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Le squelette

Puis ce fut le tour d'un squelette resté discrètement dans son coin et vêtu élégamment de prendre la parole.

Je sortis de la boutique avec un air satisfait sur le visage. Je tirai sur mes gants de satin noir, redressai mon feutre et m'engouffrai dans l'air frais et fétide de l'Endless Street d'un pas décidé. L'affaire était conclue, le colis envoyé, on ne pourrait plus rien me reprocher de ce côté. Désormais, la charge reposait entièrement sur Hori, le loup-garou en qui j'avais le plus confiance sur cette planète. Il était aussi discret qu'une ombre, malgré la masse de son corps, ce qui surprenait toujours nos adversaires. Assez musclé pour tenir les clients à carreaux, mais assez intelligent pour monter ses propres coups et me seconder depuis deux cents longues années.

Avant d'entrer dans ma demeure située 999 rue de l'Envers, je m'adossai au coin de la ruelle adjacente pour observer. Je tirai une éternelle cigarette Winston de la poche intérieure de ma veste, la portai à ma bouche craquelée et l'allumai à l'aide du briquet que j'avais reçu à la mort de mon père. Je braquai mes orbites sans vie sur les rares passants pressés de se mettre à l'abri de ce mois d'octobre redoutable. Pauvres petites choses ! Leur vie ne tenait qu'à un fil, aussi fin qu'une feuille d'or. Je ne considérais pas les humains comme inférieurs, ils l'étaient. Indéniablement, fermés sur le monde et les autres, persuadés d'être le centre de l'univers. Si seulement ils ouvraient les yeux, ils verraient que les morts ne meurent jamais vraiment, qu'ils sont toujours parmi eux, à arpenter la Terre.

Les vitrines débordaient de violet, de noir et d'orange, d'« offres exceptionnelles » et de farces et attrapes jetables. Les maisons accueillaient déjà squelettes en carton, citrouilles sculptées et tombes en papier mâché. Plus que cinq jours avant Halloween. Expédition à la recherche de sucreries, soirée pour oublier la rentrée ou fête « purement commerciale », les avis divergent chez les humains. Je vais vous avouer quelque chose : ils se trompent sur toute la ligne. Halloween est la nuit la plus importante pour le monde des morts. C'est la seule période de l'année où l'on peut espérer obtenir une entrevue avec le Tout Puissant. Entrevue lors de laquelle, une fois tous les trois siècles, chaque être de la nuit possède le droit de faire une requête à sa Sombreur. Au bout de six siècles de mort, mon tour arrivait et j'avais déjà une petite idée concernant ma demande au Dieu de l'Enfer.

J'aspirai une dernière bouffée de fumée et écrasai le mégot sous la semelle de mes chaussures. Enfin, je poussai la porte massive de mon foyer. J'accrochai ma veste au portemanteau, déposait mon chapeau et desserrai la cravate autour de mon cou. Je vivais seul, c'est pourquoi je n'annonçai pas mon retour, personne ne m'attendais. Un choix de vie qui me fut imposé il y a longtemps : personne ne souhaitait vivre avec un mort. Je m'affalai dans un fauteuil et repensai avec nostalgie à Halloween. Si le plan que je m'apprêtais à lancer fonctionnait, ce serait ma dernière fois. Que se passerait-il après ? Rien... rien. Le néant total prendrait la place sur la fièvre imparable et grouillante d'activité qu'était mon quotidien. J'y pensai sans cesse, mes phalanges pianotaient frénétiquement sur mon bureau.

Je posai le regard sur mes outils éparpillés dans l'atelier : vieux ouvrages restaurés, scalpels, papier, cuir, feuille d'or, plumes à calligraphie, encre de diverses couleurs, cire, tampons, revolver. Malgré mon impatience, je ressentis une pointe de regret à quitter mon travail si captivant. Mais j'avais hâte de sortir de ce cercle vicieux qui me tenait prisonnier depuis ma mort.

Je me servis un verre de whisky et me remettais à la restauration d'une pièce de ma collection quand, soudain, le téléphone sonna. Je restai un instant perplexe, le scalpel en suspens au-dessus d'une page manuscrite vieille de trois mille ans. Je cru à une hallucination : jamais personne ne me téléphonais. Dans le business, nous communiquions dans un langage codé et par le biais de messagers sans visage. De plus, il y avait bien longtemps que j'avais coupé tout contact avec les civils vivants. C'est donc dans la plus grande précaution que je décrochai et portai le combiné jusqu'à mon canal auditif.

