Publié le 18/08/2021

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Nous nous étions cinq loups parfaitement fondus dans le décors forestier, qui avancions lentement vers notre cible. À quelques mètres de nous, encore inconscient de notre présence, un loup solitaire cheminait sous forme humaine. Concentré, il gardait les yeux rivés au pendule qui vibrait légèrement au bout de sa chaîne.

Nos odeurs étaient dissimulées grâce à un breuvage offert par Ymir, la prêtresse, mais je savais malgré tout parfaitement où se trouvaient les miens. Derrière moi, il y avait Marvin, cleui qui était le plus éloigné du loup solitaire mais suivait exactement la même trajectoire. À ma gauche, je savais que Valentine était dissimulée par les fourrés. Et, un peu plus haut, précédant presque le loup solitaire, se trouvaient Seth et Lina. Petit à petit, nous avions réussi à encercler l'intrus.

Le pendule de ce dernier cessa tout à coup de vibrer, et il s'arrêta net.

Dissimulée derrière les branchages, je vis qu'il fronçait les sourcils d'un air contrarié. C'était un homme particulièrement grand, aux épaules larges et aux avant-bras musclés, apparemment âgé d'une quarantaine d'années. Il sembla hésiter un instant, avant de changer brusquement de trajectoire : ça, ce n'était pas prévu par le plan.

Aussitôt, Valentine jaillit des broussailles en montrant les dents, barrant ostensiblement le passage. La réaction de l'intrus fut immédiate : il passa vivement le pendule autour de son cou, et muta après avoir fait volte face, prêt à s'enfuir.

Sauf que l'instant d'après, c'était Seth qui sortait de sa cachette. Puis, quand le loup déboussolé tenta de rebrousser chemin, Marvin émergea à son tour pour lui couper la route.

J'ignore si le loup fut étonné de ces apparitions soudaines, mais il ne perdit pas de temps à montrer sa surprise. Il se contenta de détaler dans la seule direction encore libre, et la traque commença.

Nous nous engageâmes dans une course effrénée derrière le loup solitaire, qui mettait une énergie folle dans sa fuite. Mais s'il avançait à une vitesse impressionnante, nous connaissions mieux la forêt que lui, et surtout, nous étions plus entraînés à supporter de longues courses – au bout d'une trentaine de minutes, le loup se mit à ralentir imperceptiblement à cause de la fatigue.

Lina et Seth se rapprochaient lentement de lui, tandis que nous fermions le passage. Aucune issue ne lui resterait.

Il sembla s'en rendre compte en apercevant les deux loups devant lui – et contre toute attente, il hurla. Le son fut bref, mais suffisamment fort pour être entendu à plusieurs kilomètres de là.

Qu'est-ce qui lui prenait ? C'était le meilleur moyen de révéler sa présence à la meute qui le traquait.

Il ralentit encore, et l'étau que nous formions se resserra d'un nouveau cran. Nous avions déjà considérablement affaibli notre proie, et nous étions sur le point de la conduire à l'emplacement final de notre piège, quand un détail dévia mon attention.

Ce n'était qu'un bruit léger. Un simple craquement de branche. On aurait pu penser qu'il s'agissait des sons habituels de la forêt – qu'une bête, effrayée par le combat des loups, ait détallé bruyamment.

Mais je sentis que ce n'était pas ça. Je me figeai pour scruter l'origine du bruit dans les broussailles.

Et puis, tout se passa très vite.

L'ombre d'une mâchoire démesurée, la décharge électrique qui parcourut mes muscles, l'anticipation du choc, de la chaleur du sang et des hurlements de rage – tout cela condensé dans la même seconde.

Un deuxième loup solitaire errait dans nos forêts. Sans doute alerté par le cri de son allié, il accourait en renforts sur les lieux de notre affrontement, prêt à l'attaque. Et il avait surgi en un formidable bondissement, dirigé contre Seth. Il s'apprêtait à lui briser la nuque d'un coup, en le prenant par surprise, quand je me jetai de toute contre lui de toute mes forces.

Nos corps s'entrechoquèrent si brutalement que sa trajectoire dévia d'un bon mètre – mais ensuite, il dirigea sa rage contre moi et tenta de planter ses crocs dans mes flancs. Je l'évitait de peu, et, derrière moi, Seth grogna avant de se ruer à l'assaut du nouveau venu.

J'ignorais comment les autres se débrouillaient face au premier loup, mais celui-ci semblait encore plus fort. Beaucoup plus grand que la moyenne, il avait des gestes à la fois puissants et précis : même à deux contre un, il domina le combat. Plusieurs fois, je parvins à lui infliger des blessures, mais jamais sur ses points vitaux, qu'il protégeait admirablement. Mes morsures, dirigées contre ses pattes, ne gênaient en rien ses mouvements. À côté de moi, Seth se démenait de la même façon, sans plus d'effet.

