Chapitre 23
Publié le 23/07/21
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« J'étais abasourdi, et je ne pouvais pas croire à ce que je venais d'entendre. Sans un instant d'hésitation, j'ai couru vers Chiara, convaincu de parvenir à apaiser sa fureur – en dépit de toutes les apparences, elle ne pouvait pas être la responsable de ces morts. Il y avait forcément une explication à tout ça, qu'elle me donnerait à la seconde où elle aurait retrouvé la raison.
« Chiara ! M'époumonai-je, Chiara, qu'est-ce qui se passe ? Je suis là, je suis encore en vie ! »
« Elle m'a lancé un regard de possédée, comme si ma présence était la seule chose qui pouvait encore l'effrayer – et puis, sans un mot, elle a lancé une de ses dagues en ma direction. L'arme se ficha profondément entre mes côtes, et la louve profita de ce que j'avais posé un genoux à terre, le souffle coupé, pour invectiver ses complices.
« Flavien est un traître ! Hurla-t-elle. Il a planifié la mort de tous ceux qui s'opposeraient à lui ! Tuez-le avant qu'il ne massacre sa propre meute !
« – Mort au Tyran ! »
« Je fus ébranlé par les pires sentiments qui soient – mon âme-sœur, la femme que j'aimais et en qui j'avais le plus confiance au monde, venait d'appeler ma propre meute à me tuer. C'était comme une chute vertigineuse. J'avais perdu le lien le plus important au monde, et c'est comme s'il emportait tous les autres avec lui, comme si mon humanité venait de s'effondrer en rompant tous mes attachements.
« Il ne restait plus qu'une chose : la puissance animale de mon loup, encore conscient de ce qui l'unissait à la meute. Je venais de devenir l'alpha d'une communauté prise dans un intolérable combat fratricide : la colère me submergea. J'entrai dans un état de fureur totale, inconsciente d'elle-même, assoiffée de sang et de vengeance. Le loup l'emportait sur l'homme et se jeta comme un possédé dans le combat.
« J'avais atteint l'état mythique de berserker, d'homme-loup quasiment indestructible, qui ne connaissait plus ni souffrance ni remords – j'étais au-delà de toute humanité.
« Et je me jetai dans la bataille avec une implacable résolution, massacrant tous ceux qui osaient se dresser devant moi. Je traversai la mêlée au pas de course en répandant des rivières de sang, broyant la nuque de mes ennemis d'une seule main, rompant des os à chaque geste, arrachant des yeux, brisant des mâchoires.
« Le lien de la meute n'était pas mort, et mon état se diffusa à travers lui. Il atteint tous ceux qui ne m'avaient pas trahi et combattaient à mes côtés. Ma fureur les renforçait, et ils étaient encore nombreux.
« Chiara avait sans doute espéré que le combat prenne fin après la mort des autres alphas : elle aurait alors eu les moyens de faire plier la meute grâce à sa propre autorité, même si les pouvoirs d'alpha avaient besoin de l'investiture d'un prêtre pour atteindre leur plein potentiel. Elle n'avait pas prévu que je me relève, et il était clair qu'elle croyait m'avoir tué. C'est pour ça que j'avais été jeté sans égard au fond d'une cave, sans même une entrave pour me retenir dans la maison en feu. Mais la dose de poison qu'elle m'avait administré n'avait pas été suffisante – j'avais la constitution robuste des guerriers, et mes capacités de régénérations dépassaient largement la moyenne des loups.
« Notre affrontement marqua l'issue de ce combat effroyable. Elle se jeta contre moi sans une hésitation, apparemment indifférente au lien d'âme sœur, même s'il amplifiait dramatiquement la douleur de chacun de nos coups. Mais c'était comme si la souffrance infernale qui ravageait mes nerfs me rendait aussi plus puissant, et j'ai remporté la bataille dans un brouillard horrifique. Je n'avais pourtant rien manqué de tout ce que je lui infligeais : j'avais perçu la douleur des poumons qui se vident, celle des côtes qui se brisent, et la brûlure irradiante qui lui fit perdre connaissance.
« Et c'est ainsi que nous avions remporté la bataille, au prix d'un véritable bain de sang.
« Ensuite, il fallut rapidement décider du sort des rares survivants, parmi lesquels se trouvait ma compagne.
« Toute la meute vota leur condamnation à mort, et j'insistai pour les exécuter moi-même, par ordre de culpabilité croissante, de sorte que Chiara puisse voir chacun de ses complice expirer sous ses yeux. Je voulais qu'elle soit témoin de leur supplice, et qu'elle anticipe le sien dans chacun de leurs cris. Je voulais lui faire payer sa trahison de la façon la plus violente qui soit.
« C'est comme ça que j'en suis arrivé à faire ce que tu as vu. J'ai tué mon âme-sœur d'une manière volontairement cruelle, en lui ôtant tous ses membres les uns après les autres.
« Elle... elle n'a essayé ni de s'expliquer, ni d'implorer ma grâce. Elle était résignée, comme si elle savait dés le début comment elle finirait. Sa mort fut le dernier coup qu'elle m'infligea, parce que la destruction de notre lien me plongea dans un étant de douleur indescriptible. Mais c'était une peine que nous méritions tous les deux, et à laquelle je n'aurais pas voulu me soustraire... »
La voix de Flavien mourut. Il avait terminé son récit avec des mots très durs, mais il tremblait d'émotion. Ses yeux brillaient même légèrement dans le clair-obscur de la pièce, et je me rendis tout à coup compte que j'avais retenu ma respiration après ses derniers mots.
Je repris mon souffle. Ce récit était choquant, et en même temps je ne pouvais pas m'empêcher d'être rassurée – l'âme-sœur de Flavien avait été condamnée à mort. Ce n'était pas un meurtre commandé par l'égoïsme ou la cruauté, c'était le sort que toutes les meutes réservaient aux traîtres.
Les rumeurs me revinrent à l'esprit. Le jour de notre arrivée, Seth avait rappelé à tout le monde l'histoire selon laquelle Flavien avait massacré toute la meute des Mille Marais. Je commençais à voir le fond de vérité qu'il y avait derrière tout ça.
« Et sa meute ? » demandai-je.
L'alpha tressaillit, comme s'il ne pensait plus m'entendre parler.
« La meute de Chiara ? Demanda-t-il.
– Oui, tu m'as dit que son frère combattait avec elle. C'était l'Alpha des Mille Marais, n'est-ce pas ? »
Il hocha la tête, et je remarquai un imperceptible relâchement de ses épaules. Est-ce qu'il avait craint que je me rue hors d'ici après son récit ? Je ne l'avais jamais vu nerveux comme ça.
Mais pour une fois qu'on acceptait de me parler du passé, je voulais tout savoir et tout comprendre.
« Matteo était venu combattre avec elle, en effet, dit Flavien, il est mort pendant la bataille. Il avait amené plusieurs de ses guerriers avec lui, mais ni son père ni son épouse. Ce sont eux qui ont assuré le gouvernement des Mille Marais après sa mort, et qui ont du négocier la paix avec la Vallée aux Esprits.
– Vous leur aviez déclaré la guerre ?
– Il nous ont envahi, ça valait pour déclaration de guerre, rappela Flavien avec un rire sans joie. Et ici, tout le monde était trop furieux pour accepter un simple cesser le feu. Leur meute était déjà affaiblie par la perte de son mâle alpha et de ses guerriers, elle ne voulait pas enchaîner avec une longue guerre, donc ils nous ont offert des terres. C'est tout le nord de notre territoire actuel. »
Je comprenais mieux pourquoi la Vallée aux Esprits avait un territoire si vaste : c'était une prise de guerre. Beaucoup de choses prenaient sens, en réalité : le fait qu'une génération d'adulte semble manquer, les réactions de frayeur face à la violence, le malaise quand il s'agissait d'évoquer le passé. Même le fait que la maison de la meute soit si neuve s'expliquait, puisque l'ancienne avait été incendiée. Tout découlait de cette traumatisante guerre civile.
Flavien semblait être arrivé silencieusement aux mêmes conclusions que moi.
« Nous avons tous été très affecté par la révolte de Chiara, reprit-il. J'ai été effondré après tout ça, je ne voulais plus de luna, et j'ai failli refuser le titre d'alpha. Si le pouvoir pouvait corrompre à ce point, je ne voulais m'en tenir le plus éloigné possible.
– Et qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
– Il n'y avait que moi pour hériter en ligne directe. Comme je n'avais pas d'oncle, de tante ou de cousin encore en vie, il aurait fallu désigner quelqu'un sans légitimité familiale. Le risque de conflit autour de ma succession était grand, et nous avions tous besoin d'union. Un compromis a été trouvé en répartissant mieux le pouvoir dans la meute, mais ça, tu as dû le remarquer. »
Je hochai la tête en signe d'approbation. Ici, l'alpha n'avait pas le pouvoir d'imposer ses décisions. Tout devait être voté par l'assemblée de la meute, et les bêtas pouvaient le remplacer dans ses fonctions. Comme tous les loups du Pin d'airain, j'avais d'abord trouvé ça étrange. Mais avec le temps, j'avais compris que cette répartition du pouvoir n'était pas sans effet sur l'ambiance si tolérante de la Vallée aux esprits. Ici, la hiérarchie n'avait pas le caractère sacré et rigide qu'elle revêtait dans la plupart des meutes, et c'était extrêmement appréciable.
Flavien et moi échangeâmes un long regard, qui provoqua quelque chose d'étrange au fond de mon ventre. À cet instant j'avais l'impression d'arriver à le comprendre sans parler.
« Merci de m'avoir raconté tout ça, fis-je doucement. Je sais à quel point certains sujets sont durs à aborder. »
Je jetai un coup d'œil à l'horloge.
« Je devrais te laisser, maintenant, ajoutai-je. Il est presque minuit... »
Alors que j'étais en train de me lever, Flavien me retint doucement par le poignet.
« Où vas-tu ? Demanda-t-il dans un souffle.
– Je... je vais me coucher.
– On ne devrait pas pas clore cette discussion aussi vite, Mariposa. »
Je ne pus m'empêcher de hausser les sourcils.
« Je comprends parfaitement ma vision maintenant, objectai-je.
– Je me fiche de cette vision. Ce n'est pas du tout pour ça que je t'ai parlé de Chiara.
– Et pourquoi, alors ? »
Le regard de Flavien prit un éclat étrange. Il se rapprocha de moi pour se saisi de mon deuxième poignet, avant de planter ses yeux dans les miens. Mon cœur manqua un battement.
« Je voulais que tu saches que je n'ai plus d'âme sœur. Que je ne serai jamais tenté de tout abandonner sur un coup du sort. Et que ce n'est pas parce que je refuse de désigner une nouvelle Luna que je ne peux aimer personne.
– Ah, c'est... bien ? » Bredouillai-je.
Je me maudis moi-même de manquer autant de répartie. Mais plus je regardais les yeux de Flavien, et moins j'arrivais à réfléchir. Des vapeurs brûlantes montaient dans ma gorge jusqu'à ce que mon cerveau ne soit plus capable de réfléchir correctement, et que tout se mélange.
La mise en garde de Lina, qui craignait qu'il me prenne pour compagne en attendant son âme-sœur. Ses paroles, à la bibliothèque. « Je pense souvent à toi, Mariposa. Très très souvent. » Son air joyeux, la fois où je m'étais réveillée serrée contre lui. La façon dont il déposait son odeur contre moi. Le tracé circulaire de son pouce sur le dos de ma main. Notre combat dans la forêt. Son regard, rivé au mien, et mon impression d'être sur le point de rentrer en combustion spontanée.
« Tu n'as plus d'âme-sœur, répétais-je bêtement. Comme moi.
– Je suis libre d'aimer absolument qui je veux, confirma-t-il. La déesse Lune n'a plus de droit sur moi. »
Est-ce que je me faisais des idées ? Est-ce que je prenais mes désirs pour des réalités ? Est-ce que Flavien était vraiment en train de me dire ce que je croyais ?
Je battis des paupières, avec l'impression de planer au dessus du sol.
« Pourquoi tu me dis ça ? »
Flavien m'adressa un sourire déstabilisant, à moitié tendre et à moitié moqueur.
« Si tu me poses encore une fois cette question, je ne réponds plus de moi. »
Je répondis presque par jeu. Par curiosité – pour voir si j'avais bien compris.
« Pourquoi ? »
Il éclata de rire.
Et puis, je ne saurais dire comment, mais l'instant d'après nos lèvres s'étaient rejointes.
Il m'embrassait avec un élan étourdissant, ses deux mains contre ma nuque, plaquant son corps contre le mien – et je rendais son baiser avec toute l'ardeur dont j'étais capable.
***
Comme promis, l'update est arrivé en avance, et j'ai dans l'idée que ce chapitre devrait pas mal vous plaire ! Qu'est-ce que vous en avez pensé ?
Je sais que j'ai fait traîner l'histoire un bon moment avant de laisser Mariposa et Flavien s'embrasser, mais franchement, est-ce que ce n'est pas meilleur comme ça ?
Dans tous les cas, on se retrouve très bientôt pour la suite, et je vous remercie encore pour votre lecture, vos commentaires, vos votes et vos tentatives réussies de corruption !
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