CHAPITRE 2
Bip bip bip
Le bruit sec, et répétitif du moniteur fut la première chose qu'Antonio Grimaldi entendit bien avant même de pouvoir ouvrir les yeux.
Complètement perdu, il fit plusieurs tentatives infructueuses, mais il ne put soulever le rideau de ses yeux. Il ne sentait toujours rien, aucune lourdeur, ou aucune douleur, il crut un instant qu’il faisait un rêve, tellement il ne sentait rien, un homme sans corps. Il fit des tentatives pour se lever en se croyant dans son lit, mais là aussi tout se solda par un échec. Il était comme le chat magique dans Alice aux pays des merveilles : juste une tête sans corps. Sa gorge était obstruée, et aucun de ses membres ne bougeaient. Avec une difficulté non feinte, il fit un petit bruit de gorge pour attirer l'attention de toutes personnes qui passeraient par là. Et au bout d’un temps qui lui sembla particulièrement long, on l’entendit enfin.
- Calmez-vous Monsieur. Je suis le docteur White, votre médecin. Je vais vous retirer l'intubateur que vous avez dans la gorge.
Ce fut désagréablement, qu'il perçu le tube glisser le long de l'intérieur de sa gorge avant de la quitter. Il s'humecta les lèvres, et accueillit avec plaisir la petite gorgée d'eau qu'on lui donna, et qu’il avala pour ne pas changer, difficilement. Tout paraissait difficile. Mais que se passait-il ? Les sons autour de lui ne lui indiquaient pas un environnement familier, tous ces allers et venues, ses voix en arrières plans, le bruit des appareils électronique, et ceux des haut-parleurs qui lui donnait l’impression d’être dans un centre commercial.
- Où…où suis…je ?
- Vous êtes au Jefferson memorial hospital, et il est dix heures. Vous vous souvenez de ce qui s'est passé ? lui demanda la voix masculine.
Il réfléchit, et même ça, ça faisait un mal, c’était d’ailleurs l’une des rares douleurs qu’il semblait pouvoir encore ressentir, et que faisait-il dans un hôpital à dix heures ?
- Non, répondit-il après plusieurs secondes de réflexion.
- Ce n'est pas grave c'est normal. Vous avez eu un grave accident de la route.
Les images se remirent alors en marche dans sa tête. Il déglutit en revoyant la scène.
- Je m'en souviens vaguement. J'étais en communication et j'ai traversé sans regarder, et il y'avait un bus.
Sa voix était rocailleuse, les sons sortaient difficilement.
- Oui, c'est cela même. Vous avez été percuté par ce bus, puis votre corps a été projeté sur une voiture plus loin avant de retomber sur le sol. Vous avez d’ailleurs de la chance d’être toujours en vie après autant de choc.
Il mit du temps sans pour autant assimiler entièrement les informations qui venaient de lui être donné, car il s’aperçut d’une chose qu’il n’avait pas remarquée aux premiers abords. Le médecin lui avait dit qu’il était dix heures du matin, alors où était passé le putain de soleil présent à cette heure de la journée ? Il ne voyait littéralement rien. Où était-ce les volets qui étaient parfaitement tiré, et toutes les lumières éteintes, ou c’était lui qui avait un problème. Et pour sa santé d’esprit, il préféra croire à la première possibilité.
- Il fait jour n’est-ce pas ? demanda-t-il d’une voix toujours aussi lourde.
- C’est cela.
Et merde !
- Alors pourquoi je ne vois pas la lumière censée être dans la chambre ? Je suis devenu aveugle ?
- Non… enfin, pas vraiment. Vous avez subi une opération au niveau du nerf optique, et il a fallu vous bander les yeux pour un meilleur rétablissement, mais nous ne saurons si l’opération a été une réussite, que lorsque tout aura cicatrisé.
Il encaissa une fois encore l’information, en évitant de penser au fait qu’il se pourrait que l’opération ne fonctionne pas, après tout il avait survécu à un impacte de bus.
- Et pour mes membres ? Pourquoi je n'arrive pas à les bouger ? J’ai tous mes os cassé fourrés dans un plâtre ou quoi ? Parce que je ne sens aucune partie de mon corps. Même mon cou je n'arrive pas à le bouger.
Il attendit une réponse qui ne semblait pas vouloir venir, ce lourd calme lui fit comprendre que quelque chose n’allait pas bien, l’ambiance était différente.
- Il est temps de vous reposer Monsieur Grimaldi, répondit finalement le médecin d’une voix nouvelle. Et ce nouveau timbre vocal qui n’échappa pas à Antonio , ne lui plaisait pas.
- Dîtes moi ce qui se passe ! exigea-t-il avec une voix qui ne parvenait pas à suivre sa colère.
- Une chose à la fois, je reviendrai vous voir quand vous serez un peu mieux réveillé, trancha le vieille homme, et sans qu’il ne puisse apposer son véto à pareil décision, Antonio se sentit subitement attirer vers les profondeurs d’un sommeil qu’il n’avait pas vu venir. Et en un sens c’était mieux. Car s’il dormait, cela voulait-il peut-être dire que lorsqu’il ouvrirait les yeux, il verrait que tout allait bien, qu’il n’était pas dans un hôpital, avec l’impression que le médecin évitait de lui annoncer la pire nouvelle qui soit.
Bon sang, faites que ce ne soit pas ceux à quoi je pense…songeât-il tout juste avant de sombrer pour de bon.
Ce fut un cauchemar au gout de réalité qui le fit frémir dans un gémissement. Dans un geste reflexe pour éviter de revoir le bus lui foncer dessus une fois de plus, Antonio tenta d’ouvrir les yeux sans y parvenir. Du fait de la panique, il réessaya le souffle court, avant de se rappeler sa condition. Il avait eu un accident, il avait été opéré des yeux, et puis ? Le reste le médecin avait refusé de le lui dire. Dans un petit soupire qu’il ne sut catégoriser, il ouvrit la bouche, la gorge dorénavant libre de toute entrave, mais toujours aussi sèche et irritée.
- Il y’a quelqu’un ? fit-il alors dans un murmure rendu sec par l’état de sa voix. Au bout d’une minute, une voix féminine lui répondit.
- De l’eau…
Ce que ses lèvres reconnurent comme étant une paille fut portée à sa bouche, et lentement, il but, mais dû arrêter, et cela même s’il n’était pas encore satisfait. Sa forge était encore douloureuse.
- Qui êtes-vous ?
- Sarah, votre infirmière. Je vais dire à votre médecin que vous êtes debout, dit-elle tout juste avant qu’il n’entende ses pas s’éloigner et que le silence ne redevienne maître, chose qu’il n’aimait pas.
Et quel mauvais jeu de mot. Avait-il l’air d’être debout ? Voulut-il crier, mais sa colère resta au fond d’une gorge encore irrité. Il grognant à défaut de mieux. Il ne voyait pas et il ne pouvait même pas s’en plaindre comme il le fallait.
- Monsieur Grimaldi, appela la voix de homme qu’il devina être celle de son médecin traitant. La voix était mûre, avec ce détachement propre à ce corps professionnel. – Vous avez bien dormit ?
En guise de réponse il grogna.
- Quelle heure est-il ?
Il entendit le froissement d’un tissu accompagnant le silence du praticien. Il lisait l’heure.
- On peut plus de vingt-deux heure.
- Depuis combien de temps je suis là ?
- A peu près trois semaines. Votre ami…
- Kyle, interrompit Antonio . Où est-il ?
- Parti prendre une douche. Ça fait des jours qu’il ne quitte pas votre chevet. Mais ils nous à assurer à sa manière que la prochaine fois qu’il reviendra, on ne pourrait le faire partir d’ici, et cela même si son odeur corporelle en venait à déranger tout l’hôpital.
Antonio eut un semblant de sourire qui rouvrit la déchirure de sa lèvre. C’était bien Kyle ça.
- De quoi j’ai l’air ? demanda enfin le patient bien plus calme, mais pour combien de temps ?
- Amoché, répondit le médecin en laissant en suspend sa phrase.
- A quel point ? Vous êtes mon médecin, alors vous êtes tenu de me faire part de mon état de santé, et cela peu importe ce qui se passe.
Après un temps considérablement long où il avait fini par croire que le médecin était parti, Antonio entendit enfin sa voix.
- Votre impact contre le bus a été très violent. Vous avez plusieurs os du visage ainsi que tous les quatre membres brisés à de nombreux points. Et en plus de ces os, votre colonne vertébrale a été également touchée et votre moelle épinière en partie endommagée elle aussi à divers endroits…
- Je…je suis paralysé ? demanda-t-il doucement en coupant le médecin dans la très longue liste qu’il faisait des dégâts de son corps.
Il y eut un silence.
- Nous ne pouvons pas...
- Est-ce…est-ce que je suis paralysé ?
- Jusqu’à ce que nous fassions d’autres examen pour en avoir l’esprit net, oui.
- Est-ce remédiable ?
- Il nous faut attendre un certain stade de rémission avant de pouvoir nous prononcer une bonne fois pour toute, mais au vu de l’état actuel de votre moelle épinière...
- Pas de grands discours s'il vous plaît docteur. Dîtes moi seulement si c'est remédiable.
Il attendit encore, avant que le médecin ne se décide à lui répondre.
- Non, au vu de vos radios nous ne nous faisons plus trop d’espoir, autrement dit vous ne remarcherez plus jamais. Vous ne serez non plus en aucun cas capable de vous occuper de vous-même, et cela jusqu'à la fin de vos jours. Vous êtes tétraplégique Monsieur Grimaldi, conclut le médecin d'une voix basse et ferme.
Sa respiration manqua à l’appel une seconde, tandis que son cœur battait de détresse. Il s’humecta les lèvres.
- Mais peut-être que…
- Non, il n’y a plus rien à faire.
Croyez-moi, nous avons envisagé toutes les possibilités pour vous remettre sur pieds depuis votre arrivée ici, et il n’y en n’a aucune, déclara sur un ton catégorique et sans appel, le docteur White pour mettre fin la petite lueur d’espoir qu’il y’avait encore dans la voix d’Antonio.
Il lui donna du temps pour encaisser une fois de plus la nouvelle, et du temps il allait lui en falloir car sa vie ne serait plus jamais la même, songeât le médecin en le regardant étendu sur le lit d’hôpital le corps entièrement recouvert soit de plâtre, soit de bandage, avec dans les os de multiple vis pour tenir encore une charpente qui ne demandait qu’à s’écrouler dans la seconde. Tout le monde dans l’hôpital se demandait comment il pouvait être encore en vie. La réponse à cette question relevait du miracle.
- Quelle est la bonne nouvelle ? fit-il alors avec le peu de sang-froid qu'il lui restait.
Le docteur White réfléchit pour trouver une réponse adéquate, qui ne saurait pousser à la dépression, puis au suicide, avant de finalement abandonner. Il n’y avait nulle bordure à enrober autour de la sombre vérité.
- Vous êtes vivant, lui dit alors tout simplement le médecin en optant pour la franchise.
Je suis vivant, mais dans quel état ? Peut-on encore appeler ça une vie ?
Un ange passa, et sa colère mua en tristesse. Mais il ne pouvait pas se montrer faible devant qui que ce soit. De la pitié il en avait suffisamment suscité ainsi, pour en plus permettre à une personne dont il ne verra jamais le visage de l’entendre sangloter comme un petit garçon.
- Laissez-moi seul, murmura alors Antonio .
Quand il entendit la porte de la chambre se refermer doucement, il cessa de feindre, et laissa ses larmes couler à travers le bandeau qui lui recouvrait les yeux. Son moniteur se mit à sonner de façon plus soutenue et saccadée. Il n'était même pas capable de s'essuyer les larmes qui se déversaient de ses yeux pour le moment aveugle. Voilà où il en était. Tétraplégique. Il aurait mille fois préféré mourir plutôt que ça. Toute sa vie venait de partir en feu, et il n’y avait aucun pompier pour lui venir en aide. Il avait déjà vu sur une des chaines scientifiques du câble, un documentaire portant sur la vie des tétraplégiques, certains de ces derniers n’étaient pas capables de manger, de pisser et même pas capable d’aller au chiottes tout seul, et c’était à cela que ressemblerait son avenir. Il allait dépendre de quelqu’un toute sa vie, pour des besoins qu’ils avaient l’habitude de faire tout seul, il n’aurait plus jamais d’intimité pour rien, et le moindre rhume pourrait le tuer vu que son corps et son système nerveux et immunitaire confondu ne marcheraient plus jamais à la normale. Il n’était plus qu’un esprit fougueux enfermer dans une boite cassée. Plus le temps passait, et plus Antonio s’enfonçait un peu plus dans la mélancolie, et le désespoir, il ne voyait plus d’avenir pour lui. Plus rien de tout ce qu’il n’a été ne reviendra, et plus rien de tout ce qu’il voulait devenir ne sera, il se contenterait de vivre guidé par les lampes blafardes d’un passé pas si lointain que ça, et pas si glorieux que ça non plus.
Malédiction…
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro