CHAPITRE 49
Antonio ne venait que très rarement avec sa fille à cet endroit de son domaine. La honte et la colère étaient trop grandes pour qu’il ne finisse pas par montrer ses larmes à sa fille qui le regardait sans comprendre pourquoi la seule personne qu’elle chérissait le plus pleurait devant une pierre tombale. La plupart du temps il venait quand Blue dormait donc, mais aujourd’hui, après un début de matinée aussi sombre, il désirait se rendre là avec son petit ciel bleu. Il ne l’amènerait pas à la poupée, mais à sa véritable mère.
L’enfant dans les bras, il prit la direction qu’il ne connaissait que trop bien, puis devint surpris lorsqu’il vit une autre personne déjà en face de la pierre tombale. Le costume noir trois pièces de l’homme contrastait avec les vêtements que portaient ses jardiniers. Il ralentit le pas, étudiant cette haute stature et ses cheveux mi-longs au noir parfait. Dans l’air il rechercha cette présence malfaisante qui caractérisait un être qui avait participé à détruire sa vie, mais il n’en trouva pas.
– Tu n’as à pas avoir peur de moi, parla la voix sans se retourner. Il resserra sa fille plus fort contre lui. – À elle non plus, je ne veux aucun mal, ajouta l’inconnu. – Viens.
Antonio n’obéit pas sur le champ, mais il savait qu’il le ferait. Il y’avait quelque chose qui l’attirait chez cet homme, et lorsqu’il entra dans l’espace personnel de l’inconnu, il ressentit fugacement une émotion qu’il crut reconnaitre, sans pour autant savoir où.
– Qui êtes-vous et que faites-vous là ? demanda-t-il calmement d’une voix basse une fois suffisamment proche.
– Je suis venu voir l’endroit que tu fréquentes le plus en dehors de la chambre de ta fille, répondit l’inconnu en retirant se mains de ses poches, et avec souplesse, il se retourna. – Bonjour, Antonio, dit-il dans un léger sourire amical. Et dès que la petite Blue le vit, elle partit dans un petit éclat de rire angélique, et tendit les bras vers l’inconnu en insistant pour quitter ceux de son père, mais Antonio refusa. L’inconnu sourit alors au bébé, et tendit également les mains vers lui, mais Antonio fit un petit pas en arrière.
– Comme je te l’ai dit, tu n’as rien à craindre de moi, rappela-t-il avec un calme rassurant. Il y eut un court silence durant lequel Antonio détailla l’inconnu, cherchant où il l’avait déjà rencontré, car oui, cette chaleur qui émanait de lui ressemblait énormément à celui d’une autre personne. – Je peux ? demanda-t-il en faisant référence à l’enfant.
Antonio baissa instinctivement les yeux sur sa fille, et sans trouver en lui la force ou le désir de dire non, il le laissa approcher jusqu’à lui prendre l’enfant des bras, et cette dernière rit encore plus fort, regardant l’inconnu avec chaleur et amour comme si elle le connaissait du haut de ses huit mois.
– C’est vrai qu’elle ressemble énormément à sa mère.
Cette phrase sortie Antonio de sa transe, alors il reprit la petite Blue qui s’en plaignit.
– D’où connaissiez-vous sa mère et qui vous a laissé entrer ici ?
– Je connais Rainbow depuis toujours, et pour la deuxième question, la réponse c’est toi.
– Moi quoi ?
– C’est toi qui m’as laissé entrer.
– Mais on ne s’est jamais vu.
– Et tu ne peux pas savoir combien j’en suis peiné, pourtant j’ai tout fait pour. On va marcher un peu ? proposa l’inconnu en ouvrant la marche, et sans y réfléchir, Antonio le suivit.
En silence, ils marchèrent, l’inconnu gardait un visage calme, rassurant, avec un léger sourire qui semblait toujours flotter en permanence sur toute sa personne. Antonio avait beau essayer, mais il ne parvenait à détourner les yeux de ce profile parfait. Puis à chaque pas fait en cette étrange compagnie, il prenait un peu de cette paix qui entourait l’inconnu, alors il cessa de le regarder, et marcha comme s’ils étaient tous deux de vieux amis. Et lorsqu’il exhala, un long soupire d’abandon, l’inconnu s’arrêta.
