Chapitre 6 (3/3)
- Quentin Beaulieu, annonça-t-il en tendant la main à Nathanaël. Je suis l'adjoint à la directrice des opérations. Suis-moi, on va discuter dans mon bureau.
L'adolescent emboîta le pas de son nouveau guide. Il constata avec surprise qu'ils ne se dirigeaient pas vers une pièce de l'étage de l'instruction, mais vers les ascenseurs.
- Ne t'inquiète pas, je ne suis pas aussi compétent que mes collègues de ce couloir pour accueillir les nouveaux, mais je me débrouille... Je tenais à te recevoir moi-même, je me suis donc un peu imposé quand j'ai entendu dire que tu étais dans le bâtiment...
Nathanaël ne sut trop quoi répondre. Il se para donc d'un sourire embarrassé pour cacher sa surprise et suivit monsieur Beaulieu jusqu'au dernier étage, bâti sur le même plan que tous les autres.
Son guide ouvrit une porte pour l'inviter à entrer. L'adolescent se retrouva dans une pièce qu'on aurait pu qualifier d'assez vaste si la minuscule fenêtre et les murs couverts d'étagères ne la rendaient pas aussi sombre et étouffante. D'innombrables dossiers s'alignaient tout autour de lui, décorés de dates écrites au marqueur dans diverses couleurs.
Le lycéen s'arracha à sa contemplation de la décoration pour se concentrer sur le bureau au centre de la pièce. À l'image des murs, celui-ci disparaissait sous une épaisseur monstrueuse de feuilles et de classeurs.
- Alors, as-tu reconnu quelques visages à l'Institut ce soir ? Ghislaine, par exemple ? Ou moi ?
Il lui fit un clin d'œil complice en débarrassant une chaise d'un tas de documents manuscrits. Il la tira ensuite devant son bureau.
- Non... hésita Nathanaël.
L'homme s'assit derrière son bazar et désigna le siège face à lui d'un geste de la main. L'adolescent y prit place, mal à l'aise.
- Ghislaine n'a pas dû manquer de se présenter quand tu lui as dit qui tu étais... Quant à moi, j'étais agent de liaison à l'époque où ton père était en activité, expliqua-t-il en déverrouillant son ordinateur. Mais ça ne m'étonne pas que ma tête ne te dise rien, nous ne nous sommes croisés qu'assez rarement en mission et tu avais tendance à accorder davantage d'attention à tes pieds qu'aux membres de l'Institut qui t'entouraient.
Nathanaël se fendit d'une moue embarrassée. Savoir qui son père rencontrait ne l'avait jamais vraiment intéressé. Il préférait s'assurer qu'il ne risquait pas de tomber plutôt que de faire preuve de politesse. Manuel ne le lui avait d'ailleurs jamais reproché.
- Nous y voilà ! annonça monsieur Beaulieu. Nous allons remplir ce petit formulaire ensemble. C'est assez barbant, mais bon... Les formalités administratives, tout ça...
Il poussa quelques dossiers pour libérer son clavier et posa les doigts dessus.
- Première partie : identité... Je dois pouvoir remplir la plupart des cases... Est-ce que tu peux simplement me donner ton adresse actuelle et ta date de naissance, s'il te plaît ?
Au cours des dix minutes qui suivirent, les questions se succédèrent : niveau scolaire, connaissances en spiritualisme, expérience en la matière... La question des antécédents médicaux fit manquer un battement de cœur à Nathanaël.
- Ne t'en fais pas, nous ne te recalerons pas pour ça, le rassura son interlocuteur. Nous notons simplement toute information qui pourrait être utile à nos équipes médicales pour ton suivi...
Étant donné l'état lamentable dans lequel il avait retrouvé Philippine quelques années plus tôt après huit mois passés chez des membres de l'Institut, cette annonce fut loin de dissiper l'appréhension de l'adolescent. Sa maladie devait d'ailleurs être renseignée dans son dossier, mais peut-être l'adjoint n'y avait-il pas accès. L'adolescent finit par se faire une raison et renseigna monsieur Beaulieu comme il put sur sa condition, son traitement et l'hôpital qui s'occupait de lui.
Le dossier rempli, l'homme l'imprima et le tendit à Nathanaël pour vérification.
- Je dois avoir un crayon par là pour la signature... marmonna-t-il en déplaçant quelques feuilles. On l'enverra ensuite à ta tutrice pour avoir son accord.
L'adolescent entama une relecture rapide. La ligne « gardien.ne légal.e » contenait le nom de Philippine, celle de sa mère était vide, celle de son père ne contenait pas de faute d'orthographe...
- Pourquoi il y a un « (a) », ici ? s'enquit-il en désignant le petit symbole à côté de « Manuel Jackowski ».
L'homme observa la feuille à son tour, fronça les sourcils et reporta son attention sur son écran d'ordinateur en se raclant la gorge.
- Oh... Eh bien... Ce n'est rien... Tu vois des choses à modifier ?
Nathanaël secoua la tête. « (a) »... « Absent » ? « Associé », peut-être ? Il ignorait quel titre recevait les médiums indépendants à l'Institut...
- Parfait, alors ! conclut monsieur Beaulieu. Mets tes initiales en bas de chaque page et signe sur la dernière. Je vais scanner tout ça et l'envoyer à ta tutrice pour avoir l'autorisation de t'intégrer à nos programmes. Tu as son adresse mail ?
Les formalités administratives achevées, l'homme rangea soigneusement le dossier dans une chemise qu'il posa sur une pile de documents. Il joignit ensuite les mains et fixa l'adolescent d'un air satisfait.
- Est-ce que tu es occupé ce soir ?
Nathanaël ne répondit pas immédiatement, surpris par la question. Il comptait simplement rentrer, s'installer sur le canapé devant une série ou lire une bande dessinée... Ses devoirs attendraient le dimanche soir.
- Pas vraiment, non... annonça-t-il donc.
Monsieur Beaulieu frappa dans ses mains et se leva.
- Dans ce cas, pourquoi ne te joindrais-tu pas à une équipe ce soir ? Un de nos instructeurs travaille cette nuit, il ne verra sans doute pas d'inconvénient à ce que tu accompagnes son équipe sur une mission ou deux... Suis-moi !
Nathanaël prit son sac et accompagna l'homme jusqu'à la porte, pris au dépourvu. Il songea un instant à refuser, à expliquer que Philippine l'attendait, qu'il n'avait pas son matériel, qu'il était tard... La curiosité le retint pourtant : il n'avait jamais travaillé conjointement avec d'autres médiums, encore moins avec des agents de l'Institut. Jusqu'à présent, il avait toujours mené ses exorcismes seul, il ignorait donc comment se déroulait le travail en groupe...
Monsieur Beaulieu marqua brusquement un temps d'arrêt et Nathanaël manqua de lui rentrer dedans.
- Madame Glanet ! Vous êtes encore là ? Je vous croyais rentrée...
L'adolescent se décala d'un pas et aperçut la directrice des opérations de l'IFSS dans le couloir, un manteau beige et une sacoche en cuir à la main. Elle s'arrêta et se tourna vers monsieur Beaulieu, un air peu intéressé sur le visage. Ses yeux croisèrent ensuite ceux de Nathanaël, qui s'empressa de se détourner. Décidément, cette femme dégageait une sensation grandement incommodante. Peut-être son air indifférent...
- Je partais à l'instant, annonça-t-elle.
- Nous descendions, expliqua l'homme, prenons l'ascenseur ensemble !
Il s'empressa de trottiner vers le bout du couloir et appuya sur le bouton d'appel. Nathanaël le rejoignit avec réticence, en compagnie de la directrice des opérations. Il garda les yeux fixés sur ses pieds, incapable de décider où il devait les poser.
- Oh, c'est vrai ! s'exclama soudain monsieur Beaulieu. Madame Glanet, je vous présente Nathanaël Jackowski. Il a décidé d'intégrer le programme d'assistanat. Baptiste ne tarit pas d'éloges à son sujet !
L'adolescent leva les yeux un bref instant et les fit subrepticement glisser vers les portes de l'ascenseur quand il découvrit le regard sombre de la femme fixé sur lui.
- Tu étais là hier soir. À côté du buffet.
Ce n'était ni une question, ni une remarque teintée de surprise, mais une simple constatation. Nathanaël acquiesça timidement et s'empressa de répondre avec les seuls mots qui lui vinrent à l'esprit :
- Les petits fours étaient bons...
Il se serait bien mordu la lèvre d'embarras. Il se trouvait face à la directrice des opérations de l'IFSS et la seule chose qu'il parvenait à lui dire, c'était qu'il avait apprécié la nourriture servie pendant une soirée ? L'adolescent se rassura en se rappelant qu'il n'avait pas grand-chose d'autre à lui dire.
- C'est vrai, approuva madame Glanet.
Visiblement, elle aussi se serait bien passée de cette conversation stérile en sortant de son bureau.
Lorsque le trio pénétra dans l'ascenseur, monsieur Beaulieu sembla enfin remarquer que l'ambiance rappelait davantage des sables mouvants plutôt qu'une discussion conviviale et il s'empressa d'intervenir :
- Je le conduis en salle de repos. Si une anomalie spirituelle se déclare, il pourra accompagner une équipe sur le terrain pour voir comment nous fonctionnons.
- La question n'est pas de savoir si une anomalie se déclarera ou non, mais quand, soupira la femme. Nul doute qu'il aura l'occasion de se retrouver sur le terrain ce soir et qu'il sera rentré pour le dîner.
Arrivés au rez-de-chaussée, madame Glanet se dirigea sans un mot vers la sortie tandis que son adjoint conduisait Nathanaël plus profondément dans le bâtiment de l'Institut.
Après les ascenseurs, le couloir virait à gauche. Des voix indistinctes leur parvenaient depuis le fond, ainsi qu'une intense odeur de café et d'épices.
- Oh, on dirait que c'est Moustafa qui est chargé du repas ce soir ! annonça monsieur Beaulieu. Si tu veux manger avec les équipes, ce ne sera pas un souci, il prépare généralement de quoi nourrir tout le bâtiment.
L'adolescent dut bien avouer que le fumet était des plus appétissants. Il ravala sa salive et désigna les portes sur la droite.
- Qu'est-ce qu'il y a derrière ? s'enquit-il.
- Des chambres, pour les équipes en stand-by la nuit. Mais elles sont rarement utilisées depuis quelques semaines, malheureusement...
Ils arrivèrent devant la dernière porte, grande ouverte, au bout du couloir. Derrière se trouvait une salle relativement vaste et douillette où vaquaient cinq personnes. L'une d'elle remuait le contenu d'une poêle dans la cuisinette, deux autres regardaient la télé, enfoncés dans un canapé usé, mais d'apparence confortable, les deux dernières lisaient des documents sur la petite table ronde dans un coin de la pièce. Nathanaël observa avec intérêt la collection de bandes dessinées qui trônait sur une bibliothèque à côté de la télévision.
- Bonsoir... les salua monsieur Beaulieu. Je ne vois pas les Sanson, leur équipe est déjà partie en intervention ?
L'homme aux fourneaux ébouriffa ses cheveux crépus en se grattant la tête de sa spatule.
- Plus ou moins... soupira-t-il. Ils ont été appelés en renfort avant l'heure de la relève, les équipes de l'après-midi étaient débordées. Daphnée y est allée avec eux...
Monsieur Beaulieu afficha un air étonné.
- Daphnée ? Elle n'est pas dans votre équipe, normalement, Alexis et Audrey ?
Les deux personnes plongées dans leurs dossiers relevèrent la tête à la mention de leur nom.
- On n'était pas encore arrivés, expliqua la femme en redressant ses lunettes rondes sur son nez. Et comme Jacques est en retard...
- Qui est en retard ?
La voix faillit arracher un juron à Nathanaël. Il se retourna juste à temps pour découvrir le visage antipathique du vieux médium derrière lui. Après l'avoir dévisagé de la tête aux pieds, sourcils froncés, l'homme se dirigea dans un coin de la pièce où il suspendit son manteau.
- La relève est à dix-neuf heures pour l'équipe en N1, fit remarquer le prénommé Alexis. Il est dix-neuf heures cinq. Ton équipe est partie sans toi, tu seras avec nous cette nuit.
Nathanaël jeta un coup d'œil étonné à sa montre. Deux heures s'étaient déjà écoulées depuis la fin de son dernier cours. Le temps avait finalement passé plus vite que prévu. Il tourna un regard interrogateur vers son guide qui lui glissa à l'oreille :
- « N1 », c'est la première partie de la nuit, de dix-neuf heures à une heure du matin. Puis les équipes en « N2 » prennent le relais jusqu'à sept heures...
- Il y avait un accident voyageur sur la ligne sept, marmonna Jacques.
- On sait tous que tu ne prends le métro que pour deux stations... Marche un peu, ça ne te fera pas de mal, renchérit Audrey sur le même ton.
Nathanaël observa l'échange avec un certain malaise : si celui-ci annonçait l'ambiance de la soirée, il préférait rentrer tout de suite chez lui...
Malheureusement, le vieux médium sembla à court d'arguments pour contrer ses collègues et reporta ses yeux ennuyés sur l'adolescent. Ce dernier soutint son regard, bien décidé à ne pas se faire marcher sur les pieds.
- Et donc ? Qu'est-ce qu'il fait ici, celui-là ?
Monsieur Beaulieu sortit enfin de son silence embarrassé et posa une main sur l'épaule de Nathanaël.
- Je t'ai trouvé un assistant !
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