« Nous savons qui vous êtes mais l'inverse est faux. Sachez seulement que nous sommes envoyés par l'Entité Supérieure, notre Suprême Seigneur à tous. IL souhaite récupérer une pièce unique et particulière. Nous vous avons choisi. Ne cherchez pas à connaître notre identité. Rendez-vous à la place de ceux qui parlent au milieu de la nuit. »

La communication se coupa sans que je ne pu prononcer un mot. Je raccrochai, les yeux dans le vague et le cerveau en ébullition. Et si c'était un piège ? Hypothèse fort probable. Mais s'il s'agissait de sbires du Seigneur en personne et que je manquais ce rendez-vous... je ne donnerai pas cher de mes os. Adieu la récompense tant espérée, adieu mon âme. J'irai donc, seul mais armé jusqu'aux dents. Je demanderai peut-être à Hori de me couvrir...

Je ne dormis pas de la nuit, si tant est qu'un être comme moi puisse dormir. J'appelais « nuit » le jour puisque m'exposer à la vue des vivants étaient prohibé, la pagaille chez les humains aurait été totale chez ces êtres dépourvus de self-control. Mais la nuit, la vraie cette fois-ci, vint me délivrer de mon insomnie. Je continuais de travailler sur mes projets personnels jusqu'aux environs de vingt-trois heures. Quand la cloche de l'église sonna, j'étais prêt pour mon rendez-vous, dans le costume que je réservais pour les situations d'urgence.

La place de ceux qui parlent désignait la Place du marché. Dans le business, on utilisait ce nom de code pour désigner le lieu où toutes les affaires importantes se déroulaient. C'est à cet endroit que l'on concluait mystérieusement les pactes les plus secrets. Et quand j'arrivai d'un pas claudiquant sur le lieu en question, deux créatures masquées m'attendaient déjà. Elles portaient toutes les deux un long manteau noir et un masque à gaz immaculé. Je m'étonnais de leur ponctualité : dans le business, particulièrement lorsque l'on représentait ou que l'on était soi-même un personnage important, on se faisait désirer. Principe fondamental. Je leur fis part de mes réflexions en restant sur mes gardes. Je sentais le regard attentif d'Hori, caché quelque part, le long de ma colonne vertébrale.

— Sa Suprême Majesté n'a pas cru bon de faire attendre cette affaire urgente.

J'acquiesçai en silence, concentré sur leur posture et leur timbre de voix pour déterminer leurs intentions.

— Quelle est cette affaire dont sa Sublime Sombreur me charge ?

— Le nom du manuscrit qu'IL recherche doit rester secret. Mais l'auteur est une légende que vous devriez connaître. Personne ne sait ce que renferment ses livres que tous s'arrachent pourtant sur le marché noir.

— Le Trouble-monde...

Ma réponse ne fut qu'un murmure impressionné qui s'échappa dans le vent glacial.

— Mais comment puis-je accéder à sa requête si j'ignore quel ouvrage IL recherche ?

— Votre réputation vous précède, MacSkeleton, vous vous débrouillerez. Ceci pourrait vous aider.

La créature de gauche me tendit d'une main tatouée de symboles occultes un petit rectangle en papier rigide. Le temps que je fasse tourner la carte entre mes doigts, ils avaient disparu. Je rentrai chez moi l'esprit préoccupé et sursautai presque quand Hori fit son apparition dans mon bureau.

— Ça va patron ? me demanda-t-il de sa voix bourrue.

— On ne peut mieux, comme tu le vois.

— Tu t'attendais à quoi ? Perso, j'aurais été déçu si Satan en personne n'avait pas mis au point un jeu de piste avec des énigmes à te casser le crâne contre les murs !

— Tu as raison.

— Allez, je te sers un remontant et on se met au boulot !

Je pris le verre de vin rouge qu'il me tendit et convoquais Tobias, mon chasseur de trésor attitré. Ce n'était évidemment pas son vrai prénom, tous les mercenaires de sa trempe portaient plusieurs noms de code afin d'éviter tout aveu et tout démantèlement de réseau sous la torture. Nous nous assîmes autour d'une grande table et je posai la carte devant mes deux associés. Elle était ornée d'une hache entrecroisée d'un fémur sur fond noir. Ils étudièrent l'objet en silence, tandis que le vin coulait avec délice dans mon œsophage artificiel. « Pur caprice de squelette alcoolique » selon Hori.