Nous tentâmes de l'atteindre une fois, puis une seconde, et même une troisième – en vain. Il ne reculait pas, se fatiguait à peine, et ne laissait paraître aucun signe de fatigue. Au moment où je me demandai avec effroi si nous n'allions pas perdre ce combat, Marvin se joignit à notre assaut, renversant le rapport de force.

Une sorte d'étrange ballet se dessina rapidement. Chacun à notre tour, nous attaquions, ripostions, cherchions les ouvertures dans la défense de notre ennemi. Les attaques contre l'un étaient systématiquement parées par les deux autres, et la façon dont nous nous relayions permettait d'économiser de l'énergie – alors que le loup solitaire devait rester constamment au maximum de ses capacités. Le rythme accru de nos assauts devint insoutenable pour ce dernier, qui commença à reculer.

Encouragées par cet aveu de faiblesses, nous redoublâmes de vigueur, gagnant petit à petit du terrain. Jusqu'à l'instant final, celui que nous avions tous anticipé : une silhouette humaine jaillit brusquement du haut d'un arbre. Émira atterrit violemment contre l'intrus déboussolé. D'un geste implacable, elle saisit sa gueule ensanglantée qu'elle enserra d'une poigne de fer. Et la seconde d'après, elle abattit un tissu humide contre son museau.

Le loup se débattit vainement pendant quelques secondes, mais il finit par s'effondrer mollement contre le sol. Émira accompagna son mouvement en maintenant le linge contre lui, avant de relever la tête dans notre direction.

À peine essoufflée, elle nous adressa un sourire ravi.

« Vous voyez, quand je vous disais que c'était à plusieurs qu'on était le plus fort ! »

Marvin bomba le torse avec fierté, toujours sous forme lupine, et j'émis un un petit jappement de joie. Quand à Seth, il inclina respectueusement la tête vers Émira avant de repartir dans la forêt pour prêter main forte au reste du groupe.

J'observai le sentier qu'il avait emprunté avec des sentiments mêlés. Le jeune loup avait radicalement changé d'attitude depuis son bannissement temporaire.

C'était comme s'il avait laissé son arrogance dans la forêt, au profit d'une attitude étonnamment calme. Je supposai que ce changement était aussi dû aux enseignements de Myriam qui l'avait pris sous son aile depuis son retour. J'ignore pourquoi, mais il y avait quelque chose chez Seth qui avait touché ses instincts protecteurs, et elle lui consacrait presque autant d'attention que s'il avait été son fils. C'était une chance que tout le monde ne lui enviait pas, parce qu'il était connu que les méthodes éducatives de Myriam étaient rudes. Mais Seth s'était attaché à elle en retour, et il semblait quasiment boire ses paroles.

Tout cela facilitait grandement sa réintégration à la meute. En devenant à la fois plus calme et plus humble, Seth avait cessé de mécontenter son entourage. Progressivement, la plupart des loups attribuèrent même son mauvais comportement des premier temps à la fougue de la jeunesse qu'il était en train de perdre.

Il avait aussi perdu toute son agressivité à mon égard, et m'évitait le plus possible. Lorsque nous étions réunis quelque part malgré nous, il évitait soigneusement mon regard et faisait comme s'il ne me connaissait pas. Je ne savais pas trop quoi penser de cette attitude, mais dans le fond, je n'en demandais pas plus. Il suffisait qu'on me fiche la paix.

Alors que j'aidais Èmira et Marvin à ligoter notre captif, Lina émergea brusquement des bois. Elle était suivie par Valentine et Seth, et elle avait l'air très contrarié.

« Il nous a échappé, annonça-t-elle sombrement. Je ne comprends pas ce qui s'est passé, on allait l'avoir et puis... »

Sa phrase resta en suspens quand elle vit le loup endormi sur lequel Émira était assise.

« Oh, il y en avait bien un autre, alors ! Fit-elle, soulagée.

– Et oui ! Répondit triomphalement la bêta. Le plan a marché comme sur des roulettes, malgré ce petit imprévu. Le philtre sédatif de la prêtresse a parfaitement fonctionné. »

Elle regarda Valentine et Marvin effectuer quelques bonds de joie, un grand sourire aux lèvres, avant d'ajouter :

« On va enfin savoir ce que ces loups fabriquent ! »

*

Une petite heure plus tard, Seth et moi avions porté le corps endormi du loup jusque dans les cachots de la meute. Flavien, Myriam et la prêtresse Ymir nous y attendaient déjà. Aidés d'Émira qui nous avait précédé, nous nous empressâmes d'enchaîner l'intrus dans sa nouvelle geôle.

