CHAPITRE 24
— Donc, faites-le !
— Doucement il n’y a rien qui presse Antonio. Mais une dernière chose, ce qui me distingue également du génie d’Aladin, c’est, qu’aucun de mes vœux n’est jamais gratuit. Aussi, contre ta guérison, je reviendrai dans dix ans jour pour jour, très exactement le jour même où la lune dans le ciel te fera sa plus belle prestation, et te donnera son plus beau cadeau. Ce jour-là alors, je reviendrai te prendre ta vie. Je ne serai pas une sorte d’ange gardien, ou ton porte-bonheur attitré. Pendant dix ans tu pourras faire ce que tu veux, monter ton affaire, la rendre aussi prospère que tu le souhaites sans interférence de ma part. Coucher avec cette serveuse que tu as rencontrée il y’a quelques semaines sur la terrasse de cette cafeteria, mais au jour donné, je reviendrai récupérer mon dû, et il n’y aura aucun retour en arrière possible.
— J’accepte.
— Qu’il te soit fait selon ton vœu Antonio Grimaldi.
Dans une profonde inspiration bruyante, Antonio ouvrit brusquement les yeux et se redressa dans son lit dans un sursaut, le front moite de sueur.
Encore cette voix, jamais il ne l’oublierait, encore moins maintenant qu’il en était à la fin du chapitre de sa vie. Son regard se posa sur le réveil dont les chiffres luminescents indiquaient minuit trente-sept. Tendu, et dorénavant réveillé, il quitta son lit et alla se tenir sur le balcon. Torse nu, le visage levé vers le ciel sombre, il ferma les yeux et inspira profondément en sentant dans l’air toute cette pollution qui n’était pas présente dans son domaine. Hier il avait eu la paresse de conduire jusqu’à chez lui, préférant son penthouse au centre-ville à la place.
Ce penthouse qui avait vu défiler un si grand nombre de filles qu’on se serait cru dans un bordel. Non, il n’amènerait jamais Rainbow ici.
Elle était trop pure pour cet endroit. Elle était même trop pure pour lui. Il y’a quelques heures, elle c’était ouvert à lui d’une manière qu’il ne le ferait probablement jamais. Elle lui avait dit l’un de ses secrets, ou du moins, le tiers en lui assurant que la prochaine fois qu’elle le fera, elle coucherait avec lui. Antonio sourit.
Une raison de plus pour ne pas justement chercher à en savoir plus, mais il était trop égoïste pour cela. Car oui, plus que tout, il voudrait connaitre le gout de ces baisers, il voulait connaitre la saveur de sa peau, et se perdre en elle. Franchir cette étape, et il ne pourrait plus revenir en arrière. Elle n’était pas de celle qui couche juste pour le plaisir, non, elle était de ces femmes-là pour qui le désir charnel impliquait quelque chose de plus fort, de ces femmes-là dont il ne s’approchait pas d’habitude. Et comble de l’ironie, c’est elle qui lui est littéralement rentrée dedans, et depuis, c’est dorénavant lui qui n’arrivait plus à refermer la page sur elle.
Troquant son bas de pyjama contre un jeans, Antonio enfila un t-shirt au col en V, prit sa porte-feuille et son téléphone, puis quitta l’appartement maintenant que son esprit était trop vif pour trouver le sommeil. Avec révérence, le portier s’inclina devant lui quand il franchit le seuil de l’immeuble.
— Vous voulez que je vous appelle un taxi, Monsieur Grimaldi ?
— Non, Phil. Je vais marcher un peu.
Il fit sortir son téléphone et par réflexe il composa le numéro de Rainbow avant de changer d’avis. Il était une heure du matin et à pareille heure, les personnes comme elles devaient déjà dormir. En plus que lui dirait-il ? Qu’il avait envie d’entendre sa voix ? Non, il était encore trop fier pour cela. Et il ne pouvait pas non plus lui dire pourquoi il n’arrivait pas à dormir. Il avait trop honte de lui-même pour le confesser.
Dans la nuit, ses pas sans but le menèrent à un des bars encore ouverts à cette heure et cela en pleine semaine. Il poussa la porte, et dans l’air il y’avait cette odeur d’alcool et de luxure en refroidissement. Dans un box sur sa gauche se trouvait un barbu autour d’une pinte de bière, les yeux vitreux, il fixait le vide comme si ce dernier avait des choses à lui dire.
