CHAPITRE 48
Huit mois plus tard…
— Où est passé le bébé avec les plus beaux yeux au monde ? S’invita la voix de Kyle.
Antonio releva les yeux de ses dossiers et ne prit pas la peine de répondre, que très vite il y retournait.
— Quelque part dans les environs, finit-il par dire en sentant le regard pesant de son ami.
Ce dernier suivit alors des yeux la fine corde en soi attachée à la cheville d’Antonio, qui le mena à une porte entrouverte derrière laquelle le nourrisson dormait à même le sol, les poings fermés.
Attendrit, Kyle regarda le doux spectacle, puis se fraya un chemin à travers les jouets, et la souleva. Elle se plaignit dans de petits gémissements, mais ne se réveilla pas.
— Il faut être toi pour mettre une laisse à sa fille, gronda doucement Kyle en revenant dans le bureau avec l’enfant contre lui.
— Ce n’est pas une laisse. Mais un GPS, elle n’est pas d’abord en âge d’avoir un téléphone que je pisterais au centimètre près, alors je fais avec les moyens du bord. Ça se voie que ce n’est pas toi qui dois lui courir après lorsqu’elle fait la course.
— Elle ne marche pas encore.
— Elle n’a pas besoin d’être debout pour me faire courir derrière elle quand elle est à quatre pattes. Une vraie fusée.
Kyle sourit, et lorsqu’il baissa les yeux, il surprit l’enfant qui le regardait avec passion.
— Je croyais que tu dormais ma belle.
Elle se redressa, rejeta du bout de la langue sa tétine rose, et de ses grands yeux bleus elle chercha dans la pièce, et lorsque son regard tomba sur son père, elle lui tendit ses petits bras potelés en sanglotant, et Antonio laissa tout dans la minute pour la rejoindre.
— Tu n’es pas si empressé de fuir les bras de tonton Kyle d’habitude.
— Faut croire que ton charme fou ne fait plus effet, se moqua-t-il en reprenant sa petite fille qui se calma dans la minute même. — Et ce n’est pas contre toi, elle est difficile aujourd’hui.
L’enfant se laissa aller contre l’épaule de son père qui s’en alla vers son bureau. Là, près de la grande table se trouvait la chaise haute de l’enfant, il l’y assit, et sortit de son tiroir un petit bol transparent qu’il ouvrit avant de déposer sur le plateau.
— Sans doute parce qu’elle est un peu trop jeune pour venir travailler chaque jour avec son papa. Quand vas-tu lui trouver une nounou ?
— Ou peut-être parce qu’elle sait que tu viens pour encore finir son repas comme tu le fais si souvent, détourna habilement Antonio en piquant de la petite fourchette en plastique jaune un morceau de pastèque qu’il mit dans la bouche de sa petite fille qui s’en empara avec plaisir.
Lui trouver une nounou ? Jamais, lui il était là, alors pourquoi irait-il engager une inconnue pour s’occuper de son enfant ? Son unique enfant d’ailleurs. Il voulait tout voir de sa croissance, tous ses rires, il voulait consoler chacune de ses larmes, lui donner tant d’amour, et des choses pareilles Antonio ne voulait les partager. Fasciné comme toujours quand il s’agissait d’elle, il regarda la petite bouche de l’enfant engloutir les fins morceaux de pastèque, sa petite Blue. Elle adorait la pastèque tout comme sa mère, et comme sa mère, elles avaient d’autres choses en commun, comme cette soigneuse chevelure couleur de blé qu’il avait coiffé ce matin, ses grands yeux bleus, sa peau délicate, et surtout, son parfum. Blue avait tout de sa mère, et pour Antonio c’était d’un douloureux délice. Huit mois, c’était son âge, et jamais il n’aurait cru aimer à ce point en si peu de temps. Cette enfant régissait entièrement sa vie, chacune de ses décisions, chacune de ses pensées étaient faite en fonction de la petite Blue.
Il arrivait au travail à 9 h 30 parce que chaque matin il devait attendre 8 h pour la réveiller, il lui faisait lui-même sa toilette, puis la coiffait, assis l’un à côté de l’autre dans la salle à manger de la cuisine, ils mangeaient, lui il parlait, et elle, elle répondait de son langage de bébé. Ils partageraient des rires, puis ils venaient au travail tous les deux. Avec elle endormie dans la porte bébé accroché sur son torse, il traversait les locaux de son immeuble, et une fois dans son bureau, il allait l’allongé dans la pièce attenante qui avait été aménagée en chambre pour bébé en tout point ressemblant à celle de la maison, avant d’aller travailler. Tous connaissaient la petite Blue, et il n’existait pas une seule personne que son rire angélique n’arrivait pas à dérider. Beth avait eu raison, cette enfant était son rayon de soleil.
— Antonio ? appela Kyle pour le tirer de ses pensées, et quand son ami vit la lueur au fond de ses yeux, il comprit à quoi il pensait. — C’est vrai qu’elle lui ressemble énormément, murmura alors Kyle d’une voix sourde en posant son regard sur le nourrisson qui refusait maintenant le treizième morceau de pastèque avec force.
Antonio caressa ses cheveux et posa un furtif baiser sur sa petite tête ronde en gardant un silence douloureux. L’ambiance jadis légère devient si pesante que le temps manqua à l’appel. Un petit coup à la porte dissipa partiellement le voile, en laissant entrer Iris, l’assistante d’Antonio. Cette dernière sourit discrètement en voyant l’enfant. Avec grâce, elle vint déposer sur le bureau un dossier, pendant qu’Antonio nettoyait la petite bouche rose de Blue. Ne voyant pas son assistante partir, il leva les yeux vers elle, en comprenant d’emblée la raison de cette présence. Un autre souci professionnel qui implique qu’il doive rester plus tard.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Phillips vient d’appeler Monsieur, nous avons un souci avec une production.
— Quel genre de soucis ?
— Les rouleaux de tissu que nous attendions sont arrivés dans nos entrepôts, mais la couleur pose problème, au lieu d’un rose saumon, l’usine a produit comme Philips le dirait : des kilomètres de rouge fuchsia, expliqua calmement Iris, et Antonio vit là où elle voulait en venir.
— Je vous ai dit que je ne ferai pas de voyage avant un an, pas tant que Blue est aussi jeune.
— Mais monsieur, vous devez absolument…
— Cette société est l’héritage que je compte léguer à ma fille, et je compte bien la garder à flot, mais pour avoir quelque chose à léguer, il faudrait d’abord que j’aie une fille qui veuille bien recevoir quelque chose de moi, chose qui ne serait définitivement pas le cas, si jamais je mettais mon travail au-dessus de ses soins à elle, et je croyais avoir été clair là-dessus. Rien, absolument rien au-dessus d’elle, alors retournez à votre poste et trouvez celui qui pourrait prendre cet avion pour l’Asie dans une heure, et me régler cette merde sans que je n’y laisse trop de millions.
— Bien Monsieur, approuva Iris en tournant les talons.
Lorsque la porte se referma, Antonio se retourna vers sa fille, et sa décision n’avais pas changé, jamais rien au-dessus de son trésor. Il prit un autre morceau de pastèque et l’approcha de sa petite bouche, mais elle repoussa la main de son père, à la place, de sa petite main, elle se mit à faire un signe d’appel, réclamant en silence ce qu’Antonio savait déjà.
— Je sais bien mon trésor, mais papa l’a oublié à la maison ce matin, expliqua Antonio avec sérieux, et comme si l’enfant l’avait compris, elle partit dans un petit sanglot qui grossissait à chaque fois pour donner un grand cri qui le peina. Antonio redéposa alors la fourchette en plastique qu’il tenait, et fit sortir Blue de la chaise haute pendant que ses pleurs devenaient de plus en plus nourris, tandis que de sa petite paume qui s’ouvrait et se refermait frénétiquement, elle réclamait encore et encore ce qui avait été oublié. Et le cœur d’Antonio se resserra tant qu’il sentit ses yeux picoter. Il la tint contre lui, la balançant, la caressant, essayant de la consoler, mais déjà son joli visage avait rougi et les larmes coulaient avec passion.
— Qu’est-ce qu’elle a ? Elle a subi un vaccin récemment ?
Antonio fit non de la tête, la gorge nouée. Voir son enfant pleurer de la sorte lui était insoutenable, encore plus lorsqu’il était responsable de ses larmes. La petite Blue de sa petite main insistait, criant pour qu’on lui donne ce qu’elle demandait, et Antonio se confondait en muettes excuses.
— Qu’est-ce qu’elle fait ? demanda alors Kyle en indiquant de la tête la petite paume qui ne cessait de se fermer et de s’ouvrir.
Antonio déglutit difficilement, et ferma les yeux pour faire taire ses larmes.
— La poupée, répondit-il amer.
— Oh… marmonna Kyle tristement.
— Ce matin on est parti si vite que je l’ai oublié dans la chambre.
— Tonio, je ne crois pas que ce soit une bonne idée de la laisser se familiariser de la sorte avec cet objet, insista précautionneusement Kyle en espérant ne pas blesser son ami, mais ce dernier ne fit aucune remarque.
— Laisse-nous s’il te plait, murmura à la place Antonio, et une seconde plus tard la porte se reforma en silence, laissant le père et sa fille au milieu de cette grande pièce, cette petite fille d’à peine huit mois qui réclamait quelque chose que son père ne pouvait lui donner, ce père qui se retenait de pleurer des larmes qu’il faisait naitre sur le visage de tout ce qui lui restait sur terre.
Sans doute Kyle avait-il raison, ce n’était pas une bonne idée que Blue soit si attaché à cette poupée, cette poupée qu’il avait fait faire un mois après la naissance de Blue était la seule chose qu’il pouvait faire pour son enfant, cette poupée qui était la copie conforme de Rainbow, cette poupée qui portait une robe blanche et qu’il vaporisait légèrement du parfum de sa défunte femme, était le seul jouet qui savait calmer Blue, comme si elle reconnaissait ce visage angélique aux cheveux blonds, comme si ce parfum, tout comme lui, elle savait à qui il appartenait. Cette poupée en de nombreux points n’était pas saine, mais il ne voulait pas que Rainbow soit une notion abstraite pour Blue, alors chaque jour il lui parlait d’elle en utilisant la poupée comme ancre, chaque jour il lui disait qu’elle était un tendre amour comme sa mère, un ange, mais aujourd’hui il avait oublié l’objet à la maison, et sa petite Blue ne le supportait pas. Elle n’avait que huit mois, et déjà elle réclamait avec tant d’ardeur sa mère, que se passerait-il dans un an, quand elle irait à l’école, à la maternelle quand elle verrait les autres mères mais que la sienne manquerait, que se passerait-il le jour de la fête des Mères, ou le jour où elle voudrait savoir comment sa mère était morte ? Qu’allait-il faire ?
Les cris aigus de l’enfant déchiraient le voile du silence qui emplissait le bureau.
— Je sais mon amour, elle te manque, à moi aussi elle me manque et je suis tellement désolé de te l’avoir prise, murmura Antonio en posant les lèvres sur le front de sa fille, puis ses joues rouges moites de larmes. Déchiré, il regarda la petite main potelée se refermer et s’ouvrir en signe d’appel, c’était toujours ainsi qu’elle réclamait la poupée, en un sens sa mère.
À force de gigoter dans les bras de son père, le bijou qu’elle portait autour du cou sorti de sa petite robe bleu nuit, pour reposer sur son petit torse d’enfant. Ce bijou qu’il avait fait diminuer pour l’adapter au nourrisson, un réel souvenir de sa mère, qu’elle-même avait reçu de son père.
Il disait que de cette manière, dans les jours sombres, je pourrais toujours me rappeler que je n’étais pas seule, que je n’avais pas à me battre seul, et que si je ne le voulais pas, je n’avais pas à me battre tout simplement.
Perdu, et exténué, Antonio observa les pendentifs en or.
Antonio s’étouffait il le sentait, à chaque jour qui passait il s’étouffait, le seul moment où il prenait son souffle c’était en regardant Blue lui rire, mais chaque nuit, lorsque la maison était calme et que le souffle de l’enfant c’était assagit, alors là, il ne pouvait s’empêcher de se noyer, il pleurait le poing contre la bouche pour ne pas réveiller sa fille. Le matin il était père et la nuit, il redevenait le veuf qui ne savait comment arrêter ses larmes ou son chagrin. Les choses étaient faciles quand Blue inondait sa journée d’un ciel bleu, mais dans des situations comme celle-là, il se noyait, tant de culpabilité, tant de chagrin, tant de douleur tant physique que psychologique… ses yeux s’emplir de larmes. Antonio posa délicatement le front contre celui de sa fille et les traits décomposés par sa souffrance, il abaissa les paupières, poussant ces premières larmes silencieuses à fuir ses yeux.
— Je t’en supplie, fais quelque chose… marmonna-t-il en ne sachant si cela fut à voix haute ou en pensée.
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