Le Maître du Château - partie 11
Monté sur Force, messire Godoire se détache nettement au sommet de la colline. D'autant plus nettement qu'il a le soleil couchant dans le dos. Pourtant, il faut bien deux minutes aux pisteurs qui arpentait les berges de la rivière pour le repérer. Au moins, ils donnent l'alarme à une vitesse très satisfaisante.
Le chevalier fait volte-face et galope en suivant le trajet qu'il a établit : suffisamment de tours et de détours pour permettre à ses poursuivants de le rattraper, tout en faisant croire qu'il est perdu... mais il traverse plusieurs lieux maudits où les pisteurs n'ont sûrement ni le droit ni l'envie de mettre les pieds. De fait, quand les hommes le rattrapent, ils ne sont que cinq en plus du grand veneur.
Le chevalier entre en trombe dans le premier charnier, et d'un coup d'épée fait tomber sur eux une pile d'os soigneusement installée en tour branlante. Un hurlement d'horreur retentit derrière lui, ainsi que le bruit de deux chutes. Plus que trois. Une autre pile a raison du bras d'un pisteur et de son courage. Plus que deux.
Hélas, celui qui reste aux cotés de Sairin a un arc et paraît capable de s'en servir à cheval. Ça, c'est hors de question. Godoire se penche et attrape un os qu'il lance avant que l'autre n'ait put tirer sa flèche. En équilibre déjà précaire, il tombe comme un débutant. Pendant ce temps-là, le grand veneur n'a pas jeté un seul coup d'œil à ses hommes et frappe furieusement son cheval pour rattraper enfin le chevalier. Mais même vieux, Force est un cheval de bataille de pure race, capable de distancer sans mal la bête de Sairin... Ce qu'il fait.
Godoire entraîne son ennemi toujours plus profondément dans son nouveau territoire, puis, lorsqu'il estime qu'ils seront tranquilles assez longtemps pour s'en débarrasser, il fait demi-tour et attaque. Sairin ne réalise toujours pas qu'il affronte un chevalier dans un face à face. Il croit toujours être l'agresseur. Ainsi le pouvoir trompe les hommes.
Au premier assaut, les deux hommes sortent leurs épées. Sairin attaque le premier d'un coup de taille au flanc, mortel sur un homme sans armure. Godoire pare le coup et du même mouvement enveloppe la lame de son adversaire qu'il lui fait sauter des mains. Et avant que Sairin n'ai le temps de comprendre son erreur, il l'assomme proprement avec la garde de son épée. Il ne lui reste plus qu'à arrêter le cheval paniqué de son ennemi et d'amener sa proie au village du marais. Au moins, le cheval de l'autre devrait lui permettre de se faire quelques alliés sur place.
Dans la salle des bouchers se dressent deux tas sanguinolents : l'un de viande et d'os, et l'autre de déchets. Le sang a coulé à flot dans les rigoles. L'atmosphère est irrespirable et Yena lutte pour ne pas s'évanouir. Elle a l'impression d'être au cœur d'un cauchemar, dans la tanière de l'un des quatorze mille démons. Autour d'elle, tout le monde est dans le même état, à part le maître boucher qui est très satisfait de leur travail. Enfin c'est le moment de sortir, de retrouver l'air libre !
Il faut trois personnes pour sortir le tas de déchets et aller le jeter dans les collines. En entendant cela, elle se rappelle que sa situation est loin d'être jouée, et se propose pour les aider malgré son épuisement. Une fois là-bas, elle devrait réussir à rejoindre son maître. Les collines ont l'air grandes, c'est vrai, mais soit il a trouvé refuge dans un village, soit il a dressé son campement selon des critères qu'elle connaît, aussi elle ne doute pas un instant de le retrouver.
Par contre, elle a pris beaucoup de risques pour peu de résultats au final... Elle chuchote à l'un des aides du boucher :
« Est-ce qu'il va tout manger d'un coup ?
La croyant au courant de tout, l'homme lui répond :
– Sans doute, il n'aime pas laisser la viande pourrir. Mais par contre après on est tranquille pour une bonne semaine. C'était ta première fois, non ? Tu t'es bien débrouillé.
– Merci. J'avais peur, je croyais qu'il venait quand on était encore là.
– Non, non... Il y a longtemps que plus personne ne l'a vu. Moi-même je ne l'ai jamais vu. Tu vois la porte là-bas ?
Yena se demande comment elle aurait pu ne pas remarquer cette porte : en bois noir, cerclée de fer massif, elle est assez grande pour laisser passage à un géant.
– Oui, je la vois.
– Et bien, quand on est tous sortis, le chef actionne cette cloche là, et il entre. Il mange et il laisse les os, qu'on vient chercher deux jours plus tard. Faut croire qu'il aime bien ronger les os, mais pas les manger.
– Et le reste du temps, il vit où ?
– Oh, dans le château, sûrement... Mais on ne s'en rend pas du tout compte, tu sais. Il est très discret. Moi ça fait trois ans que j'y habite, et je ne l'ai jamais entendu ! Et toi, tu habites au château ? Je ne t'ai jamais vu !
– Je suis venu aider, je viens d'arriver.
– Tu es d'où ?
– Excusez-moi monsieur mais là j'étouffe ! Je vais aller avec ceux qui jettent les morceaux plutôt que de nettoyer, je me sens vraiment trop mal...
– Haha, je comprends petit... Au début ça fait ça. Tu as même sacrément bien tenu le coup !
– Merci monsieur, au revoir.
– File vite, ils ne vont pas t'attendre ! »
Sans demander son reste, Yena s'en va. Personne ne lui pose la moindre question, tous sont épuisés aussi. Le 'tri' a été fait très grossièrement et finalement il n'y a pas grand chose à jeter, mais son aide est la bienvenue. Ils passent par un autre tunnel – minuscule – et descendent encore d'un niveau : ils sont à présent au niveau de la plaine, puisque la cour du château est surélevée. Calcul confirmée par une branche souterraine de la rivière, sur laquelle se trouve une barque. Ils montent à bord et utilisent les cordes fixées le long des murs pour remonter le courant.
Enfin les voilà à l'air libre. Yena inspire et a l'impression de se purifier. Deux de ses compagnons rament pour remonter la rivière, elle et le troisième homme n'ont rien à faire. Elle en profite pour se laver de son mieux dans l'eau glacée, même si elle se salira à nouveau en transportant les tripes encore fumantes les Sept savent où.
En tous cas, ce souterrain est une fameuse aubaine : messire Godoire pourra traquer la mystérieuse bête jusque dans sa tanière sans se faire arrêter par les gardes. A cette pensée, un sourire cruel se dessine sur ses lèvres.
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