Publié le 28/05/2021

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J'avais couru pendant deux bonnes heures sans m'arrêter. La nuit était bien avancée, désormais, et j'entrevoyais parfois l'éclat de la Lune percer à travers les frondaisons. Ses rayons, qui semblaient caresser ma fourrure argentée, étaient loin de suffire à m'apaiser. J'étais prête à courir pour le restant de ma vie, s'il le fallait.

La forêt avait cet avantage qu'elle regorgeait de cachettes, et je ne pouvais m'empêcher d'en rechercher dans chaque aspérité. Le besoin de me cacher efficacement m'obsédait, oblitérant toute autre préoccupation. Je n'étais plus qu'instincts.

À mesure que je m'approchais des limites du territoire, la panique aurait dû décroître progressivement – et pourtant je restais nerveuse. Cet environnement inconnu me déplaisait, j'étais complètement désorientée. Pire, je craignais de m'éloigner de la frontière au lieu de m'en approcher. Cela faisait des années que je ne m'étais pas perdue, mais je savais qu'il était toujours possible de tourner en rond sans s'en rendre compte.

Peut-être que les choses seraient plus facile une fois le soleil levé ? Je ralentis, envisageant enfin de m'arrêter dormir quelques heures. Après tout, personne ne semblait m'avoir suivie, je pouvais me permettre une pause. J'imaginais que la meute devait se réjouir d'être débarrassée de moi à si peu de frais.

Chassant rapidement ces pensées, j'aperçus le tronc de deux arbres, couchés contre le sol de la forêt. Ils devaient s'être effondrés après la dernière tempête, mais leurs branches étaient encore touffues, ce qui attira mon attention : elle me dissimuleraient sans doute parfaitement si je me glissais dessous. J'entrepris de creuser, et au bout de quelques minutes, mes pattes avaient dégagé un petit espace dans lequel me tapir.

Satisfaite, je me glissai dans ma tanière et me roulai en boule. Il y avait juste assez de place pour mon corps lupin, mais les branches qui me surplombaient rendaient ma cachette parfaitement sûre. J'étais convaincue qu'il serait difficile de me distinguer ici.

Je fermai les yeux, et commençai à me détendre. Ma respiration ralentit progressivement, mais le calme qui m'enveloppait n'était pas sans désagrément. Une pointe de culpabilité ressurgit dans mon esprit en pensant à la meute que je venais d'abandonner.

Je repoussai cette idée. Certes, je venais de ruiner la deuxième chance qui m'avait été offerte, mais je n'avais fait que précipiter l'inévitable. La vie en meute n'était pas faite pour moi. Pour s'en convaincre, il suffisait de voir le regard que Seth ou Lina portaient sur moi. Et puis j'avais réussi à offenser l'alpha en moins d'une journée chez lui. Après ça, il ne m'aurait sans doute pas réservé une place d'honneur au sein de la meute.

J'étais définitivement une ratée, une louve défectueuse, et je savais que mon destin serait d'être rejetée où que j'aille. Autant l'accepter maintenant et me préserver du pire.

C'est sur ces pensées lugubres que je m'endormis, et, l'espace de quelques heures, ma conscience fut apaisée par les ténèbres du sommeil.

*

Un craquement anormal déchira ma torpeur. Je sursautai, effrayée, et je me mis à scruter les environs à travers mes branchages.

La rosée avait commencé à tapisser le sol, ce qui était le signe que l'aube était imminente, mais ce n'étais pas la cause de mon inquiétude. Un énorme loup noir avançait face à moi, la truffe au sol, comme s'il pistait quelqu'un. Il était véritablement gigantesque, bien grand que la plupart des autres loups : il ne faisait aucun doute qu'il s'agissait de l'alpha.

J'étais surprise qu'il ait pu s'approcher autant sans que je m'en rende compte. Et, plus étonnant encore, je me demandais pourquoi il avait pris la peine de suivre ma trace.

Je me mis à trembler, réalisant ce que la présence de l'alpha signifiait. Il voulait me punir personnellement de ce que j'avais fait. J'avais du le mettre terriblement en colère pour qu'il se charge de mon châtiment, mais après tout, j'avais refusé de me soumettre pour m'enfuir. Et tout le monde avait vu ça, ce qui était encore pire.

Le loup gronda, les yeux braqués sur mes branches. Le message était clair : il m'avait repérée, et il voulait que je sorte de ma cachette. Tout dans son attitude était éloquent, il attendait que je vienne me soumettre.

Mon cœur s'emballa, mais je restait obstinément figée, bien décidée à rester où j'étais.

Comprenant que je ne comptais pas sortir, l'alpha s'éloigna et disparut de mon champ de vision. Je m'interrogeais sur cette réaction étrange. Est-ce qu'il était parti chercher de l'aide ?

L'instant d'après, mon champ de vision fut brutalement chamboulé. Les branchages à travers lesquels j'observais les alentours avaient disparu, tout comme les troncs d'arbre qui me protégeaient. Ils avaient été soulevés, l'un après l'autre, dévoilant ma cachette. Je réprimai un hurlement, et détalai sans un regard en arrière.

Je me remis à courir de toutes mes forces, terrifiée par l'idée d'être rattrapée par un loup capable de déplacer seul des arbres aussi massifs. Je peinais à imaginer l'étendue de sa force, mais ça n'augurait rien de bon pour moi. Les sens aux aguets, je captai avec angoisse le bruit léger de sa course.

L'espace de quelques minutes, j'entretins l'espoir de le semer et de quitter la Vallée aux esprits. Et puis ma cavalcade affolée s'acheva brutalement quand j'arrivai au pied d'une petite falaise. Horrifiée, je regrettai d'avoir foncé sans me poser la moindre question, laissant la panique me conduire jusqu'à une paroi de pierre impossible à escalader. Je tentai de faire demi-tour, mais c'était trop tard, l'alpha était là.

La course-poursuite avait vraisemblablement eu pour but de m'épuiser, et ça avait marché : j'étais à bout de souffle. Le sang me battait aux tympans, tandis que je regardais l'alpha se rapprocher de moi, la tête haute, dans une attitude triomphante.

Je grognai en signe d'avertissement, les oreilles aplaties en arrière et les babines retroussées. L'alpha regarda paisiblement mon poil se hérisser, tandis que ma queue tremblait de plus en plus fort. C'étaient des signaux d'agressivité plus que clairs, et pourtant il ne semblait pas s'en préoccuper, réduisant mètre par mètre la distance entre nous.

Mon apparence frêle devait lui sembler absolument inoffensive, surtout en comparaison de sa silhouette imposante. Son poids devait facilement constituer le double du mien, et sa mâchoire me semblait plus large que mon propre cou.

Il était vraiment fidèle à sa réputation – terrifiant.

Et pourtant, je grondais sans m'arrêter, espérant qu'il recule. J'étais certes terrorisée, mais aussi prête à vendre chèrement ma peau.

Lorsque l'alpha franchit le dernier mètre qui nous séparait, la panique me brûla l'esprit – et je me jetai contre lui, les crocs en avant.

Surpris de mon agressivité, l'alpha me repoussa durement, mais je bondis une seconde fois contre lui. L'instinct et la peur embrumaient totalement mon esprit, et le peu de raison qu'il me restait me poussait quand même à attaquer. Si je me montrais assez agressive, l'alpha serait assez en colère pour me bannir définitivement. Ensuite, je pourrai fuir loin de tout.

Hélas pour moi, le loup noir n'avait guère de patience, et il était beaucoup plus puissant que Seth. Agacé de me voir claquer violemment des dents contre lui, il répliqua d'un brusque coup de griffes. Une sensation brûlante me traversa la patte, mais ma défense frénétique ne faiblit pas. J'aurais dû mettre fin au combat à ce moment là, je le savais, mais je ne pouvais pas accepter ma défaite. Rien ne m'horrifiait plus que l'idée de rentrer dans la meute, et je me sentais encore capable de combattre : je parvins même à administrer un coup de patte sur le museau de l'alpha, ce qui lui arracha un nouveau grondement.

Cette fois, je l'avais vraiment fâché. Il changea d'attitude, comme s'il cessait de se retenir, et bondit avec une vitesse fulgurante.

Et puis une explosion écarlate voila mon regard. Je fus aveuglée par une douleur qui me transperça les flancs : l'alpha m'avait broyé les côtes de toute la puissance de ses crocs. Quand mon sang jaillit, j'émis un cri perçant, puis mes pattes se dérobèrent.

Vaincue, je m'étais effondrée.

La colère reflua presque aussitôt de la gueule de l'alpha. Il me toisait de toute sa hauteur pendant que je roulais à ses pieds, la queue plaquée contre le ventre, en signe de soumission. L'allégeance que j'aurais dû lui jurer dans la paix venait de m'être arrachée par la force, mais il semblait satisfait. Je l'avais reconnu comme mon alpha, moi aussi.

Il éleva la tête vers le ciel, et hurla longuement, avertissant toute la meute de sa victoire. J'écoutai ce chant tapie à ses pieds, pleine d'appréhension.

Lorsqu'il se pencha finalement vers moi, je crus qu'il allait poursuivre son châtiment, mais il se contenta de refermer délicatement ses dents contre la peau de mon cou. Il me souleva lentement, jusqu'à ce que tout mon corps soit suspendu au dessus de sol, puis il prit le chemin de la meute en trottinant.

C'était étrange d'être transportée ainsi, comme si j'étais de nouveau un louveteau, mais je n'avais plus la force de m'y opposer. Je voyais flou, et tout mon corps était faible. Il ne me restait plus qu'à rabattre docilement mes pattes et à me laisser emporter.

L'alpha pouvait bien faire de moi ce qu'il voulait, à présent. Ma volonté était brisée.

***

J'ai essayé de me renseigner sur les loups avant d'écrire ce genre de scène : je dois connaître leur page Wikipedia par cœur ! Sans compter les multiples documentaires que j'ai vu. J'espère que le résultat est convainquant.

Qu'est-ce que vous avez pensé du chapitre ? Vous commencez à connaître un peu le talent de Mariposa pour rendre les choses toujours pires, alors vous n'avez peut-être pas été trop surpris.es par ses réactions ?

Si vous vous demandez quel sort l'alpha lui réserve, je vous donne rendez-vous dimanche matin pour le prochain chapitre !

Et bien sûr, je vous remercie tous et toutes pour vos votes et vos commentaires !

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