Chapitre 28
Publié le 21/08/2021
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Depuis l'arrivée de la prêtresse, il régnait une atmosphère étrange dans la Vallée aux esprits. C'était comme si le cours naturel de l'existence avait été suspendu, que nous avions tous collectivement retenu notre respiration en même temps.
Après la capture du loup solitaire, la meute consacra l'essentiel de ses forces à la protection des frontières, quitte à mettre tout le reste de côté. Les boutiques du village n'ouvraient plus que quelques heures par jour, le marché ne réunissait qu'une fraction de ses vendeurs habituels, l'école avait été fermée, et même les sage-femme réduisaient leurs heures pour participer aux patrouilles. Les loups qui venaient du Pin d'Airain avaient cessé d'expérimenter les divers emplois, pour se concentrer comme tout le monde sur la protection du territoire. Il ne restait plus que deux des quinze cuisiniers en charge des repas, qui perdirent une bonne part de leur saveur. Mais personne n'avait songé à s'en plaindre, des préoccupations bien plus graves absorbant la plupart des loups.
L'ambiance ici était lourde. Même Héloïse avait perdu sa bonne humeur. Elle se forçait à rire aux plaisanteries de Milo et Karina, mais elle finissait toujours par regarder l'orée de la forêt avec une mine inquiète. Je n'avais pas de mal à comprendre ce qui la hantait : ses parents étaient morts lors de la dernière guerre, elle devait craindre la prochaine bataille encore plus que nous.
Il m'était devenu presque impossible de passer un moment seul à seul avec Flavien. L'alpha était constamment occupé, entouré par ses bêtas et la prêtresse, et il semblait à peine prendre le temps de se reposer. Nous ne faisions que nous croiser, échangeant de rapide baisers en coup de vent, avant qu'il soit à nouveau appelé à ses responsabilités. Le souvenir de notre nuit ensemble continuait de me brûler l'esprit, et une part de moi ne désirait rien d'autre que de revenir me blottir entre ses bras, dans son lit. Mais je voyais bien que Flavien avait l'esprit trop absorbé par la menace qui planait sur sa meute pour penser à autre chose. Je soupçonnais même douloureusement que j'étais passé au dernier rang de ses préoccupations.
Je soupirai, en posant mon front contre la fenêtre. Dehors, le soleil se couchait lentement, diffusant de longues traînées rougeâtres dans le ciel. Les nuits, encore glaciales à cette période de l'année, étaient des moments particulièrement critiques pour la meute. C'étaient les combattants les plus expérimentés qui patrouillaient aux frontières, de crainte que la sorcière n'attaque à la faveur de l'obscurité.
La prêtresse doutait pourtant que ce soit la stratégie de Mildred ; « C'est une sorcière rouge, les éléments cosmiques la touchent peu, à part la lune rouge. Elle tire sa puissance du sang qui coule – et plus encore, de celui qui ôte la vie. C'est son penchant pour les sacrifices sanglants que nous devons surtout redouter. »
Ymir passait de moins en moins de temps dans la maison de la meute. Elle était persuadée que c'était en sécurisant le puits de mana qu'elle pourrait repousser la sorcière, puisque cela lui permettrait de rediriger la magie de la source contre celle qui la traquait. Elle passait donc ses journées à sillonner le territoire, accompagnée d'une petite escorte, pour tenter de localiser le puits. Mais pour le moment, ses recherches n'avaient rien donné, et de plus en plus de monde doutait que sa quête aboutisse. En somme, un vent de défaitisme soufflait parmi nous.
C'était cette ambiance étouffante que j'avais fui en m'enfermant dans la bibliothèque. Pendant quelques heures, je voulais pouvoir oublier l'inquiétude ambiante et profiter calmement d'un bon livre.
Hélas pour moi, ma solitude fut rapidement interrompue par l'arrivée d'une personne que je n'avais jamais vue dans la bibliothèque. C'était Seth.
