CHAPITRE 35
— Je vais me marier.
Kyle avala de travers son verre de whisky en manquant de s’étouffer. Une main sur la poitrine, il toussota à plusieurs reprises avant de retrouver une respiration plus régulière, et les yeux exorbités par la surprise, il ouvrit la bouche pour parler, mais se ravisa. Puis ses yeux écarquillés devinrent semblables à de petites fentes alors qu’il fixait Antonio avec suspicion, cherchant à voir la vérité au fond de ses yeux noirs. Et il n’y avait pas là de la malice. Juste de la joie, du soulagement, un zeste de nervosité, et un autre sentiment que jamais il n’aurait cru voir dans les yeux d’Antonio.
— Tu es amoureux ! murmura Kyle sur un ton effaré.
Antonio lui fit un petit sourire.
Kyle était encore vêtu de son costume de voyage. Cela faisait une semaine qu’il était parti pour l’Afrique du Sud, et il venait à peine de rentrer. Il n’avait même pas eu le temps de retourner chez lui se changer, car il l’avait pressé de venir. Antonio ne s’était pas résolu à lui annoncer la nouvelle par téléphone, il voulait le lui dire de vive voix, et à chaque fois qu’il le faisait, il ressentait une joie indescriptible. Jusque-là, il ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi les hommes comparaient le mariage à une pendaison, lui il était heureux, il était tout le temps heureux. Quand il voyait Rainbow, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une bouffée de joie, quand il l’entendait aussi. Il lui suffisait de voir sa bague de fiançailles pour que sa journée devienne parfaite. Comment une femme comme elle avait bien voulu l’épouser ? Ça, il ne le comprenait pas, il avait tant de chance que quelquefois il en avait honte.
Kyle déposa maladroitement son verre sur la table sans quitter Antonio du regard.
— Bon sang. Tu es sérieux ! tu vas te marier.
Antonio ne sut si c’était une question ou une affirmation, il se contenta alors de siroter son verre de vin avec un petit sourire.
— Qui ? Quand ? Et bon sang de bonsoir, pourquoi ?
—Rainbow. Le sept juillet. Et concernant le pourquoi, eh bien la réponse est toute simple mon cher ami : parce que je l’aime, avoua Antonio sous le regard de plus en plus surprit de son ami.
— Parce que tu l’aimes ? Mais Antonio, tu ne la connais que depuis quelques semaines, et le mariage ce n’est pas du jeu. Je suis sans doute un salaud, mais même moi je le sais qu’un mariage n’est pas à prendre à la légère. Ne confonds pas le sexe avec l’amour. Je ne…
— Nous n’avons pas couché ensemble, l’interrompit Antonio d’un ton lent en remuant son verre tout en regardant le rouge du vin y tournoyer.
— Tu vas épouser une femme avec qui tu n’as jamais couché ?
Kyle passa ses doigts dans ses cheveux.
— Le sexe n’est pas tout dans la vie, et je me suis aperçu que je n’avais pas besoin de ce critère flatteur pour prendre une décision.
Kyle écarquilla plus encore les yeux au point que ses sourcils se rapprochaient de la naissance de ses cheveux. Interloqué, il détailla Antonio comme s’il venait de le voir sous un jour nouveau.
Avec un petit sourire patient, Antonio lui donna du temps pour s’en remettre.
Kyle ne pouvait comprendre. Dans trois mois il mourrait, et rien ne pouvait le sauver. Face au plus grand problème de sa vie, l’argent était impuissant, le pouvoir qu’il détenait sur de nombreuses personnes ne pouvait l’aider, et face à cette réalité, il avait eu l’impression d’avoir mené une vie qui n’en valait pas la peine. Ses comptes en banque étaient pleins à ras bord, il avait les vêtements, il pourrait avoir les femmes qu’il voudrait, il pourrait s’acheter tout un pâté de maisons pour en faire un garage s’il le voulait, mais rien de tout cela n’arrivait à le troubler. Il était comme las. Il n’avait même pas trente-cinq ans qu’il avait l’impression d’avoir fait le tour du monde, et plus rien n’éveillait chez lui une quelconque joie ou ne serait-ce qu’un frémissement d’intérêt. Tout n’était que vanité… Jusqu’à elle… l’arc-en-ciel de sa vie.
Il sourit distraitement.
Elle lui vit renversée un café chaud sur le torse le jour de leur première rencontre et au lieu d’être en colère, il avait souri. Elle lui avait refilé la varicelle, et lui avait en plus dit non, et il avait compris et accepté la situation, même si une part de lui avait voulu plus, mais il désirait aussi la protéger. Elle était la seule femme avec qui il avait été tenté de plus, la seule femme avec qui il avait peur de coucher, la seule femme pour qui l’abstinence quoique difficile, était acceptable et cela sans qu’elle ne lui demande. La seule femme que voir l’apaisait, et en dépit de cela, il était disposé à perdre ce havre de paix rien que pour la protéger si cela devenait nécessaire.
