CHAPITRE 28
Impatient d’abandonner pour de bon cet énergumène donneur de leçon, Antonio lui tendit les affaires qu’il tenait depuis une trentaine de minutes maintenant. Mais comme s’il ne l’avait pas vu, Giovanni se détourna pour se diriger vers l’un des bancs situés à une dizaine de mètres de la fontaine. Et là, il s’y assit en levant la tête pour voir l’arbre duquel venait de tomber une feuille morte.
Antonio serra les dents de plus en plus agacé. Par pur esprit de révolte, il voulut jeter au sol les vêtements et chaussures qu’il tenait, à la place, va savoir pourquoi, il rejoignit l’inconnu sur le banc.
Giovanni releva les yeux vers lui, souriant gentiment.
- J’ai l’impression que tu ne m’apprécies pas trop.
- Je n’ai pas à vous apprécier, je ne sais rien de vous.
- Mais si, tu sais des choses à propos de moi. Tu connais par exemple mon nom.
- Connaitre le nom d’une personne ne suffit pas toujours à se faire une image.
- Alors, discutons.
Antonio laissa transparaitre son irritation.
- Je n’en ai pas envie. Maintenant si vous voulez bien récupérer vos affaires, chacun de nous va poursuivre son chemin.
Giovanni ne répondît ni ne fit un mouvement en ce sens, à la place, il couva Antonio de ce même regard pesant de tout à l’heure. Ce regard qui donnait l’impression qu’il fouillait en vous et que mieux encore, il trouvait des réponses. Mal à l’aise, Antonio déposa sa charge sur le banc et tourna dos lorsque la voix l’arrêta.
- Je ne te connais pas, et pourtant tu ne m’apprécies pas.
Il serra les poings, lui-même étonné par l’antipathie naturelle qu’il ressentait. Il n’avait qu’à continuer, toutefois, il se retourna.
- Je n’aime pas les menteurs c’est tout.
Giovanni ne paraissait pas blessé.
- Et à quel moment ai-je mentit ?
- Lorsque vous avez affirmé que l’amour suffit. Par votre faute cet homme va se faire jeter par sa copine, et passer ainsi le reste de ses jours seul et malade. Tout ça parce que vous n’avez pas pu vous empêcher de lui sortir tout un baratin sur l’honnêteté. Toute vérité n’est pas bonne à dire !
Sa voix froide fendait le silence avec une chaleur brulante, et Antonio lui-même en resta stupéfait une fois sa tirade finie. Giovanni, lui, restait patient, comme s’il comprenait.
Un silence s’installa. Le doux bruissement de l’air fit tanguer les feuilles de l’arbre, mais rien de l’atmosphère ne semblait perturber la paix de cet homme sur le banc, assis pieds nus, les manches et les bas humides de son pantalon relevés. Et au bout de ce silence, sa voix toujours calme se fit finalement entendre.
- Parlons-nous toujours de Diégo, ou de toi ?
Interloqué qu’il ait vu si juste avant même qu’il s’en aperçoive lui-même, Antonio resta muet alors que son cœur battait de plus en plus fort. Il pivota donc les talons, mais de nouveau, il l’arrêta.
- Comment s’appelle-t-elle ?
Immobile, Antonio ne put s’empêcher de revoir les traits angéliques de Rainbow. La manière dont elle le souriait, la manière dont elle le regardait, comme s’il était un cadeau et non une malédiction ambulante. Quand ce donneur de leçon avait plaidé la cause de l’honnêteté, il y avait pensé durant une seconde avant de bien vite oublier cette folie. Jamais il ne lui dirait la vérité, elle était trop moche, et il y’avait de grandes chances pour qu’elle ne le croie pas. Lui-même n’y aurait pas cru qu’il n’avait pas été question de sa propre histoire.
Le bien et le mal, il le connaissait. Il était italien après tout. Il en savait donc plus que nécessaire sur l’enfer et le paradis, et enfant il y avait cru. Et quoi de plus normal que de regarder le bleu du ciel en affirmant qu’il y’avait là un grand patron là pour veiller sur vous mieux que vos parents ne l’aurait fait ?
- Lui, il t’aime plus que moi ou papa ne t’aimera jamais…
Tels étaient les mots préférés de sa mère, et bon sang qu’est-ce qu’il y avait mis toute son âme durant les heures les plus sombres de sa vie. Mais jamais au grand jamais il n’avait reçu de réponse. Jamais au grand jamais il n’avait vu ou ressenti cet amour, bien au contraire, il avait l’impression que plus il s’adressait à ce Père invisible, plus il souffrait. Puis il en a eu marre de souffrir alors il cessa de parler à ce ciel qu’il disait être vide. Et en grandissant il c’était convainque que ce n’était que du baratin enseigné aux enfants afin que la culpabilité les fasse marcher droit. Et tout allait bien, oui, tout était parfait ainsi. Et puis ce jour sombre est arrivé, et là, une fois encore le Père a qui il n’avait plus adressé la moindre parole n’avait pas été présent, quoi de plus normal, il n’est jamais là. Par contre l’autre était venue. Lui il est toujours là, lui il avait un plan, et évidemment qu’il avait dit oui. Dix ans de vie pour quitter le lit d’hôpital, dix ans durant lesquels il avait vécu comme il le souhaitait, dix ans durant lesquels il avait tout eu, l’argent, les maisons, les voitures qu’ils changeaient telles des chemises, et les femmes à profusion. En dix ans il avait vécu sa vie mieux que la plupart des êtres humains, et maintenant qu’il était prêt à déménager en enfer, voilà que l’enfer s’invitait sur terre.
Il avait rencontré une magnifique jeune femme aux yeux aussi bleus que le ciel. Au sourire aussi pur que l’eau de roche, et si innocent que sa culpabilité à lui en était apparente. Une femme qu’il voulait, mais qu’il ne pouvait avoir. Alors non, il est hors de question qu’une personne qui ne sait rien des plus grandes décisions de la vie vienne ici avec nonchalance pour lui dire que l’honnêteté était primordiale et que pire, l’amour suffisait !
D’un battement de cils, il ignora Giovanni, et souleva le talon. Mais à peine l’eut-il fait qu’il l’entendit de nouveau.
- J’ai vu la manière dont tu souriais lorsque Diégo parlait de sa promise.
- Mêlez-vous de ce qui vous regarde !
Maintenant face à Giovanni toujours assis sur le banc, Antonio fulminait de rage.
- C’est donc ce que tu comptes lui dire à cette jeune femme ? Est-ce ainsi que tu comptes justifier ta lâcheté Antonio ?
Cette fois-ci il voyait rouge.
- Tu comptes lui dire que l’amour ne suffit pas lorsque tu vas la rejeter ?
Troublé qu’il ait encore une fois vu juste, Antonio sentit sa colère fondre. Dans deux jours c’était la cérémonie de lancement du centre caritatif, il avait bien évidemment reçu l’invitation. De la main même de Rainbow d’ailleurs, elle avait été si fière en lui montrant le fruit de son travail, et il avait été heureux pour elle, impatient même que cette soirée arrive, puis il y’avait eu sa virée nocturne, ensuite l’histoire avec Séléna, alors non il comptait ne pas y aller. Espérant ainsi encore plus la décevoir pour aisément couper court à toute relation entre eux.
- Comment le savez-vous ?
Giovanni sourit avec cette gentillesse qui l’énervait.
- Pas besoin d’être devin pour comprendre. Je sais qu’il est question d’une femme parce que tout à l’heure ton regard t’a trahi. Et tu dis ne pas croire en le fait que l’amour suffise pour tout, aussi, l’un dans l’autre cela se voit que tu comptes être lâche.
Il disait le dernier mot sans jugement, ce qui rendait les choses encore plus difficiles à entendre.
- Vous ne savez rien de ma vie ni des choix qui m’incombent !
- C’est vrai, mais en te voyant je sais que tu ne serais pas le premier garçon à refuser d’évoluer en homme.
- Comment oser ?
- Tu ne veux pas payer le prix, le coupa doucement Giovanni d’un air sérieux. L’amour à un prix que tu refuses de payer, il nécessite un sacrifice que tu refuses de faire. Oui je ne sais pas les décisions ni les pressions que tu subis, la seule chose que je sais, c’est que j’ai en face de moi un lâche.
Encore et toujours la voix posée de l’homme sur le banc n’était pas emplie de jugement, mais seulement assurée de dire la vérité, et le pire, c’est que maintenant Antonio voyait qu’il disait vrai.
- Alors, dis-moi pourquoi est-ce plus facile d’être lâche et je te laisserai tranquille.
- Je n’ai pas besoin de vous parler pour que vous me laissiez tranquille, il suffit que je m’en aille tout simplement.
- C’est encore vrai, mais nous savons tous les deux que tu ne le feras pas. Va savoir pourquoi, même si tu me détestes, tu aimes la vérité qui sort de ma bouche, raison pour laquelle tu te tiens toujours en face de moi. En plus j’ai aidé Diégo à prendre la plus grande décision de sa vie, peut-être le pourrais-je avec toi aussi. Sa fiancée lui dira oui lorsqu’il fera sa demande, et ils vivront intensément leur vie de couple pour le reste du temps qui lui reste à vivre sans jamais regretter de s’être rencontré.
- Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ? Non attendez, laissez-moi deviner : parce que l’amour suffit toujours ?
Giovanni ouvrit grand les bras en signe d’assentiment en lui lançant un grand sourire.
- Tu vois que tu comprends quand tu veux.
Antonio retint difficilement le petit sourire qui plana sur ses lèvres. Cet homme n’était décidément pas seul dans sa tête songea-t-il en remuant doucement la tête.
- Je savais que tu ne me détesterais pas bien longtemps, lança malicieusement Giovanni dans un sourire.
Cette fois-ci Antonio rit franchement en sentant ses épaules se détendre. Et avant qu’il ne s’en aperçoive, il était assis sur le banc en compagnie de Giovanni, qui maintenant enfilait ses chaussettes.
Lorsqu’il y eut fini, il se chaussa, avant de s’adosser au banc, le regard dans le vide, sans jamais le presser. Alors en silence, les deux hommes regardèrent le soleil continuer sa descente.
- Je ne veux pas la faire souffrir, murmura Antonio au bout d’un long calme.
Giovanni ne répondit pas. Il restait si calme, tant bien que Antonio crût qu’il ne l’avait pas entendu.
- Mentir fait toujours du mal. Toujours. Ce n’est pas parce qu’elle ne sait pas qu’elle n’en souffrira pas, et au fond de toi tu le sais.
Il avait raison, et Antonio le savait.
- Tout à l’heure vous avez parlé de prix a payé et de sacrifice.
Giovanni approuva de la tête.
- Tout ce que tu refuses de faire afin d’éviter de céder à ce que tu ressens constitue le prix à payer, ou encore le sacrifice à faire. Aussi, pour te donner bonne conscience, tu utilises la phrase bouche trou, ce ramassis de connerie qui dit que l’amour ne suffit pas. Mais c’est juste de la lâcheté. Rien ne te retient à part la peur.
- Non, vous ne comprenez pas. Je veux la protéger.
- C’est toi qui ne comprends pas Antonio. La seule personne que tu veux protéger c’est toi, toi et personne d’autre.
- Je vais mourir, et je…
- Et tu veux protéger ton cœur pas le sien, insista calmement Giovanni comme s’il s’agissait d’une évidence. Comme je l’ai dit à Diégo, je suis également désolé de te savoir mourant, mais refuser de vivre, pire encore, refuser de saisir cette seconde chance que la vie te donne c’est non seulement de l’orgueil, de l’égoïsme, mais aussi de la lâcheté dans sa plus grande forme. Tu veux repousser cette femme pour ne pas avoir à souffrir chaque jour en pensant que c’est un de moins dans le temps qui t’est imparti. Mais ça n’a pas à être ainsi, tu peux juste vivre, aimer chaque seconde avec elle parce que c’est elle justement qui l’emplit. Et lorsque le moment viendra, tu baisseras le rideau, le sourire aux lèvres.
- Cette femme m’attire certes, mais je ne pense pas qu’il s’agisse du grand amour. J’ai fait trop de bêtise pour mériter pareil cadeau.
Giovanni sourit doucement.
- Là c’est toi qui mens Antonio. Il n’est plus simplement question d’une banale attirance. Tu as largement dépassé ce stade depuis belle lurette. Pas avec pareille souffrance dans le regard, et encore moins, pareille joie rien qu’en parlant d’elle.
Un ange passa.
- Vous avez probablement raison.
- Je sais.
Il y’eut un autre silence.
- Combien de temps te reste-t-il ?
- Trois mois, vingt-cinq jours.
Il aurait pu ajouter les heures les minutes et les secondes correspondantes, mais il s’en s’abstint.
- Cancer aussi ?
- En quelque sorte. Que lui arrivera-t-il ?
Giovanni se retourna pour le regarder.
- Comment ça ?
- Vous me dites de céder.
- Non Antonio, je te dis d’écouter la part la plus pure de ton cœur.
- Et si je le faisais, que lui arrivera-t-il quand je mourrai ? Toute sa douleur, ne vaut-il pas mieux laisser les choses ainsi afin qu’elle m’oublie le plus vite possible ?
- Quelle arrogance ! Qui te dit qu’elle souffrira tant que cela ?
- Parce que c’est un ange. Je ne la mérite pas je le sais, tout comme je sens que ce qu’il y’a entre nous était écrit, et y céder maintenant alors que je suis si proche de la fin, ce n’est pas logique.
Face au silence de Giovanni, Antonio tourna la tête vers lui en remarquant le grand sourire de ce dernier.
- Pourquoi vous souriez de la sorte ?
- Parce que tu viens de comprendre que l’amour n’était pas logique. Ce noble et puissant sentiment à bien des qualités, mais la logique n’en fait pas partie. Tu connais le dicton qui dit que le chemin le plus court entre deux points est la ligne droite ? Et bien en amour, c’est archifaux. Car le chemin le plus court entre deux cœurs c’est le tour du monde. Autrement dit, l’amour prendra des détourés dont tu n’as pas idée, des détours que la logique jugerait non seulement d’irréalisable, mais aussi, d’inutiles. Toutefois pour un cœur qui sait écouter, il sait que chacune des étapes du voyage est nécessaire. Alors tu veux un conseil ?
- Comme si dire non pourrait vous empêcher de me le donner.
Giovanni rit de malice, mais très vite son regard devint sérieux. Il avait les yeux marron foncé, porté par un visage à la beauté naturelle des Italiens. Il avait une aura douce, mais d’une belle intensité. Une aura qui donnait envie de parler, et une voix dont l’assurance affirmait qu’il savait ce qu’il disait. Et Antonio comprit pourquoi tout à l’heure Diégo n’a pas pu s’empêcher de tout lui dire. Avec lui on avait envie de se décharger pour prendre un peu de sa paix.
- Avec ce que tu viens de me dire, toi comme moi savons que tu n’as littéralement plus de temps à perdre en jeu d’enfant. Tu vas donc devoir devenir un homme dans de brefs délais.
- Que voulez-vous dire ?
- Lève-toi, va la trouver où qu’elle se trouve, dis-lui la vérité pour qu’à tes yeux ce que vous allez vivre ne passe pas pour un mirage qui te fera encore plus souffrir. Et une fois cela fait, avec elle, vit ta vie comme si tu allais mourir demain, parce que c’est le cas. Offre-lui absolument tout ce qui ne s’achète pas avec de l’argent, ton temps, ton attention, ton honnêteté, ta fidélité, ton cœur et tout ce qui va avec. Toutes ces choses-là dont l’amour se nourrit. Évite tout ce qui te fera reculer, parce que tu n’as plus le temps pour mieux sauter de nouveau. La vie t’offre une dernière corde, saisie là, et lorsque le moment de la lâcher viendra, assure-toi de regarder cette femme dans les yeux et de lui dire qu’elle t’a offert tous les meilleurs instants de ta vie et que ton seul regret, ce fut de ne pas avoir un cœur bien plus grand pour l’aimer plus encore.
D’un regard encourageant, Giovanni se leva avec souplesse et prit sa veste qu’il passa sur ses épaules, et de la poche il en fit sortir le col romain qu’il noua autour du cou et le regard d’Antonio s’éclaira. Face à son visage surprit, Giovanni lui fit un magnifique sourire toujours malicieux avant de lui faire un clin d’œil tout aussi espiègle, puis il tourna dos avant qu’Antonio ne puisse l’interroger.
- Bonsoir Padre, salua un petit garçon.
- Enzo, petit filou, je ne t’ai pas vu à la messe récemment, lança Giovanni sur un ton faussement irrité en écoutant le petit garçon déballer à vive allure ses excuses.
Revenant de sa surprise, Antonio regarda le duo s’éloigner dans un petit sourire incrédule. Ce fut là qu’il remarqua qu’il tenait toujours en main la médaille miraculeuse que Giovanni avait trouvée dans la fontaine.
Il se leva et le héla.
- Vous avez oublié la médaille.
Giovanni se retourna en même temps que le petit garçon au moment où d’autres enfants accourraient autour du prêtre chacun criant pour son attention.
Giovanni lui fit encore ce petit sourire qui en disait long.
- Non je ne crois pas.
Il s’éloigna de nouveau, et Antonio baissa les yeux sur la médaille.
Elle était en or.
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