– Et si on s’asseyait ?
Antonio voulut préciser qu’il n’avait jamais fait installer de banc à cet endroit du jardin, mais déjà l’inconnu s’installait sur un banc noir en fer forgé avec de belles arabesques décorant les dossiers, alors lui aussi s’assit. Dans la minute, Blue demanda à descendre, et il la laissa faire. Elle s’assit en face de son père en essayant d’arracher l’herbe au sol. N’y parvenant pas, elle toisa d’un air innocemment concentré la fine rayure verte qui échappait à ses petits doigts à chaque fois qu’elle tentait de les saisir.
– Elle a la même expression que sa mère quand elle ne comprend pas quelque chose, parla l’inconnu dans un petit sourire en voyant le nourrisson s’acharner sur la verdure.
Il leva les yeux de sa fille.
– Qui êtes-vous ? insista Antonio.
L’inconnu sur le banc sembla réfléchir un instant, puis finalement il tourna la tête vers Grimaldi, inclina légèrement la tête sur le côté.
– Tu dis ne pas me connaitre mais tu m’as maudit, répondit-il calmement sans une seule once de colère.
– Comment aurais-je pu vous maudire si je ne vous connais pas ?
– À ce que je sache, ça n’a jamais empêché l’homme de le faire. À chaque fois que les évènements ne sont pas à la hauteur de vos attentes, vous me disputez, me maudissez, vous comportant comme si vous étiez au courant du jour où vous veniez au monde, expliqua l’homme, mais en ne jugeant aucunement.
Antonio cessa de respirer, et ses yeux s’écarquillèrent quand son esprit reçut la particulière connaissance. Il eut envie de disparaitre de la surface de la Terre, ou au moins de reculer, mais une certaine force le maintenait assis là.
– Vous… vous êtes…
Dans un sourire plus visible sur ses traits doucereux que sur ses lèvres, il l’arrêta.
– Nous n’allons pas user de protocoles si tu veux bien. Je suis, tout simplement.
Le souffle dorénavant rapide, Antonio resta toujours figé sur le banc, mais pas de peur, plutôt comme lorsqu’on vous maintenait assis par un poids que l’œil ne savait voir. L’inconnu ne cessa à aucun moment de le fixer dans les yeux, il n’y avait pas de colère, pas de jugement, juste de la compréhension, et il y en avait beaucoup.
– Où étiez-vous ? murmura doucement Antonio avec quelques traces de colère dans la voix. – Où étiez-vous quand elle avait besoin de vous ? Où étiez-vous quand je vous cherchais ?
– Et où m’as-tu cherché ?
– Je suis venu dans votre maison, j’ai crié mais vous ne m’avez pas écouté.
– Je suis partout chez moi, mais pour pouvoir me trouver quelque part, il faut d’abord me chercher en toi. Et non, ce jour-là, tu ne m’as aucunement cherché, tu ne voulais pas m’écouter, tout ce qui t’intéressait, c’était de me maudire, me demander pourquoi ? Me faire des reproches, me tenir pour responsable.
– Mais vous êtes responsable, s’insurgea Antonio le regard emplit de colère.
– Et de quoi suis-je responsable ?
– Rien ne peut arriver sans que vous ne l’approuviez au préalable, n’est-ce pas ce qu’on ne cesse de nous dire ? Vous auriez pu dire non, mais vous ne l’avez pas fait.
– Nous y voilà. L’argument premier de l’homme lorsqu’il se retrouve en détresse. Vous me prenez pour un bouton d’urgence auquel vous ne faites appel que lorsque cela vous arrange, voulant que par une décision nette de ma part, je stop le train de vos vies avant qu’il ne percute le mur que vous avez-vous-même dressé, et cela en dépit de mes tentatives de vous faire comprendre votre erreur. Souhaitant que je fasse exactement ce que vous voulez, comme si j’étais votre esclave. Mais je ne vous en veux pas, vous avez une vision restreinte de choses, et vous refusez que je vous montre. Mais maintenant que tu es prêt à m’entendre, je vais te répondre. La première fois que tu m’as parlé avec une conscience des choses, c’était le jour de tes six ans. Tu t’en souviens n’est-ce pas.
Antonio serra les dents.
– Là encore tu n’as rien fait. Cet ivrogne que tu m’as donné pour père venait de me battre au point de me casser le bras, et même pas une semaine après il avait recommencé, et ça ne s’est plus jamais arrêté. Et lorsque j’ai atteint l’âge de me défendre, il m’a remplacé par ma mère jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus en supporter un de plus et qu’elle meurt d’un traumatisme après s’être fait ouvrir le crâne.
– Et le jour de son enterrement, tu m’as supplié de remplacer le destin de ta mère par celui de ton père. Pleurant pour que lorsque tu sortiras de ta chambre, que tu puisses voir que c’était ton père qu’on avait enterré et non pas ta mère, douceur de ta vie.
– Mais tu ne l’as pas fait. Chose qui n’est pas une nouveauté.
– Et c’est ce jour-là que tu m’as maudit pour la toute première fois. En rentrant du cimetière, lorsque tu avais regardé ton père aller se servir une bière avant de venir s’affaler sur son siège favori en regardant un match à la télévision comme si de rien n’était, tu es monté t’enfermer dans ta chambre, tu as pleuré pendant dix heures, et au bout de la onzième, tu m’as maudit de tout ton être, puis tu t’es juré de ne jamais être comme lui, jamais. Deux années plus tard, il est mort d’une cirrhose du foie, tu as vendu le domicile familial et tu as tourné le dos à ton passé. Et c’est dans le bus qui te menait loin de là que tu as rencontré Kyle, lui aussi fuyant un passé, vous avez alors décidé de vous adopter mutuellement comme frère, vous construisant une nouvelle famille, un nouveau départ. Et six années plus tard, tu as eu ton accident. Le jour le plus sombre de ta vie, et pas parce qu’on t’avait déclaré tétraplégique, mais parce que là, tu avais personnellement décidé du cours de toute ta vie, sans même m’écouter lorsque je t’ai supplié de ne pas le faire. Tu étais aveuglé par ta souffrance, et tu t’y es noyé à cœur joie, acceptant l’inacceptable. Vas-tu me reprocher de ne pas t’avoir laissé mourir sur le coup, ou pourquoi j’ai permis à ce bus de te percuter ? De reproche en reproche, tu pourrais même te plaindre du faite que ce chauffeur de bus qui a eu une crise cardiaque pendant son service n’aurait pas dû naitre.
– Tu aurais dû être là ! siffla amèrement Antonio.
– Mais j’étais là.
– Alors pourquoi tu ne l’as pas sauvée ? Pourquoi tu as laissé l’ange mourir ?
L’inconnu sourit tendrement.
– Tu es comme l’enfant à qui sa mère ne cessait de dire de ne pas jouer au bord de la falaise s’il ne voulait pas tomber et mourir, tous les jours elle le lui rappelait, quelques fois avec amour ou avec colère, mais elle le lui rappelait pour son bien, et un jour où elle avait le dos tourné, l’enfant attiré par l’interdit, y va et tombe, et qui durant sa chute reproche à sa mère de ne pas être là pour le rattraper.
– Mais tu n’avais pas le dos tourné, tu n’es pas aussi limité.
– C’est vrai, raison pour laquelle la loi qu’on appelle le libre arbitre est là à chaque instant pour me rappeler que je dois vous laisser assumer les conséquences de vos choix jusqu’à ce que vous fassiez réellement appel à moi pour alléger votre joug. Tu as eu ton épreuve, chacun d’entre vous en à, chacun d’entre vous rencontre à un moment donné de sa vie, cette épreuve-là, qui vous fera choisir entre écouter ma voix et vivre, ou écouter votre orgueil et crainte, et mourir. Tu as fait ce choix-là, pas moi, car si ce choix venait de moi, la mort ne te pendrait pas au nez, je ne suis que Vie. Et de par ce choix tu m’as fui, tu t’es caché dans les ténèbres, t’enfonçant encore plus quand de mes rayons lumineux j’essayais de te montrer le chemin pour en sortir.
– J’ai fait appelle à toi, ce jour-là, dans ta maison, j’ai crié, j’ai pleuré, mais tu as fait comme cette mère, pire, toi tu m’as délibérément tourné dos.
– Oui tu as crié, oui tu as pleuré, cependant aucunement tu n’étais là pour me parler de tout ton cœur, tu ne m’as rien demandé de tout ton esprit, seulement des reproches, comme si c’était à moi de justifier tes actes alors que tu ne m’as jamais demandé mon avis avant de les poser. Tu cherchais des réponses que j’avais certes, mais tu n’étais pas non plus là pour m’écouter, tu recherchais à la place un coupable, celui à maudire, un peu comme le jour où ta mère s’est interposée pour te protéger, mourant pour ta vie. Et cette décision avait pour résultante le choix de père que tu as décidé de ne jamais être. As-tu une idée de la Force et de l’Autorité que tu fais descendre en m’invoquant ? Non, sinon tu n’aurais eu que des mots d’amour à mon encontre. Tu me demandes pourquoi je n’ai pas retenu la vie de Rainbow ? C’est parce que le jour où tu as décidé de sacrifier l’ange, quand tu étais couché dans cette chambre froide d’hôpital, seul, effondré, tu m’as rejeté, tu ne m’as pas écouté quand je te disais non, et de par ce choix, tu m’as aussi dit que je ne devais pas m’en mêler. Combien de fois j’ai essayé d’entrer dans ta vie ? te demandant à chaque seconde de me laisser te guider, mais tu as refusé, me hurlant de rester en dehors de tout, et jusqu’à il y’a une heure, cette décision était celle que tu me criais comme tu le dis.
Antonio releva les yeux humides de larmes en ne comprenant pas ce qui avait pu changer en une heure qui ne ce n’était pas produit en plus de onze ans, et son esprit s’illumina.
– Je t’en supplie, fais quelque chose. Avait-il murmuré il y’a seulement une heure.
– Tu m’as toujours fui, et cela en dépit du nombre de fois où je t’appelais, tu me fermais toutes les portes, mais je restais là, attendant que tu me voies enfin à travers une fenêtre, et aujourd’hui tu l’as enfin fait.
– Pourquoi maintenant ?
– Parce que tu n’es plus empli d’orgueil et d’égoïsme, alors tu peux me voir.
Antonio se prit la tête à deux mains et en silence, il regarda ses larmes s’échouer sur le gazon.
– Tu savais tout par avance.
– Ce qui est certain c’est que je ne fus en effet pas surpris.
– Alors pourquoi tu n’as rien fait ? insista douloureusement Antonio.
– Je ne reste en aucun cas dans l’inaction. Le Fils de l’Homme posa alors son regard sur l’enfant qui jouait non loin de son pied. – Pourquoi as-tu dit non la deuxième fois ? Quand cette sournoise créature t’a fait cette immonde proposition pour la seconde fois, pourquoi refuser ?
– Je ne pouvais pas faire ça à Rainbow, répondit Antonio en regardant son interlocuteur prendre sa fille sur ses genoux.
– Et pourquoi as-tu posé ce bijou autour de son innocente gorge d’enfant ? Pourquoi ce baptême fait dans cette même maison où tu me reprochais de ne pas être ?
– C’est là ce que Rainbow aurait voulu.
L’inconnu sourit.
– C’est d’une triste drôlerie de voir combien l’homme essaie de me cacher ses œuvres et pensées en me mentant effrontément alors que mon regard est permanemment posé en son cœur, et qu’aucune impulsion qui nait en son esprit ne me surprend. C’est un effort vain. Tu as dit non parce que tu ne voulais pas être comme Sergio Grimaldi, ce jour là où tu as enterré ta mère, ce jour où tu m’as maudit, tu t’es également fait une promesse, ne jamais dans l’avenir abandonné ton potentiel enfant, ne jamais prendre une décision qui blesserais d’aucune sorte l’enfant qui naitrait de toi, ou un quelconque autre enfant, et toutes ses années de tortures que tu as vécu selon toi, t’ont éduquer, t’ont nourri de cette force nécessaire pour dire non, ce non qui effaçait le premier que je savais que tu dirais avant même que tu ne saches que tu viendrais au monde. Puis tu m’as présenté cet enfant lors du baptême, parce qu’au fond de toi tu désirais que cela soit suffisant pour que ma protection s’étende à elle. Que ce qui t’a poursuivi ne la poursuive pas non plus, mieux, que je sois son Défenseur. Mais passons, laisse-moi te raconter le récit de quelqu’un d’autre qui m’a maudit. C’est l’histoire d’une petite famille anglaise. Il y’avait le père, la mère, et les deux petites filles, des jumelles. Ils étaient heureux, vraiment, comme rarement pouvait l’être une famille, puis tout ceci vola en éclat en une seule nuit. La famille rentrait d’un diner au restaurant, lorsqu’elle a été percutée par un chauffard qui s’était endormi au volant. La mère fut la première à mourir, le père lui mourut dans l’ambulance, et des deux petites filles, l’une survécut sans aucune égratignure, chose qui fut rare, quant à la deuxième, la plus jeune des jumelles, elle reçut un violent coup à la tête qui la plongea dans le coma. La survivante fut adoptée par le meilleur ami du père, et ce dernier ne put jamais se résoudre à faire débrancher celle dans le coma, jamais. Pendant la première année, la petite fille me supplia comme toi de ramener sa jumelle ; mais à son sens je n’écoutais pas, vu qu’elle ne voyait pas les résultats. À partir de sa quinzième année, elle se mit à me détester, puis à me maudire pour mon silence, et finalement elle chercha à me blesser par des agissements qu’elle savait que je n’aimais pas, jusqu’au jour où cette effronterie la mena à la porte de la mort. Elle me supplia de l’emporter, de lui retirer ce souffle à moi qui emplissais son corps, et j’ai dit non. A la place, je lui ai dit, retournes-y, et vit pendant sept ans comme il se doit, avec moi comme guide, vois le monde avec des yeux d’amour, et après ces sept années, tu me diras si tu veux toujours le quitter. Elle accepta, revint, et onze mois avant la fin de la septième année, elle rencontre celui-là qui était à quatre mois de la fin de sa vie, cet homme-là qui avait promis de sacrifier la vie que son âme aurait choisi d’aimer.
—Rainbow…
– Oui, Rainbow. Nul ne trouve lorsque je suis celui qui cache, tout comme rien ne pourrait m’être caché. Tu voulais savoir pourquoi elle avait tenu au point d’accoucher, la raison était qu’elle et moi avions un accord, et nul être ne pouvait lui ravir sa vie avant le terme que j’avais fixé, terme qui permettait aussi que l’ange puisse porter la vie à son terme.
—Blue.
– Oui, Blue, cette enfant-là qui aujourd’hui t’empêche de perdre la raison. Tu ne m’as jamais cherché comme tu as cherché cette folie que tu as invoquée sans savoir, tu ne m’as jamais rien demandé alors que j’étais disposé à tout te donner sans rien demander. Tu m’as maudit pour le père que tu as eu, mais c’était ce même père qui t’a permis de choisir d’être le père que tu es aujourd’hui, tu m’as maudit d’avoir pris la vie de l’ange, mais cette vie approchait déjà de sa maturation conformément à l’accord que j’avais avec elle, tu m’as maudit quand tu as vu cet enfant, enfant qui aujourd’hui te permet de vivre, cet enfant qui aujourd’hui te permet de me voir, parce qu’en dépit de ta douleur, tu as vu l’Amour. Pour toutes les grandes souffrances de ta vie, tu m’as maudit, mais tu n’as jamais recherché la lumière qu’elles dissimulaient savamment, cette main de moi que je garde toujours dans votre vie, afin que vous puissiez la saisir quand la détresse hurlera la peur dans vos oreilles en manquant de vous rendre fous. Beth Todd m’a elle aussi maudit lorsque son époux Ben et sa fille sont morts.
– Beth ? L’assistante sociale ?
– Pourquoi crois-tu qu’elle était celle qui t’a été envoyée ? Précisément à cet instant où la balle menaçait de te perforer le crâne. Tu ne m’écoutais pas, alors il fallait que j’use des voix d’autres pour que tu m’entendes, et vous les hommes n’écoutez que la voix de ceux qui ont eu une expérience similaire à la vôtre. Je voyais les erreurs que tu faisais, je voyais ta douleur mais retiens bien qu’à aucun moment je ne suis resté inactif. Et aujourd’hui que tu es disposé à discuter avec moi, je suis là, et je t’écoute, qu’attends-tu de moi Antonio Grimaldi ? demanda calmement l’Être.
Antonio ouvrit la bouche, mais la referma, et détourna un instant le regard, comme s’il pouvait cacher à la Force sous ses yeux les pensées qui emplissaient son esprit.
– Pourquoi as-tu honte de faire ta demande ?
– Parce que cela va à l’encontre de la vie, expliqua Antonio. – Mais je m’étouffe tant… finit-il par compléter d’une voix douloureuse, cependant l’Être savait le sens de cette demande.
Il était fatigué de vivre avec cette douleur dans son âme, et s’il ne s’était pas encore suicidé, c’était uniquement parce que sa fille fût là, mais une fois Blue endormit, alors les sombres pensées le menaçaient, de multiples voix hurlaient dans sa tête, et ces fois-là, la seule chose qu’il voulait c’était les faire taire, ne plus penser, juste disparaitre, car ainsi le monde serait mieux sans lui, lui le monstre, lui la raclure. Et enfin, il pourrait se reposer. Mourir, c’était ce qu’il voulait quand il ne voyait pas sa fille, raison pour laquelle il ne la quittait pas des yeux.
– Bien. Mais si je fais cela, qu’adviendra-t-il d’elle ? L’interrogea-t-il en montrant du menton Blue qui essayait difficilement de se mettre debout avant de retomber lourdement sur le sol.
– Vous lui trouverez une famille qui ne sera pas brisée et coupable comme moi je le suis.
– Je le peux en effet, mais trouverais-je sur cette terre un père qui l’aimera plus que toi ? Antonio ne répondit pas, encore plus honteux d’avoir de tels désirs. – Arrête d’essayer de te mentir en croyant pouvoir ainsi me mentir. Nous savons que cette requête n’est pas celle qui t’anime, alors pourquoi as-tu peur de me demander ce que tu veux vraiment, cette chose que ton esprit limité qualifié d’impossible ?
Il serra les dents en manipulant avec nervosité l’alliance qu’il avait au doigt.
– Elle est morte, lâcha-t-il froidement.
– Demande.
Antonio leva un regard humide vers lui, des yeux il suppliait, comme un assoiffé qui ne voulait pas qu’on le tourmente avec le mirage d’un verre d’eau glacé qu’il ne pourrait jamais avoir.
– Ne fait pas cela, ne m’emplit pas d’illusions.
– Là tu m’insultes. Illusion n’a jamais été mon Nom, par contre Confiance, si. Alors, demande.
La gorge d’Antonio se noua, et son souffle devint court, les mots désiraient sortir, mais il les retenait. Ses yeux s’emplir de nouveau de lourdes larmes qui glissèrent avec frénésie, mais il avait peur, peur de faire pareille demande, peur d’espérer, peur de se tromper, peur de ne pas le mériter, peur de se réveiller et que tout ne soit qu’un rêve, si peur…
Son interlocuteur posa alors sa main par-dessus la sienne, dès cet instant les voix dans sa tête se turent.
– N’ai pas peur.
– Tu es réellement là, je ne rêve pas n’est-ce pas ?
– J’ai toujours été là Antonio, chaque coup que tu recevais de la part de ton géniteur, je le recevais avec toi, et lorsque ce bus t’a percuté, j’ai senti chacun de tes os se briser, mon cœur à saigné lorsque tu as vendu cette vie pour ton confort personnelle, cette vie qui même si elle avait été la tienne, ne t’appartenait pas, j’ai éprouvé chacune de tes joies lorsque tu as accepté de vivre l’amour que Rainbow avait trouvé et qu’elle voulait partager avec toi, et lorsque tu as été à l’hôpital j’étais là, quand le drap a été ôté, mon cœur s’est déchiré de ta peine et j’ai pleuré avec toi, puis je me suis réjouis de cette lumière qui entrait dans ta vie quand tu as posé tes yeux sur le monde que cachait les pupilles de la petite Blue, et lorsque ce matin tu m’as enfin trouvé dans ton cœur, alors j’ai ressenti une joie indescriptible. Alors, demande, autorise ton esprit à parler au Mien. Jette-toi, même si le précipice te parait insondable, même si la montagne te parait infranchissable, lance-toi, je serai toujours là.
Le corps d’Antonio se mit à trembler et les larmes ne surent plus comment s’arrêter, son cœur se gonfla comme un ballon sur le point d’éclater, les coudes sur ses genoux, et la tête baissée entre ses mains, il ne reconnaissait pas tout ce flot de sentiment, c’était nouveau, c’était lourd, et ça voulaient sortirent. Aussi se laissa-t-il submergé, dans de longs sanglots bruyants, pleurant comme un enfant.
– Tout ceci est de ma faute, j’ai sacrifié l’ange de ce monde, comment ai-je pu ? Et maintenant je crois pouvoir changer cela ? Peut-être que je suis fou, peut-être que je dors, peut-être que tout ceci n’est qu’une illusion que mon esprit tourmenté nourrit afin d’alléger ma croix. Je ne peux rien changer.
– Toi non, en effet. Alors, laisse-moi faire, dépose tout à mes pieds.
– Demande, appuya l’Être, et cette voix-là, venait du plus profond de lui, cette voix-là lui disait de baisser les armes, de se laisser porter, et il comprit les mots de Rainbow.
… dans les jours sombres, je pourrais toujours me rappeler que je n’étais pas seule, que je n’avais pas à me battre seul, et que si je ne le voulais pas, je n’avais pas à me battre tout simplement.
Alors il céda.
– Je veux Rainy, je veux que tu me donnes une nouvelle chance de mieux faire, permet moi de retrouver ma femme, je veux que ma fille puisse voir son sourire, entendre son rire, profiter de sa chaleur, de l’étreinte d’une mère, vivre la tendresse de son regard bleu, je veux à nouveau de ce monde que créait mon arc-en-ciel en étant seulement là. Donne-moi cette seconde chance là, je t’en supplie.
– Si je te demandais ta vie, là tout de suite en échange, me la donnerais-tu ?
– Je serais plus qu’heureux que tu m’amènes et m’épargne de l’enfer qui me pend au nez pour ma faute, mais je ne peux faire cela.
– Tu l’as bien fait par le passé.
– Par le passé je ne pensais qu’à moi, et tous les moyens étaient bons pour que je sois celui qui s’en sortirait, mais je ne peux faire cela dorénavant, accepter te donner ma vie, et je mettrai sur les épaules de Rainbow toute cette culpabilité qui est aujourd’hui mienne, toute cette souffrance qui m’empêche de respirer une fois seul, et ça je ne le peux. Je ne peux imposer cet enfer à celle qui m’a invité au paradis. Réclame mes yeux pour que je ne la voie plus jamais, mes oreilles pour que je ne l’entende plus jamais, rends moi à nouveau tétraplégique, s’il le faut pour que jamais je ne puisse salir cette vie, mais je ne peux te donner ma vie, elle n’est pas mienne.
