CHAPITRE 51
Quatre mois plus tard…
En douceur le golfsteam finit sa course sur l’une des pistes de l’aéroport, et plus tard la passerelle fut abaissée pour laisser descendre les rares passagers en son sein. Sa fille tenue tout contre lui, Antonio posa les pieds sur le sol anglais dont le ciel était comme toujours aussi couvert et l’air aussi lourd. Il n’aimait pas particulièrement cette contrée, mais en aimer une de ces citoyennes avait un temps sois peu changé sa décision.
— C’est ici que ta mère est née, dit-il à Blue qui avait maintenant un an.
La petite fille aux belles et opulentes boucles blondes releva la tête de l’épaule de son père et parcourut les lieux de son regard au bleu parfait, avant de reposer sa tête où elle était, et de porter son pouce à sa petite bouche aux lèvres roses, nullement intéressée.
— Toi aussi tu n’es pas ébloui par ce beau ciel aussi sombrement vêtu ? rit-il doucement en posant les lèvres sur sa tête, tandis que Blue tenait fort contre elle la poupée faite sur mesure pour elle, doté de tous les traits physiques de sa mère.
— J’ai dit la même chose à ta mère une fois et elle a bien failli m’étrangler, poursuivit-il en installant Blue sur son siège auto. Il vérifia la ceinture de sécurité une dernière fois, l’embrassa, et fit le tour de la voiture pour se mettre sur le siège passager à côté du sien. Pendant que lui lisait une dernière fois les informations qu’il avait du centre dans lequel ils devaient se rendre tous les deux, Blue, elle, passait ses petits doigts potelés sur les images colorées de son livre. Venir ici, il ne l’aurait fait et encore moins avec sa fille si ce n’était pas Rainbow qui avait suivi et assuré la seconde vie des lieux. Ce projet tenait à cœur à sa mère, et il se devait de lui présenter sa mère à travers ce qu’elle faisait, à défaut qu’elle la voit en vrai. Il referma les yeux par réflexe, et le visage de son ange se présenta à lui, il revoyait ses beaux yeux, il entendait son magnifique rire cristallin. Jamais il ne l’oublierait, jamais il ne pourrait passer à autre chose, c’était elle ou rien.
— Maman ! gazouilla Blue.
Et comme à chaque fois, Antonio se sentit mal. C’est ainsi qu’elle l’appelait depuis qu’elle savait parler, ou du moins depuis qu’elle apprenait à le faire. Ça avait été son premier mot, et ce jour-là, dans la cuisine où ils se trouvaient, elle sur le sol, et lui à préparer son repas, Antonio avait cru que son cœur exploserait de joie, mais également de honte, et depuis lors, c’était ainsi qu’elle l’appelait, maman, probablement pour le punir, pour lui rappeler ce qu’il avait fait à sa mère. Alors il avait porté sa croix, il ne l’avait jamais corrigé. Les larmes aux yeux, il avait acquiescé, elle l’appellerait papa quand le moment viendra, quand il le méritera.
Avec un sourire vrai en dépit d’un cœur qui souffrait et se réjouissait à la fois, Antonio rouvrit les yeux et les posa sur son enfant, Boo, comme cette dernière aimait le dire à Kyle toutes les fois où il lui demandait son prénom, étonnant tout le monde. Elle était précoce pour son âge, déjà un an et chaque jour qui passait exacerbaient cette ressemblance.
- Oui, il mio cara ?
Son petit cœur inclina la tête sur le côté et partit dans un rire innocent qui le fit rire. Il posa ses lèvres sur ses cheveux au blond soigneux, inspira son odeur propre.
— Moi aussi je t’aime. Tu sais toujours comment aider papa à se lever chaque matin, confessa-t-il les lèvres sur les tempes de l’enfant.
Il se redressa, et elle le fixait, puis très vite son regard expressif alla sur la gauche d’Antonio, le détailla le vide, et rit. C’était dans pareil moment qu’Antonio rêvait de voir ce que ses yeux d’enfant regardaient toujours avec tant de vie.
— Maman, refit l’enfant en montrant cette fois-ci la poupée qui ne la quittait jamais.
Antonio la prit avec délicatesse.
— Oui, maman. Elle aussi avait tout comme toi le pouvoir d’éclairer mon ciel. Et je prie le Ciel de m’épargner le jour où j’aurais à te dire la vérité, de m’épargner la haine qui brillerait alors dans ton regard si semblable au sien.
