CHAPITRE 4
Comme d'habitude, Antonio se réveilla brusquement, comme c'était souvent le cas à chaque fois qu'il faisait ce rêve où il se voyait accepter ce pacte avec la voix. Depuis ce jour, neuf années avaient passées, et il n'avait jamais plus entendu cette voix, ni aucune autre qui y ressemblait. Mais elle avait tenu parole, aussi avait-il retrouvé toute son autonomie au plus grand dam de l'hôpital et de ses travailleurs qui n’avaient compris, ni n’avaient pu expliquer sa guérison miraculeuse. Il n'avait non plus jamais dit à qui que ce soit l'origine de cette guérison, pas même à son meilleur ami. Il était en sursis, aussi, en neuf longues années, il avait tout donné pour vivre sa vie à fond, et pour cela, il avait tout fait pour avoir les moyens de se le permettre.
À trente-trois ans, il faisait partie de ceux qui avaient bâti leur fortune grâce à la cosmétique, ainsi que tout ce qui s’y reliait. Et en plus de s'être fait connaître dans ce secteur, il était également connu pour être un bourreau des cœurs. Il ne dormait jamais avec la même fille deux fois de suite. À ses yeux la gente féminine était à usage unique, et n'avait pas plus de valeur qu’une lingette nettoyante. La seule chose qu'il respectait était son travail, et la seule personne qu'il côtoyait sans hypocrisie, était son meilleur ami. Ainsi, quand il ne travaillait pas, Antonio s'amusait à baiser autant que possible. C’était d’ailleurs lui qui détenait un record de nombre de filles baisé en une semaine. Record que Kyle s’évertuait à battre, et que lui s’évertuait, à faire monter. Il était riche, il était beau, et il baisait autant que ça lui plaisait. La belle vie aux yeux de beaucoup.
Assis les yeux grands ouvert dans l’obscurité de sa chambre, et le corps recouvert d’une fine pellicule de sueur, Antonio passa ses doigts dans ses cheveux nerveusement en regardant son réveil qui affichait 4h15. Dans un soupir il se laissa retomber lourdement sur son lit. Depuis plusieurs nuits il ne dormait pas. Et il avait une bonne raison. Dans quatre mois, dix-sept jours, à quelques heures près, le temps que lui avait donné la voix arriverait à expiration, alors il mourrait. Au début, il avait été du genre à compter chaque minute qui passait, il évitait toutes situations qui auraient pu le blesser ou même le tuer, mais après neuf années il s'y était fait. Il allait mourir, et rien ne saurait empêcher ça, tout comme rien n'a pu empêcher son corps d'être complètement guéri. Mais maintenant qu'il se rapprochait de la fin, un autre sentiment qu'il s'efforçait de faire taire le hantait.
Couché sur le dos, les mains sur sa nuque, il regardait les yeux grands ouverts le haut plafond de sa chambre. Il essayait de ne pas trop y penser, mais ça aussi c'était impossible. Comment empêcher son esprit de vous rappeler que dans quatre mois dix-sept jours, vous alliez mourir. Il n'avait pas peur, enfin il essayait de s’en convaincre pour le mieux, il ne croyait pas à la vie après la mort, mais depuis son expérience paranormale, il n'en était plus certain. De toute façon, s’il y avait un paradis, il était certain de ne pas y aller. Pas après ce pacte, encore moins après la vie de débauche qu'il avait mené. Trop de cœurs brisés, et trop de malédictions provenant de ses amantes.
Il n'avait pas eu d'enfants, ni relations stable. Il avait simplement amassé une montagne d'argent. Argent dont il ne pourrait jamais venir à bout. À son âge, la plupart des hommes faisait face aux responsabilités d'une vie de père, où ils pensaient à s'envoyer en l'air jusqu'à plus d'heures, et lui ? Lui il allait mourir. Enfin, après s’être bien sûr envoyé en l’air jusqu’à pas d’heure !
Dans l’obscurité de sa chambre, il sourit tristement.
Antonio ne changea plus de position dans le lit. Il regarda son plafond, jusqu'à ce que les faibles rayons du soleil se diffusent chaleureusement dans la pièce. Une journée de plus, et une en moins pour lui.
Il quitta le lit vêtu de son boxer, et se dirigea vers sa luxueuse salle de bain. Devant la glace, il se rasa puis observa longuement son reflet. Il avait conscience de tout le charme qu'il possédait. La nature l'avait bien gâtée sur tous les plans. Il n'avait rien à envier à quiconque. Mais bientôt, tout ceci sera en train de pourrir dans un trou sombre, six pieds sous terre, et lui il rôtirait dans le pays voisin au paradis. Après un rire bref, qui n’avait rien de joyeux, il se détourna de l'homme en face de lui, et alla prendre sa douche.
- Bonjour Monsieur Grimaldi. Je vous sers votre petit déjeuner ?
- Non, juste un café à emporter, répondit-il en finissant de mettre ses boutons de manchettes.
Quand il eût achevé, il récupéra le petit thermos gris qui contenait son breuvage noir sans sucre, et parti.
- Bonjour Monsieur Grimaldi.
Les lunettes de soleil opaques reposant sur son nez fin à la peau que ses racines italienne rendaient parfaitement bronzé, il se contenta d'acquiescer de la tête à son chauffeur en se glissant dans le confort du véhicule sombre.
Le téléphone en main, il répondit aux mails les plus importants, et repoussa tous ces rendez-vous d'une heure trente. Il avait certaines choses à régler. Vingt minutes plus tard, la voiture stationna devant un immeuble, et il sorti avant même d'attendre qu'on vienne lui tenir la portière. Il poussa par la suite la porte du bureau de son notaire. Ne voyant personne à l'accueil, il ne prit pas le soin d'attendre, et préféra aller directement voir celui avec qui il avait rendez-vous.
- Je me serais bien fait annoncé, mais apparemment tu n'as plus de secrétaire, lança Antonio en entrant sans frapper.
- Je l'ai envoyée faire une petite course quand j'ai su que tu devais venir. Je ne tenais pas gérer une secrétaire avec un chagrin d'amour.
Antonio rit de sa réponse en lui serrant la main.
- Je ne risquais pas de faire lui faire la cour. Je suis peut-être un Don Juan, mais je ne fais pas dans le cougar.
- Je ne parlais pas de July. Elle est en congé pour deux mois. Je faisais plutôt référence à la nouvelle intérimaire.
- Et comment elle est cette nouvelle ?
- Pas ton genre. Laide avec des poils sous le menton, et des boutons partout. Mais je suppose que tu n'aies pas venu ici en pensant que c'était un site de rencontre pour milliardaire en rut.
- Milliardaire en rut ? Répéta Antonio en s'esclaffant.
Il prit place devant le vieux notaire, en le regardant droit dans les yeux.
- Alors que puis-je faire pour toi Antonio ?
Le visage du concerné devint sérieux, et l'atmosphère s'alourdit automatiquement. Il croisa ses jambes en essuyant une tâche de poussière imaginaire sur son genou.
- Je viens faire établir mon testament.
- Ton testament ?
- Oui. Ça entre bien dans tes fonctions.
- Oui. Ne prends pas ma surprise en mal, mais pourquoi ?
- Je prépare juste le terrain au cas où.
- Qu'est-ce qui se passe Antonio ? Tu es malade ? Demanda le vieil homme légèrement inquiet.
- Non.
- Ta vie est-elle en danger d'une quelconque manière ?
- Non, mentit Antonio comme un arracheur de dent.
- Mais il y'a-t-il une raison particulière qui te pousse à vouloir le faire maintenant ?
- Oui. Et cette raison s'appelle la prévoyance. Pourquoi est-ce étonnant pour toi de voir que je veuille tout mettre en ordre ? Ce n'est pas à ma mort que ça va se faire tout seul.
- Je le sais. J'encourage d'ailleurs ce genre de décision. Mais n'empêche que la plupart des hommes de ton âge ne pensent jamais à faire un testament aussi jeune, à moins qu'il n'y soit contraint.
- Ce n'est pas mon cas. Je veux juste régler ce détail pendant que je suis encore lucide pour le faire.
- Comment ça lucide ?
- Ne pense pas à mal, je veux tout simplement dire que je passe tout mon temps libre à m'amuser à charcuter le cœur des pauvres femmes. Et quand je ne fais rien de tel, je suis dans mon domaine de lucidité, plaisanta Antonio sous le regard dubitatif du notaire.
- Très bien. Donc comment comptes-tu repartir ta fortune ?
- Si on prend en compte la réalité que je n'ai plus de famille, excepté Kyle Chandler que je considère comme un frère, je veux de ce fait qu'à ma mort, vingt-cinq pour cent de ma fortune lui soit léguée, et le reste, je veux le partager à des organismes caritatifs.
- À vue de nez je dirais que tu comptes léguer deux milliards de dollars à ton meilleur ami, et le reste à des organismes caritatifs ?
- Oui.
- Mais tu ne fais pas cas d'un potentiel don à tes potentiels enfants.
- Parce que je n'en n'aurai pas tout simplement.
- Ne penses-tu pas être trop jeune pour avancer pareille décision.
Antonio ne répondit pas.
- Je vois. À quel organisme penses-tu ?
- Je n'en n'ai aucune en tête. Fais-moi parvenir une liste complète de quinze d'entre elles, et j'en choisirai dix. Et si aucune ne me plaît, je créerai moi-même une fondation. Quoi de mieux pour mon égo surdimensionné, que d'avoir toute une fondation en mon nom ?
- Je te la ferai parvenir dans cette semaine. Et je veux également une estimation complète de tous tes biens. Matériels comme immatériels. On étudiera ensemble ce que tu veux vraiment donner, et à la suite de cela je rédigerai un premier jet de ton testament. Tu pourras le modifier quand tu veux, et comme tu veux en fonction de l'évolution de ta vie.
- Ce sera fait. Je vais te mettre en contact avec mon avocat principal. Il te donnera toutes les informations qui te seront utiles.
- Antonio, tu es certain que ça va ? Je dois être tenu au courant si...
- Paul, je te dis que je me porte comme un charme.
Le vieux notaire qu'il connaissait depuis maintenant quelques années le regarda comme le ferait un père en espérant trouver dans les yeux d'Antonio quelque chose qui pourrait l'éclairer sur cette soudaine décision venant de la part d'un homme à qui tout semblait sourire, mais il ne vit rien. Antonio gardait profondément son secret.
- J'y vais maintenant. J'ai suffisamment tourné ici.
Antonio se mit debout au même moment que le vieil homme, et avec grâce, il boutonna sa veste gris acier puis lui tendit la main.
- Je te raccompagne.
- Pas la peine, Paul. Je connais le chemin.
- Ça je n'en doute pas, plaisanta le vieil homme pendant qu'Antonio refermait la porte.
Dès qu'il n'y eût plus personne pour le voir, il fit tomber son masque d'homme heureux et ôta son sourire. À quand remontait la dernière fois où il avait éprouvé une quelconque sensation physique ou émotionnelle, si puissante que ça l'irradiait de l'intérieur ? Ça il ne le savait pas. Il ne se souvenait même plus de la douleur qu'il avait ressenti quand ce bus l'avait percuté il y'a plus de neuf ans. Et il allait bientôt mourir sans rien avoir ressenti. C'est à se demander s’il avait vraiment vécu. C’est à certains moments comme celui-ci, qu’il surprenait à se demander à quoi aurait ressemblé sa vie s’il avait refusé cette entente ? Aurait-il été plus heureux ? Il ne le croyait pas vraiment, mais ça, il n’en saurait jamais rien non plus. Le vibreur discret à l'intérieur de sa poche remit de l'ordre dans ses pensées désordonnées.
- Déjà debout Kyle ? C'est étonnant de ta part.
- C'était indépendant de ma volonté. J'ai suivi une fille que j'avais rencontré en boîte jusqu'à chez elle, je l'ai baisé comme un fou, et pour me remercier, j'ai été réveillé par les cris de son fiancé.
- Son fiancé ? Tu n’es vraiment pas croyable.
- Mais comment voulais-tu que je sache qu'elle était fiancée. Ce n'était pas écrit sur son front. Et ce n'est pas de ma faute si je suis irrésistible comme homme. Mais c’est vrai que maintenant que j’y repense, elle faisait partit d’un groupe de fille venant fêter un enterrement de vie de jeune fille.
Antonio se moqua gentiment de lui en traversant le bureau de la secrétaire dont la présence se remarquait par son absence.
- C'est ça. Continue de te moquer. Tu n'es vraiment pas un ami. Quand ça t'es arrivé je ne me suis pas moqué de ta situation.
- Toi tu ne t'es pas moqué ? Je te rappelle que tu m'as charrié avec ce regrettable incident pendant plusieurs semaines. Je ne fais que te rendre la monnaie de ta pièce.
- N'importe quoi. Alors tu es déjà au boulot ? Parce que je ne suis pas loin, et si tu n'es pas trop occupé je pourrai faire un petit saut.
- Je...
Antonio n'eut pas le temps d'achever sa phrase, qu’un boulet humain aux cheveux blonds vénitien lui entra dedans. Il laissa son téléphone glisser entre ses doigts pour retenir le frêle corps qui allait bientôt s'écraser au sol. Et quand il la ramena contre lui, la première chose qu'il senti ne fut pas le café brûlant traversant le tissu de sa chemise, mais plutôt son odeur. Il n'avait jamais senti une odeur corporelle aussi belle que la sienne. Étant un expert en parfumerie, il classait toutes les personnes qu'il rencontrait en fonction de leur odeur. Et cette personne était un agréable arc-en-ciel olfactif. Son nez dans ses cheveux, il inspira sa douce chaleur. Elle sentait le propre, le frais, la fleur, la fraise, un champ de blé mur, l'ananas, l'orange, le citron, la banane avec un soupçon d'autres choses qui la différenciait de toutes les autres personnes. Unique, se dit-il en inspirant une nouvelle fois.
- Je... je suis... je suis désolée. Je ne... je ne regardais pas devant moi... Mon téléphone sonnait, je voulais décrocher... et je vous... Oh mon Dieu qu'est-ce que j'ai fait, bafouilla la jeune femme en retirant son écharpe pour essuyer vigoureusement la grosse tâche du café qui humidifiait le vêtement d'Antonio. Mais au lieu d'aider, elle ne faisait qu'étendre encore un peu plus la tâche, aggravant ainsi les choses.
- Oh non, non, non, répéta-t-elle en voyant les dégâts. Je... je suis... Je vais payer les frais de nettoyage, et si la tâche est toujours présente je vais vous racheter un autre costume, continua la douce petite voix craintivement pendant qu'Antonio continuait lui aussi à vouloir distinguer toutes les odeurs qui la caractérisaient.
Il baissa ensuite le regard sur sa veste qui était complètement bonne à jeter, mais il ne lui en voulait pas. Au contraire il s'en amusait. L'état de panique de la jeune femme le rendait joyeux. Un sourire vrai étira ses belles lèvres. Son regard remonta des petits doigts fins de la jeune femme, jusqu'à son visage. Elle avait les lèvres roses tremblantes, ses joues roses, et ces yeux, ils étaient d'un bleu pâle. Plus pâle que ne l'était son teint. Ils étaient si pâles qu'on croirait que ses pupilles allaient disparaître dans le blanc de ses yeux. Il n'avait jamais rien vu de semblable.
Le sourire moqueur qui dansait sur ses lèvres fut remplacé par une pointe de tristesse quand il vit ces yeux se remplir de larmes. Il se prit à penser que jamais des yeux ayant une beauté aussi limpide ne devraient jamais avoir à pleurer. On ne pouvait les souiller.
- Votre veste... Je...je, bafouilla-t-elle encore plus en retenant ses larmes.
- Inutile de vous mettre dans un état pareil pour un bout de tissu.
- Je vais me faire renvoyer quand Monsieur Brown saura que j'ai fait ça à un de ses clients.
- Vous êtes la nouvelle assistante de Paul ?
- Oui, souffla-t-elle au bord des larmes. C'est mon premier jour et je vais me faire virer pour ma maladresse chronique.
Elle avait l'air d'une enfant. Toute son innocence, et sa bonté étaient visibles comme le nez au milieu de la face.
- Calmez-vous. Je sais garder les secrets vous savez, lui dit Antonio sur un ton de conspiration.
Elle ne comprit pas où il voulut en venir.
- Ce petit incident restera entre nous, compléta doucement Antonio avec un petit sourire taquin.
- Mer...merci Monsieur.
- Mais je crains que vous ne deviez aller chercher un autre café, lui signala-t-il de sa voix basse, et du sourire enjôleur qui arrivait à mettre n'importe quelle femme saine d'esprit dans tous ses états. Et ce fut avec plaisir qu'il vit que celle qui lui faisait face n'échappait pas à cette règle étant donné qu'elle rosissait avec candeur. Un vrai bonbon pensa-t-il.
Il la regarda s'incliner pour prendre leurs deux téléphones gisant sur le sol, à quelques centimètres de la boîte vide de café. Il ne pouvait pas distinguer les courbes de son corps à travers tous ces lots de tissu informes dont elle s'était recouverte.
- Tenez Monsieur.
- Merci.
Au même instant, tous les deux entendirent la voix du vieux notaire.
- Mademoiselle Banks, c'est vous ?
- Ou...oui Monsieur Brown, couina-t-elle en contournant Antonio.
Ce dernier reprit sa route, et sorti enfin du secrétariat, avant de se rappeler qu'il était en communication avec son meilleur ami.
- Tu es toujours là ?
- Évidemment. Quelle fille as-tu encore fait pleurer Monsieur le bourreau des cœurs ?
- Aucune. Enfin, ce n’était pas vraiment de ma faute pour une fois, répondit Antonio pendant que les portes de l'ascenseur se refermaient sur lui.
- C’est ce que tu dis toujours.
Quand il sortit du building qui abritait les locaux de son notaire, Antonio avait toujours l'odeur de la jeune femme en tête. Il remit ses lunettes de soleil, leva les yeux vers le ciel d'un bleu clair, et il se souvint du visage adorable et angélique de l'inconnue qui lui était rentré dedans.
- Antonio tu es toujours là ? Demanda à son tour son ami comme il ne l'entendait plus lui répondre.
Il se tût un instant, le regard toujours posé sur l’immense ciel bleu.
- Oui. Et c'est vraiment une magnifique journée aujourd'hui, affirma-t-il de but en blanc à son ami, sans vraiment savoir s'il parlait du ciel, ou des yeux de la même couleur de la jeune femme qu'il avait précédemment rencontré.
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