La Tour - partie 9
Un terrible grondement ébranle toute la Tour. Le démon libéré écarte ses monstrueuses ailes et détruit le plafond. Un rocher frappe l'épaule de Yena qui hurle de douleur sans parvenir à entendre son propre cri dans le fracas. La décoration créée par illusion magique retourne à l'état de sable. Le corps décapité également. Le véritable sorcier a dû utiliser une marionnette magique pour éviter tout danger.
– Lâche-moi ! crie Yena au démon.
Celui-ci la regarde quelques instants, l'air de se demander quel goût elle a, et Yena se raidit : à présent qu'il n'est plus prisonnier d'un humain il va rejoindre l'Enfer, mais il peut très bien décider de croquer une humaine avant. Inutile de lui demander la moindre gratitude : c'est un démon. La seule émotion qu'ils partagent avec les humains est la vengeance.
– Lâche-moi et je détruirais cette foutue Tour ! Ou alors détruis-la toi-même !
Le démon la relâche et déclare d'une voix déjà lointaine :
– Moi je ne peux pas...
Il disparaît de plus en plus vite, rappelé à sa propre dimension.
– Montre-moi l'amma ! » hurle Yena.
Le démon n'est déjà plus visible. Tout ce qu'il reste de lui est un long rire moqueur.
Yena lève la tête. Au milieu des décombres l'amma flotte dans les airs. A ses cotés quelqu'un, volant lui aussi, tente de toute urgence de fabriquer des sortilèges de défense. Yena escalade quelques pierres pour se hisser jusqu'à eux et combattre enfin le véritable sorcier. En équilibre précaire sur une poutre elle ne prend pas la peine de défier son ennemi et saute pour le frapper dans le dos comme un vulgaire assassin.
Elle se prend un sortilège de feu de plein fouet ; elle a tout juste eu le temps de protéger son visage avec ses bras. Elle tombe et se rattrape un peu plus bas à un bloc branlant qui par miracle soutient son poids. Elle monte de son mieux sans lâcher son épée. Le sorcier ne lui prête aucune attention, trop occupé à reconstruire sa Tour.
L'écuyère est stupéfaite en voyant son visage : l'homme engagé pour détruire le Royaume, le dompteur de démons et prédateurs de monstres, n'est qu'un adolescent à peine plus vieux qu'Aragan. Un adolescent à deux doigts de la panique. Brusquement il se retourne vers Yena et lui lance un sortilège qu'elle esquive par pur réflexe, puis il l'ignore à nouveau.
Jeune et inexpérimenté, peut-être, mais redoutable. Yena décide de détruire l'amma en priorité. Elle est trop loin pour l'atteindre, mais si dans son orgueil le magicien n'a pas tissé une toile défensive autour de l'âme de sa Tour, la jeune fille peut parvenir à la détruire. Elle décroche sa fronde de sa ceinture, la charge d'une pierre aux arrêtes tranchantes et tire.
Pendant quelques instants la pierre grise ne dessine qu'une ombre dans la sphère bleue. Puis l'amma se brise dans un discret tintement de verre. Et toute la magie qu'elle maintenait en place s'enfuit dans les Terres Sauvages.
« NOOOOOOON !!! » hurle le sorcier tandis que tout s'effondre autour d'eux.
Ou du moins parait s'effondrer. Yena éprouve une oppressante sensation de vertige puis sent le sol sous ses pieds comme si la Tour n'avait jamais existé. A ses cotés les rares objets de la Tour qui n'ont pas été créés par magie émergent d'un sable bleuté qui se dissipe rapidement. Yena ne prête attention qu'au corps de Trellen et au sorcier déchu. Le sorcier est le plus urgent.
En la voyant approcher de lui le sorcier cherche à se défendre par magie mais sans Tour et sans démon familier il est presque impuissant. Il lui faudrait des heures pour recréer des instruments de pouvoir assez efficaces pour contrer la juste fureur de Yena.
Il faut tout le poids des enseignements de son maître pour que la jeune fille se retienne d'utiliser son épée et se contente de le jeter à terre d'un coup de poing. Après quoi elle le frappe encore, histoire de lui passer l'envie de continuer à se rebeller, une nouvelle fois pour avoir osé menacer le Royaume, une de plus pour l'avoir obligée à tuer Trellen, et elle aurait volontiers continué la liste de ses récriminations un long moment si le sorcier ne s'était pas recroquevillé sur lui-même en gémissant dans sa langue.
Elle trouve ses crimes trop graves pour être effacés d'un simple "je regrette", mais ce n'est pas à elle de le juger, elle est justement trop en colère pour mener à bien cette tâche. Elle choisit de le ramener dans le Royaume pour que les chevaliers décident de son sort. Et de son sort à elle. Si elle le tuait ici elle n'aurait qu'à rentrer chez elle, expliquer à Aragan que Trellen est mort et tenir sa langue envers les autres. Personne ne saurait rien de ses exploits et personne ne l'inquiéterait. Une idée alléchante qu'elle écarte avec mépris : aujourd'hui plus que jamais elle se veut la digne écuyère de messire Godoire, prête à faire ce qui est juste sans se soucier de son intérêt.
Elle enveloppe le corps de Trellen de son mieux avec leurs deux capes nouées et demande au magicien de l'aider à porter. Il se relève en tremblant et se lance dans un long discours en nhuzul pour indiquer qu'il n'a pas compris. Yena ne connait pas beaucoup de mots nhuzul mais un savant mélange de cette langue, de bas-parler et de taloches font clairement comprendre au magicien qu'il est censée l'aider et que si jamais elle le surprend en train de réciter un sortilège ou de dessiner un pentacle, elle lui arrache la langue ou lui coupe les doigts.
Il juge alors inutile d'en appeler au respect avec lequel on est censé traiter les prisonniers de haut rang et signale juste qu'elle s'apprête à laisser derrière elle plusieurs artefacts de valeurs, ceux-là même qui lui ont permis de construire son amma. Yena refuse de retourner en arrière, pas même pour tout l'or du monde. Il lui faudra un long moment avant d'accepter à nouveau la magie à ses cotés.
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