Chapitre 7 (1/3)
Nathanaël se tourna vivement vers l'adjoint, catastrophé. Il voulait aider l'Institut à combattre le fléau spirituel, certes... Mais avec tout le monde, à part ce vieux grincheux ! Leur mésentente devait pourtant sauter aux yeux !
— Non.
La réponse de Jacques fusa, catégorique. À sa grande surprise, l'adolescent sentit son cœur se pincer. Soit le médium réagissait ainsi pour les mêmes raisons que lui... soit il ne l'avait pas jugé suffisamment doué lors de leur première rencontre. Malgré la relative confiance en ses capacités que Nathanaël avait cultivé au fil des ans, ses certitudes se mirent soudain à vaciller face au vétéran qui se trouvait devant lui.
— Allons, Jacques, tu peux bien lui donner une chance... Il est jeune, il est doué... C'est l'affaire de quelques mois seulement, jusqu'à ses seize ans.
— Rentre chez toi, gamin... soupira Jacques. Tu n'as rien à faire ici.
— Jacques, on a besoin de toute l'aide possible, insista monsieur Beaulieu. Ça ne me plaît pas non plus d'envoyer un enfant sur le front, mais...
— On n'a pas besoin de son aide.
Chaque mot du médium s'enfonçait un peu plus dans le cœur de Nathanaël. Il tenta tant bien que mal de masquer son trouble, mais l'exploit devenait de plus en plus difficile.
— Puisque Jacques a dit « non »... Moi, je dis « oui » ! intervint soudain Alexis en levant la main.
— Tu n'as pas le grade d'instructeur, lui fit remarquer Audrey.
— Peut-être pas, mais c'est moi qui conduis ce soir, donc c'est moi qui choisis qui je mets dans la voiture.
— Et si le petit est avec vous, ricana l'un des hommes avachis sur le canapé, il est automatiquement sous la responsabilité du seul instructeur de l'équipe...
Alexis tendit une main vers le médium qui s'empressa d'y claquer sa paume, victorieux. Audrey porta une main à sa bouche pour dissimuler son rire et Moustafa leva un pouce vers ses collègues.
— Espèce de petits... grommela Jacques. C'est ça, tirez vos plans sur la comète... De toute façon, ça m'étonnerait que « madame Sa Tutrice » donne son feu vert pour...
— Ah... intervint monsieur Beaulieu, les yeux rivés sur son téléphone. Ça y est, j'ai reçu le retour de madame Philippine Keller. Les papiers sont signés, tout est en ordre !
Jacques s'immobilisa, la bouche entrouverte de surprise. Après un court instant de silence, il s'apprêta à reprendre ses protestations, un doigt tendu vers l'adjoint.
Un sifflement strident l'interrompit, accompagné d'une lumière rouge. Tous les médiums présents dans la pièce retrouvèrent immédiatement leur sérieux.
— Niveau trois détecté. Je répète : niveau trois détecté, annonça une voix aux haut-parleurs.
Audrey leva une main, pianota sur son téléphone portable et bondit sur ses pieds.
— J'ai accepté la mission. N'oublie pas les clés, Alexis.
Son collègue acquiesça et s'empressa de saisir un boîtier en plastique noir sur le mur derrière lui. Jacques soupira, récupéra son manteau et se tourna vers Nathanaël.
— Suis-moi, marmonna-t-il.
L'adolescent s'exécuta à contre-cœur. Il adressa un dernier regard à monsieur Beaulieu qui le salua d'une main, un sourire satisfait sur les lèvres. Le groupe se dirigea ensuite vers une porte au fond de la pièce et s'enfonça dans les escaliers qu'elle dissimulait.
Le sous-sol de Institut se présentait comme n'importe quel parking souterrain dans lequel Nathanaël avait eu l'occasion de descendre. Des voitures de toutes les marques s'alignaient entre les lignes blanches, peintes sur un sol vert pâle brillant. Le groupe se dirigea vers les trois véhicules garés à côté des escaliers. Gris et sobres, rayés et cabossés par endroits, ils étaient de ceux qui passaient incognito dans toute la région parisienne. Peut-être même dans toute la France. Cinq autres emplacements vides rappelaient que les équipes précédentes n'étaient toujours pas rentrées de mission.
Une fois dans la voiture, Audrey plaça le portable d'Alexis en mode GPS dans le socle prévu à cet effet pendant que son collègue démarrait en trombe. Nathanaël avait à peine fini de s'attacher que le véhicule déboulait déjà dans les rues de Paris.
— Écoute-moi bien, gamin, commença aussitôt Jacques, assis à l'arrière à côté de lui, tu fais exactement ce que je te dis et tu ne discutes pas, c'est clair ? Je te dis de rester dans mon dos, tu restes dans mon dos. Je te dis de courir, tu cours. Je te dis de fermer les yeux, tu fermes les yeux. Au moindre écart de conduite, tu rentres directement chez toi et je ne veux plus jamais te revoir.
