CHAPITRE 47
Antonio tint l’enfant dans ses bras pendant deux jours successifs, il ne pouvait ôter son regard d’elle. Les seules fois où il la déposait, c’était lorsqu’il devait la changer ou lui donner le biberon comme l’assistante sociale le lui avait appris avant de partir. Elle lui avait aussi fait livrer des paquets de couches, du lait maternisé de la meilleure qualité ainsi que quelques vêtements avant de lui faire un cours sur comment s’en occuper, tout en lui donnant le numéro d’un pédiatre qu’il pouvait appeler pour toute question future. Mais il n’avait appelé personne, pas même Kyle, non, il la surveillait, sa petite fille, et à chaque fois qu’elle entrouvrait les yeux, et qu’il voyait ce bleu semblable à celui de Rainbow, ses yeux à lui s’emplissaient de larmes, et quand c’était Blue qui pleurait, eh bien lui aussi se surprenait à pleurer avec elle et quand elle dormait enfin, il la veillait encore.
Personne ne devait la lui reprendre, et par personne il songeait au seul être avec lequel il s’était frotté, relation contre nature qui aujourd’hui lui coutait cher. Il désirait tant la protéger, et il pleura amèrement lorsqu’il se rendit compte que c’était quelque chose qu’il ne pourrait jamais faire seul. Alors, à vingt heures trente, durant la deuxième nuit, il se décida, et envoya un message avant de se lever avec sa fille.
À vingt heures cinquante-sept, il arriva devant l’église St John, et dès qu’il en passa le seuil étrangement encore ouvert, il trouva une seule personne là, à genoux devant le tabernacle en une position d’intense méditation. Les lieux étaient encore plus faiblement éclairés, dans l’air il y’avait cette odeur d’encens et de cire de bougie dont certaines brillaient encore. Son bébé fermement tenu contre lui, Antonio avança avec honte dans un endroit où il était certain de ne pas avoir sa place. Traversant l’allée principale, dépassant pas après pas les rangées de bancs sur lesquels se trouvaient quelques Bibles au papier énormément manipulé, il avança. Et dès qu’il se trouva à quelques pas d’Andrews Peters, il s’immobilisa le cœur battant. Le vieil homme était si perdu dans son oraison qu’il semblait ne plus être là si ce n’est de corps. Antonio ne sut combien de temps il resta là a contemplé la paix qui entourait Andrews. Blue dans ses bras gigota en émettant un petit bruit qui brisa le silence, c’est alors qu’Andrews ouvrit les yeux, se retourna avant de se lever pour venir à sa rencontre, comme s’il l’attendait.
Il y’a deux jours cet homme était aux funérailles de Rainbow, et depuis lors ils ne c’étaient pas parlé. Même le jour ils ne l’avaient pas fait et Antonio ne savait à quoi s’attendre. En deux pas, Andrews se retrouva devant lui alors qu’il tenait le bébé avec la sacoche accrochée à son épaule, et en frémissant, Antonio sentit sur lui la chaleur du regard du vieil homme.
Andrews Peters avait toujours eu un regard intense, le genre de regard qui mettait l’âme à nu, un peu comme Giovanni, même si le deuxième semblait plus doux dans son approche que le premier. Ils ne se parlèrent pas, seulement le regard d’Andrews. Et Antonio ne savait pas à quoi s’attendre, mais l’absence de colère et de jugement au moins était le minimum qu’il était certain de voir, mais il n’en fut rien. Andrews le fixait comme quelqu’un qui attendait quelque chose, et plus il le fixait, plus il se sentait mal. Ses yeux à peine secs se floutèrent de larmes alors que la culpabilité le pesait tant. Il avait l’impression de suffoquer tant cela lui pesait, et Andrews, semblait toujours attendre, quoi ? Nul ne le savait ou du moins pas lui.
— Qui est-ce ? demanda-t-il alors d’une voix neutre.
La gorge d’Antonio se serra. Avec peine il déglutit, et toujours Andrews Peters le fixait. Il baissa les yeux sur sa fille a la petite tête ronde et aux cheveux semblables à des duvets de poussin.