Doucement, le véhicule quitta la route et emprunta le chemin privé menant au centre médical Second life, puis stationna devant l’entrée principale d’où les attendaient un groupe de quatre personnes. Antonio descendit, et ouvrit la deuxième portière côté passager pour récupérer sa fillette. Il referma d’abord le petit manteau rouge foncé qui protégeait son petit corps d’enfant, ajusta sa petite jupe en cachemire dont le noir contrastait avec le blanc des bas en coton qu’elle portait, et s’assura qu’elle avait bien à ses côtés sa poupée favorite.
— Monsieur Grimaldi salua en premier la seule femme du trio avec un sourire professionnel. C’est un honneur pour nous de vous recevoir. Je suis Ellen Riley, directrice des recherches médicales.
Il prit sa petite main dont la poigne était ferme. Svelte et élancée, elle cachait derrière ses lunettes un regard que n’importe qui pouvait juger d’intelligent. Et dans ce groupe de trois, il était indéniable que la plus importante, c’était elle, tout ce qui se passait ici était basé sur son travail à elle. Sans elle, pas de centre, pourtant, ce fut avec humilité qu’elle introduisit les deux autres hommes, respectivement président du conseil d’administration, et directeur du centre.
Avec le même sourire, Ellen Riley tourna son visage vers l’enfant sur l’épaule d’Antonio, et son sourire se figea un instant tandis qu’elle détaillait ardemment l’enfant, au point d’attirer sur elle les regards de tous.
— Elle c’est ma fille, Blue.
— Veuillez me pardonner, Monsieur Grimaldi, elle a un visage fascinant, s’excusa Ellen, et Antonio se détendit. Il était habitué à ces compliments que recevait Blue à chaque fois qu’on regardait son visage d’enfant de plus près. Un ange, la qualifiait-on, avec un regard au bleu si parfait, sur un visage poupon à la sublime innocence, avec une tête auréolée de boucles au blond pur. Sous toute cette attention, Blue cacha son visage au creux de l’épaule de son père, en serrant plus fort contre elle sa poupée aux cheveux tout aussi blonds que les siens.
— Alors il est maintenant certain qu’elle a pris tous les traits de sa magnifique mère, plaisanta-t-il.
Le groupe parti dans un petit rire en ouvrant le chemin à Antonio.
— Vous n’avez pas idée à quel point vos financements on beaucoup aider ce centre, lança Henry Pull, président du conseil d’administration, mais Antonio n’écoutait que distraitement. D’un regard critique, il détailla les lieux, et cet endroit, avec ces grands jardins et ces pièces à la chaleureuse boiserie, avait plus l’air d’un centre de repos, qu’un centre de recherche médicale sur le coma, et la manière dont l’esprit humain, y réagissait. Antonio n’avait jamais su pourquoi Rainbow tenait tant à ce lieu qui a particulièrement reçu plus de dons que les autres. Un important financement qui avait permis de remettre à neuf les constructions, mais aussi tout le matériel médical. L’esprit humain restait un mystère que le corps médical n’était pas prêt à percer pour le moment, et ce mystère devenait plus épais une fois plongé dans le coma. Et la plupart des patients de ce centre y étaient perdus depuis des mois voire des années pour d’autres.
Le corps était entretenu au travers de divers massage thérapeutique, leur cerveau sans cesse étudié étaient stimulés pour comprendre comment un corps pouvait se mettre de la sorte en état de veille, sans être mort, ni en vie, et mieux encore, pourquoi et comment décidait-il de mettre fin à cette période de veille. Il avait lu toutes ces choses dans les documentations de Rainbow. Encore une question qu’il ne pourrait lui poser. Son bras fatigué de porter Blue, Antonio la fit passer sur son épaule gauche, et ce fut là qu’il remarqua que la Dr Ellen Riley n’avait pas quitté des yeux le visage de l’enfant, avec dans les yeux, une lueur vive d’intérêt. Elle détourna immédiatement la tête.
En silence, le groupe de trois se retrouva devant l’ascenseur.
— Pardon de devoir écourter ma présence, mais je suis instamment appelée ailleurs, parla Ellen en regardant son biper qui venait de sonner.
— Faites donc, approuva Henry légèrement contrarié de laisser partir la seule pouvant au mieux expliquer ce qui se passait dans le centre.
