CHAPITRE 10
Même profondément endormie, Rainbow parvenait à sentir une odeur qui ne la laissait pas indifférente, toujours inconsciente, elle inspira profondément ce parfum intense, boisé, avec ce qu’il fallait d’assurance et de masculinité, avant de rouler vers la source pour mieux s’en abreuver. Enfermée dans les bras de Morphée, elle était certaine de faire un rêve, un rêve dans lequel elle suivait une odeur, et plus elle se rapprochait, plus elle ressentait une douce chaleur enveloppant son corps.
Dans son rêve, lui parvenait tout aussi de douces notes d’un piano solitaire, et ce n’est qu’en ouvrant doucement les yeux, que la jeune femme se rendit compte que son rêve n’en était pas un, qu’elle avait roulée jusqu’à se retrouvée le nez situé non loin du torse d’Antonio, qu’elle avait même passé le bras autour de la taille de ce dernier, et que la musique qu’elle entendait était Clair de Lune, soit la sonate pour piano n°14 du grand compositeur Beethoven.
Pendant un vague instant, Rainbow se demanda où elle avait bien pu tomber quand les évènements de la veille lui revinrent, la pluie, les orages, elle qui s’était roulé en boule sur le sol de la chambre en pleurant à chaque rafale dans le ciel, les éclairs qui illuminaient méchamment la chambre, elle qui ne supportait plus ni le bruit, ni les lumières, elle qui parcourait difficilement les couloirs afin d’atteindre cette chambre, avant d’y entrer comme une furie, elle qui s’était révélée à Antonio, et pour finir elle qui avait éprouvé du désir pour cet homme à mille lieues du genre d’homme qu’elle fréquentait d’habitude, et comme si ce n’était pas suffisant, elle était toujours dans son lit.
Bref, de quoi mourir de honte !
Doucement, Rainbow releva les yeux pour voir son bras par-dessus la taille de la personne à ses côtés, remonta vers le torse d’Antonio qui était assis dos contre la tête de lit, elle atteignit ses épaules, et au fond d’elle, la jeune femme priait pour que la tête qu’elle allait voir soit n’importe laquelle sauf la sienne, elle accepterait même d’avoir dormi avec un martien, mais pas lui. En posant son regard bleu clair sur le visage de l’homme à ses côtés, la première chose qu’elle vit ce fut ses yeux, le regard malicieux, et amusé d’Antonio qui la fixait.
— Bonjour Mademoiselle Banks.
Instantanément, l’intéressée ouvrit grandement les yeux, rosis vivement.
— Oh mon Dieu ! s’exclama-t-elle dans un couinement surpris et gêné en roulant sur elle-même pour s’éloigner de ce corps qui appelait à la perdition. Dans sa belle tentative pour s’échapper, Rainbow roula plus que nécessaire, avant de se retrouver à faire une belle chute sur le sol froid de la chambre.
Sa tête cognant contre le marbre en la faisant mal, mais elle évita de bouger, allongée comme si là, était sa nouvelle demeure, elle ne bougea pas.
Comment allait-elle gérer toute cette histoire ? Cet homme était son patron, elle avait dormi avec, et s’il le lui avait demandé, elle aurait même couché avec. Juste un moment de faiblesse, se convainquit-elle les yeux fermés.
— Que faites-vous ? demanda Antonio sur un ton vivement intéressé.
Rainbow sursauta en hoquetant comme s’ils jouaient à cache-cache et qu’il l’avait trouvée.
Il était là, grand, torse nu, large, bâtit par un architecte qui connaissait très bien son travail au vu du résultat devant elle, et elle, elle était couchée sous lui, à le regarder en contre-plongée, avec les mêmes sensations que la veille, surtout lorsque son regard de femme se posait sur ce corps d’homme.
Le cœur battant plus que de raison, Rainbow écarquilla une fois encore les yeux en rougissant lorsque son attention se dirigea vers sa ceinture. Les mains sur le visage pour ne plus le voir, et tenter ainsi de refréner sa folie, elle pensa à toutes les manières possibles d’aborder cette affaire sans que les mots honte, et gêne n’y figure, mais elle ne voyait rien.
— J’espère que vous savez que même ainsi je peux toujours vous voir. Et à moins que ce ne soit là un jeu auquel vous jouez chaque matin au réveil, je suis de plus en plus perdu.
Bon sang, bon sang, nom de nom ! jura-t-elle dans sa tête. Elle inspira, ouvrit les yeux, et le surprit à toujours le regarder. Elle ne pouvait pas faire pire ! au bout d’un instant, Antonio lui tendit finalement la main pour l’aider à quitter le sol, mais au lieu de s’en saisir, elle préféra se lever toute seule. À peine debout, elle fut prise d’un léger étourdissement, et Antonio qui l’avait vu défaillir la rattrapa, et comme la veille, il l’aida à se rasseoir sur le lit qu’elle avait fui d’une manière qu’il trouvait bien étrange.
— Vous allez bien ? demanda-t-il réellement inquiet.
Timidement, la lèvre inférieure emprisonnée entre ses dents, et la tête baissée, Rainbow fit doucement oui de la tête les joues rouges. Il ne parla plus, et elle ne bougea plus.
Profitant qu’elle ait la tête baissée, Antonio balada son regard sur la jeune femme sous ses yeux. Il regarda ses longs cheveux blond miel soleil, les boucles qui dissimulaient son visage, il regarda ses petites épaules voutées, fit attention à ce t-shrit à lui qu’elle portait, la seule chose qu’elle ait acceptée de lui, et son regard s’accrocha ses cuisses que le bout de tissu mettait à nue. Elle n’avait pas la peau excessivement blanche, ni excessivement dorée. Elle avait ce bronzage qu’il devinait naturel, un bronzage que certaines des femmes qu’il a fréquentées auraient tué pour posséder, comme ça au moins elles n’auraient pas eu à passer des heures chez l’esthéticienne. Ses longues jambes, qu’elle cachait sous des bas et des jupes lourdes, ses petits orteils qu’elle frottait les uns aux autres… rien que candeur et beauté
même en ayant la tête baissée, Rainbow, pouvait percevoir le parcours que les yeux d’Antonio adoptaient sur elle, et elle comprit aussi ce qui allait suivre. Il se souvenait sans doute de sa réaction de la veille, et comme tous, il réagirait comme si elle n’était qu’une enfant. Elle était déjà passée par cette étape à plusieurs reprises, et elle savait comment ça fonctionnait, et dans d’autres circonstances, Rainbow se serait contenté de partir, mais là, ce n’était pas possible. Cet homme était son patron, un mauvais comportement, et elle se faisait virer aussi sec, même si à bien y voir, dormir avec son patron pouvait servir de motif de licenciement si jamais Lise Peterson des Ressources humaines venait à le savoir.
— Mademoiselle Banks ?
L’interpellée releva vivement la tête, et vit dans les yeux d’Antonio de la gêne.
Et voilà, voilà, cette émotion qu’elle ne faisait que susciter. Ses yeux s’emplir de larmes.
— Allez-y, je suis prête.
Antonio resta perplexe. Il la regarda donc sans comprendre.
— Ne jouez pas à celui qui ne comprend pas. Vous vous demandez sans doute comment cela se fait qu’à vingt-cinq ans j’ai encore peur des orages ? Ou peut-être que vous vous dites que c’est là une manière pour moi de paraitre vulnérable, afin de titiller votre côté masculin, tout ça pour vous mettre facilement dans mon lit. Alors dîtes, moquez-vous pour qu’on puisse en finir ! s’exclama Rainbow avec véhémence au plus grand dam d’Antonio.
Elle essuya vivement ses larmes, et il en fut peiné. Tristesse qui se lit sur son visage, et que la jeune femme prit pour de la pitié.
— Je n’ai pas besoin de votre pitié ! vous pouvez vous la mettre là où je pense !
Sur ceux, elle fit le tour d’Antonio, et sortit de la chambre, refermant derrière elle d’un coup sec. Sonné, Antonio ne bougea pas, il ne comprenait pas ce qui venait de se passer. C’était la première fois qu’une femme l’envoyait paitre, avant même qu’il n’ait le temps de faire une quelconque déclaration. Et jamais il n’aurait pensé un seul instant qu’elle était du genre à avoir des colères explosives. Mais toute cette agressivité ne trahissait qu’une chose : la douleur qui était sienne.