— Je reconnais ce symbole, remarqua Tobias d'une voix sinistre. C'est celui des Guerriers du Salut.

— Mais encore ? interrogea Hori.

— Une secte qui déteste tout ce qui est mort : zombies, vampires, goules, fantômes, squelettes...

Il me lança un coup d'œil furtif que je perçus malgré sa discrétion.

— Tu as peur ? crachai-je

Il secoua négativement sa tête en putréfaction et un morceau de chair menaça de s'écraser sur ma table en bois massif.

— Je pensais ne jamais avoir affaire à eux.

— Voilà qui te prouve le contraire.

Hori me lança un regard plein de sous-entendu : il trouvait que j'étais dur avec lui. Mais quand il s'agissait d'affaires, qui plus est aussi importante, je n'avais pas envie de plaisanter. Une immense pression pesait sur mes épaules et mon âme était en jeu.

— Trouble-monde et Guerriers du Salut ? Alors le grimoire secret doit être en possession du plus puissant, O'Tork.

— Je t'avais prévenu que ce ne serait pas facile.

— J'ai des contacts. Si vous m'autorisez à prendre Hori pour la mission, on devrait pouvoir s'introduire sans qu'il ne se rende compte de notre présence.

— Alors partez immédiatement.

Ils se levèrent. Je pressai amicalement la patte velue d'Hori mais ne touchai pas Tobias, de peur que son bras ne se décroche. Je lui accordai un signe de tête, puis ils sortirent. L'aube pointait à l'horizon et j'allumai une cigarette avant d'aiguiser mes scalpels en vue d'une prochaine restauration délicate. Je retirai ma chemise et m'installai dans mon siège en cuir de minotaure. La fumée s'infiltra dans ma mâchoire et s'enroula tel un serpent toxique autour de mes cervicales. Je m'accordais un peu de repos avant les choses sérieuses. La surprise et l'honneur de cette mission atténuées, mon esprit se focalisait totalement sur cette affaire : ma dernière. Quel coup sublime pour une fin de carrière ! Je ne pouvais pas laisser passer une occasion pareille.

Je fus brusquement réveillé en plein jour par une série de bruits presque imperceptibles. Je posai la main sur mon revolver avant de m'extirper avec précaution du sofa d'où le sommeil m'avait rattrapé. Je tournai la tête vers mon bureau et m'aperçus que les bruits provenaient de mon télégraphe. Quelqu'un tentait de me contacter !

« Trouvé colis stop problème stop volé par ennemi stop MacFury stop »

Mon poing s'abattit sur le bureau dans un choc si fulgurant que je sentis mes os résonner. MacFury ! J'aurais dû me douter qu'il me mettrait des bâtons dans les roues ! Mon ennemi juré que j'avais promis d'annihiler avant que le Seigneur ne reprenne mon âme. Je lui ferai manger ses dents en or à la scie circulaire ! Mais il me fallait contrôler mes émotions pour que mon cerveau puisse élaborer un plan viable. La machine se ralluma dans un ultime message, que je traduis automatiquement.

« Eden Avenue stop »

Le repaire temporaire de MacFury. Je passai mon plus beau costume, cirai mes chaussures, enfilai mes gants de velours et lissai ma cravate. Dans le business, l'élégance était une arme. Je rechargeai mon revolver et partis régler mes comptes.

Je me plantai devant le manoir à l'extrémité de l'avenue avec une apparente décontraction. Mais ce n'était qu'une apparence. Néanmoins, j'étais prêt à affronter mon ennemi, impatient de lui clouer le bec une bonne fois pour toute. Peu importe si Hori ne surveillait pas mes arrières, il ne pourrait pas me coller aux basques éternellement. Les lourdes portes s'ouvrirent sur un maître d'hôtel, engoncé dans un costume-cravate trop court pour ses muscles saillants. J'aurais voulu hausser les sourcils. Il me fit entrer sans courtoisie et claqua les portes derrière moi.

— Monseigneur vous attend dans le salon privé.

Sa fausse politesse m'agaça, mais je me laissai guider par l'humain en réfrénant mes sentiments : je devais rester totalement impassible et imprévisible. J'entrai dans la pièce derrière lui. Il ne prit même pas la peine de m'annoncer. Il se planta dans un coin de la pièce dans une posture équivoque, se qui confirma à mes yeux son statut de garde du corps. MacFury, avachi sur une banquette ornementée de motifs funestes, mangeait nonchalamment une grappe de raisins noirs, un sourire béat accroché à la mâchoire. Il ne m'accorda même pas un regard et m'invita à m'asseoir. Je restai debout.

— Ton chasseur est éparpillé quelque part dans un caniveau de la ville.

— Et qu'as-tu fais de mon bras-droit ?

— Depuis quand te soucies-tu des autres ? Une affaire retient davantage ton attention, n'est-ce pas ?

— Il semblerait qu'elle ait été retardée.

Si un squelette pouvait posséder de la chair, MacFury aurait été énorme. Ses os épais témoignaient de son ancienne corpulence friande des bonnes choses. Je retins un soupir et finit par m'asseoir dans un fauteuil face à lui. Il rit, ses orbites toujours tournées vers les fruits qu'il mâchait et dont le jus coulait le long de ses os et de ses dents.

— Je sais que tu es en possession du livre. Qu'est-ce que tu veux en échange, Amadeus ?

— J'attendais que tu me le demandes ! répondit-il en acceptant enfin de me regarder. Visualise bien ta collection de grimoire la plus précieuse. Et attarde-toi sur un certain Bestiaire du Chasseur. Je veux tout ce que j'ai cité.

— Va crever.

— Je suis déjà mort !

— Depuis trop peu de temps à mon goût. L'éternité serait bien plus douce sans ton âme pervertie en ce monde.

— Tu sais, ce que j'ai appris avec le temps, c'est qu'il y aura toujours une saloperie pire que moi dans ce monde sans pitié. Depuis, j'ai arrêté de culpabiliser. C'est fou ce que l'on gagne du temps ! Et surveille ton langage, j'aimerais te rappeler que tu as une dette envers moi.

— Vraiment ? MacFury serait-il devenu sénile ?

— Quand on est immortel on perd vite la mémoire, mais je te garantis qu'on n'oublie jamais le visage de ceux qui nous doivent de l'argent.

Je serrai mes phalanges à les faire craquer : un point pour lui. J'étais furieux de le reconnaître. Il fit glisser sur la table-basse un cendrier d'où fumait un cigare gros comme mon radius.

— Dernière merveille de mon fournisseur. Commençons les négociations, veux-tu ?

Si je fumais ce cigare, cela signifierait que je serais prêt à faire des concessions avec mon pire ennemi. L'étais-je ? Sûrement pas. Mais je fis mine d'hésiter avant de le porter à ma bouche. Je pourrai le prendre par surprise en faussant mes intentions. Entre nous, tous les coups étaient permis.

— Tu as de la chance, je n'entrerai pas en concurrence avec le Diable en réclamant ton âme !

— Tu ferais mieux de montrer plus de respect envers LUI. Simple conseil d'ami.

— Je ne veux pas passer ma mort à craindre un faux dieu qui joue les bonnes fées. J'y ai déjà passé ma vie, merci bien. Mais ne changeons pas de sujet, reprit-il après un court silence.

— Tu ne peux pas te contenter du remboursement de ma dette ?

— Je veux les intérêts qui vont avec. Tu me fais offense !

— Cela ne vaut pas ma collection la plus chère, concluai-je en me relevant.

— Mais est-ce que ton plus cher loup-garou en vaut le coup ?

Il fit un geste de la main et un de ses sbires entra. Il tenait entre ses mains un petit coffre en bois sculpté. Il l'ouvrit et me montra son contenu : une griffe d'Hori. Le sang qui en coulait n'avait pas eu le temps de coaguler. Je m'efforçai de contenir ma rage et de ne rien laisser paraître.

— Eh bien Skeleton, tu es tout pâle ? s'esclaffa mon ennemi.

— MAC Skeleton. Relâche-le immédiatement.

— Contre ce que nous avons convenu.

Il me tendit un contrat et une plume d'oie imbibé de sang de chèvre avec un sourire triomphant. Je me penchai vers la table et attrapai son col de dentelle à la vitesse de l'éclair. Je murmurai entre mes dents :

— Tu me le paieras, Amadeus. Que ton âme ne trouve jamais le repos.

Il se contenta d'afficher un sourire narquois. Je le relâchai à contrecœur et signai de ma plus belle écriture, prenant un temps infini pour former chaque lettre de mon patronyme. Enfin, il rangea le contrat dans un lourd coffre derrière le sofa et claqua les phalanges sans un mot. Deux hommes de main se mirent au garde-à-vous.

— Suis-les, ils te mèneront à ta précieuse peluche, cracha-t-il. Nous avons terminé notre entretient, tu peux disposer.

Il se replongea dans la contemplation de ses raisins noirs sans plus se préoccuper de moi. Agacé par son manque flagrant de savoir-vivre, je fis mine de le menacer en posant une main sur mon revolver.

— Voyons, voyons... pas de ça entre nous. Je suis un businessman !

— Mais tu n'es pas un homme d'action.

— Parce que tu oses te considérer comme tel ?

— On se reverra, MacFury.

— J'y compte bien, mon vieil ennemi.

Après un dernier regard, je vidai les lieux et suivis les deux lascars. Ils me menèrent dans la cave à vin et m'attendirent à la porte. Je savais qu'ils ne feraient pas l'erreur de vouloir m'enfermer à mon tour : on pouvait reprocher beaucoup de choses à MacFury, mais pas son sens de l'honneur. Il respecterait notre contrat, car c'était aussi dans son intérêt. Au fond de la pièce, entre deux pyramides de tonneaux, je retrouvai Hori enchaîné et ensanglanté.

— Te voilà ! haleta-t-il en me voyant m'approcher.

— Excuse-moi d'avoir tardé, lui répondis-je en le détachant à l'aide de mes outils. Tu vas pouvoir marcher ?

— Ne t'inquiète pas, j'en ai vu d'autres ! Ils ont eu la clémence de ne pas utiliser d'argent pur.

Libéré de ses entraves, je l'aidai à faire quelques pas.

— Combien ça t'as coûté ?

— Cher, mais pas autant que ta vie.

— Je ne te savais pas aussi sentimental, patron !

— Je ne le suis pas, ne te fais pas d'idées.

Arrivés dans le hall, le faux maître d'hôtel me remis une mallette. Je l'ouvris : le grimoire était bien là, fermé par un cadenas et une lourde chaîne. Je me pressai de nous sortir d'ici, le zénith approchait, il ne fallait pas traîner. Il était interdit de se promener en ville à cette heure, et même si nous avions l'habitude de jouer avec la loi, je ne voulais pas m'attarder plus longtemps.

Chez moi, je laissai Hori dans le canapé et m'asseyai à mon bureau en soupirant. De ses plaies se dégageait un léger panache de fumée. Il aida sa peau à cicatriser en léchant ses blessures. Parfois, il m'arrivait d'oublier la nature bestiale d'Hori, lui qui n'était comme aucun autre loup-garou sur Terre. Je m'allumai une cigarette pour me détendre.

— Pour une fois que c'est moi qui te sauve la peau ! m'exclamai-je en tirant une bouffée.

— C'est vrai. Mais on n'est pas quitte pour autant !

— Je sais.

Je me relevai, tout engourdi de ces aventures, et sortai le précieux ouvrage de la malle. Je le posai sur mon bureau et l'effleurai avec la plus grande révérence.

— Tu vas finir par l'ouvrir, ce bouquin ?

— Je ne peux pas, c'est stipulé dans le contrat. Je ne dois ni connaître ce qu'il renferme, ni son nom.

— Tu ne vas pas me dire que tu n'es pas curieux ?

— Évidemment, mais je ne vais pas mettre mon âme en danger maintenant. Pas alors que je touche au but.

— Au but ? Quel but ? Être dans les petits papiers du Seigneur ? C'est ça que tu recherches ?

— Quoi ?

— Ne fais pas l'innocent, je sais ce que tu prépares. Cela fait deux cents ans qu'on se connaît, mais tu me l'as caché.

— Hori, ce n'est pas ce que tu crois.

— Vraiment ? Alors qu'est-ce qui se passe ?

En soupirant, je retirai ma veste et déboutonnai ma chemise. Lentement, comme si je voulais qu'un quelconque événement m'interrompe et me permette d'emmener ce secret dans ma tombe. Mais j'eus tout le temps qu'il me fallait, malheureusement.

— Je vais mourir, Hori.

Il observa, les yeux écarquillés, la tache noire qui imprégnait mes os et me rongeait les côtes.

— La gangrène, elle me rattrape. Je lutte depuis un siècle.

— Comment est-ce possible ?

— Un sorcière m'a jeté une malédiction. Je devais revivre ma mort dans la mort elle-même. Les risques du métier, ajoutai-je en me rhabillant. Je veux trouver le repos, enfin.

— Alors tu vas quitter le business ?

— Ainsi que ce monde. Et cette mission est la chance inespérée que j'attendais !

Le regard baissé, il avait l'air profondément affecté. Si j'avais un cœur, cela m'aurait touché.

— Ouvre-le. Ouvre le grimoire ! C'est ta dernière chance avant de mourir. Et si tu y découvrais le moyen de lever la malédiction ?

— Seule la sorcière qui me l'a jeté ...

— Et s'il y avait un autre moyen ? Tu laisserais passer cette occasion ?

— Hori...

Je secouai négativement la tête. Je n'étais pas prêt à prendre ce risque. Je m'étais résigné à quitter ce monde depuis longtemps. J'avais fait mon deuil. Il était temps que je parte.

— Tu laisses Satan te dicter ta conduite ?

— C'est la créature la plus influente de ce monde, celui des vivants comme des morts ! Que veux-tu que je fasse ? Je ne peux pas lutter. Il possède mon âme !

— Non !

— Je ne suis qu'un pion sur l'échiquier, nous le sommes tous. Et peut importe ce que tu penses, ce que tu fais, c'est toujours LUI qui tireras les ficelles.

— Tu n'as même pas idée... j'aimerais que tu aies tort.

— Le jour décline, il faut que je livre le colis.

Je n'arrivais pas encore à réaliser que c'était la dernière fois que je prononçais cette phrase. Avant de partir, je devais régler les derniers détails.

— Où est mon testament ?

— Je l'ai brûlé.

— QUOI ? Mais je te léguais tout ! La maison, les livres, les outils, TOUT ! Pourquoi tu as fait ça ?

— Tu ne peux pas mourir plus que tu ne l'es déjà, affirma-t-il d'un ton sinistre.

Soudain, un panache de fumée noire s'interposa entre nous.

— Quelle est cette sorcellerie ?

Les sbires aux masques à gaz sortirent du portail interdimensionnel et s'exclamèrent en chœur :

— Sa Suprême Seigneurie vous attend !

Ils saisirent le grimoire et m'agrippèrent par les vêtements. Je jetai un dernier regard à Hori : il avait une expression étrange sur le visage. Je ne réussis pas à décoder ses émotions. Le portail se referma derrière nous.

Je fus entraîné dans un kaléidoscope en noir et blanc. De tous les côtés, je voyais défiler des fantômes d'êtres-humains et de créatures nocturnes. Étaient-ils morts ? Est-ce que mon âme allait mourir ? Des tentacules de boue noirâtre s'enroulèrent autour de mes jambes et de mon corps en chute libre. Elles tentèrent d'entrer dans ma poitrine mais, découvrant sans doute qu'il n'y avait nulle chair à dévorer, me projetèrent vers le gouffre infini qui se dressai sous mes pieds. Je criai aussi fort que je pu, comme si cela pouvait m'apporter du secours. J'avais perdu de vue mon escorte, enfoncée dans les profondeurs de ce canal qui reliait le monde des morts à celui des vivants. Et je tombais, toujours, encore et encore. Ce supplice ne semblait jamais vouloir s'arrêter.

Au bout d'un temps que je ne saurais définir, mon corps finit par percuter le sol. Et je ne compris jamais comment il ne fut pas brisé sous le choc. Les os, c'est parfois si fragile. Le monde tourbillonna autour de moi encore un moment. Sonné, j'entendis une voix tonner :

— Relevez-le, IL attend.

La musique sauvage explosa dans mes oreilles tandis que deux paires de bras me remettaient sur mes jambes. Le vacarme assourdissant résonnait contre mes os meurtris. Dans la pénombre, je distinguai des flashs rouges et des lumières stroboscopiques qui m'agressai les yeux et faisait danser dans la salle des centaines de créatures robotiques agitant leurs membres dans tous les sens. On me soutint pour traverser la foule à grands coups de coude, la pression des corps m'étouffait. Quand je recouvrais une vision moins floue, j'aperçus entre deux éclairs des groupes éparpillés de créatures aux cheveux hirsutes me regarder d'un œil mauvais. Je me méfiai plus des ombres que des faisceaux qui s'abattaient sur la salle comme des lames à double tranchant.

