Le Maître du Château - partie 14
Le lendemain, Messire Godoire, Yena et Ianisse se glissent jusqu'à la rivière. Les autres sont partis faire leur diversion. Et maintenant, à la lumière du jour, Godoire se dit que l'envie du garçon de ne pas les suivre n'avait vraiment pas pour but de courir moins de risque... Toute son attention fixée sur le château, l'ancien prisonnier a les yeux d'un tueur. Il va sans doute leur créer des ennuis. Le chevalier regrette de ne pas être venu seul, mais il est trop tard pour ça.
Aucun guetteur au Château, aucun pisteur le long de la rivière : le piège a bien fonctionné, leurs adversaires les ont royalement sous-estimés et vont bientôt s'en mordre les doigts. Évidemment, aucune barque complaisante ne les attends, et ils doivent se jeter à l'eau pour entrer.
Au moins ils n'ont qu'à suivre le courant, et les deux hommes ont pied à peu près tout le long. Ianisse tient l'arc et les flèches de Yena au sec et elle se demande si il voudra bien lui rendre un jour. Lui qui était l'image vivante de la misère, il a l'air ravi depuis le début de cette aventure, et a dans les yeux une flamme cruelle qui promet bien des tourments à tous ceux qui oseraient l'affronter. Yena se dit qu'il pourrait tuer en riant, même le garçon d'écurie roux qui a le même âge que lui, et cette idée la fait frissonner.
Enfin ils arrivent dans la salle où les moutons sont abattus. L'équipe de nettoyage a fait du bon travail, il ne reste presque plus de traces sanglantes sur le sol, mais la puanteur n'a pas pu s'évacuer. Ils s'approchent silencieusement, Ianisse rend son arme à Yena sans rien dire, apparemment subjugué par la porte immense.
Le chevalier vérifie rapidement, mais il n'y a pas d'autres issues à cette pièce que le souterrain par lequel ils sont entrés, le tunnel qui mène à la cour du Château, et cette porte. Il dégaine son épée. Le duel aura lieu plus tôt que prévu, visiblement... Il s'avance et actionne la cloche, dont le tintement résonne sur les voûtes de pierre comme un rire moqueur.
Un grondement sourd suit. Puis plus rien. Arrivant au bout de sa faible patiente, Ianisse s'avance pour tambouriner au battant et se fait arrêter in extremis par le chevalier. Ils attendent, Yena postée à l'arrière et prête à tirer.
Elle pense : « C'est exactement le bon moment pour que quelqu'un débarque d'un passage secret et viennent nous attaquer dans le dos... » Elle guette attentivement les lieux autour d'elle, y compris quand la porte immense s'ouvre dans un tremblement qui fait vibrer le sol.
Godoire et Ianisse ont à peine le temps de s'écarter que des os de mouton soigneusement rongés sont projetés à travers l'ouverture. Yena qui ne les a pas vu en reçoit deux, en plein ventre et sur la hanche, et tombe sous le coup de la douleur. Elle parvient à ramasser son arme et à ramper jusqu'au mur pour rejoindre les deux autres avant de se faire assommer.
Pas moyen de passer pour le moment, il y a toujours plus d'os, jetés trop violemment pour ne pas se faire blesser. Messire Godoire regarde Yena, qui lui fait silencieusement signe que ça va. En réalité, ça ne va pas du tout, mais elle peut marcher et se servir de ses bras. C'est tout ce dont elle a besoin.
Le chevalier leur fait signe qu'il va attaquer dès que l'avalanche de restes sera terminée. Il ignore si Ianisse a compris, mais il a sans doute tenu le même calcul. Toujours silencieux comme des ombres, tous les trois se glissent dans l'immense ouverture avant que la lourde porte ne se referme dans un claquement sinistre. Si Paccariet a scellé les lieux par magie, ils sont pris au piège.
La tanière du géant est sombre et vaste, lugubre à souhait avec la lumière orangée des lampes qui se reflète sur les murs de pierre. Les grandes ombres tremblantes sont menaçantes et pourraient grouiller d'ennemis. L'air est mal renouvelé et la puanteur bien pire que dans la salle précédente.
Le géant est là, mastiquant quelques quartiers de viandes qu'il n'avait pas eut le temps de finir. Ianisse et la fillette ont un hoquet d'horreur en l'apercevant. Il fait six mètres de haut et ses dents sont longues comme des poignards. Heureusement, il est attaché au pied par une lourde chaîne... mais vu la force avec laquelle il est capable de projeter les os, réduire des humains en bouillie doit être pour lui un jeu d'enfant.
« Celui-là peut attendre, dit messire Godoire. Trouvons ses maîtres avant qu'ils ne s'aperçoivent de quelque chose et ne rameutent la garde ! »
Pendant ce discours, le géant a arrêté de manger et descend à présent la tête vers eux. Ses yeux immenses reflètent une peur d'enfant, qui serre le cœur. Qui serre au moins le cœur de Yena. Une injustice de plus... Auront-elles un jour une fin ?
Ce qu'elle prenait pour une corde est en fait un tuyau qui part du bras de la créature et va jusqu'à une énorme bonbonne qui se remplit de sang. Après quoi, le liquide rouge passe par de multiples transformations alchimiques. Et au final, de la poudre d'or est versée dans un tonneau, avec un chuintement de sablier.
Un passage secret s'ouvre tout près de messire Godoire, qui sans prendre la peine de remercier les Esprits attrape son occupant avant qu'il n'ait eu le temps de fuir. Bonne pioche : c'est Paccariet, venu surveiller le délicat procédé de la transmutation.
Il est seul et faible. Ianisse s'avance pour le tuer – il tend déjà les bras et sourit comme un démon – mais Yena l'arrête. Si il n'y a pas de juges ni de prêtre des Sept-Esprits impartiaux, c'est à un chevalier de déclarer et d'exécuter la sentence. Sinon, ce n'est qu'un meurtre. Elle ne se donne pas la peine de lui expliquer tout ça, se contentant de le plaquer par surprise et d'un laconique : « C'est à lui de le faire. » Et, avant que le garçon ait pu se redresser, messire Godoire l'a fait.
Plus que trois.
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