Détournant le regard, Antonio se dirigea vers le bar et s’installa sur l’une des chaises hautes sans faire attention au deuxième client qui avait les yeux perdus dans son verre avec concentration. Ce dernier semblait fatigué. Au même moment un troisième homme sortit, titubant, il renversa l’une des tables, attirant l’attention d’Antonio. Seul lui semblait assez sobre pour se retourner.
Cet endroit avait tout de l’antre du désespoir. Il sentait le renfermé, la solitude, et y être vous donnait l’impression de suffoquer de tristesse. À moins que ça ne soit juste l’humeur des personnes qui s’y trouvait. Ou tout simplement sa propre humeur, songea l’italien.
— Nous allons bientôt fermer.
Antonio abandonna l’ivrogne qui tentait de se relever difficilement et regarda à présent l’homme qui sortait d’une porte derrière le bar avec des verres en main.
— À ce qu’il parait, les dernières bières sont toujours les meilleures. Une blonde plus une shot.
Déposant sa charge, le barman balança son torchon sur son épaule, et lui servit sa pinte avant de prendre un des verres à téquila qu’il remplit.
Dans un geste rendu fluide par l’habitude, il laissa le verre tomber au font de la pinte, faisant ainsi remonter les bulles blondes. Sans un mot Antonio s’en empara et en prit une longue gorgée en sentant la légère brulure de la téquila.
Il était deux heures du matin lorsqu’il demanda sa deuxième tournée. En moins de trente minutes, il siffla encore toute la bière. Cette boisson n’était pas vraiment sa préférée. En tout bon italien qu’il était, il adorait le vin, mais dans pareil endroit, il n’était pas sur qu’il puisse trouver un Chardonnet qu’importe l’année.
— Si vous voulez vous enivrer il vous faut quelque chose de plus fort, l’interpella le barman.
Antonio releva les yeux.
— Sans vouloir vous insulter, rien sur votre présentoir n’est digne d’être appelé alcool fort. La seule chose de potable ici c’est votre bière fade que la téquila tous aussi moyenne rehausse de son mieux.
— Pas la peine de se montrer condescendant.
— C’est vous qui avez proposé, je ne fais que vous expliquer mon point de vue.
— Et il a tout à fait raison le monsieur, intervint l’homme qui fixait l’intérieur de son verre depuis qu’Antonio était arrivé. Je t’ai toujours dit que tu nous servais de la pisse et ça ne t’a jamais dérangé. Mais il suffit que ce soit un riche qui te le dise pour que tu te mettes à utiliser de gros mots. Je suis sûr que tu ne sais même pas ce que condescendant veut dire, et que tu peux encore moins l’écrire.
— Va te faire foutre Mickey !
Ce dernier gloussa à la manière de l’homme ivre et se leva pour venir se mettre à un tabouret d’Antonio.
— Estime-toi heureux que ce soit des âmes errantes de notre genre qui font marcher ton trou du cul.
— Veux-tu que je te montre ta longue ardoise afin que tu comprennes combien tu es celui qui me défonce continuellement le trou du cul ?
Mickey eut un geste vague de la main, comme s’il chassait une mouche.
— Tsst, je suis sûr que tu adores au fond.
Le barman était furieux, cela se voyait à sa moustache qui tremblait.
— Maintenait sers-nous la cuvée du chef et tu la fermes.
Les lèvres pincées, le barman disparut dans la réserve et revint avec une bouteille au contenu transparent. Il prit trois verres à liqueur qu’il déposa abruptement avant de les remplir en faisant gicler la boisson sur le comptoir.
Le grand homme chauve à la moustache derrière le bar fut le premier à saisir son verre avant de le renverser dans sa bouche en faisant tendre sous son t-shirt noir ses lourds muscles. Mickey en fit de même, mais au lieu de boire il se retourna vers Antonio.
— Tu ne bois pas ? Crois-moi, ça arrache. De quoi te faire oublier ce pourquoi tu es là à deux heures trente passé à boire seul alors qu’au vu de la valeur de ta montre, valeur probablement plus grande que cette bicoque, tu pourrais boire tranquille chez toi sans un barman chauve et aigris pour te saper le moral.
Dans un clin d’œil, Mickey but cul sec son verre en émettant un profond sifflement de ravissement avant de tendre de nouveau la main pour être servie.
— Qui te dis que je suis là pour oublier quoi que ce soit ? s’agaça Antonio en portant à son tour le verre à la bouche. Et dès que ce contenu traversa sa gorge, il eut l’impression d’avoir avalé du feu. Tout son corps frémit, et son visage s’échauffa. Il exhala bruyamment en toussotant.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
— Un tort boyaux pur jus, ris Mickey alors qu’on servait une fois encore Antonio.
— C’est du bon n’est-ce pas ? Mais la recette est un secret de fabrication. Tout ce que je peux cependant te dire, c’est qu’il y’a un zeste de kérosène dedans, déclara le barman avec fierté.
— Avec ça au moins ta gueule de bois de demain sera justifiée. Et pour en revenir à ta question, tous ceux qui sont là, sont ici pour oublier quelque chose. Même les riches friqués de ton genre ne sont pas au-dessus des coups de reins monstrueux de la vie qui vous baise sans capote au point de vous laisser le cul en feu !
Le barman leva les yeux au ciel en remuant la tête consternée.
— Ne l’écoutez pas.
Antonio renversa encore le verre dans la gorge, et la deuxième fois semblait pire que la première, mais au moins Mickey avait raison. La douleur faisait oublier.
— Alors tu as été aussi baisé par la vie ? continua Mickey.
Antonio sentait dans son corps l’effet bien plus rapide de cette décoction aussi transparente que l’eau.
— Baiser à fond tu ne peux pas savoir, répondit finalement Antonio en sifflant son troisième verre.
Les deux autres hommes le regardèrent, puis se regardèrent avant de glousser puis de rire franchement, et il les rejoignit sans savoir pourquoi. Probablement le rire de l’ivrogne.
Au bout du cinquième verre Antonio ne sentait plus sa langue. Au huitième, il ne sentait plus la dureté du tabouret sur lequel il était assis. Et à partir du dixième, il ne pensait plus qu’à Rainbow, mais au moins, il n’avait plus de problème de culpabilité, et il n’avait plus mal dans la tête.
— Mickey, la pute ici c’est toi, pas cette pauvre fille. Et je te rappelle que c’est toi qui l’as quitté, la meilleure décision de ta vie d’ailleurs, parce qu’elle était beaucoup trop bien pour toi si tu veux tout savoir.
Ce fut cette phrase qui ramena Antonio dans la conversation.
— Quitté qui ? marmonna-t-il la langue paresseuse.
— Chiara, répondit le barman. Un petit lot cette femme. Les courbes qu’il faut là où il le faut et le plus important, elle n’était pas aussi bête qu’un poisson rouge. Cette femme vous donnait envie de vous caser.
Cette description rappelait à Antonio un certain visage.
Mickey renâcla de dédain en sirotant son verre.
— Et pourquoi l’a-t-il quitté ?
— Figure-toi que ce fils de pute n’a pas trouvé mieux à faire que de la tromper avec sa demi-sœur. Une folle aussi barrée que notre ami ici présent.
Antonio haussa un sourcil incrédule.
— Oui, tu m’as bien entendu. Alors elle est partie.
— Oui, partie, c’est elle qui est partie, je ne l’ai pas quitté, bondit Mickey le regard dur.
— Mais si tu l’as quitté. Dès lors que tu as baissé ton pantalon pour fourrer ta bite de pauvre con dans la chatte de sa sœur tu l’as quitté. Si tu voulais qu’elle reste, tu ne l’aurais pas traité ainsi. Alors, ne viens pas pleurer ici tous les soirs en affirmant qu’elle est une pute à qui veut l’entendre car nous savons tous les deux que le con ici c’est toi. Tu bousilles tout ce que tu touches, et je ne comprends pas pourquoi le ciel continue à mettre sur ta route des personnes bonnes. Franchement.
Cette dernière phrase bouscula Antonio, car il était certain qu’elle était pour lui.
— Être loin de toi c’est la meilleure chose qui puisse lui arriver. Pour preuve, elle se marie.
Mickey avala son verre de travers, et Antonio se retourna pour le regarder. Il avait les traits ahuris, il semblait en colère, mais sous toute cette colère, lui, il voyait sa peine et sa douleur.
— Quand ?
— Qu’est-ce que j’en sais moi, s’agaça le barman adossé au présentoir. Tout ce que je sais, c’est que lorsqu’on à pas les couilles d’être un homme et de faire tout ce qu’il faut pour, et bien, un autre moins couard vous prend votre femme.
De nouveau Antonio se sentit visé, et son cœur se serra, dissipant ainsi l’engourdissement de l’alcool. Aussi, il se remit à boire, et au bout du quinzième verre, la douleur avait de nouveau disparu.
— De toutes les façons qu’est-ce que tu espérais ? Qu’elle te pleure toute sa vie ? Tu n’en vaux pas la peine.
Un autre pic qu’Antonio encaissa, il se frotta la poitrine, et pour faire passer la douleur, il prit un seizième verre.
— Ça fait plus d’un an maintenant, alors passé à autre chose.
Il y eut un léger silence gênant durant lequel chacun des trois hommes fixait un point abstrait. Le barman en colère, Mickey mélancolique, et Antonio perdu dans les bras de l’ivresse.
— Si tu crois que c’est facile, finit par parler Mickey en rompant leur étrange silence. Tu as raison, cette femme était parfaite. Le problème venait plutôt de moi. Elle méritait mieux que moi. Elle voulait des choses, et moi je n’avais rien de ce qu’elle avait besoin pour rester parfaite, pour rester elle-même. Mickey regarda le fond de son verre, exactement comme au début où Antonio était entré dans ce bar. Du bout des doigts, Mickey fit tournoyer l’objet. — Être attiré par elle ne suffisait pas, la désirer comme un malade ne suffisait pas. L’amour ne suffisait tout simplement pas. Alors oui, j’ai joué au con, oui je l’ai poussé à partir, mais je le devais. Elle méritait mieux. Et à ce que je vois, elle a trouvé mieux, conclut Mickey en vidant son verre, tandis qu’Antonio ne le quittait pas du regard un seul instant.
Et au fond de lui, Antonio le comprenait.
Écoutez cet homme discuter avec le barman, et il avait l’impression qu’il s’agissait de sa vie, et lui aussi il n’avait pas le droit de faire souffrir Rainbow. Il n’avait pas le droit de la privé de tout ce qu’elle voulait et que lui ne pouvait lui donner. Il était damné, dans moins de quatre mois il serait mort, et attiser un feu avec elle n’était pas judicieux, car il risquait de la consumer une fois qu’il sera mort. Et elle méritait d’être heureuse, elle méritait un homme qui soit là pour elle tout le long de sa vie, elle méritait un homme qui n’ait pas honte de son passé comme lui, elle méritait un homme qui lui ferait des enfants qu’il verrait grandir avec elle, elle méritait un homme qui lui dirait à chaque jour qui passe qu’elle était la plus belle femme au monde et cela même quand elle aurait quatre-vingt-dix ans, ridé, presque aveugle, a moitié sourde et les cheveux aussi blancs que la laine. Et lui, il n’avait rien de tout ceci.
Alors oui, il devait tout arrêter, mettre fin à ce qui grandissait à chaque jour qu’il passait à ses côtés. Il devait faire de telle sorte qu’elle ait un cœur ouvert pour un autre homme que lui, peut-être Géorgie, ou un autre, qu’importe. Mais pas lui.
Lui il devait reprendre la vie qu’il avait avant qu’elle n’y entre. Il devait recommencer à baiser tous les soirs avec une ou deux filles différentes qu’elle soit marié, fiancée divorcée ou une célibataire à la recherche du plaisir. Il devait continuer à vivre sans s’attacher, vivre sur cette terre le seul paradis qu’il n’aurait jamais, se permettre toute chose, effacer pour de bon la limite entre le bien et le mal car pour lui, il n’y a plus aucun autre bien qui puisse le sauver.
La seule chose de bien qu’il ferait dans sa vie serait de ne pas condamner l’ange.
Durant un instant il avait oublié qui il était au point de vouloir quelque chose d’elle, mais après ce soir, après cette conversation par personnes interposées, il avait pu avoir un point de vue plus complet sur la situation. Et chacun des deux hommes ici avait raison. C’était un signe du destin.
Il devait mettre fin à ce qui se tramait avec Rainbow.
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