Ma première réaction fut de me tasser dans mon fauteuil en espérant qu'il ne me verrait pas. Mais au lieu de s'intéresser aux rayonnages, il se dirigea droit vers le coin lecture – droit vers moi, en fait. Je fermai les yeux en soupirant, espérant bêtement le faire disparaître. Mais quand je les rouvris, le loup était planté devant moi, dansant d'un pied sur l'autre avec une mine embarrassée.
« Quoi ? Demandais-je faiblement, espérant qu'il ne venait pas encore me chercher des ennuis.
– J'ai ça pour toi. » dit-il en me tendant un petit sac.
Je restai interdite, les yeux fixés sur le sachet que Seth me tendait à bout de bras. Ce dernier avait le visage écarlate et semblait désireux d'en finir au plus vite. Le souvenir de notre rencontre dans la forêt remonta en un éclair – c'était comme si nous la rejouions en inversant les rôles.
Un léger raclement de gorge me fit prendre conscience que je devais arrêter de le dévisager et faire quelque chose. Je pris donc le sac, à la fois inquiète et intriguée.
Il était rempli de... biscuits ?
« Ce sont des cookies au chocolat, précisa Seth. C'est un cadeau. Pour toi.
– Un cadeau ? Mais... pourquoi ?
– Et bien... Je crois que tout le monde sait que tu aimes le chocolat. J'étais aux cuisines avant qu'on se mette tous à patrouiller, et l'alpha a quand même demandé à ce qu'on refasse de la mousse au chocolat pour toi. Mais les cookies, ça se conserve mieux, alors je me suis dit que...
– Non, ce n'est pas ce que je demandais. Je voulais plutôt savoir pourquoi tu voulais me faire un cadeau ! »
Seth se frotta la nuque, gêné. Je ne me souvenais pas de l'avoir jamais vu aussi mal à l'aise. Il répondit avec l'air d'être en train de se jeter à l'eau.
« Je voulais te présenter des excuses, dit-il. Pour ce qui s'est passé le premier jour, et puis après aussi. J'ai vraiment été idiot, je regrette infiniment la façon dont je me suis comporté avec toi. Surtout que toi, tu n'as jamais... Enfin, tu aurais pu me rendre la pareille, et tu ne l'as jamais fait, au contraire. Tu m'as même sauvé la vie quand on traquait le loup solitaire, alors que je ne méritais même pas que tu lèves le petit doigt pour moi.
– Oh... »
Je ne savais pas quoi dire – vraiment pas. J'étais juste... touchée. C'était bien la première fois qu'une personne qui avait été injuste avec moi venait s'excuser, et je ressentis une étrange bouffée de chaleur dans ma poitrine.
« Je ne t'offre pas des gâteaux pour acheter ton pardon, hein... continua Seth en parlant de plus en plus vite. C'est juste que... enfin, je les ai préparé avec Milo, le cuisinier, et j'y ai passé du temps. C'était pour te montrer que ce ne sont pas juste des paroles en l'air, que j'étais sincère et que... »
Je me levai, abrégeant ses explications qui devenaient de plus en plus confuses. Sans même réfléchir à ce que je faisais, je pris les mains de Seth dans les miennes. Ses yeux s'agrandirent, et il cessa d'éviter mon regard. Cette fois, nous nous regardions droit dans les yeux.
« Je comprends, Seth, fis-je. Merci. »
Je marquai une légère pause, avant d'ajouter :
« Et, c'est un peu étrange de te dire ça aussi directement, mais... j'accepte tes excuses. Je te pardonne. »
Seth se détendit immédiatement. Son visage s'éclaira même d'un petit sourire, et il s'apprêta à dire autre chose, quand la porte de la bibliothèque s'ouvrit en grand.
« Qu'est-ce que tu fais là, toi ? » Demanda Flavien d'une voix dure.
Il fondit vers Seth d'un air menaçant, et ce dernier se raidit à nouveau.
« Je t'avais ordonné de laisser Mariposa tranquille, Seth, gronda-t-il.
– Tout va bien, Flavien, assurai-je aussitôt. Il ne me dérange pas du tout – on devait parler, c'est tout. »
L'alpha resta interdit un instant, son regard passant de Seth à moi en silence, jusqu'à se poser sur nos mains nouées. Ses yeux semblèrent lancer des éclairs, et Seth retira vivement sa main.
« Je... je vais y aller, dit-il. On s'est dit l'essentiel, de toute façon, non ? »
Il recula lentement, et Flavien vint aussitôt se poster derrière moi dans une attitude protectrice – j'étais certaine qu'il continuait de le foudroyer du regard.
« Oui, dis-je. On se voit plus tard si tu veux ?
– Parfait, très bien. Au revoir, alors, Mariposa. Alpha. »
Et il sortit en vitesse de la pièce, non sans avoir soigneusement fermé la porte derrière lui.
Je me tournai alors vers Flavien, qui adressait toujours un regard mauvais à la porte. Son expression mécontente fondit toutefois à la seconde où il remarqua que je l'observais.
« Tu l'as terrorisé ! protestai-je. Alors que c'est bien la première fois qu'il est sympa avec moi.
– Il ne t'a vraiment rien dit de déplacé ?
– Non, il m'a présenté des excuses. »
Flavien sembla se satisfaire de ma réponse.
« Bon, tant mieux. Je n'aurais pas toléré qu'il continue à te persécuter comme il le faisait.
– Seth a pas mal changé, ces derniers temps.
– Il peut remercier Myriam pour ça. Elle l'a remis sur les rails. »
Je soupirai, en posant mes paumes contre ses bras – je sentais la chaleur réconfortante de son corps à travers le tissu.
« C'est pour me parler de Seth que tu es là ?
– Non, évidemment que non. »
Un sourire sincère traversa son visage, et il se pencha pour m'embrasser.
Le contact de ses lèvres agit de la meilleure façon qui soit : aussitôt, j'oubliai les loups solitaires, l'ambiance tourmentée, la prêtresse et tout le reste. Il n'y avait plus que Flavien, et les sensations délicieuses que me procuraient ses baisers.
J'avais beau prétendre le contraire, il me manquait terriblement. C'était presque un supplice de le voir constamment sans jamais passer plus que quelques minutes en sa compagnie.
« Tu fais quelque chose, ce soir ? Demandai-je d'une voix légèrement rauque.
– J'ai toujours du travail, soupira-t-il. Et toi aussi tu vas être occupée, d'ailleurs.
– Comment ça ? »
Je sentis que ma bonne humeur était en train de s'évaporer.
« La prêtresse demande à te voir. Ça fait plusieurs jours qu'elle en parle, mais la recherche de la source lui prend trop de temps. Elle veut te parler seule à seule.
– À propos de quoi ?
– Des visions que la source t'a donné, j'imagine. Jusque là, elle se basait sur ce que nous lui avons rapporté, mais elle tient à entendre ta propre version des faits – et j'imagine qu'elle a raison. »
Flavien avait repris son expression sérieuse de chef de meute, même s'il continuait à caresser doucement mon dos. Je ne pouvais pas cacher que j'étais déçue, mais en même temps, on ne pouvait pas reprocher à un alpha de trop prendre son rôle à cœur. Il voulait protéger sa meute, c'était tout à son honneur.
« Très bien, fis-je. Allons voir la prêtresse, alors. »
***
Qu'est-ce que vous pensez du revirement de Seth ? Je me souviens qu'il y en avait parmi vous qui ne l'aimaient pas du tout : vous lui pardonnez ses errances passées, finalement ? Ou bien il restera toujours un morveux agaçant à vos yeux ?
Quoi qu'il en soit j'espère que ce chapitre vous a plu, et que vous êtes curieux.ses de la suite !
Merci pour votre lecture, vos votes et vos commentaires, et rendez-vous mercredi pour le chapitre 29 !
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