On me conduisit dans une sorte de salon privé isolé du bruit, si bien que mes oreilles sifflèrent et que je n'entendis pas la grande ombre ordonner aux sbires masqués de sortir. Je tombai sur une banquette et attendis que mon cœur se calme et que mes sens recouvrent leurs fonctions. Le souffle court, je levai finalement les yeux vers LUI. Il me fixait de ses grands yeux blancs dépourvus de pupilles. Avachi sur un siège qui lui tenait lieu de trône, il but cul-sec une pinte de bière grosse comme mon crâne. Il la reposa avec fracas et lâcha un cri qui s'apparenta à du soulagement.

— AH le voilà ! J'ai failli attendre.

— Tou... Toutes mes excuses, votre Sublime Majesté.

Il s'esclaffa et soupesa le grimoire avec nonchalance. Je retins un gémissement d'inquiétude.

— Super ce bouquin, non ? Tu l'as lu ? Qu'est-ce que tu en penses ?

— Non, vous l'avez interdit, expressément...

— MOI j'ai dit ça ? Je devais être, tu sais... pas tout à fait lucide. M'enfin ! Tu peux rentrer chez toi.

Par reflexe, je me levai et m'apprêtai à obéir, quand il me rappela :

— Attends deux petites minutes !

— Votre Sombreur ?

— Tu croyais que t'allais t'en sortir comme ça ? C'est un faux !

— Pardon ?

Je regardai tour à tour le grimoire et la face tordue du Maître sans comprendre. Je sentais ses cornes à deux doigts de m'embrocher. Il se leva brusquement et m'attrapa les cervicales, approchant mon crâne de son visage fétide de taureau en putréfaction. Il me cracha à la figure des mots dans le langage des anciens que je n'eus pas le courage de traduire.

— Cette ouvrage est une copie, reprit-il en détachant chaque mot.

— C'est impossible...

— Tu oses me contredire, tas d'os ? Tu m'as trompé, tu as essayé de me vendre une contrefaçon !

Et soudain, les engrenages de mon cerveau se débloquèrent et je compris. Quelqu'un m'avait piégé, MacFury avait échangé les grimoires pendant qu'il retenait prisonnier Hori. Une nouvelle révélation me frappa : Hori m'avait trahi le premier. Il avait pactisé avec mon pire ennemi contre de l'argent ou que sais-je encore, il avait éliminé Tobias, aidé MacFury à confectionner une contrefaçon et il m'avait laissé le sauver d'un danger qu'il ne courait pas. Sa dernière expression faciale me revint en mémoire. Il savait. Il savait que je courais à ma perte. Tout n'avait été que mensonge. Je songeais à cela, à une amitié vieille de deux siècles brisée à tout jamais par le pouvoir de l'argent, quand le Diable me fit revenir au présent.

— Quelle est ta dernière requête, avant que j'anéantisse ton âme à tout jamais ? Je te préviens, c'est juste pour avoir le plaisir de ne pas la réaliser.

— J'ai été trompé ! Pitié, accordez-moi le repos éternel !

— Peu importe. J'ai entendu tes prières silencieuses, celles que tu ne t'avouais pas à toi-même. Tu crois vraiment pouvoir échapper à l'éternité ? Dommage, elle t'a rattrapée !

Il me broya le crâne, lentement, savourant le bruit des os qui craquent contre sa paume, se délectant avec passion de mes cris déchirants. Il céda comme une coquille d'œuf et explosa en milliers de fragments éparpillés sur le sol. Il empoigna le spectre sombre, l'âme qui sortit de mon corps inerte et la brûla vive au creux de sa main. Mes hurlements silencieux accompagnaient mes larmes imaginaires qui se frayaient un chemin entre ses doigts crochus pour s'écraser sur le sol dans des sifflements aigus. Jamais je ne crus autant détester la douleur, jamais je ne pu trouver un mot si puissant pour décrire cette agonie destructrice. Quand il se lassa de me tourmenter, il m'envoya dans les limbes d'un simple geste de la main. Je perdis alors toutes notions du temps et de l'espace. Je cessai de vivre ou de mourir. J'appartenais au Diable pour toujours.

IL ricana, comme un enfant fier de sa blague. Satan brisa le cadenas et les chaînes qui retenaient le livre prisonnier et ouvrit la première page. Il lut les mots inscrit blancs sur noir :

Un ouvrage unique du Trouble-Monde : Comment séduire le monstre de vos rêves ?




Texte de PhoenixPotterWard

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