CHAPITRE 43
— Qu’avez-vous fait, Monsieur Grimaldi ?
Antonio ne sentit pas ses larmes ruisseler le long de ses joues, il n’entendit pas sa propre voix fendre le silence dans une valse macabre, non, seulement la voix du père Andrews et cette fatidique question qu’il avait mal comprise.
Il avait tout compris de travers.
Ça avait eu lieu, l’hôpital, le pacte, le démon, ça avait eu lieu.
… Aussi, contre ta guérison, je reviendrai dans dix ans jour pour jour, très exactement le jour même où la lune dans le ciel te fera sa plus belle prestation, et te donnera son plus beau cadeau.
Son plus beau cadeau ? La lune ? Il n’avait jamais réfléchi à cette phrase, la seule chose qui avait compté c’était le fait qu’il se rétablisse, il avait dit oui, sans jamais savoir le vrai prix que lui couterait cette offre.
La lune, sa Rainy… et ce cadeau… Antonio posa les yeux sur le test de grossesse : leur bébé. Sa Rainy était enceinte, sa Rainy portait leur bébé, son ange lui donnerait le plus beau cadeau dont il aurait pu rêver.
Ce jour-là alors, je reviendrai te prendre ta vie.
À ces mots dont il comprenait à présent leur sens, Antonio hurla une fois de plus.
—Rainbow !
Un jour tu me demanderas ce qui est le plus important, ta vie ou la mienne ; je te répondrai ma vie, et tu t’en iras sans même savoir que tu es ma vie.
… Aussi, contre ta guérison, je reviendrai dans dix ans jour pour jour, très exactement le jour même où la lune dans le ciel te fera sa plus belle prestation, et te donnera son plus beau cadeau. Ce jour-là alors, je reviendrai te prendre ta vie.
Sa vie, c’était tout simplement Rainbow réalisa Antonio. Il n’avait pas vendu la bonne âme. C’était donc ça l’enfer.
— C’est toi ma vie, Rainy… non, pas toi. Non !
— Ce n’était pas ce dont on avait convenu hurla Antonio en se redressant, et pareil a un fou il quitta la chambre, courut jusqu’à son bureau. C’était là la dernière fois qu’il avait invoqué la chose et elle était venue. Oui ce bureau qui était le symbole de la chose pour laquelle il avait sacrifié l’impensable : sa vie, sa Rainy.
— Rends moi ma Rainy, je ferai tout ce que tu voudras, mais je t’en supplie, rend là moi. Elle n’a rien avoir dans tout ceci. C’est entre toi et moi. Fais de moi tout ce que tu veux, mais je t’en conjure, ma femme, c’est tout ce que je te demande, sanglota Antonio à genoux.
Mais seul le silence lui revint. Alors il hurla, invectiva, puis de nouveau supplia, implora, promit absolument tout ce qu’il avait, mais rien ne se produisit. Les minutes s’écoulèrent. Assis tel un misérable sur le sol, accroché au téléphone de son bureau, il appela mais elle ne répondit jamais. Il contacta la police, hurla, mais cela ne les fit pas l’aider. Rainbow était majeur, elle était partie depuis moins de quarante-huit heures, alors il n’y avait pas à s’inquiéter.
Inexorablement le temps fila, et comme un nœud coulant, le désespoir enfonça ses griffes acérées dans son âme, si bien qu’Antonio ne s’entendait plus réfléchir. En larmes il murmurait son prénom, dans sa main il tenait le test de grossesse. Sa femme, sa vie, et son enfant. Tout lui avait été ravi, non, c’était pire, lui, il était celui qui avait causé cela. Il était censé la protéger, l’aimer. Et son bébé…
Dans un énième sanglot, Antonio hurla, ou du moins, c’était son intention, mais sa voix manquait à l’appel.
— Qu’avez-vous fait, Monsieur Grimaldi ?
Il avait vendu sa femme, il avait vendu son bébé. Voilà la réponse à la question. Tout ça pour quoi ?
— Je t’aime Rainbow, avec ou sans enfant, avec ou sans avenir je t’aime. Et même mort, je continuerai à t’aimer. Tu es la meilleure chose qui me soit jamais arrivée, t’aimer fut ma plus grande joie, te serrer dans mes bras mon plus grand délice, te regarder m’a toujours donné ma plus grande paix. Ô mon doux amour, toi tu es parfaite, tu l’as toujours été, c’est moi qui ne te mérite pas, moi le problème, au grand jamais toi.
— Qu’ai-je fait ?
— La seule chose que tu as estimé bonne pour toi, répondit une voix qui dès l’instant lui meurtrit l’âme.
C’était elle, la chose. Il sentit alors sa présence étouffante. Il se redressa du sol. Et elle se tenait là, et rien de chez cet homme ne semblait rebutant, ni son visage, ni ses vêtements, ni sa coiffure, rien qui informait de sa nature perfide, sombre, non, tout n’était fait pour attirer, et lui, il était tombé pieds joints.
— Antonio, Antonio, Antonio…
La chose souriait, mais il n’y avait rien d’amical, rien que du vice.
— Je vous en supplie…
— Vas-y implore, prie-moi comme sait si bien le faire l’humanité. Ploie genoux devant moi…
Antonio n’avait plus la force d’être en colère, la seule chose qu’il voulait, c’était sa femme. Une larme glissa sur sa joue, puis plusieurs autres.
— Prend ma vie, supplia Antonio, mais l’homme vêtu d’un costume trois pièces noires de chez Balenciaga fit doucement non de la tête d’un air amusé.
— Ce n’est pas ainsi que les choses marchent.
— Mais nous avions un accord.
— Et il a échue, alors vie pour vie. Je t’avais dit que je reviendrais dans dix années pour te prendre ce qui te maintient en vie, et ce n’est pas ta vie Antonio, raison pour laquelle tu es disposé à me la céder pour que je l’épargne elle, celle pour qui tu pourrais et voudrais mourir.
— Ne me fais pas ça, prends mon argent, prends ma raison, prends tout ce que tu veux de moi, mais pas ça.
Le sourire de l’homme grandit, tout comme la froideur et le vide qui l’enveloppait. Cette chose riait de son malheur, cet chose, non, ce démon, car oui c’était bien de ça qu’il s’agissait, d’un démon. Oui ce démon se foutait de ce qui était, seul comptait un accord qu’il avait fait, un accord dont l’échéance entrainait sa mort, car oui, si on lui prenait son petit arc-en-ciel, il ne lui resterait rien, pire encore, il vivrait avec cela jusqu’à la fin de sa vie. En proie à la panique, Antonio ne savait quelle décision prendre, quelle parole dire pour que le démon sous ses yeux consente à le laisser vivre. La colère renaquit finalement de sa peine, mais il ne pouvait la laisser éclater, pas contre celui qui détenait sa vie, alors il essaya les suppliques. Son honneur refoulé, il ouvrit la bouche, et commença à ployer les genoux droits, mais le démon l’arrêta.
— Vie pour vie, et rien de ce que tu ferais ne changerait cela. Mais je ne suis pas contre une petite adoration faite à l’ancienne si cela te permet de te dire que tu as tout donner. Tu devrais d’ailleurs me remercier, car cette fille tu ne la méritais pas, elle était trop pure pour ta noirceur.
Dans un cri de colère, Antonio s’empara du buste sur son bureau et le jeta en direction de l’abomination, mais jamais l’objet ne l’atteint pas.
Il eut un petit sourire moqueur.
— Je ne suis pas de ce monde, alors comment veux-tu m’atteindre.
Antonio se tint alors la tête à deux mains, ordonnant à son cerveau de réfléchir, il devait y avoir une solution, il y’en avait toujours. Dans un éclaire de lucidité enrobée de folie, son esprit lui rappela l’objet qu’il gardait sous verrou dans le premier tiroir de sa table de travail. Il était celui qui devait mourir, et si cet être refusait de prendre sa vie, alors il la lui offrirait. Le pistolet en main, il leva les yeux vers l’homme, et ce dernier ne parut pas surpris. Ce n’était pas la première fois qu’il venait récolter son dû, et tant d’hommes et de femmes avaient songé à cette éventualité, le suicide comme porte de sortie, le don de soi pour sauver l’autre, mais ce n’avait pas ainsi que fonctionnait les lois cosmiques auxquelles très peu était initié. Les vies n’étaient pas interchangeables, le sacrifice n’était pas interchangeable, la conséquence des pactes inévitable. Un sacrifice devait être fait, du sang pour du sang, de la vie pour de la vie. Aussi, sans réelle inquiétude, il regarda Antonio glisser l’arme dans sa bouche et sans hésité, il appuya sur la gâchette, et le seul bruit qui se produisit fut le clic qui renseignait que l’arme venait de s’enrayer. Désarçonner, Antonio vérifia le chargeur, puis réessaya, le même bruit se produisit.
— Tu ne peux pas mourir, ou du moins, pas aujourd’hui, et demain tu seras trop lâche pour retenter le suicide. De vous deux, seule sa vie a été réclamée. Alors tu auras beau sauter de la plus haute des falaises, te jeter sous les roues du plus lourd des bus, ou t’attacher sur les rails d’un train, que ta vie ne te sera pas reprise, tu seras seulement un fait divers de plus qui parlerait de miracle.
Un pied dans le vide au-dessus de sa douleur qui attendait patiemment sa chute, Antonio regarda l’abomination se détourner de lui avec désinvolture.
— Pourquoi moi ? supplia-t-il dans un souffle d’une voix cassée.
Le démon s’arrêta, mais ne se retourna pas, comme s’il cherchait une réponse adéquate. Le silence se prolongea quelques secondes qui parurent une éternité, puis finalement il parla.
— Je dirais que c’est tout simplement parce que tu m’as dit oui.
Les larmes naquirent doucement, piquant ses globes oculaires à chaque avancée. La gorge douloureuse, et le regard dorénavant flou, Antonio clignant des yeux, et déjà, celui qui était jadis avec lui dans la pièce était parti, emportant avec lui son oppressante présence, et surtout, sa raison de vivre.
Refusant de voir la vérité, Antonio se jeta sur le téléphone, et composa les doigts tremblant le seul numéro de téléphone qu’il n’avait jamais pris la peine de retenir, mais il ne sonna même plus. La ligne n’était plus attribuée, il raccrocha, puis réessaya, et la même réponse lui fut donné. Ce numéro n’était plus attribué, et la personne qui l’avait n’était plus là. Son cœur filant dans sa poitrine rata une marche, puis une deuxième, et une troisième et finalement il tomba, son souffle difficile devint plus rare, son regard s’humidifia, sa gorge se serra, et la peine coula dans ses veines telles de la lave.
Tout était fini…
Il avait joué, et il avait gagné le droit de vivre en perdant sa raison de vivre.
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