L’Être le regarda un instant, et sans un mot il se leva avec grâce, et tourna les talons.
– Où vas-tu ? paniqua-t-il.
Il se retourna partiellement.
– Partout.
– Et que feras-tu ?
Il sourit tendrement.
– Absolument tout ce que je veux.
– Et moi… que suis-je censé faire.
Un autre sourire.
– Va voir Andrews Peters.
Antonio fronça des sourcils.
– Andrews Peters ?
– Oui, lui, ou Giovanni Russo ou n’importe lequel de mes prêtres. Il est temps de faire face à ce que tu as fait, de le confesser devant moi et les hommes.
– Pourquoi ? Tu le sais déjà. Je viens de te l’avouer.
– Je sais toujours tout. Depuis le nombre de cheveux que tu perdras jusqu’au nombre de fois que tu battras des cils tout au long de ta vie en passant par le nombre de fois que ton cœur battra avant de se taire sur cette terre. Alors oui, tes fautes je les connaissais avant même que ta grande mère ne soit dans le sein de ton arrière grande mère. Mais vois-tu, je suis vérité, et tout ce qui est couvert d’un voile sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu. Va donc, et dis la vérité. Dans un monde qui ment, qui vole, qui dissimule, qui altère la vérité pour en faire une chimère plus acceptable, qui coud faussement le mirage du bien sur le mal, toi mon fils tu dois dire la vérité à voix haute, afin de dire à ce monde que tu as un Père a qui tu veux ressembler, un Père qui porte aussi le nom qui est Vérité. Vérité que tu décides aussi de revêtir en lieu et place du mensonge, de la fourberie, de la honte, de l’orgueil, et de toutes ces choses qui ne viennent pas de moi. Ouvre-toi en entière totalité, ne garde absolument rien pour toi, et laisse ma lumière t’emplir. Tu dois affronter la vérité qu’importe la douleur. Confesse-toi. Dis le à ton confesseur, tout ce que tu as fait, le mal dans lequel tu t’es vautré avec insouciance, les conséquences de cette faute tant sur toi que sur ton prochain, avoue ton orgueil durant toutes les fois où mes ministres t’ont approché pour te pousser à la repentance et que tu as foulé aux pieds, avoue combien tu m’as tant attristé en essayant de me recevoir le jour de ton mariage en état de complète disgrâce, dis leur à quel point tu m’as ignoré, et aussi que tu m’as profondément peiné en pensant que je te rejetterai quand tu reviendras vers moi, ou encore en pensant qu’il soit quelque chose qui soit hors de ma portée, avoues ta honte, ta colère contre moi, toutes tes folies, tes peurs, dis le lui tout, et là, reçoit de ma part des mains de ton confesseur l’absolution qu’il te donnera en mon nom et qui sera mes propres mots pour toi. Ma miséricorde je l’ai relâché sur le monde entier, et comme l’air est à la portée de tes narines ainsi cette miséricorde insondable est à la portée de ton âme, et pareil à l’air que tu inspires pour le faire entrer dans tes poumons, il faut que mon pardon tu le demandes comme il se doit avec amour et confiance en moi, en toute humilité espérance et honnêteté, et ce pardon entrera en ton âme telle l’air le fait dans tes poumons. Et tout comme l’air fait vivre ainsi ma miséricorde donne vie.
Antonio se redressa désemparé du banc quand son interlocuteur tourna de nouveau les talons. Il voulait tout savoir. Qu’allait-il se passer ? Que signifiait cette visite ?
– Mais, tu…
– Fait attention à ton enfant, comme moi je prends soin de toi, l’interrompis l’inconnu qui n’en était plus un, et au même moment, le cri de Blue fendit le silence, alors il ouvrit les yeux, et remarqua qu’il était couché sur le sol rembourré de la chambre pour enfant qu’il avait aménagée dans les locaux de son entreprise. Alors il pleura amèrement.
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