Depuis la première fois où il l’avait rencontré, il luttait avec ses sentiments, mais là, il n’en pouvait plus. Il la voulait, et elle avait dit oui, et il ferait ça bien.
— Tu es sûr de toi ?
— Aussi sur que je le suis de mon nom.
— Mais…
— Kyle, cette femme me complète d’une manière à la fois nouvelle et ancienne. Elle m’apaise et elle me trouble à la fois d’une manière qui me stimule. Avec elle je suis disposé à accepter des choses qu’elle ne m’a pas demandées rien que pour lui appartenir, j’ai pour la première fois envie d’être quelqu’un de bien, et faire les choses bien. Alors oui je ne la connais que depuis deux mois et demi, oui je n’ai pas encore couché avec elle, et en dépit de tout cela, tout de moi veux se dévouer a tout d’elle.
Un ange passa.
— Pour quoi dans deux semaines, pourquoi ne pas attendre…
Antonio eut un petit rire triste.
— Attendre…
Il murmura ce mot comme s’il venait d’en connaitre la profondeur.
— Toutes les plus sombres décisions de ma vie, je les ai prisés sans songer un seul instant à faire preuve de patience, et là, tu ne sais pas à quel point je voudrais pouvoir attendre. Je souhaiterais pouvoir lui faire la cour pendant des mois pour lui prouver la sincérité de mes sentiments, puis quand elle me dirait oui, je voudrais passer les années qui suivraient à lui prouver encore qu’elle n’a pas fait le mauvais choix. Je voudrais avoir le temps de me disputer avec elle sans pour autant que durant nos prises de bec elle n’oublie jamais que je l’aime, je voudrais avoir le temps d’avoir d’innombrables réconciliations avec elle. Je voudrais avoir le temps toute ma vie durant pour continuer à lutter avec la vie et toutes ses situations pour lui prouver que je l’aime, je voudrais avoir le temps de résister à une autre femme même quand mon épouse et moi serions en colère. Avoir le temps de voir sur son visage les raisons qui m’ont poussé à l’épouser quand elle me tapera sur le système, avoir le temps de trouver du temps pour elle, qu’importe le jour ou le lieu pour être toujours présent pour elle, avoir le temps à chaque jour qui passe, de sacrifier ma fierté, mon orgueil, et tout ce qui s’opposera à mon amour pour elle. Oui Kyle, j’aimerais pouvoir attendre pour subir tout ce que la vie à contre moi, contre notre couple, afin qu’à chaque jour qui passe, je puisse toujours chercher la force de la choisir elle, et plus important, de le lui dire.
Il eut un lourd silence.
— Mais vois-tu, je n’ai pas le temps, et donc je vais lui donner en quelques mois, tout ce que je devais lui donner en toute une vie, en espérant que cela soit suffisant pour qu’elle comprenne que ce que je ressens pour elle est vrai, que je ne m’amuse pas.
— Antonio…
Sur le visage de son ami, Antonio vit la profonde tristesse lorsque Kyle lut entre les lignes. L’italien se leva lentement.
— Si c’est la question que tu te poses, la réponse est oui. Et donc non, je ne peux pas attendre et faire semblant de ne pas l’aimer, ou pour trouver des raisons pour ne pas explorer ce que je ressens pour elle, ou pire, torpiller ce qu’il y’a entre nous tout simplement parce que je ne suis pas prêt à payer le prix !
Payer le prix…
C’était l’expression que Giovanni avait utilisée pour le gronder, et une fois encore, il avait raison.
— Nous parlerons plus tard du comment et du pourquoi de cette réalité, pour l’instant, je dois aller voir ma fiancée. J’ai un mariage à gérer.
Antonio pivota sur lui-même et souleva le talon, quand Kyle le surprit en prenant brusquement dans ses bras.
— Félicitation mon frère. C’est par là que j’aurais dû commencer. Ne te méprends pas sur mes mots, je veux simplement que tu sois heureux. Et si c’est avec elle, alors ça me va. Et pour le reste…
Kyle ne sut trouver les mots, alors Antonio lui rendit son étreinte. Depuis plus de quinze ans qu’il connaissait cet homme, sa seule famille.
— Je sais. Si cela n’avait pas été bizarre de dire à un homme qui vous serre dans ses bras qu’on l’aime, je l’aurais fait.
Kyle rit en se détachant.
— Et si je n’avais pas les larmes aux yeux, je t’aurais dit moi aussi.
Ce fut au tour d’Antonio de rire. Ils cessèrent de rire, et dans un petit silence ils s’observèrent. Et dans un hochement de tête auquel l’autre répondit pareil, ils se dirent ce qu’il y’avait à dire, et l’instant d’intimité était passé.
— Je suppose que je n’ai pas besoin de te demander d’être mon témoin.
— Non, mais ça fait de bien de se sentir désirer.
Antonio remua la tête amusée.
— Veux-tu être mon témoin de mariage ?
Kyle dévoila ses dents blanches dans un immense sourire ravi et fier.
— Mais bien sûr petit frère !
Ils partirent dans un rire communicatif.
— Je peux amener quelqu’un ?
— Paulina?
Antonio crut voir de légères rougeurs sur les joues de son ami. Une première.
— Si tu veux, et qui sait, peut-être que cela te donnera des idées.
— Non, Paulina n’est pas du genre mariage.
— Un peu comme moi à une certaine époque. Mais crois-moi quand on trouve la personne qu’il le faut, se marier devient une douce folie.
***
Lorsqu’il arriva dans l’appartement de Rainbow, une bouteille de vin en main, il n’attendit pas qu’on vienne lui ouvrir. De sa poche il extirpa la clé qu’elle lui avait donnée, et en entrant, il l’entendit avant de la voir. Le téléphone à l’oreille, elle parlait avec concentration à une femme qui portait le titre de docteur. S’approchant d’elle par-derrière, il l’attira à lui, huma son parfum, interrompant la jeune femme dans sa phrase. Il aimait la tenir contre lui, il aimait respirer son odeur, il aimait la savoir si près de lui qu’il avait l’impression que son cœur était en fête. Reprenant sa phrase en suspens, elle pivota doucement, et leva les yeux vers lui, et sans hésiter il s’y perdit. Le bleu de ses pupilles donnait l’impression de voir le ciel. Il pourrait rester ainsi toute sa vie. Désireux de la laisser travailler, il posa un chaste baiser sur son front, et s’éloigna pour aller vers la cuisine. La connaissant, il savait qu’il n’y avait rien à manger. Déposant la bouteille de vin sur l’ilot de la cuisine, il retira sa veste puis sa cravate et remonta ses manches, et sans un mot, il se mit à chercher de quoi faire un repas.
Alors qu’elle était toujours au téléphone, faisant les cent pas de long en large du petit appartement, lui il cuisinait, de temps en temps il levait les yeux, et il la surprenait toujours à l’observer. Il lui retournait alors un regard qu’il savait séducteur en la faisant rougir, quelques fois elle se perdait même dans le cours de sa phrase, alors il souriait heureux de voir l’effet qu’il lui faisait. Lorsqu’elle eut achevé au bout d’une quinzaine de minutes, elle déposa le téléphone, et à son tour, elle vint l’enlacer par-derrière, posa le nez au creux de son dos, et huma profondément, et ce fut à son tour de ne plus savoir ce qu’il faisait.
— Salut toi, murmura-t-elle d’une voix tendre.
Antonio cessa tout mouvement, et de ses bras, il recouvrit les siens afin de la garder tout contre lui.
Ils restèrent ainsi un moment, elle l’enlaçant par derrière, et lui, les yeux dans le vide, sentant dans son dos sa chaleur, un instant de pure paix, comme c’était toujours le cas à ses côtés. Quand il était en sa présence, il avait toujours la sensation d’être déchargé. Dans un profond soupire, ses épaules s’affaissèrent de soulagement, puis, doucement il se retourna pour mieux la voir. Au creux de ses deux paumes, il tint son doux visage qu’il souleva vers lui, et en silence, il posa un chaste baiser sur son front, sur chacune de ses paupières, puis ses joues, et pour finir, il captura délicatement ses lèvres. Un véritable paradis.
— Salut toi, répondit-il enfin langoureusement en regardant le rose colorer ses joues.
— Je me demande bien comment mon estomac survivait avant toi.
Elle se pencha pour regarder dans la casserole qui mijotait encore, et inspira de ravissement. Il lui tendit un verre de vin.
— Je me pose la même question à chaque fois que j’ouvre ton réfrigérateur.
Elle lui tira la langue avant de sourire. Et dès qu’elle quitta la cuisine, il la suivit. Son verre de vin rouge en main, il alla s’asseoir à ses côtés, et pris ses pieds sur ses genoux alors qu’elle remettait ses lunettes.
— Je suis désolée, je dois envoyer ce mail, et une fois finis, je suis à toi.
— Je croyais que tu étais déjà à moi.
Elle releva les yeux pour le regarder furtivement par-dessus ses lunettes en souriant d’un air mutin.
— La seule chose que j’ai à dire, c’est que tant que je n’ai pas dit oui, devant le prêtre que tu dois me présenter dans quatre jours, tu peux encore t’inquiéter.
— Et qui te ferait à manger comme moi ?
— Un autre chef italien bien sûr !
La prenant au dépourvu, il tira brusquement sur sa cheville, et glissa les doigts sous sa chemise de nuit pour couvrir son corps de chatouille. Se tordant dans tous les sens, il la fit rire jusqu’aux larmes, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus supplier ni même placer une respiration normale. Et l’écouter rire ainsi était à la fois doux et amer. Il voulait plus que trois mois avec elle, bien plus.
— Ok, tu… tu es le seul italien, lâcha-t-elle entre plusieurs rires.
Il la lâcha alors.
— Tu vois bien que tu es d’accord carra mia.
Dans une dernière tape sur les fesses, il se leva pour rejoindre la cuisine.
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