L'adolescent hocha la tête en silence. Il ne s'attendait pas à se retrouver si vite au cœur de l'action. La lumière des lampadaires défilait à toute allure dans l'habitacle sombre de la voiture. Lorsque le silence s'installa, l'atmosphère pesante heurta pleinement Nathanaël. Il le sentait, ses coéquipiers étaient aussi tendus que lui. Non pas de nervosité, mais de concentration.
Après dix minutes de route, ils traversaient déjà le périphérique et s'engageait dans la banlieue. Dix minutes de plus et les bâtiments se firent moins hauts, plus clairsemés. Les arbres devinrent plus nombreux.
— Dernières informations ? s'enquit alors Jacques.
Audrey sortit son téléphone de sa poche et parcourut rapidement l'écran des yeux.
— Niveau quatre, presque cinq. Ça va être un gros morceau...
Son aîné agita la main avec agacement.
— On le savait déjà, vu les temps qui courent... Nature, emplacement du terrain, population ?
— Nature : inconnue, emplacement : maison abandonnée, soixante-treize pourcents de chances qu'on ait affaire à un poltergeist, pas de population reportée à proximité directe.
— Reçu. On se protège, on entre, on scelle, on détruit, on ressort. Questions ?
Ses collègues demeurèrent silencieux. Nathanaël n'osa pas intervenir. La situation paraissait huilée, répétée et parfaitement maîtrisée. Il ne se sentait pas le droit de venir y glisser le moindre grain de sable en avouant sa totale impréparation face au danger qu'ils s'apprêtaient à affronter.
— Questions ? insista Jacques.
Il fallut un instant à l'adolescent pour comprendre que le vieux médium s'adressait à lui.
— Euh... J'ai un talisman, ça suffira, comme protection, ou il me faut autre chose ?
— Fais voir.
Nathanaël ôta le sachet en tissu qu'il portait autour du cou et le posa dans la main tendue de Jacques. Ce dernier l'examina, y déversa un peu de son aura avant de le rendre à l'adolescent.
— Ça ira. Question suivante.
Le lycéen ouvrit la bouche, hésita encore avant de se lancer :
— Je n'ai pas mon matériel pour...
— On a tout dans le coffre. Mais tu n'en auras pas besoin ce soir, ton boulot, c'est d'observer à l'écart et de ne pas te mettre dans nos pattes.
Nathanaël aurait bien protesté. Il ravala néanmoins les mots acerbes qui se pressaient contre ses lèvres : malgré la mésentente évidente dont Alexis et Audrey avaient fait montre à l'égard de Jacques quelques minutes plus tôt, ils semblaient avoir mis leurs sentiments de côté pour se concentrer sur l'opération en cours. L'adolescent essaya donc de faire de même. L'extermination de l'anomalie passait en priorité.
— On y est, annonça Alexis.
Il se gara le long d'un trottoir, feux de détresse allumés, et le groupe sortit de la voiture. Après un bref passage par le coffre où Nathanaël récupéra une ceinture composée de petites poches, déjà portée par les trois adultes, ils se dirigèrent sans un mot vers un portail rouillé.
À en juger par l'état de la haie qui lui masquait la vue, Nathanaël comprit tout de suite qu'ils avançaient droit sur une propriété abandonnée, comme l'avait annoncé Audrey. En effet, quand Alexis eut sauté par-dessus les barreaux métalliques cadenassés et dégagé quelques branches folles, l'adolescent découvrit à la faible lueur de la lune une scène tout droit sortie d'un film d'épouvante.
La pelouse n'était plus que savane parsemée de ronces et d'orties. Les arbres fruitiers s'élevaient vers le ciel sans la moindre contrainte, le sentier qui prenait sa source devant le portail se distinguait uniquement par la teinte plus claire de l'herbe. La trace se poursuivait devant eux jusqu'à une petite bâtisse sur deux niveaux aux volets en bois fermés. Certains montraient des signes d'effraction, de même que les vitres qu'ils avaient un jour protégées. La porte pendait sur ses gonds et dévoilait un intérieur obscur.
Le hululement d'une chouette suivi de battements d'ailes firent frémir Nathanaël. Il porta une main à l'un de ses bras pour tenter d'effacer la chair de poule qui s'était emparée de sa peau.
Car le paysage en lui-même n'était pas l'unique élément angoissant du lieu : une onde glacée semblait émaner de la maison, porteuse d'une intense énergie malfaisante. Nul doute qu'ils se trouvaient au bon endroit.
— Niveau cinq, visiblement, grommela Jacques. Encore en évolution. Dépêchons-nous.
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