Ensuite, il ne lui fallut que quelques minutes pour se réveiller, comme le tissu soporifique avait été éloigné de son visage.

Il regarda autour de lui avec une expression perdue, et tenta de se relever. Les chaînes crissèrent et arrêtèrent son mouvement, mais il refusa de rester en place. Il se métamorphosa en loup et commença à se tortiller comme un dément, sans plus de succès. Ses entraves étaient assez résistantes pour retenir les assauts d'un loup.

Flavien sembla décider que le loup solitaire était maintenant parfaitement réveillé. Il s'approcha de lui d'un air menaçant, déployant la force écrasante de son aura autour de lui, et commença l'interrogatoire.

« Quel est ton nom, loup solitaire ? Demanda-t-il d'un voix dure.

– Libérez-moi ! »

Flavien répondit par un grondement menaçant, mais le loup solitaire n'en tint pas compte. Il continuait à lutter contre les chaînes.

« Je dois retourner auprès de ma maîtresse, libérez-moi !

– Ta maîtresse ? Répéta l'alpha. De qui parles-tu ? De la Luna de ta meute ?

– Je n'ai pas de meute, pas d'alpha, je n'obéis à aucun loup, fit-il compulsivement. Je dois retourner auprès de ma maîtresse ! »

J'échangeai un regard surpris avec Émira. Cette réponse était pour le moins inattendue. Le terme de maîtresse ne correspondait à rien dans le monde des loups, mais il était encore plus étonnant de l'entendre dans la bouche d'un loup solitaire. C'était tout de même censé être les êtres les plus insoumis de notre espèce.

Quant à son comportement, il me semblait étrangement déraisonnable. Il était évident que les chaînes n'allaient pas céder, alors pourquoi le loup solitaire continuait-il à tirer dessus, au lieu de répondre aux questions de ceux qui l'avaient emprisonné ?

« Comment s'appelle ta maîtresse, alors ? Répéta Flavien.

– La maîtresse !... La maîtresse exige mon retour ! Libérez-moi, je dois obéir à son appel. »

Le prisonnier se jeta en avant, pesant de tout son corps contre les chaînes. Celles-ci ne cédèrent évidemment pas, et elles commencèrent même à s'enfoncer dangereusement dans la peau de son cou. Cela semblait passablement douloureux, mais le loup restait apparemment insensible. Il roula des yeux, le corps parcouru de soubresauts, en répétant les mêmes paroles comme un possédé.

« La maîtresse m'appelle ! Libérez-moi, la maîtresse m'appelle ! »

Flavien se tourna vers la prêtresse, comme pour lui demander d'intervenir. Elle regardait le loup qui se débattait avec une expression dégoûtée, barrant son front de nouvelles rides.

« Je m'en doutais un peu, même si j'espérais me tromper, fit-elle entre ses dents. Votre loup solitaire a été possédé par une sorcière. De de ce que je vois, elle arrive à le maintenir en son pouvoir à une sacré distance. C'est pas bon pour nous, ça, parce que ça veut dire qu'elle est foutrement puissante.

– Vous savez lever ce genre de sort ? Demanda Flavien.

– On va essayer, fiston, on va essayer. »

L'alpha lui céda la place et elle vint se positionner devant l'intrus, qui continuait de s'égosiller, indifférent à ce qui se passait. Elle plaça un doigt sur chacune de ses tempes, ferma les yeux, et récita d'étranges paroles.

« L'eau file contre la terre et retourne à la source,

L'air traverse mes poumons et retourne à la source,

La terre foisonne haut et retourne à la source,

Le sort aussi,

File,

Souffle,

Croît,

Et retourne à la source. »

Une étrange vapeur s'éleva depuis le front du loup, filament après filament, au rythme de l'incantation. La prêtresse la répéta plusieurs fois, jusqu'à ce que ces formes pâles se soient toutes dissoutes dans les airs.

Elle rouvrit alors les yeux pour les planter dans ceux du loup, qui battit des paupières d'un air confus.

« Tu as repris tes esprits ?

– Je... Qu'est-ce qui s'est passé ? »

La prêtresse passa une main protectrice sur son front, avant de se tourner vers l'alpha.

« On peut défaire ses chaînes, il va nous dire ce qu'il sait, maintenant. » trancha-t-elle.

Puis elle se tourna vers le loup, qui hocha la tête d'un air las.

« Je vous dirai tout ce que je sais. » confirma-t-il.

*

Et effectivement, le loup parla sans opposer de résistance. Installé dans le bureau de l'alpha, une couverture sur les épaules et une infusion d'herbe entre les mains, il déroula toute son histoire d'une voix éraillée.

Il s'appelait Ibrahim, c'était l'enfant illégitime de l'ancien Alpha de la meute de l'Étoile polaire, et il avait été banni de sa meute le jour de ses dix-huit ans. L'alpha en avait décidé ainsi pour lui retirer tout droit de succession. Depuis, il avait vécu dans une cité humaine, parfaitement assimilé au reste de la population, et en se tenant à bonne distance du monde occulte. Du moins, jusqu'à ce qu'il fasse la rencontre d'une sorcière.

« Je ne sais pas comment elle m'a trouvé, dit-il, mais un jour une femme étrange est venue dans ma boutique. Elle disait qu'elle avait un travail très particulier à me demander et elle a exigé qu'on en parle en privé, dans mon bureau. Sauf que dés que la porte s'est fermée, au lieu de me parler, elle a sorti une dague pour s'entailler la main. Le sang a coulé, et... elle a dû dire quelque chose, je ne sais pas quoi, mais j'ai vu un flash de lumière rouge et ça a été fini. J'étais comme vous m'avez trouvé, hypnotisé.

– À quoi ressemblait cette femme ? Demanda Myriam, un carnet de note à la main.

– Elle était grande, très grande. Avec des cheveux noirs et gris, et des lèvres toujours très rouges.

– Et son nom ? Vous le savez ?

– Mildred. Mildred l'écarlate. »

La prêtresse laissa échapper une exclamation contrariée.

« Vous savez qui c'est ? Demanda Émira.

– Une sorcière rouge, particulièrement mauvaise. Elle a été exclue de son coven il y a moins d'un an, parce qu'elle menait des expériences interdites avec la magie du sang. J'imagine que ça a dû l'aiguillonner dans ses envies de conquêtes.

– Elle perd en puissance, depuis qu'elle n'est plus connectée à un coven, confirma Ibrahim. Elle s'en est plaint souvent, et c'était pour ça qu'elle recrutait de plus en plus de loups solitaires à son service. Elle voulait absolument trouver une nouvelle source de pouvoir.

– Le puits de mana ?

– Elle appelait ça une source primordiale, c'est peut être la même chose ? En tout cas elle a hypnotisé autant de loups qu'elle a pu pour nous envoyer chercher sa source avec des pendules. »

Un silence lourd flottait dans la pièce, tandis que les pièces du puzzle se mettaient en place. C'était donc pour ça que les loups solitaires se mettaient à agir si bizarrement : ils étaient sous l'influence d'une sorcière qui se servait d'eux pour explorer notre territoire.

« Comment procédait-elle ? Demanda Myriam de son ton implacable. Est-ce qu'elle a des points faibles ? Des ressources indispensables ?

– Je... je ne me souviens pas, fit le loup en secouant la tête. Je n'étais pas dans mon état normal, les souvenirs sont flous. Et puis la sorcière ne nous parlait pas beaucoup, elle nous traitait comme des outils. On dormait dans la forêt, assez loin de chez elle, et elle venait régulièrement ouvrir des failles dans les protections de vos frontières. On devait s'infiltrer avec un pendule et suivre l'itinéraire qu'elle nous avait attribué, puis faire un rapport à notre retour. Le reste du temps, on était seuls.

– Ce sont de précieuses informations, fit la prêtresse, nous t'en remercions.

– Est-ce que vous allez me garder prisonnier ici ? »

La question était adressée à Flavien, qui avait tout écouté en silence, le bras croisés contre le torse. Son visage était fermé, mais il se contenta de secouer la tête.

« Je ne vois pas pourquoi on ferait ça. Tout ce que je te demande, c'est de rester ici jusqu'à ce qu'on ait arrêté la sorcière – je n'aimerais pas qu'elle te mette la main dessus une seconde fois. Quand tout sera rentré à la normale, personne ne devrait s'opposer à ton départ. Te n'es pas responsable de ce que la sorcière t'a forcé à faire sous hypnose. »

Les épaules du loup s'abaissèrent en signe de soulagement.

« Merci. Vous savez, cette femme... j'espère ne plus jamais la revoir. Elle est vraiment terrifiante.

– Oh, ça, je n'en doute pas une seconde, fit la prêtresse. »

Personne, dans la pièce, n'eut envie de la contredire.

***

Je vous avais promis de l'action, n'est-ce pas ?

Qu'est-ce que vous avez pensé du chapitre ? Les loups du Pin d'Airain ont progressé, et pas seulement dans l'art de combattre. Pour vous, qui a fait la plus belle progression ? Mariposa a clairement gagné en assurance, mais Seth a aussi bien changé.

Je ne vous demande pas vos pronostiques pour la suite de l'histoire, il y en a ici qui devinent tout, vous êtes trop fort.es ! Je me contente de vous remercier de votre lecture et de vous donner rendez-vous dimanche pour la suite !