— Je vous rejoindrai au plus vite. Monsieur Grimaldi, salua-t-elle avant de tourner les talons.
Antonio se retourna pour la regarder, et Blue se redressa pour en faire de même, et au moment où Ellen voulut tourner sur sa gauche, elle se retourna une dernière fois, et une fois encore, son regard se posa sur Blue. Elle avait été certes bipée ailleurs, mais il était également indéniable qu’elle fuyait le duo père enfant.
Quelque chose n’allait pas.
— Veuillez me pardonner, mais j’ai un important coup de fil à passer. Je saurai retrouver votre bureau, conclut Antonio en tourna dans la foulée les talons, sous le regard perdu des deux hommes que les portes de l’ascenseur enfermaient. À pas vifs, Antonio prit le chemin jadis emprunté par le Dr Riley. Sur sa gauche, il suivit le long couloir, parvint à l’intersection, et là, il ne sut s’il devait aller à gauche ou à droite. Une voix dans son cœur lui souffla une direction, alors il partit à droite. Au bout de quatre mètres, il fut stoppé dans sa marche par la sortie impromptue du Dr Ellen de l’une des pièces.
— Monsieur Grimaldi ? S’étonna-t-elle en refermant distraitement la porte, mais avant, Antonio distingua un enfant allongé sur le lit d’hôpital, avec sa mère lui tenant le bras en lui lisant une histoire, le petit prince, reconnut-il à la couverture.
— Les personnes dans le coma entendent lorsqu’on leur parle, alors le plus souvent possible on encourage ces moments qui sont à la fois salvateurs pour le patient, comme pour la famille qui arrive durant un instant à oublier l’absence, expliqua Ellen. Alors, que puis-je faire pour vous ? Vous vous êtes perdu ?
— Non, pas vraiment, je vous cherchais.
— Ah oui, et que puis-je pour vous ?
Au même moment Blue laissa tomber par mégarde sa poupée, que le Dr Ellen s’empressa de prendre. Et une fois l’objet en main, elle ne put s’empêcher d’également fixer la poupée.
— Comme c’est étrange, marmonna-t-elle d’une voix sérieuse.
Blue tendit sa petite main vers son jouet, et Ellen le lui remit.
— Qu’est-ce qui est étrange ?
— La poupée, elle ressemble énormément à l’enfant, mais le plus curieux, ce jouet a également tous les traits d’une jeune femme que je connais.
Le cœur d’Antonio rata une marche.
Connaissait-elle Rainbow ?
— Qui ?
Sa voix, impérieuse brisa le silence, et Ellen le regarda sans comprendre pareille ton, mais au bout d’une seconde, elle parla en priant silencieusement Antonio de la suivre.
— Nous étions rattachés à un centre hospitalier, mais les recherches coutent cher, et ceux que nous faisons ne sont pas suffisamment rentables pour un hôpital qui vit seulement en fonction du chiffre d’affaires, alors nos subventions ont été coupées. Et le jour où cela est arrivé, au sortir de la réunion ratifiant pareille décision, je suis tombé sur un homme fort étrange, mais passons, cet homme avait sa fille adoptive qui après un accident était tombée dans le coma depuis deux ans, et il voulait l’intégrer à notre programme, mais hélas, cela était trop tard. Autour d’un café, je lui racontai l’objet de ma récente réunion, et il ne parut nullement surpris de savoir qu’on fermerait boutique, au contraire. Sur les champs, il fit sortir son chéquier, et remplie en mon nom un chèque de vingt millions de livres. Je lui avais alors demandé pourquoi tant de confiance, après tout, je pouvais bien disparaitre avec cet argent, le chèque était à mon nom. Mais il sourit chaleureusement, et me répondit : je ne vous en empêcherai pas. Puis, il se leva, ne me demandant rien d’autre que de bien vouloir accepter sa fille comme première patiente. Six mois plus tard, Second Life ouvraient ses portes, et comme promis, sa fille fut la première patiente, et plus de onze années plus tard, elle est la plus ancienne de nos patients, ou plutôt, elle était la plus ancienne de nos patients. Au début, son père venait très souvent, mais un jour il a appelé pour nous signifier qu’il devait quitter le pays, et qu’il nous confiait sa fille, mais qu’il ne s’inquiétait pas, elle n’avait plus besoin de lui, mais seulement de nos machines pour tenir le temps nécessaire pour l’accomplissement de ce qui devait arriver. Étrange n’est-ce pas ?
Antonio resta muet un instant.
— Elle est morte ?
Ellen sourit.
— Non, elle a plutôt justifié le nom de ces lieux.
Tous les deux avec sa fille dans ses bras, ils tournèrent sur leur gauche, et marchèrent au-devant d’une porte en verre qui laissait voir de l’autre côté un verdoyant jardin à la pelouse et aux haies parfaitement taillées.
— Elle était en mort cérébrale depuis toutes ces années, tous mes confrères affirmaient que c’était un corps sans aucune vie à l’intérieur, il n’y avait aucun espoir, il suffisait d’attendre que nos machines ne puissent plus maintenir le battement de son cœur, puis il y’a quatre mois, elle s’est réveillée contre toute attente, comme si le souffle de vie avait trouvé un chemin jusqu’à son corps. Une chose vraiment rare, treize années de coma profond interrompu, et à son réveil, c’était comme si elle n’avait fait que dormir. Son tonus musculaire était bon, très même, compte tenu de tout ce temps d’immobilité. Elle savait parler, ses facultés de réflexions étaient les mêmes qu’une jeune femme de vingt-trois ans, tout était on ne peut plus normal.
— Quand ?
— Je vous l’ai déjà dit, il y’a quatre mois.
— Quand exactement, il y’a quatre mois ?
Ellen réfléchit.
— Le 21 du mois, précisa-t-elle, et Antonio chancelèrent.
Le corps engourdi, et pâle tel un linge, il dû déposer Blue sur le sol. Debout sur ses baskets blanches, et agrippé à la jambe de son père, l’enfant leva ses yeux vers son père. Ellen s’empressa de poser une main sur l’épaule d’Antonio.
— Vous allez bien ? Vous devriez vous asseoir.
Elle ouvrit les portes coulissantes de verre pour que l’air frais se pose sur son visage, mais Antonio ne sentait pas tout ce vent humide. Le ciel de plus en plus sombre laissait présager une pluie.
Ça ne se pouvait.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— Elle ne parle que très peu, et lorsqu’on lui a demandé son nom, elle ne nous a pas répondu. Son père non plus ne nous avait pas donné son prénom, seulement son nom de famille, il disait que le moment venu, elle nous dirait elle-même comment elle se prénommait. Mais même à son réveil, lorsqu’on lui avait demandé, elle n’avait rien dit. Elle ne réagissait à rien, si ce n’était au bruit de l’eau, plus précisément l’eau de pluie. Elle restait des heures à regarder la pluie tomber, alors nous l’avons baptisé Rain.
Antonio blêmit, tandis que son cœur courait à une vitesse effrayante.
— Et Rain ressemble beaucoup à ma fille ? murmura-t-il la gorge nouée.
— Monsieur Grimaldi, vous devriez vraiment vous asseoir, vous avez l’air mal en point.
— Répondez-moi, Blue est-elle la ressemblance de cette Rain.
Ellen pinça les lèvres, agacée devant l’air buté d’Antonio qui refusait de trouver de quoi s’asseoir.
— Oui, en plus jeune, mais oui.
— Et la poupée ?
— En tout point semblable, répondit Ellen. Et le plus étrange, c’est qu’il y’a un an, et même perdu dans un coma profond, son corps à commencer à produire du lait maternel. Un dérèglement qui ne s’explique pas. Une cicatrice sur son torse est apparue, et les analyses sanguines ont changé. C’est comme si c’était la même personne, mais tout prouve que non. Son ADN à changé, des cicatrices qui apparaissent, le lait maternel, et même la couleur de ses yeux à évoluée. Comme je vous l’ai dit si nous ne l’avions pas ici depuis des années, j’aurais pu jurer que le corps de la femme que nous avions dans le coma a été échangé par celui de sa sœur jumelle, car scientifiquement parlant, cette jeune femme n’a absolument rien avoir avec celle que nous avons reçu des années auparavant et maintenant que j’y pense sa jumelle s’appelait Rainbow je crois. Cette jeune femme est un concentré de ce que la logique scientifique ne peut justifier.
— Mon Dieu…
— Monsieur Grimaldi, vous devriez… au même moment le bipeur dans sa blouse blanche sonna. Par réflexe, elle le fit sortir, lut, et le rangea.
— Je dois y aller, une urgence, venez, je vais vous trouver une pièce où vous pourrez vous reposer, pria-t-elle, mais Antonio n’écoutait pas. Avec une habileté fascinante, son esprit assemblait les pièces.
Le 21, quatre mois en arrière, il avait fait ce rêve qui l’avait chamboulé des semaines durant. Il s’était réveillé en larme, couché dans la chambre pour enfant aménagée pour Blue dans son bureau. Il n’en avait parlé à personne. Il se souvenait absolument de tout. Quelquefois il y repensait, quand sa souffrance devançait si forte qu’il manquait de s’y noyer, quelques fois il croyait à ce qu’il y avait vu et entendu, mais la partie rationnelle de son mental lui disait que cela ne se pouvait.
— Je voyais les erreurs que tu faisais, je voyais ta douleur mais retiens bien qu’à aucun moment je ne suis resté inactif. Et aujourd’hui que tu es disposé à discuter avec moi, je suis là, et je t’écoute, qu’attends-tu de moi Antonio Grimaldi ?
— Ne fait pas cela, ne m’emplit pas d’illusions.
— Là tu m’insultes. Illusion n’a jamais été mon nom, par contre confiance, si. Alors, demande… autorise ton esprit à parler au Mien. Lui avait-il pourtant exhorté à faire, et Antonio l’avait fait.
Mais une fois encore, cela ne se pouvait.
— Pourquoi Le limites-tu ?
Brusquement, Antonio tourna la tête, et à ses côtés il n’y avait plus le docteur Ellen, mais un homme dont les traits lui rappelaient quelqu’un.
— Bonjour Antonio.
Il sourit, mais Antonio ne put lui rendre cela. Dans son esprit il chercha, car oui, il ne connaissait, et quand son regard s’éclaira, Antonio crut devenir fou de tant de connaissances données à un esprit si habitué à peu.
— Alex Baldwin, murmura Antonio effaré, mais le sourire de ce dernier s’accrut.
— En effet, bientôt treize longues années que nous ne nous sommes pas revues, enfin, plutôt que tu ne m’as pas revu. Et à ce que je vois, tu as trouvé les bons mots si tu es là.
— Là ?
— Tu ne l’as toujours pas reconnu ?
— Reconnaitre qui ?
— Kathy, c’est bien ainsi que tu l’as appelé il y’a douze années lorsque tu lui as sauvé la vie devant ce café où tu attendais ton rendez-vous à la banque. Dix années plus tard, vos chemins se sont à nouveau croisés et tu l’as aimé, vous avez eu un enfant ensemble. Un enfant qui a à présent un an. Sur les traits de Blue s’inscrivent les siens, mais tu ne l’as pas reconnu ?
Le regard d’Antonio se voilà ; et son esprit fit un saut de douze ans en arrière. Le jour de son accident, le jour où il avait vu un homme malmener une enfant auquel il était venu en aide ?
— Alors comment tu t’appelles ?
Elle avait hésité.
—Kathy.
— Ravi de te rencontrer Kathy. Et d’où vient la petite Kathy ?
— Je ne suis pas si petite que ça, j’ai douze ans et demi !
— Oh, mille excuse Mademoiselle.
— De Londres.
— Ça en fait du chemin pour se retrouver ici Kathy. Tu as un moyen de contacter ton papa ?
Elle avait fait non de la tête, les yeux voilés par une douloureuse émotion.
— Ta maman alors ?
— Non, ils sont tous les deux morts, et j’ai un nouveau papa, mais pas de nouvelle maman.
Kathy… Rainbow…
— Oui, c’était elle enfant.
— Mais les dates, elles… Elles ne coïncident pas, quand Rainbow est morte…
— Rainbow considère son accident d’il y’a dix ans avec sa famille comme le jour où elle est morte, vu qu’elle avait tout perdu ce jour-là. Raison pour laquelle elle t'a dit qu'il y'a dix ans elle est morte. Même si en réalité elle ne l’a pas vraiment été. Ou du moins pas comme la fois où la foudre l’a réellement tué pendant de longues heures. Cet événement est survenu il y'a huit ans maintenant. Tu vois donc, tu n’étais pas celui qui l’avait tué, mais celui qui lui avait sauvé la vie, afin qu’elle puisse douze années plus tard sauver la tienne.
