Chapitre 33
Publié le 08/09/2021
***
La journée s'était écoulée dans un calme nerveux, à attendre et craindre à la fois les premiers assauts. Cet état d'esprit très spécifique aux jours de bataille rendait les choses encore plus difficiles. J'étais comme les autres : ce qui n'avait pas encore lieu, je l'anticipais en pensées. Depuis le toit de la maison où j'étais installé, chaque regard sur l'horizon rencontrait un spectre menaçant de mort et de souffrance.
Et pourtant, rien n'indiquait encore que le sang avait été versé. La cime des arbres, battue par la pluie, miroitait faiblement sous le soleil couchant – comme si nous étions une journée ordinaire. Je n'entendais aucun son suspect et ne voyais rien qui indiquât la victoire de la sorcière.
Mais je n'étais pas là depuis les toutes premières heures. Et si tout c'était passé avant que je sois affectée à la vigie? Peut-être que tout était déjà perdu ?
Je tentais de chasser ces idées morbides en me concentrant sur le paysage. Le soleil couchant répandait des lueurs inhabituelles dans le ciel, de grandes traînées rougeâtres qui se reflétaient sur l'humidité du sol et des arbres. J'avais l'impression qu'un voile ensanglanté allait s'abattre sur ma vallée. Même les montagnes noires qui encadraient le paysage me semblaient sinistres – comme deux crocs aiguisés prêts à mordre le ciel.
Le velux derrière moi s'ouvrit en grinçant, et je reconnus l'odeur de Lina avant même de me retourner.
Elle avait les traits tirés, mais son visage n'exprimait aucune inquiétude – elle était en total contrôle d'elle-même. Ou du moins, c'était ce qu'elle voulait montrer aux autres. Après tout, c'était elle qui était en charge de la protection de la maison.
« Ton tour de garde est fini, Mariposa, fit-elle. Valentine va prendre le relai.
– Je peux rester encore un moment, offris-je, je ne suis pas fatiguée.
– Il ne faut jamais attendre d'être fatigué pour se reposer. C'est comme ça qu'on fait des erreurs. »
Que pouvais-je opposer à cela ?
« Très bien, je descends. »
Valentine attendait en bas de l'échelle, la mâchoire crispée, mais elle m'adressa quand même un petit sourire quand je lui tendis les jumelles.
« Au moindre signe d'attaque contre la maison, je vous appelle. » promit la louve.
Lina la remercia et nous descendîmes jusque dans la salle à manger sans échanger un mot. Tout le monde était tendu depuis ce matin.
À l'annonce de la capture de l'alpha, c'était Myriam qui avait pris le contrôle des opérations. Elle avait fait réunir la meute en un temps record et planifié notre défense. À l'heure actuelle, la plupart des loups étaient dans la forêt pour traquer la sorcière et ses loups, mais nous ignorions tout de leur progression. Nous nous contentions de scruter les environs pour parer à toutes les éventualités – et même à la perspective d'un assaut contre la maison de la meute. Mais si la sorcière arrivait à mettre en déroute nos meilleurs combattants, je ne vois pas ce que nous pourrions faire nous-même.
La maison de la meute, que nous avions passé plusieurs heures à fortifier, accueillait les membres les plus vulnérables de la communauté : les enfants, les personnes âgées, les femmes enceintes... Nous étions une dizaines d'adultes à être restés pour assurer la sécurité des lieux, mais je me doutais bien que si Myriam nous avait choisis, c'était aussi parce que nous étions plus jeunes et moins expérimentés que la plupart des combattants.
Et c'était sur Lina que reposait la supervision de notre défense. Elle avait accepté cette charge quand nous avions compris qu'aucun bêta ne resterait avec nous, et pour le moment, elle s'en sortait parfaitement, même si son visage avait perdu toutes ses couleurs depuis ce matin. La louve était à la fois méthodique et prudente, en plus de savoir parfaitement obtenir l'adhésion. Elle avait toutes les qualités d'une bêta – mais c'était une très lourde responsabilité qui venait de lui échoir.
Quand nous entrâmes dans la salle à manger, je fus frappée par le silence qui régnait. Les lieux étaient pleins à craquer, puisque presque tout ceux qui s'étaient mis à l'abri ici tenaient à rester avec les autres, mais les conversations étaient rares. Les enfants eux-mêmes semblaient apathiques.
« Prenons notre dîner maintenant, fit Lina, on ne sait pas jusqu'à quand les choses resteront aussi calme. »
Je la suivis sans un mot, et nous avalâmes rapidement un des sandwichs qui trônait sur la table du buffet. J'avais l'impression de manger du carton, mais Lina avait raison : il fallait reprendre des forces quand nous en aurions l'occasion.
Tout en mastiquant, je pensais à ceux qui étaient partis se battre dans la forêt. Héloïse, Karina, Flavien... Pour qui devrais-je le plus m'inquiéter ? Malgré moi, je ne pouvais m'empêcher de me demander lequel de mes amis courrait le plus de risque. Quel deuil je devais me préparer à porter.
Cette atmosphère de tension était en train de me rendre dingue.
« Mariposa, tu as un instant ? »
Seth venait de nous rejoindre. Lui aussi avait l'air d'avoir le cœur au bord des lèvres.
« La prêtresse demande à te voir, dit-il, alors si tu n'es pas trop occupée...