Mais comment avait-elle pu penser un seul instant qu’il allait se moquer d’elle pour quelque chose qu’elle ne contrôlait pas, et en plus, faire pire, en la traitant à la limite de fille facile ? se demanda Antonio en se préparant son café une heure trente plus tard. Était-ce vraiment ainsi qu’elle le voyait ? Face à cette question, il se prit à entendre une réponse qui ne le plut pas.
Sa tasse en main, il remuait mécaniquement, et cela même s’il n’y avait nul besoin de le faire tout en pensant à la première femme avec laquelle il avait dormi dans le lit de sa maison principale et cela sans la baiser. Toute la nuit il n’avait même pas pensé à le faire, enfin, ce n’était pas seulement ce genre de pensée qui l’accaparait. Il avait regarder ses traits parfaits, ses joues pleines, ses lèvres roses s’entrouvrir, ses longs cils noirs, et lorsque ses longs cheveux d’un blond qu’il savait naturel, lui tombaient sur le visage, il s’empressait de les ramener derrière son oreille et cela sans la toucher afin de continuer à la regarder.
Cette femme avait vécu dans touts ses souvenirs depuis qu’il l’avait rencontré pour la première fois, et trois semaines après, elle se retrouvait dans son lit, à dormir paisiblement, et lui, il était là, à la regarder faire, tout en se demandant qui elle pouvait bien être ?
Rainbow Banks, la femme au parfum hypnotisant, un bonbon dont il avait la réelle envie de connaitre le gout.
— Je suis virée ? demanda soudainement une petite voix féminine en le sortant de ses pensées.
Contre sa volonté, Antonio sourit, soulagé de la savoir là, juste derrière lui. Il se donna du temps, déposa sa tasse sur la soucoupe, et se retourna pour la voir. Il s’attendait à tomber sur son t-shirt à lui qu’elle avait utilisé hier comme pyjama, mais à la place, elle portait par-dessus un lourd drap blanc, qu’elle avait ceint au-dessus de la poitrine, ce qui l’empêchait de voir ses belles jambes, tout comme sa poitrine, et pour clore le tout, elle avait la tête baissée, les cheveux légèrement humides dissimulant ses yeux.
— Il y’a une raison qui explique que vous soyez habillé de la sorte ? s’enquit-il à la place.
Elle releva les yeux surprise, avant de les baisser à nouveau sur son accoutrement plus qu’étrange. Là elle rosit, en regardant furtivement Antonio qui attendait toujours une réponse.
— Enfaite, j’ai pris une douche, je voulais remettre mes vêtements de la veille, mais il se trouve qu’ils ont comme qui diraient rétrécît du fait de la matière, commença-t-elle de sa toute petite voix. Apparemment ce type de coton souffre de ce problème lors du séchage, mais je ne le savais pas, enfin bref, j’ai alors décidé de remettre le t-shirt et le pantalon de jogging que vous m’avez offert hier, et quand j’ai porté le deuxième, il me tombait aux chevilles, et comme vous êtes mon patron, et que je voulais avoir une tenue un peu correcte, surtout après ce qui c’était passé…
— Vous avez cru bon de remplacer le pantalon par une couette, compléta Antonio en se retenant très clairement de se moquer.
Surprise, elle posa à nouveau son regard dans celui d’Antonio, et ce dernier put voir les rougeurs qui s’y peignaient. Il inclina la tête sur le côté afin de mieux savoir les raisons, lorsqu’il comprit.
— Vous ne portez pas de pantalon ?
Elle s’empourpra.
— Si, bien sûr que j’en porte ! s’exclama-t-elle.
Il haussa un sourcil dubitatif.
— Alors pourquoi vous êtes si nerveuse ?
— Parce que je me demande si je suis viré ou pas.
Elle lui lança la perche en attendant qu’il confirme ou infirme, mais il ne fit ni l’un ni l’autre.
— Que feriez-vous à ma place, si jamais votre assistante vous agressait avant même que vous n’ayez prononcé la moindre parole et cela de si bon matin ?
Rainbow releva les yeux qu’elle avait posés sur le sol, pour le regarder timidement avec cet air de biche apeuré qui parvenait à trouver écho en lui.
— La pardonner ? répondit-elle sur un ton aussi innocent qu’hésitant.
Antonio ne laissa rien voir, même si au fond, il avait envie de rire.
Elle baissa les yeux.
Pourquoi le fuyait-elle de la sorte ?
Il eut envie de passer le doigt sous son menton enfin de le soulever. Elle n’avait pas à avoir peur de lui. Il n’était pas connu pour être un homme méchant. Enfin, bon, si, il l’était, mais avec les hommes. Non pour être plus claire il l’était aussi avec les femmes, si on en jugeait ce que ses partenaires d’une nuit disaient sur lui, mais avec celle-ci en particulier, il ne pouvait se montrer méchant.
Le silence s’installa entre eux deux. Elle, elle gardait la tête baissée, et lui, il la protégeait du regard, en ressentant de plus en plus l’envie de se rapprocher d’elle et la serrer dans ses bras. Lui demander si elle allait bien, surtout après sa crise d’armes de ce matin.
— Je suis désolée, jamais je n’aurais dû réagir comme je l’ai fait, lâcha doucement Rainbow sur un ton empli de regret.
Il ne répondait toujours pas, aussi, elle relava les yeux, pour le surprendre à la couver du regard. Il avait le regard intelligent, et ses yeux insondables, la sondaient elle, comme s’il essayait de lire en elle, de connaitre le moindre de ses secrets. Chose qu’elle ne devait pas laisser faire. Elle remit donc très vite ses yeux sur ses doigts noués sur son ventre.
— Pourquoi avez-vous réagi de la sorte ?
La réponse à cette question, Antonio voulait réellement la connaitre, par contre il n’essayait pas de comprendre le pourquoi de ce désir, tout comme il n’essayait de comprendre pourquoi, et comment cela se faisait qu’il ait sous les yeux une femme qu’il trouvait plus que jolie, vêtue de son t-shirt, d’un drap, et qu’au lieu de vouloir la mettre dans son lit, soit dehors, il avait plutôt envie de l’amener vers le canapé, de s’y asseoir avec elle, et de la tenir tout contre lui, en l’écoutant partager avec lui tout ce qui la constituait, avant de la consoler. Il secoua imperceptiblement la tête.
Mais d’où sortaient pareilles bêtises ?
— Venez, vous devez avoir faim, déclara-t-il soudainement lorsqu’il eut deviné qu’elle ne répondrait pas à sa question. Et après tout, elle avait raison, ils ne se connaissaient pas.
Il fit ainsi le tour du plan de travail, ouvrit le réfrigérateur, fit sortir une bouteille de lait, deux glaçons, prit quelques fraises, des œufs crus et se dirigea vers le mixeur. Là, il mit ensemble le lait, les glaçons, et les fraises, puis il se retourna vers ses placards, et avec des gestes précis, il fit sortir le nécessaire, mit, l’huile à chauffer, et fit battre les œufs. Pendant que ces derniers cuisaient, il prépara la boisson de la jeune femme, et très vite, tout fut finit, aussi, il la servit une assiette fumante d’œufs brouillés, plus du pain qu’il avait fait réchauffer, ainsi qu’un verre de lait à la fraise.
Et tout ce qui venait de se passer était une nouveauté. Une chose à laquelle il ne pensa pas non plus. Du regard, il l’appela, et elle vint. Difficilement, du fait du tissu noué autour de sa poitrine, Rainbow se mit sur le tabouret, et une fois parvenue, elle garda la tête baissée sur son assiette.
— Vous faites une allergie à l’un de ses produits ? s’enquit Antonio en ne la voyant pas manger.
Elle fit non de la tête.
— J’aimerais juste savoir si c’est là une manière pour vous d’amortir le choc quand vous me direz que je suis viré.
— Ce n’est une manière pour quoi que ce soit, parce que je ne sais rien amortir Mademoiselle Banks, et ça, vous le savez bien. Cette réponse était à la fois pour lui et pour elle. — Mangez juste.