— Comment ? J’ai enterré son corps.
— Mais pas la vie. Et qui t’a dit que le bon corps se trouve dans cette tombe dans ton jardin ? Rainbow et sa sœur jumelle Sacha Banks se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, les seules différences étaient la couleur de leurs yeux, et les cicatrices sur le corps de la première après que la foudre lui soit tombée dessus. Sasha a quitté ce monde il y’a treize années après l’accident, et merci de lui avoir donné une sépulture dans ce jardin toujours fleurit. Aujourd’hui, sa jumelle vit. Suis-moi.
Alex franchit le seuil de la porte coulissante en verre, mais Antonio ne le suivit pas.
— Qui êtes-vous ?
Il sourit.
— Je ne suis que le messager, mais tu peux m’appeler Raphaël, à moins que tu ne sois à l’aise avec le nom Alex Baldwin. Maintenant vient, il veut te voir.
Sans plus pouvoir s’en empêcher, Antonio souleva le talon, sortit, sur le gazon ses pas étaient sourds, mais dans sa poitrine se jouait le plus rapide des concerts. Ses yeux virent celui qui se tenait sous un arbre fruitier dont les fleurs étaient particulièrement belles, l’atmosphère des lieux avait évolué, intense, mais douce, puissant, et apaisant, tant de vie que tout son corps se couvrit de chair de poule, comme si la présence de l’Être changeait tout. Et quand ce dernier vit Antonio marcher librement vers lui, son sourire fut si grand, comme un père qui voyait revenir à lui son enfant adoré, alors les larmes montèrent aux yeux d’Antonio dont la gorge se serra. L’Être n’avait plus la même apparence que durant la première fois, mais Antonio le reconnut.
— Mon enfant… parla-t-il avec une infinie tendresse en effaçant le dernier mètre qui les séparait ?
— Tu l’as fait… murmura Antonio.
Antonio ne voyait pas encore ce dont il parlait, mais les cris de joie que poussait son âme revenue à la vie ne voulaient dire qu’une chose, alors ces trois mots sonnaient plus une affirmation qu’une question. Mais pourquoi lui ? Lui qui avait fait tout ce qu’il ne fallait pas, lui qui en était indigne ?
— Pourquoi ?
Ce mot sortis sans même qu’il ne l’entende.
Il y eut un silence.
— Parce que je t’aime, parce que je tenais à te rappeler ce que tu as oublié : tu n’as pas à te battre tout seul, tu n’as pas à te battre tout simplement, et tu sais pourquoi. Antonio fit non de la tête. Parce que je suis avec toi, parce que tout est à moi, parce que le possible vient de moi et que l’impossible dépend également de ma volonté, de par cette simple réalité, tout mal intenté contre toi est caduc si tu fais de moi ton plus grand Ami. Sois-en persuadé. Aucun père ne reste assis à regarder son fils souffrir, je ne le permettrai pas. Laisse-moi être là pour toi, pour ta famille, et tel sera le père que je serai pour vous.
Antonio fit oui de la tête, alors il lui sourit.
— Mais si cette chose revenait pour…
— Elle ne reviendra pas t’importuner, crois en moi. Et encore une fois tu sais pourquoi.
— Parce que tu m’aimes ?
L’Être sourit.
— Oui, essentiellement parce que je t’aime. Aussi, la chose ne pourra donc jamais rien te réclamer parce que j’ai tout simplement déjà payé la facture. Je peux te prendre dans mes bras ? demanda-t-il calmement, et comme depuis le début, Antonio ne trouva de mot, il fit alors oui de la tête. Il fit donc un pas vers lui, et doucement, il l’enveloppa de sa présence, et toute la chair d’Antonio entra en liesse tandis que ses yeux ne savaient comment cesser de pleurer. Dans ses bras il pleurait tel un enfant, sanglotant, se déchargeant de tout, se nourrissant de cet Amour, de cette consolation qui s’adressait directement à son âme. Il était triste de sa vie, de la plupart de ses choix, de toutes ces choses qu’il avait faites, ces choses qui en dépit de leurs laideurs, n’empêchait pas cet Être de mettre toute sa puissance à son service pour rattraper ses erreurs, retournant la terre et les cieux, pour lui donner pareil cadeau sans rien demandé en retour si ce n’est de l’amour. Alors Antonio eut honte, il essaya de quitter les bras de l’Amour, mais l’Amour le retint tendrement, ne jugeant pas, ne condamnant pas, aimant seulement.
Jamais Antonio n’avait été dans pareil état, jamais il n’avait ressenti cette vie qui courrait dans tout ce qu’il était, jamais il n’avait expérimenté cette paix, ce désir de pleurer toutes les larmes de son corps, ce désir de tout déposer. C’était si fort, si doux, si beau.
— Je suis désolé, sanglota-t-il, pour ce que j’ai fait, pour ce que t’as fait, pour mes mots durs à ton égard. Je n’aurais pas dû, jamais.
— Je sais. Et tout t’a été pardonné depuis cette nuit en ma compagnie avec Andrews. En plus quel cœur de père reste insensible devant pareils mots de son enfant ? Parla-t-il, mais Antonio sut que cette phrase il ne l’entendait pas grâce à ses oreilles, ces mots venaient d’un endroit bien plus profond.
— Je suis là, et tant que tu me laisseras faire, je te porterai au creux de mes bras avec amour, tout comme toi tu portes ta fille au creux de tes bras.
Antonio se redressa, et il essuya ses larmes.
— C’est un pacte ?
Il rit doucement.
— Une alliance. Entre toi, Nous, l’épouse de ton alliance, et ta descendance. Assure-toi que ta descendance ne m’oublie pas, et je serai avec eux jusqu’à la fin des temps. Maintenant va, vis et surtout, aimes de cet amour-là que tu connais maintenant.
— Pa… Pa ! appela brusquement Blue, et Antonio se retourna vers elle. La petite fille n’était plus à ses côtés. Assise sur le gazon à une dizaine de mètres de lui, elle le regarda, et comme pour lui dire où elle allait, elle se retourna, et se remit à faire quatre pattes. Antonio se retourna mais il ne vit plus celui avait qui il discutait, il se tenait seulement là, encore dans les locaux du centre, au seuil de la porte coulissante, avec Ellen qui lui tendait un verre d’eau et un cachet. Comme si cet instant n’avait pas eu lieu, il regarda perdu autour de lui. Perdu, en larme.
— Monsieur Grimaldi, prenez.
Il reposa son regard sur Blue dont le bas blanc était devenu vert aux genoux. Arrivée près d’un mur, la fillette s’y appuya, se releva, et tout en usant du mur comme appuie, elle en fit le tour, alors Antonio repoussa la main du médecin et s’élança vers Blue qui venait de quitter sa vision, et le temps qu’il fasse le tour du mur, Antonio la vit à nouveau à quatre pattes sur le gazon. L’enfant partait en direction d’un banc, un banc sur lequel était assise une personne, plus précisément une jeune femme. Un léger courant d’air souleva la lourde chevelure dorée de l’inconnue, et Antonio en fut si ébranlé qu’il dut s’arrêter pour ne pas tomber. Blue, elle, comme si elle était appelée, allait de plus en plus vite en riant.
L’enfant atteint plus vite le banc que son père, là encore, elle s’appuya sur le meuble pour se lever, et à petits pas, elle longea le banc pour atteindre la personne assise là. L’enfant regarda longuement les traits de la dame dont la couleur des yeux ressemblait tant aux siens, l’enfant regarda longuement ces longs cheveux au blond aussi comparable que sa propre chevelure, elle avança, posa sa petite main au gant noir, sale, sur la cuisse de la dame qui, interrompus de ses rêveries baissa alors les yeux sur l’enfant.
Blue regarda alors sa poupée, puis regarda la jeune femme, elle retenta l’expérience quatre fois, et au bout de la cinquième fois, pour la première fois, sous les yeux de son père derrière, l’enfant jeta au sol la poupée lorsqu’elle reconnut la version réelle du jouet. Cette version plus chaleureuse, cette version qui en plus de cela, avait quelque chose d’autre que tout enfant connaissait. Dans l’espace personnel de la jeune femme aux yeux bleus se dégageait quelque chose qui était familier à l’enfant. Une odeur que portait la femme, une odeur qui appelait au repas tout nourrisson, celui du lait, et dans ce cas-ci, c’était le lait maternel qui, coulant des seins de la jeune femme, mouillait abondamment sa tenue, cela en dépit du bandage appliqué fortement sur sa poitrine afin de faire taire les pleurs de ses seins douloureux et avides de nourrir.
Le visage larmoyant, Antonio fit un pas vacillant vers elles, il ne regardait pas sur quoi il marchait, seulement comptait la destination, cette destination préparée pour lui depuis trente-trois années. Derrière, à droite de la jeune femme aux cheveux blonds qui fixait intensément l’enfant, il se figea quand le vent lui porta au nez le parfum qui n’avait jamais eu de cesse de hanter ses nuits. Il inspira et à se parfum s’unissait un autre, celui du lait maternel, ce même lait-là qu’il avait cru qu’il ne se poserait jamais sur la langue de sa fille. Le ciel déjà sombre fut parcouru d’éclairs silencieux, et il vit la jeune femme se tendre, le vent devint plus fort durant une poignée de seconde, et soudainement, la pluie tomba. Dans la volée, la jeune femme s’abaissa et souleva l’enfant à ses pieds qu’elle cacha sous son énorme et lourd sweat-shirt gris, pour la protéger, et elle se leva, mais se figea lorsqu’elle vit l’homme arrêté derrière elle, l’homme aux yeux noirs dont la pluie cachait les larmes.
Antonio reconnut dans l’instant le chapelet au crucifix qui pendait dans le vide bien logé au creux de la main de la blonde devant lui. La dernière fois qu’il avait vu ce chapelet, c’était autour des doigts d’une femme qu’il avait mise en terre en même temps que son cœur un an auparavant. Mais ces cheveux blonds, ces yeux bleus, ce corps qu’il connaissait pour avoir tant caressé et aimé…
—Rainy ? Appela Antonio d’une voix chevrotante, et le regard de la jeune femme s’ouvrit tout comme son esprit, alors elle revit tout, elle se souvint de tout.
Depuis quatre mois quelle était réveillée de ce que ces médecins appelaient un coma, quatre mois qu’on la regardait tel le miracle ambulant qu’elle était, plus de quatre mois que ses seins étaient lourd de lait sans qu’aucune solution ne soit efficace pour les alléger, quatre mois qu’elle rêvait d’un homme dont elle ne voyait pas le visage, mais entendait seulement la voix, quatre mois qu’elle rêvait du jour où elle avait donné la vie, les résultats examens appuyait cette vérité, mais ses médecins lui disaient le contraire. Quatre mois que la seule chose qui lui semblait familière c’était la pluie. Elle se souvenaient de l’accident de sa famille treize plus tôt, elle se souvenait du corps de sa sœur jumelle inerte sur le lit, branché à plusieurs fils, tandis que les docteurs disaient qu’elle était déclarée cliniquement morte, mais son père adoptif, et meilleur ami de Charles Banks son père, Alex Baldwin n’avait pas autorisé qu’on la débranche, il affirmait que tout n’était pas fini, elle se souvint de toutes les fois où elle avait veillé sa sœur attendant qu’elle se réveil, mais cela ne se produisit pas, alors elle avait maudit le Ciel et tous ses habitants, et aujourd’hui, aujourd’hui…
En larmes, Rainbow fit le dernier pas qui la séparait de lui en sentant sur sa peau les petits doigts impatients de l’enfant qui essayaient de défaire le bandage qui couvrait ses seins lourds de lait. Son enfant. Son enfant qui essayait de se nourrir.
Elle éclata en sanglots.
Elle avait voulu mourir il y’a plus sept ans, mais Il avait refusé, Il lui avait à la place dit d’y retourner, de ne pas abandonner, car Il savait, qu’elle voudrait revenir, qu’elle voudrait vivre, qu’elle dirait oui, si revenir impliquait venir retrouver sa fille et son époux. Oh oui Il le savait, Il l’avait toujours sut.
Il savait qu’elle était la seule pouvant supporter le prix de la malédiction d’Antonio, la seule dont toute la vie ne dépendait que de Lui et nul ne pouvait y toucher, pas avec l’alliance qui les liait. Il savait tout, et Il avait tout prévu, depuis sa naissance Il savait combien Antonio se montrerait indigne de cette femme, et même de Lui, mais Il savait que sans elle, jamais Il n’y arriverait.
Alors Il avait trouvé le moyen.
Il avait payé le prix
Il avait racheté le sacrifice de l’ange.
Puis, gratuitement, Il avait tout donné à qui la promesse s’adressait.
FIN
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