– Oh non, je n'ai rien à faire, répondis-je précipitamment. N'est-ce pas, Lina ?
– Essaie quand même de te reposer, répondit-elle sans conviction. Mais nous n'avons pas besoin de toi maintenant. »
Je hochai la tête, et suivis Seth en avalant les dernières bouchées de mon sandwich. J'étais prête à tout pour détourner mon esprit de ses pensées morbides.
La prêtresse était dans sa chambre, qui était complètement plongée dans le noir à l'exception de la lueur tremblante de quatre petites bougies. La vieille femme était assise à même le sol, au milieu de la pièce, avec plusieurs instruments disposés devant elle. Myriam avait réussi à la convaincre qu'elle n'était pas en état de repartir au combat mais elle ne semblait pas disposée pour autant à attendre sans rien faire.
« Où ça en est ? Me demanda-t-elle en guise de salutation.
– Aucun signe de combat dans les environs, dis-je en refermant doucement la porte. Mais ça ne veut pas dire grand-chose.
– Non en effet. Mais pas de flammes non plus ? Nul part ? »
Je répondis par la négative, et elle sembla légèrement soulagée. Elle nous fit signe de nous asseoir.
« Je m'en doutais, fit-elle, mais c'est pour bientôt. À l'heure actuelle, l'armée hypnotique de Mildred doit surtout détourner vos bêtas du lieu du rituel. Ils vont essayer de les balader le plus loin possible, sans vraiment rentrer au corps à corps.
– Myriam sait ça, fis-je doucement.
– Oh oui, elle le sait, mais elle n'arrivera pourtant pas à rejoindre la source. Même sans avoir à se battre en même temps, ça lui aurait demandé un mal de chien. »
Je déglutis avec appréhension.
« Elle avait raison, ceci dit, grogna-t-elle. Je ne suis plus en état d'accompagner les combattants. Tout mon corps me fait souffrir, alors que je n'ai plus bougé de cette chambre... Mais comme tu le vois, je n'ai pas baissé les bras, moi non plus. »
Elle me tendit le plateau rituel disposé devant elle, et je reconnus l'objet sur lequel elle travaillait. C'était son pendule en cristal – sauf qu'il était maintenant chargé d'une légère aura lumineuse, et qu'il brillait faiblement dans l'obscurité de la pièce.
« Qu'est-ce que...
– La sorcière n'est pas la seule à savoir enchanter les pendules. Celui-ci contient une part de ma propre force magique, il amplifiera les dispositions de la personne qui le porte – et il la guidera avec bien plus de précision. Même si ça n'a pas duré très longtemps, j'ai vu le puits de mana. »
Ce sortilège n'était apparemment pas sans contrepartie : la prêtresse semblait encore plus épuisée que ce matin. Elle cligna plusieurs fois des yeux, comme si elle luttait contre le sommeil, avant de reprendre la parole – même si je commençais à comprendre où elle voulait en venir.
« Toi aussi, tu as vu la source, jeune louve, fit-elle d'une voix éraillée. Et tu as d'immenses dispositions...
– Vous voulez que je guide Myriam jusqu'à la source ?
– Elle n'y arrivera pas sans toi. Et nous n'avons pas de temps à perdre, la lune rouge commence déjà à monter. Quand elle sera au sommet du ciel, Mildred procédera au sacrifice.
– Ça n'arrivera pas. » promis-je.
La prêtresse m'adressa un sourire fatigué, mais une lueur combative allumait son regard – j'étais certaine d'avoir la même.
« J'irai à la rencontre de cette sorcière, affirmai-je, et je l'arrêterai. Je déjouerai ma vision et je sauverai les miens. »
La mère Ymir pencha lentement la tête devant moi, imitée par Seth.
« Je t'accompagnerai, fit ce dernier. Tu as besoin de quelqu'un pour assurer tes arrières.
– Mais...
– Et j'ai une dette envers toi, Mariposa, insista-t-il. Je défendrai ta vie comme la mienne. »
La solennité de l'instant me surprit, mais je ne voulais pas m'attarder sur le sentiment vertigineux qui me prenait. Ce n'était plus le moment de réfléchir, et encore moins celui de se cacher : il fallait agir.
« C'est bien comme ça, fit la prêtresse. Maintenant, ne perdons pas de temps, allons demander à cette Lina d'ouvrir les portes de la maison. Vous devez partir sans délai. »
***
On passe aux choses sérieuses, maintenant !
Qu'est-ce que vous pensez du plan de la prêtresse ? De la réaction de Seth ? Et de celle de Mariposa ? Vous pensez que ça va mal tourner, ou bien vous êtes plutôt confiant.es pour la suite ? ^^
J'aime beaucoup lire vos théories, même si parfois je regrette de ne pas avoir eu moi-même certaines de vos idées ! (SAUF celles de MouleBrillante qui prétend que Mariposa est en fait un lapin, ne l'écoutez pas, par pitié)
J'espère que vous trouvez tout ce suspense insoutenable. Moi, évidemment, je sais ce qui va se passer, la suite est même prête pour la publication. En ce moment, je réfléchis au prochain projet que je vais publier sur Wattpad, et j'ai eu une idée assez drôle. Je vous en parlerai en temps voulu, j'ai encore besoin d'un peu de réflexion ah ah.
Merci à tous et toutes pour votre lecture, vos votes et vos commentaires ! On se retrouve ce weekend pour la suite !
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