Au bout d’une minute, elle se saisit de son verre qu’elle but d’une traite en le trouvant délicieux. Dès qu’elle redéposa son verre vide, Antonio s’empressa de le lui remplir à nouveau. C’était la première fois qu’on prenait soin d’elle ainsi, ou du moins depuis longtemps, enfaite, c’était depuis lui… songeât-elle. Ses yeux s’emplir de larmes qu’elle fit taire. Pour s’occuper, elle se mit à manger, et à la première bouchée, elle se retint, les yeux écarquillés, elle releva la tête vers Antonio, qui adossé contre un muret en face d’elle, la fixait avec une tasse d’un café froid en main.
— C’est si dégueulasse que ça ? la questionna-t-il. Et même s’il savait qu’il était un excellent cuisinier, il eut envie d’entendre ce compliment de la part de la jeune femme sous ses yeux, et lorsqu’elle fit non de la tête en faisant dodeliner ses belles boucles à la blondeur mielleuse, il ne put s’empêcher de lui sourire ravi.
— C’est parfait ! appuya Rainbow d’une voix réellement surprise.
— Tout comme moi alors, la taquina-t-il, heureux comme un petit lutin factieux, de la voir fuir vers son assiette.
Avec son breuvage qu’il ne trouva plus intéressant à boire, Antonio fixa la jeune femme pendant qu’elle se nourrissait, et à chaque fois qu’il la voyait soupirer de contentement, il se prenait lui à sourire de bonne humeur. Lorsqu’elle eut fini, il s’empressa de prendre l’assiette, et lui resservit un verre de la boisson qu’il lui avait préparée, puis il retourna s’adosser au muret en face d’elle, afin de retourner à sa contemplation, même si l’objet de ladite contemplation gardait les yeux baissés.
— Non vous n’êtes pas viré lâcha-t-il finalement.
Comment pourrait-il la virer ?
Hâtivement, Rainbow releva la tête vers lui, et son souffle se raréfia quand il vit ses yeux briller de joie et de soulagement, avant que ses lèvres ne s’étirent dans un lent, mais radieux sourire.
— C’est vrai ? Même après ce que je vous aie dit ce matin ?
— C’est vrai que personne ne s’est jamais adressé à moi de la sorte, mais oui, je crois que pour vous je peux, et vais même faire une exception.
Le sourire de la jeune femme devint alors total, et il se mit à rire doucement. Entre eux, l’ambiance devint légère, ils se fixaient dans le blanc des yeux, à se sourire, lorsque doucement les joues de Rainbow s’empourprèrent, et le sourire amusé d’Antonio mua automatiquement en un plus séducteur. C’était dans sa nature.
— Vous êtes sublime à sourire ainsi, affirma-t-il d’une voix profonde. — Je ne vous vois que très rarement ainsi.
— Il faut dire que vous ne m’avez pas souvent vu non plus.
— C’est vrai, concéda-t-il sur un ton lointain.
Le regard d’Antonio se fit triste, mais il balaya très vite cette sombre émotion.
Un ange passa.
— Comment allez vous ? demanda-t-il en faisant référence à ce qui c’était passé ce matin.
Rainbow le comprit instantanément, et comme Antonio avant elle, la jeune femme devint mélancolique.
— Je vais bien. Ce n’est pas la première fois que ça arrive.
— Quoi ? De rouler hors du lit de la manière un peu cavalière dont vous l’avez fait ce matin, ou bien d’agresser votre patron au sortir du lit ?
Elle sourit.
— Là c’était une première.
— Je suis ravi d’avoir été le premier alors, s’exclama Antonio sur un ton taquin.
Elle lui sourit grandement.
— Je crois qu’il est temps que je m’en aille, je ne veux pas vous imposer plus encore ma présence ni vous donner des raisons de remettre mon renvoi à l’ordre du jour.
Sur ce, Rainbow sauta de son tabouret pour retrouver le sol, elle pivota sur elle-même, et en la regardant partir, Antonio eut l’impression que son morale se minait.
— Attendez ! l’arrêta-t-il lorsqu’elle fut sur le point de passer le seuil de la cuisine.
— Oui ? Vous aurez besoin de moi ce matin ?
Son ton était à présent plus professionnel, et il n’aimait pas.
— Oui, enfin non. C’est dimanche, je vous rappelle. Mais, il n’est pas question de cela, dit-il en faisant le tour de l’ilot central. — En fait, vous ne pouvez pas partir, ou du moins pas maintenant.
Elle devint perplexe.
— Pourquoi ?
Sa voix n’était qu’un murmure aux teintes inquiètes.
— C’est le temps.
Antonio ne sut comment poursuivre cette conversation. Il se souvenait très clairement de l’état dans lequel elle avait été la veille, état dont les retombées n’avaient pas totalement disparu des yeux de la belle blonde.
En se réveillant ce matin, il s’était trouvé dans une situation des plus nouvelles. Il avait dormi avec une fille sans la baiser, et de surcroit dans sa vraie chambre, sur son vrai lit, lit d’ailleurs où aucune femme n’avait jamais dormi jusque là, vu qu’il ne venait dans cette maison que très rarement. Et étrangement, il n’avait rien trouvé à redire des choses, puis très vite, en se souvenant de la manière dont Rainbow était arrivé jusqu’à lui, il avait veillé à consulter la météo, et après avoir vu ce qu’il y avait vu, il avait ressentit tout aussi pour la première fois, deux émotions nouvelles lorsqu’il était question des femmes.
La première, de la joie, car cela ne voulait dire qu’une chose, c’est qu’elle allait passer de longues heures en sa compagnie, lui qui d’habitude les fuyait. Car une fois le sexe finit, tout ce qu’il voulait, c’était se dérober de la gent féminine, dont les attentes après cette nuit divergeaient grandement avec les siennes. Puis, très vite, il fut triste à l’avance, car il savait qu’au cours de la journée, Rainbow souffrirait de ce mauvais temps d’une manière ou d’une autre, alors, il fut triste. Tristesse qui l’avait poussé à se saisir de sa tablette connectée déposée sur la table de chevet, et à abaisser tous les lourds stores insonorisés afin de recouvrir toutes les vitres, et tout cela, dans le seul but de la protéger elle. Et jusqu’à présent, la jeune femme ne s’était pas encore aperçue qu’il pleuvait averse dehors. Mais il ne pouvait se taire plus longuement. D’un regard qu’il voulut prévenant, et d’une voix qu’il choisit afin de rassurer, il fit un pas en avant, et continua sous le regard contrasté de Rainbow qui comprenait doucement là où il voulait en venir.
— Il n’est pas fameux. La météo prévoit une pluie orageuse pour les prochaines vingt-quatre, voire même quarante-huit heures. Les routes sont fermées du fait du niveau de l’eau, mais aussi, d’arbres qui sont tombés durant la nuit, poursuivit Antonio en adoptant en plus de la voix, une posture calme et rassurante, mais cela ne put empêcher la panique de se peindre sur les traits de Rainbow qui pâlit.
— Des orages ? souffla-t-elle alors à la limite d’un sanglot. Et c’était là, tout ce qu’elle avait entendu. Elle vacilla, il fit un pas en avant pour la stabiliser, mais elle fit non de la tête.
D’une main tremblante, elle recouvrit ses lèvres de sa paume gauche, pour éviter de sangloter en face de cet homme devant qui elle ne cessait de s’humilier.
Et ça allait continuer…
— Vous allez bien ?
Si elle allait bien ? Avait-elle l’air d’aller bien, voulut-elle crier, mais elle se retint à temps. Ce n’était pas de sa faute. Tout ça, c’était de sa faute à elle. Si seulement elle n’avait pas été celle qu’elle avait été par le passé, elle ne souffrirait pas d’une telle phobie. Si seulement, elle avait pu retourner quelques années en arrière, elle aurait tout effacé, et lui, il serait toujours vivant, et elle, et bien, elle ne serait pas la loque humaine qu’elle était depuis lors.
Sans qu’elle ne s’en aperçoive, des larmes amères quittèrent le berceau de ses paupières, pour glisser le long de ses joues pleines. Sa respiration devint rare, et frénétiquement, elle se mit à rechercher autour d’elle, une porte de sortie. Ce fut là qu’elle remarqua les stores abaissés, ce fut là aussi qu’elle fit attention au fin bruit qui parvenait tout de même à entrer, l’eau qui tombait du ciel, ce ciel qui lui avait tout pris, jusqu’à sa santé d’esprit.
— Mais… mais, je ne suis pas chez moi… qu’est-ce que je vais faire ?
Elle se mit à trembler, anticipant la crise.
— Mademoiselle Banks. Appela doucement Antonio, mais elle continuait à parler, ou du moins, elle essayait, mais elle ne parvenait pas à construire des phrases complètes. La poitrine se creusant à chacune de ses frénétique, et longue respirations, les joues rouges, et humides de larmes, elle se mit à aller dans tous les sens, regardant partout, telle une biche apeurée, et lui, il se sentit si impuissant. — Banks, appela-t-il une fois encore, mais rien.
La jeune femme allait et venait, tournait sur elle même, passait les mains dans ses cheveux, le regard hagard, les yeux dilaté, frissonnante d’une peur qu’il savait grande. Sans attendre qu’elle l’y autorise, Antonio la saisit par les épaules pour l’immobiliser, il prononça son nom à plusieurs reprises, mais elle ne faisait même plus attention à lui.
— Rainbow ! fit-il alors avec brusquerie.
Elle sursauta en hoquetant de surprise, mais très vite, son esprit se focalisa sur la voix qui l’avait tiré de sa crise naissante. Elle fixa Antonio avec une intensité qu’il n’avait jamais vue dans le regard de qui que ce soit, ou était-ce lui qui avait l’âme sensible à son regard ? La bouche entrouverte, Rainbow, semblait attendre qu’il lui dise quelque chose, mais aucun mot ne sortit de la bouche de l’homme qui la serrait si fort, qu’elle sentait la chaleur de sa paume, à la place du froid de la peur.
— Mais… je… je n’ai rien pris pour apaiser à mon état phobique, gémit-elle dans un souffle, espérant d’Antonio qu’il lui donne la réponse miracle.
— Et alors ?
— Mais si je ne… si… les… je vais… et…
Elle repartit dans ses délires.
— Rainbow, écoutez-moi. Rainbow? Elle pivota la tête pour le regarder avec sérieux. — Hier soir, aviez-vous quoi que ce soit pour apaiser votre état ? Elle fit non de la tête la nuque raide. — Alors, pourquoi en faire un problème d’état, surtout si on sait qu’il pourrait ne pas y avoir de crise ?
— Pas de crise ? Pas de crise ? Mais évidemment qu’il y’en aura ! Car si, si…
— N’anticipez pas ce qui ne viendra probablement jamais. Si jamais la crise se présente, on trouvera une solution, mais d’ici là, tout ce qu’on peut faire, c’est vous aider à retrouver une respiration plus calme, afin que vous ayez la clarté d’esprit nécessaire pour vous reprendre. M’avez-vous compris ? Elle ne répondit pas. — Un pas à la fois Rainbow. Elle le regarda dubitative. — Un pas à la fois, une crise à la fois, pas deux en même temps.
Elle acquiesça alors doucement.
— Bien, dans ce cas, fermez les yeux en prenant une profonde inspiration. Oubliez tout, et ne faites attention qu’au son produit par votre inspiration.
Perdue dans le brouillard de sa phobie, la voix d’Antonio était la seule qu’elle entendait, la seule dotée d’une stabilité qui en cet instant lui manquait cruellement, aussi, afin de retrouver les abords de la lucidité, elle fit confiance à cette voix. Elle ferma les yeux, entrouvrit les lèvres, puis elle inspira en suivant le rythme qui lui imposait Antonio.
— C’est ça. Recommencez.
Au bout de la cinquième expiration, elle sentit son rythme cardiaque reprendre une allure moins soutenue, le froid dans ses os reflua, les tremblements diminuèrent, et elle s’entendait dorénavant réfléchir avec une certaine clarté. Elle poursuivit pendant de très longues minutes ces exercices de respirations qui ne fonctionnaient d’habitude presque jamais sur elle, et lorsqu’elle rouvrit les yeux pour surprendre le noir d’Antonio qui la fixait avec sollicitude, sans aucune gène ou pitié, elle ne put s’empêcher au bout d’une minute de lui sourire autant qu’elle pouvait se le permettre à cet instant, avec une gratitude non feinte, sourire qu’il lui rendit.
— Merci.
— Vous voyez que vous n’avez besoin de rien pour être bien, lui dit-il doucement en la relâchant. Sans la quitter des yeux, Antonio sentit sa main remonter le long de son corps, et il se surprit lui-même lorsque de son pouce, il essuya les traces du liquide salé qui avait fait rougir ses yeux. Et perdu dans le bleu de ses yeux aux longs cils noirs, il sentit tout aussi son corps faire un pas vers celui de la jeune femme. Il ressentit les mêmes choses que la veille, et comme toutes les autres fois, ce petit plus qui le poussait à vouloir encore et toujours se retrouver au plus près de sa chaleur était là. Il ressentit même ce petit frisson qui l’avait fait frémir la première fois qu’elle lui était entrer dedans… l’air se mit à crépiter, ses yeux glissèrent vers les lèvres de la jeune femme, comme une demande silencieuse à faire ce qui lui trottait dans la tête depuis qu’elle avait dormi avec lui, mais Rainbow, sans raison particulière, se braqua, puis s’éloignant de lui.
— Je… je vais… commença la jeune femme en passant ses doigts dans ses longs cheveux blonds. –Je crois qu’il est préférable que je remonte m’allonger un peu.
Le regard fuyant, et les joues roses, elle fit volte-face, et à peine après avoir fait un pas de plus, qu’elle sentit le grand pantalon de l’homme qui la tenait par les épaules il y’a peu, glisser sur ses cuisses, afin de se retrouver sur ses chevilles. Brusquement freinée dans sa marche hâtive pour le fuir, Rainbow trébucha, et ce fut une fois de plus les bras mêmes auxquels elle voulait se soustraire qui la rattrapèrent, et le large buste sur lequel elle s’était blottie une partie de la nuit précédente qui la bloquèrent. Les lèvres entrouvertes, et les joues encore plus rouges de honte, elle ne put poser son regard ailleurs que dans celui d’Antonio, et ce qu’elle évitait d’y voir se présenta à nouveau à elle. Pourquoi maintenant ? se demanda-t-elle en comprenant doucement les signaux que ne cessait de lui envoyer son corps.
— Vous voyez que je ne mentais pas lorsque je vous disais porter un pantalon, dit-elle dans un souffle dans le but de mettre une bonne dose de froid dans la chaleur que créait leurs deux corps en contacte.
Elle mima un faible sourire, sourire qu’Antonio ne parvenait pas à lui rendre, bien trop occuper à essayer de comprendre, et de trouver une manière de fuir ce qui avançait vers lui à toute allure comme le bus l’avait jadis fait neuf années plutôt. Le regard de cette jeune femme devant lui avait quelque chose de particulier, la manière dont ses pupilles se dilataient comme pour mieux le voir, la manière dont la lumière s’y reflétait, la manière dont une certaine chaleur semblait s’en émaner. Mais qu’est-ce qui se passe ? Qui était-elle, où était-elle, et pourquoi maintenant ? Pourquoi lui ?
Et face à toutes ses questions dont les réponses lui faisaient plus de mal que de bien, Antonio se mit à regretter que le temps soit aussi mauvais, car, il comprit que cette femme et lui ne pouvaient, ni ne devait sous aucun prétexte être aussi proche l’un de l’autre. Ce n’était pas bon pour lui. Ce paramètre que représentait Rainbow Banks entrait en totale contradiction avec l’avenir qui est et sera à jamais le sien. Sans un mot donc, il s’accroupit, et remontant le pantalon, un geste plein de sens pour lui, plus que la jeune femme ne pouvait comprendre. Il ne devait pas y toucher, jamais !
Avec le même silence usé pour remonter le pantalon, Antonio quitta la cuisine le visage fermé, et les traits dotés d’une sombre colère, en y laissant là, un certain arc-en-ciel qui ne s’étonnait pas d’avoir assombri la journée de cet homme, car après tout, elle était une championne hors compétition lorsqu’il était question de détruire des vies.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro