Chapitre 19
Nahl ne serait pas totalement remis pour la cérémonie de couronnement aussi dut-il garder le lit toute la journée. Ça le rendait agité et le mettait sur les nerfs. Je passai régulièrement le voir pour m'assurer qu'il n'allait pas contre les ordres du soigneur mais aussi pour m'éloigner de tous les préparatifs. L'angoisse me donnait envie de vomir et seule la présence de mon frère m'aidait un tant soit peu.
Nonobstant, j'avais oublié un élément essentiel. La Cour Blanche. Mon exigence à la visiter. Évidemment, le Roi Blanc, lui, n'avait pas oublié. Il vint me chercher dans l'infirmerie. Il semblait totalement remis de notre affrontement. J'ignorais si ce n'était qu'une apparence qu'il maintenait pour ne pas paraître faible ou s'il avait été correctement soigné mais il paraissait intact.
- Qu'est-ce que vous faites ici ? l'apostrophai-je.
- Ne voulais-tu pas visiter ma Cour avant ton sacrement ? répondit-il, moqueur.
Je jetai un œil à Nahl avant de soupirer. J'avais pris cette décision de moi-même et mieux valait que je ne revienne pas en arrière. S'il avait quelque chose à dissimuler, il aura donné des ordres. La Cour Blanche devait donc être au courant de mon arrivée. Si je changeais d'avis, ma future Cour le saurait et je perdrais le peu de respect que j'aurais pu grappiller.
De plus, que je le veuille ou non, il était mon père. Avoir quelques heures avec lui me permettrait peut-être de... J'ignorais ce que ça me permettrait mais j'étais curieuse de savoir comment il se comportait loin des regards. Si je parvenais à savoir ce que ses sujets pensaient de lui, ça serait un atout certain pour commencer à brosser son portrait.
Parce que je commençais à douter qu'il soit aussi mauvais qu'on ne le disait. Après tout, il avait admis qu'il savait que Miléna était enceinte avant même qu'elle parte. Il aurait parfaitement pu envoyer quelqu'un à ses trousses pour la faire assassiner et se débarrasser du bébé. Or, il n'en avait rien fait.
Ce qui en disait bien plus sur lui qu'il n'en avait conscience. À moins qu'il sache très bien ce que cela signifiait et que, malgré tout, il avait choisi de la révéler. Il était un Seelie donc il devait savoir ce qu'il faisait.
Essayait-il de faire passer un message ? Se pouvait-il qu'il cherchât à me faire savoir qu'il n'avait pas cherché à me tuer ? Qu'il n'y avait aucun plan sadique pour m'empêcher de prendre le trône ? Ça me paraissait trop beau pour être réel.
Je jetai un regard à Naseok qui hocha la tête. Si jamais je ne réapparaissais pas avant le soir, il viendrait à la rescousse avec les vautours, les Démons et les pirates. Après tout, j'avais ma petite armée.
Je suivis le Roi Blanc à travers la Cour Noire jusqu'aux jardins. L'arrivée de l'automne se faisait sentir dans l'air bien que les arbres et parterres demeurent verts et pleins de vie, bruissant doucement dans la brise fraîche. Des gardes patrouillaient dans les allées, ne semblant pas vraiment se méfier. Ils étaient armés mais discutaient et riaient tout en remontant les chemins tortueux des jardins.
La Cour Blanche se situait derrière un bosquet, discrète et illuminée par les rayons solaires. À l'hiver, entourée d'une épaisse couche de neige, elle devait resplendir. Je ne m'étais pas attendue à une construction de verre intégrée profondément à la nature à laquelle elle s'était attachée. Les tourelles et les ailes des bâtiments s'entrelaçaient avec les arbres, se servaient pour se protéger. J'ignorais comment une telle chose était possible. C'était la chose la plus créative que j'avais vue dans toute la Faerie.
- Très différent du style de mon frère, n'est-ce pas ?
Je jetai un bref regard vers le Roi Blanc qui n'arborait pas la moindre expression. Mon attention repartit sur les bâtiments de la Cour Blanche. Il ne devait rien y avoir de similaire ailleurs dans le monde.
- Nous, Seelies, aimons les belles choses. Nous sommes créatifs et nous aimons l'art. Nous aimons encore plus nous démarquer. Nous ne faisons pas que comploter et trahir. J'espère que tu feras les changements nécessaires au paysage de la Faerie pour contrer le manque de créativité de mon frère. Il n'a jamais été un grand paysagiste. Pour lui, du moment que c'est fonctionnel, c'est suffisant.
Je me murai dans le silence. J'ignorais comment répondre à cela. Je n'avais pas manqué le fait que la Faerie avait un paysage répétitif et sans inventivité. Toutefois, l'idée d'avoir le pouvoir de le transformer me dépassait. J'étais certaine que Nahl me laisserait faire si j'en exprimais l'envie. Il ne paraissait pas se préoccuper de l'allure de la Faerie plus que ça.
Le Roi Blanc ouvrit la marche vers la cour. Deux lourds et immenses battants de bois d'acajou bloquaient l'entrée, encadrés par quatre gardes. Leurs tenues étaient plus élégantes et fonctionnelles que celles des Unseelies. Elles étaient tissées dans un tissu qui épousait le corps des gardes comme une seconde peau, d'un blanc pur et lumineux qui rehaussait l'allure tranchante de l'épée pendant à leur hanche. Ils ne bougèrent pas un cil lorsque nous passâmes et que les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes.
- Nous utilisons la magie bien plus que la Cour Noire, m'informa le Roi Blanc. Ici, tout est fait pour nous simplifier la vie. Tu comprendras vite comment ça fonctionne.
Les têtes se tournèrent vers nous et je gardai la tête haute et le regard aussi froid et calme que possible. J'étais plus anxieuse que je n'avais envie de le reconnaître. J'étais au milieu d'un nid de vipères, seule et sans armes. Si personne ne semblait agressif, je ne m'y fiai pas.
- Tu te doutes qu'ils savaient qui tu es. Ils attendaient ta venue.
Tout était différent de la Cour Noire. La lumière était naturelle, baignant chaque recoin de chaque pièce, peu importe l'étage. C'était décoré sobrement mais avec raffinement. Partout, les Seelies discutaient et riaient, vêtus de tenues près du corps et chatoyantes. Ils inclinèrent tous la tête vers nous lorsque nous passions devant eux mais ne nous prêtaient pas plus d'attention.
- Vos sujets sont-ils toujours aussi froids et distants ?
- Ce n'est ni de la froideur ni de la distance. Nous sommes un peuple qui respecte l'espace privé de chaque personne et puisque je suis leur Roi et toi leur future Reine, ils sont assez intelligents pour savoir qu'ils feraient mieux de ne pas venir nous déranger.
Si je devais être entièrement honnête, cette Cour était rayonnante, pleine de vie. Totalement différente de l'idée que je m'en étais faite. Je n'aurais pas songé qu'un nid de serpents puisse être aussi joyeux et lumineux. Partout, des sofas, des causeuses, des tables pour que les Faes puissent se réunir et échanger. Les enfants – les premiers que je voyais depuis que j'étais arrivée dans la Faerie – couraient et chahutaient, leurs rires et cris d'excitation résonnant dans toute la Cour.
- Tu ne t'attendais pas à cela, n'est-ce pas ?
- Non, répondis-je honnêtement. Pas du tout.
- Tu te rendras vite compte que nous sommes un peuple complexe. Oui, nous sommes rusés et nous parvenons souvent à nos fins par des mensonges mais cela fait-il forcément de nous des monstres ? J'en doute. Nous avons plus aisément recours au pouvoir de l'esprit et aux routes tortueuses des mots pour vaincre contrairement à la cour de mon frère qui requiert la force brute.
- Cela ne vous rend pas moins pire que lui. Vous êtes aussi mauvais l'un que l'autre.
Son expression ouverte et posée se crispa pendant une seconde, comme si je l'avais blessé. Je faillis rouler des yeux. C'était un beau jeu d'expressions qu'il possédait. J'y aurais presque cru si je n'avais pas su combien les Seelies étaient manipulateurs.
- Tu es encore jeune. Avec les années, tu te rendras compte que le bien et le mal ne sont que des nuances et que aucun n'existe réellement de façon pleine et entière. Ce qu'une majorité considère comme bien peut être vu comme terrible pour d'autres personnes. Dans ce cas, est-ce réellement bien simplement parce qu'une majorité a décidé que ça l'était ?
- Il y a des actes qui ne s'excusent pas.
- À tes yeux, probablement. Mais aux yeux de quelqu'un d'autre, ils peuvent l'être. Nous vivons dans un monde entièrement subjectif, Sixtine. C'est quelque chose que tu vas devoir très rapidement comprendre car notre peuple est bien plus complexe que celui de Kaiser. La violence est simple. Lorsque l'on en vient aux échanges verbaux, tout se complique. Parfois, trouver le juste milieu se situe dans l'utilisation d'un mot précis. Et ça sera toujours à toi de savoir si ce mot en particulier est condamnable ou non. Et chez nous, savoir ce qui est condamnable est un travail très obscur.
L'angoisse revint de plus belle, débilitante. J'essuyai mes mains sur ma robe et déglutit.
- D'ailleurs, continua le Roi Blanc, tu ferais bien de dissimuler cette odieuse affinité prédominante avec le feu.
- Pourquoi ?
- Le feu est un élément brutal et violent. Il n'a rien de Seelie. Si tu veux pouvoir asseoir un minimum de pouvoir dans ton règne, ne passe pas pour une Unseelie. Si tu dois avoir recours à la magie, essaie plutôt l'air ou l'eau qui sont bien plus nobles et représentent bien plus les Seelies.
- Vous ne rejetez plus le fait que votre règne arrive à son terme.
- Je ne l'ai jamais rejeté. Dès que je t'aie vue lorsque nous avons été libérés, j'ai su que ce jour arriverait.
- Pourquoi n'avoir rien dit lorsque j'étais prisonnière à la Cour Noire ?
- Si je te l'avais dit, m'aurais-tu cru ? Je ne pense pas. J'étais obligé de te laisser passer par Nahl et Miléna puis par mon frère pour pouvoir enfin révéler la vérité. Si je ne l'avais pas fait, nous ne serions pas là aujourd'hui et la Faerie se mourrait.
Nous pénétrâmes dans ce qui ressemblait à un croisement entre une serre, avec le vaste espace chaud et les murs de verre partiellement oblitérés par des vingtaines de plantes aux fleurs éclatantes de couleurs, et une librairie avec les bibliothèques lovées entres les racines et les feuillages. Des tables en métal forgé étaient disséminées dans toute la pièce, isolées les unes des autres par des murs de plantes.
Le Roi Blanc s'installa à l'une d'elles et son regard se perdit à l'extérieur, dans le ciel qui était visible à travers le toit. Je pris la chaise en face de la sienne. Sans que nous ayons quoi que ce soit à demander à quiconque, un jeune Fae arriva et déposa un plateau de thé sur la table avant de repartir. Une odeur florale me monta au nez lorsque le Roi Blanc versa le liquide brûlant dans les tasses.
- Désormais qu'il est certain que tu vas prendre le trône Seelie, tu dois en apprendre plus sur nous et découvrir l'envers du décor. Nous sommes un peuple secret. Ce n'est pas pour rien que nous cultivons notre image de traîtres et de manipulateurs. Qui voudrait se lier à une telle personne, n'est-ce pas ? De plus, avec une telle image, personne ne cherche très loin puisque nous sommes réputés pour ne dire que des mensonges.
- Parce que vous ne le faites pas, peut-être ?
- Bien sûr que si. Comme tout le monde. Y a-t-il seulement une personne ayant foulé cette terre qui n'ait pas menti ?
J'ignorai la question rhétorique et enroulai mes doigts autour de ma tasse. La porcelaine était chaude juste ce qu'il fallait pour être rassurante et confortable. Les parfums qui montaient du thé m'aidaient à me détendre.
Évidemment qu'il allait répondre une telle chose. Il n'allait pas me dire qu'il tentait de me faire croire qu'il était sérieux. Toutefois, j'avais vu la Cour Blanche. Elle ne ressemblait en rien à ce que l'on avait pu me décrire. Elle était si lumineuse et pleine de joie qu'il en devenait difficile de croire que les Seelies étaient intrinsèquement mauvais.
Peut-être ne l'étaient-ils pas plus que les autres, au fond.
- Tu te rendras rapidement compte que ce n'est qu'une façade, reprit le Roi Blanc. En vérité, si on nous laisse tranquille, nous sommes plutôt inoffensifs.
- J'ai du mal à le croire. Soyons honnêtes, ce n'est pas parce que le décor est joli que je suis assez idiote pour me faire avoir.
- Bien avant que les humains n'aient conscience de notre réelle existence, la dichotomie entre les deux Cours étaient bien plus réelle que ce qu'elle est devenue. Leurs contes sur notre espèce se basaient sur des faits plus réels qu'ils ne le croyaient.
Il tendit la main et un livre vola jusqu'à lui. Il le poussa vers moi après l'avoir ouvert à une page précise. Je déglutis. J'étais incapable de lire la langue nationale. Du moins, je le pouvais mais pas sans de longues minutes à chercher le bon ordre des lettres.
- Ne t'en fais pas, c'est de l'ancien langage. Tu peux le lire. Peu de Faes supportent la langue des humains. Et au temps dont je te parle, la langue nationale n'existait pas. Nous parlions tous une seule langue. Et nous n'évoluons pas aussi rapidement que les humains dont les vies sont bien trop courtes pour qu'ils puissent apprécier ce qui les entoure à sa juste valeur.
Je me penchai sur le livre et fus surprise de réussir à lire les mots qui couvraient les pages. Malheureusement, j'étais toujours incapable de comprendre leur sens. Et je n'avais aucune envie de l'admettre devant le Roi Blanc.
Malgré tout, il dut comprendre car il reprit le livre et commença à lire, comme s'il ne s'était rien passé. Je sirotai mon thé en l'écoutant conter l'histoire d'une jeune fille perdue en forêt qui découvrait l'existence des Faes et en donnait une description étrangement réaliste si ce n'était pour le caractère des deux Cours. Les Unseelies – décrits comme des Faes de nuit – étaient vus comme violents et ingérables. Les Seelies – les Faes de lumière – étaient vus comme les gardiens du savoir de leur espèce, comme des artistes calmes et créatifs. Rien n'amenait l'idée qu'ils étaient aussi mauvais – voire plus encore – que leurs frères.
Il avait la voix pour raconter des histoires. Elle était douce et posée, sa diction était parfaite. Je me voyais parfaitement, enfant, allongée dans mon lit, le couverture jusqu'au menton, en train de l'écouter me lire une histoire pour m'endormir. Ce n'était qu'une image idiote mais en étant ainsi assise face à lui, une tasse chaude entre les mains, l'illusion était enivrante.
Le Roi Blanc referma son livre qui repartit tranquillement sur son étagère.
- Ce livre a été écrit avant la guerre entre les Faes et les humains, reprit-il, totalement ignorant à ce qui se jouait dans mon crâne. Ceux qui ont suivi la guerre nous décrivent tels que nous sommes vus désormais. Nous n'avons pas changé, cependant. Nous sommes toujours les mêmes. Malheureusement, la courte mémoire des humains a gravé dans le marbre ce que nous avons fait durant la guerre et rien de ce qui existe autour. Et c'est ce qui est resté avec la Cage qui nous est tombé dessus. Nous sommes restés bloqués dans cette vision erronée qui ravit bien trop la Cour de mon frère pour qu'ils cherchent à la nier.
- Vous êtes en train de tenter de me convaincre que, en vérité, vous êtes les gentils de l'histoire mais que les humains vous ont fait apparaître comme des méchants et que c'est resté ?
- De manière vulgaire, c'est à peu près cela, en effet. Nous ne cherchons pas à manipuler et à jouer les uns avec les autres. Nos passe-temps sont bien moins distrayants. La plupart d'entre nous préfèrent la peinture, le dessin, l'écriture à la manipulation. Nous prenons soin de la nature autour de nous et passons notre temps dans les serres durant l'hiver et dehors durant l'automne. Si nous le pouvions, nous vivrions dehors.
- Pourquoi n'est-ce pas vous qui géraient durant le printemps et l'été, dans ce cas ? Surtout que les Unseelies ne sont pas réputés pour vivre dehors.
- Tout simplement parce que nos affinités prédominantes sont pour l'air et l'eau tandis que les Unseelies privilégient le feu et la terre. La chaleur de l'été, les floraisons du printemps pour eux, les vents d'automne et les neiges d'hiver pour nous.
Lorsqu'il l'expliquait comme cela, ça faisait sens. Pour tout dire, tout ce qu'il me racontait coïncidait avec ce que je voyais, ce que je connaissais. Si tout n'était qu'une manipulation de sa part, elle était sacrément bien menée parce que je commençais à douter et à me demander s'il ne disait pas la vérité.
- Finis ton thé, j'ai encore beaucoup de choses à te montrer.
Je lui jetai un regard mais il paraissait parfaitement calme. Un petit sourire jouait sur ses lèvres. Il n'était ni moqueur ni dangereux. Il était complice.
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NdlA : Alors ? Verdict ? Gentils ou pas, les petits Seelies ? Qu'est-ce que vous en pensez, les amis ? Vous vous attendiez à quelque chose comme ça ?
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