que Rois, nous la ressentons comme une part entière de nous. Je peux sentir sa blessure, tout comme Kaiser. C'est notre échec qui l'a causée aussi ne pouvons-nous rien faire pour l'apaiser. Ça sera ton travail et celui de Nahl. Surtout celui de ton frère, d'ailleurs, puisqu'il sera le nouveau Roi Noir.
Je me sentis hocher bêtement la tête. Il me parlait de choses que je parvenais à peine à imaginer possible mais qui, pour lui, étaient une réalité. Je me sentais étouffée par les responsabilités qui allaient me tomber dessus.
Je me renfonçai dans mon fauteuil. Si j'avais pu, j'aurais remonté mes genoux contre ma poitrine. Toutefois, ça n'aurait pas convenu à tout ce décorum dont j'étais entourée. À la place, je me saisis de ma tasse de thé et enroulai mes doigts autour de la porcelaine délicieusement chaude.
- On dirait que tu vas tourner de l'œil, se moqua-t-il.
Je le fusillai du regard. Une Fae gracile aux longs cheveux fins qui flottaient dans son dos nous servit notre déjeuner avant de repartir comme elle était venue.
- Demain, je serais couronnée reine, dis-je avec lassitude. Même durant le temps que j'ai passé à la cour des Madsen je n'ai pas imaginé qu'une telle chose arriverait. Je ne veux pas de cet héritage. Je ne veux pas avoir à régner sur un peuple dont je ne sais rien et que je n'ai jamais voulu rencontrer.
La seule chose qui m'empêche de tourner les talons et de partir, c'est Nahl. Ce que je n'admettrais pas devant le Roi Blanc. Nahl était une faiblesse qu'il pourrait trop aisément exploiter si je le laissais la connaître.
- J'oubliais que tu n'as pas côtoyé les Seelies plus que cela. Pour les Unseelies, il n'y a qu'une seule cérémonie : celle de demain. Pour nous, Seelies, gardiens du savoir, il en existe une seconde qui aura lieu durant la nouvelle lune. Soit, deux semaines après ton couronnement.
- À quoi sert-elle ?
- Elle me servira à te transmettre tout ce que je sais. Durant ces quatorze jours, ta seule tâche sera de te reposer et de te préparer mentalement à recevoir des millénaires de connaissances. Évidemment, tu es la bienvenue pour te faire ta propre idée de ton peuple avant cette cérémonie.
- Vous allez réellement pouvoir me transmettre tout ce que vous savez ?
- Oui. C'est un rituel très éprouvant mais nous sommes nés pour engranger toutes les connaissances du monde. C'est notre devoir en tant que monarque.
- Mais... Et tous les livres ?
- Il est plus simple de détruire un livre qu'un esprit. En tant que Reine, tu seras presque impossible à tuer avec tous les savoirs que tu vas obtenir après la cérémonie. Il y a très peu de risques que tout ce que tu sauras se perde. Surtout que tous ces savoirs sont répandus dans la Cour Blanche. Éparpillés, certes, mais tout peut se retrouver. Tu te rendras vite compte que les Seelies n'oublient rien. Jamais. C'est en partie ce qui nous rends si rancuniers.
Il esquissa une ombre de sourire qui me prit au dépourvu. Je n'étais pas habituée à le voir si amical, si ouvert. Ce sourire était véritablement perturbant.
Au demeurant, l'émotion prédominante était le soulagement. Ses paroles avaient enlevé un énorme poids de mes épaules. Pour sûr, j'utiliserais le temps avant la nouvelle lune pour connaître les Seelies par moi-même mais savoir qu'il allait y avoir cette cérémonie me rassurait plus que je n'aimais l'admettre. J'allais savoir tout ce que j'aurais besoin de savoir. Je ne serais plus l'ignorante Demi-Sang qui débarquait soudainement de nulle part. Non, j'allais connaître ce peuple, ses coutumes, ses besoins. Peut-être ne serait-ce pas si terrible, au final...
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NdlA : Pas de révélations dans ce chapitre ! Qu'est-ce que vous en dites ? Que va-t-il se passer ?
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