— C’est…
Une larme glissa, et dans un reniflement il les fit taire.
En tremblant presque Antonio fit remonter le bonnet rose sur la petite tête de l’enfant endomit.
— Ma fille, avoua-t-il, et en aucun moment il ne vit dans le regard du prêtre une quelconque surprise.
Jamais il ne comprendrait cet homme se dit Antonio. Andrews et lui ne vivaient pas dans le même univers. Rien ne semblait jamais le surprendre, comme quelqu’un qui savait tout avant que les choses arrivent.
— Et comment s’appelle-t-elle ?
– Mary Blue… Blue-Sky.
Andrews se contenta d’un hochement de tête et toujours aucune surprise.
D’un mouvement, il l’enjoignit à prendre place. Le pas raide, Antonio le suivit jusque vers le tabernacle avec sa petite lumière rouge toujours allumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, endroit où se trouvaient aussi trois chaises entourant une petite table de bois sur laquelle trônait le seul livre qui ait sa place ici. Alors qu’il s’y installait Andrews revint avec un couffin a la couleur crème et le déposa près de l’une des chaises. On aurait dit que tout était préparé en vue de ce qui arrivait. Mais cela était impossible, n’est-ce pas ?
— Une des fidèles a fait cadeau de cela pour qu’on en fasse don à l’orphelinat dont je m’occupe, mais je crois que tu en as plus besoin à cet instant. Couche là le temps de te reposer un peu. Tu as l’air épuisé.
Hébété, Antonio hésita une seconde avant d’obéir en sentant effectivement ses bras engourdis se détendre. Andrews Peters lui tendit un verre d’eau qu’il gouta simplement. Une fois cela fait, il prit à nouveau sur le sol, une petite assiette aux couleurs défraichies qu’il lui tendit. Il y restait une moitié d’un sandwiche au jambon et en silence sans quitter sa fille des yeux il le mangea puis termina son verre d’eau en ayant toujours la vague impression que le vieil homme l’attendait.
Il y eut un léger silence durant lequel la nourriture et l’eau qu’il venait de prendre l’apaisèrent. Antonio ne savait pas à quand remontait son dernier repas. Il se passa la main dans les cheveux le cœur lourd, mais étrangement plus calme, et toujours Andrews le regardaient avec calme.
— Comment saviez…
— Est-ce vraiment pour me poser cette question que tu es là ? L’interrompit calmement Andrews.
Un ange passa.
— Vous savez, il fut un temps où je lisais ça, commença doucement Antonio en montrant du regard la Bible devant eux sur la table, avant de l’attirer à lui doucement. — Et si je ne me souviens, l’un des passages de l’Ancien Testament disait : que toute première née mâle me soit consacrée.
Andrews l’écouta avec calme et un regard profond.
— Mais ton premier né n’est pas un garçon, alors cette parole ne t’est pas appliquée.
Antonio posa la main sur son bébé et remonta la couverture en laine sur elle alors qu’elle dormait à poings fermés. Une nouveauté d’ailleurs. Blue n’était pas aussi sage d’habitude.
— Je sais, reprit-il en posant de nouveau les yeux sur Andrews. Mais si je ne me trompe pas, tous les premiers-nés qui sont morts en Égypte lorsque l’ange de la mort passa n’étaient pas seulement des garçons. Vu que la parole stipulait tout premier-né sans exception, sauf bien sûr ceux qui vivaient dans les maisons marquées du sang de l’agneau.
— C’est vrai, approuva le prêtre avec le même calme qui ne le quittait jamais. Et c’est donc là ce que tu veux faire ?
Antonio le regarda un instant, et fronça légèrement les sourcils.
— Pourquoi vous n’avez pas l’air surpris par toute cette histoire ? se lança-t-il réellement curieux du comportement d’Andrews.
— Faire le travail que je fais et peu de choses arriverait à me surprendre. Et qu’y a-t-il de surprenant à ce que tu aies un enfant ? Rainbow était enceinte avant sa disparition, elle me l’a dit la dernière fois que nous nous sommes vus. C’était ici même. À moins que tu ne l’aies trompé et que ce bébé soit d’une autre femme.
Antonio fixa un regard indigné et courroucé sur le vieil homme.
— Comment osez-vous penser que j’aurais pu tromper ma femme.
Dès que cette phrase franchit ses lèvres, il se sentit mal. Il avait fait pire qu’une banale infidélité matrimoniale, non, il avait tout simplement tué sa femme.
— Je ne le pense pas. Tu vois donc qu’il n’y a là, rien de nouveau sous le soleil. Et si j’en crois tes précédents mots, tu désires consacrer ton enfant ?
Antonio essuya ses paumes sur son pantalon en revenant au sujet qui l’intéressait.
— Oui, par les eaux baptismales. Je veux que Blue soit baptisé, que ces eaux baptismales ratifient cela. Bien sûr je pourrais attendre qu’elle atteigne l’âge de raison pour que soit respecté la volonté de Blue sur mon choix, mais en toute honnêteté, je ne crois pas qu’elle soit contre à cet instant.
Le vieil homme inclina légèrement la tête.
— Pourquoi ?
— Parce que je suis convaincu que les bébés mieux que quiconque sont en faveur du baptême qui rapproche du Créateur, eux qui avec toute cette innocence saisissent plus les contours de la divinité que les adultes. C’est plutôt en grandissant que les fautes nous poussent à nous éloigner de sa face comme Adam et Ève l’ont fait dans le jardin. En plus c’est mon droit de vouloir lui consacrer mon bien le plus cher.
— C’est ce que tu as fait ? demanda à la place Andrews.
Antonio fronça les sourcils désarçonné par le ton d’Andrew.
— Pardon ?
— Fuir loin de sa face comme Adam et Eve dans le jardin après la faute.
Il baissa immédiatement le regard.
— Sais-tu pourquoi la confession est d’abord nécessaire au pardon Antonio ? Pour deux raisons : l’humilité et l’honnêteté. Songer à sa faute en son cœur ne s’assimile pas avec la réalité de la reconnaître à haute voix. L’orgueil pousse de nombreuses personnes a ignorer ce sacrement, car il leur est impossible de dire à voix haute leur faute. Ces derniers choisissent alors de penser que le dire dans le cœur suffit, que personne n’a à entendre cela. D’autres types d’orgueilleux par contre, confortés par la certitude que personne n’entend et que Dieu ne poserait pas de question audible à leurs oreilles, quelquefois dans le secret de leur chambre, et cela après plusieurs essaie, y parviennent. Mais vois-tu, lorsqu’il s’agit de le dire à voix haute à une personne comme moi, ils s’en trouvent paralysé ou avance des folies pour se justifier. Avant de commencer, on a l’habitude de dire : pardonnez-moi mon père parce que j’ai péché. Et cette phrase non plus n’est pas faite pour les orgueilleux d’aucune sorte, ni pour ceux qui s’ignore orgueilleux et encore moins pour ceux qui dorlote leur orgueil et sais-tu pourquoi ? Parce qu’avec une phrase aussi simple, tu reconnais que tu as péché contre le Ciel et contre ton prochain, tu reconnais que tu as piétiné les deux plus grandes lois de l’amour, tu reconnais que tu n’as pas été amour, tu reconnais que tu as été méchant, et avec humilité tu le reconnais, et en toute honnêteté, tu regardes ta bassesse, ta méchanceté, en reconnaissant que le mal tu l’as fait, que tu le regrettes car tu sais que cela n’est pas le bien que tu étais censé faire. Moi je suis là entre autres pour représenter le prochain que tu as blessé, et aussi pour plonger la main dans la plaie putride de ton cœur, la triturer, pour que de la douleur que tu ressens, que tu puisses faire sortir le repentir vrai et nécessaire à l’obtention du pardon dont a soif ton âme.
D’un mouvement brusque, Antonio se leva.
— Il n’est pas question de moi, siffla-t-il les dents serrées.
Andrews se contenta de lever les yeux vers lui, avec ce calme qui maintenant l’énervait.
Antonio s’approcha alors du couffin et voulut en faire sortir le bébé qui dormait. Il n’aurait qu’à trouver une autre église et un autre prêtre qui voudrait bien l’aider. Mais la voix apaisante du vieux monsieur l’arrêta dans son geste.
— Tu viens ici à vingt-deux heures moins avec un bébé dans les bras que tu dis vouloir offrir à Dieu au travers du baptême, et cela est juste et bon. Mais toi, peux-tu approcher pour faire cette offrande ? Car si tu as lu ce Livre comme tu me le disais, tu dois aussi savoir que pour pouvoir approcher du Saint Trône du Père Eternel pour lui faire un don il te faut accepter, déposez tous ces poids qui t’empêchent de lever les mains vers lui pour lui tendre ta fille.
Antonio se retourna avec fureur. Une fureur qui cachait une peur bien plus grande.
— Voulez-vous dire qu’il n’en veut pas.
Lui mieux que personne ne savait que le monde n’était pas ce qu’il disait être, et si par sa faute Dieu ne voulait pas de sa fille, alors le monstre pourrait venir la lui reprendre. Son regard paniqué se posa une seconde sur la Bible, et ce document racontait à chacune des pages que seul le Bien par excellence pouvait l’emporter sur le mal que lui il avait fait entrer dans sa vie. Dans leur vie. Un mal qui lui avait tout prit, alors hors de question que sa fille y passe. Jamais !
— Oh que si, il la veut. Et de tes mains sales il la prendra tout de même car il prend toujours tout ce qu’on lui donne, qu’importe ce que c’est. Mais mon fils, et si en plus de ta fille tu lui offrais aussi autre chose ?
Andrews se leva doucement avec un regard dorénavant enflammé de rigueur qui ne déformait pas ses traits, et Antonio se sentit suffoquer.
— Alors une fois encore, je te pose la question : qu’as-tu fait Antonio Grimaldi ?
Dès que cette question franchit les lèvres du vieil homme, Antonio perçut les larmes lui monter douloureusement. Andrews Peters lui avait posé cette question le jour de son mariage il y’a maintenant près d’une année de cela et il n’avait su que répondre.
Il se mit à se triturer les doigts, nerveux en sentant sur sa colonne vertébrale un filet de sueur. Il n’arrivait plus à supporter le regard d’Andrews, car il avait l’impression une fois encore qu’il le savait.
Antonio retint un sanglot, ou du moins sa gorge serrée lui interdisait tout mot. Il ouvrit la bouche, sentant sur son palais le gout affable de la vérité qu’il taisait. Il essaya, mais il n’arrivait pas. Et de toute façon, a quoi cela servirait-il qu’il parle maintenant ? Tout était scellé, plus rien ne pouvait lui ramener sa femme, plus aucun mot, plus aucune supplication, ni confession. Il avait tout foutu en l’air, et parler ne servirait à rien si ce n’était à le faire souffrir plus encore. Alors comme cette fois-là une année plus tôt, il referma la bouche, et verrouilla son cœur. Et il vit dans les yeux clairs du vieil homme le moment où ce dernier comprit qu’il ne dirait rien, car il naquit à ce moment-là une vive tristesse dans le regard d’Andrews. Mais ce n’était pas la première fois qu’il décevait les gens.
Il essuya du revers de la main ses larmes et passa les mains dans ses cheveux.
— Allez-vous baptiser ma fille oui ou non ? se contenta-t-il de demander calmement.
La tristesse s’accrut dans les yeux d’Andrews, mais Antonio l’ignora, et effleura du bout des doigts la joue rose de son bébé. Au même moment Giovanni entra en brisant le silence.
— Laissez venir à moi les petits enfants. Et ne les empêchez point, car le Royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. Ces phrases à elles seules nous empêchent de refuser cette grâce du Seigneur qu’est le baptême.
Tous deux tournèrent leur tête en entendant la voix posée de Giovanni. Il était en congé de deux semaines et était venu voir comment il se portait, lui avait expliqué Giovanni.
Antonio l’avait appelé avant de quitter la maison, car il voulait de cet homme en tant que parrain pour accompagner sa fille dans ses combats de tous les jours. Tant de ceux qui se voyait, que des plus invisibles.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro